Si le vendredi 21 février est d’ores et déjà un jour majeur de l’année 2025 avec les sorties de Maïro, de Jeune LC, d’Infinit’ et de Veust, c’est aussi et surtout une date qui restera dans l’histoire du rap du 06. Si vous nous suivez, vous savez que nous ne sommes jamais les derniers pour évoquer cette école, composée de Chiens de Paille, Mic Forcing, Coloquinte, qui a tant influencé, d’Akhenaton à L’Entourage, et qui a fait des émules (Inf’ donc, mais aussi Zmail). Et quelle a été notre surprise et notre joie à l’annonce de la sortie, le même jour, d’un album de Veust et d’une tape d’Infinit’ ! D’autant que les deux zins ne nous avaient pas habitués à une telle fréquence. En effet, Veu-Veu qui avait été assez discret durant les années 2010 (lire notre interview ici) est particulièrement productif depuis, avec quasiment un projet par an (comme s’il voulait rattraper le temps écoulé), le dernier en date avec Akhenaton (lire notre chronique ici). Quant à son acolyte, après avoir pris quatre ans entre ses deux albums Ma Vie est un film II et 888, le voilà déjà de retour, douze mois et cinq jours après son précédent opus. S’il en suffit d’une pour l’oreille avertie, après plusieurs écoutes, on se rend compte que ces deux sorties simultanées sont très riches et se révèlent à coup sûr importantes dans la carrière des deux zins du 06.
Ce qu’il faut dire d’emblée et qui marque peut-être un tournant dans la discographie de Veust, c’est que contrairement à ses sorties précédentes faites relativement en solitaire via son propre label D’en Bas Fondations, Plaza Hotel bénéficie de l’appui, du soutien d’une équipe pointue. D’un côté, les Genevois de Colors se chargent de la réalisation du projet, eux qui ont une certaine expérience avec Slimka et Makala. De plus, la distribution est gérée par le label Demain [Pias], qui se distingue ces derniers mois avec des projets de haute volée (le film de La Rumeur Rue des Dames, l’album de Dany Dan & Kyo Itachi Pièces Montées, l’EP de Zek Localisable). Mais surtout, en plus de Furio, déjà très présent dans les projets précédents du V, le duo de beatmakers de Grandbazaar est aux manettes de la direction musicale, eux qui sont décidément en verve ces derniers temps entre leurs deux très bonnes tapes et le petit (et non moins excellent) EP fait en compagnie de Sameer Ahmad. Luzi & Dar offrent à Veu-Veu des prods très inspirées, lui qui a pu souffrir d’instrus qui ne faisaient pas forcément le poids face à sa signature vocale et à son écriture ravageuse (reproche qui a pu être fait aussi à Nas ou Dany Dan d’ailleurs…). On retient beaucoup de prods envoûtantes, de boucles entêtantes qui collent à merveille avec les puzzles de mots et de pensées de Veust, comme « Vanessa » ou « Smic ».
A l’instar de ses albums précédents Alley Oop et Ce bon vieux Veu-Veu, le colosse de Vallauris propose un format assez court, 28 minutes, avec encore une fois 10 titres (peut-être un hommage à Illmatic, lui qui dit justement dans l’outro qu’il préfère Nas à Drake). Infinit’ quant à lui revient donc aux affaires non pas avec un album, comme ses dernières sorties, ni avec un EP comme il les a enchaînés dans la seconde moitié des années 2010, mais avec une mixtape. Toujours sous la bannière DBF / Don Dada, peut-être qu’il bénéficie aussi du nouvel allant du label, avec les sorties successives de Huntrill et LEDOUBLE, pour reproposer un projet derrière le très bon 888. Le zin poursuit sa route avec ses proches, Hologram Lo’, JayJay, Dojo The Plug, Furio se chargeant de l’approvisionner en prods. Rayon nouveauté, il est accompagné de Jacky Brown qui vient hoster non pas seulement un morceau comme il a pu le faire pour Diam’s ou Dinos, mais toute la tape, pour le plus grand plaisir des nostalgiques de Couvre-Feu.
Le jeune bœuf semble avoir eu envie d’exploiter ce format assez peu contraignant. Au programme cinq petits morceaux solos, disséminés au milieu de collabs et d’un remix. Inf’ s’est même permis de rendre la pareille à Alpha Wann en lui laissant la piste 13, à l’image du titre « Le tour » dans UMLA. Sur 888, il avait d’ailleurs déjà fait une pass dé’ à Veust en le laissant poser « Fitness Park » afin d’innover et de ne pas refaire un énième feat entre eux. Néanmoins, sur Mr Le Faire, comme sur Plaza Hotel, les deux bougres croisent une huitième et neuvième fois le mic pour notre plus grand plaisir. Avec « Scorsese / De Palma », les Azuréens nous livrent d’ailleurs sûrement leur meilleur morceau commun.
Évoquons justement les feats. Alors qu’Infinit’ et Veust avaient tendance à rapper avec leurs proches (Alpha Wann, Akhenaton, JeanJass & Caballero, Deen Burbigo), ils sont sortis tous deux de leur zone de confort en se mêlant à d’autres rimeurs d’élite (Zek, Mairo, Limsa d’Aulnay, Di-Meh, Slimka, Zequin), amenant ainsi une touche de fraîcheur bienvenue.
Nos deux kickeurs continuent bien évidemment de rimer pour la beauté du geste et leurs textes devraient être étudiés par tous les (apprentis) rappeurs et battles MC’s (dont l’écriture manque souvent de relief au passage). En vrais esthètes, privilégiant quelque peu la forme sur le fond, Veust et Infinit’ délivrent punchs sur punchs, aussi mémorables (« On peut rien faire avec un SMIC à part l’augmenter », « SMIC »), graveleuses (« J’bouffe sa schneck, j’regarde pas l’nutriscore » « Monaco Remix »), drôles (« Ta mère la pute, j’la fais sortir d’un gâteau » « Scorsese / De Palma »), imagées (« L’argent tombe pas du ciel sauf quand les nourrices jettent les sacs des fenêtres », « Vanessa »), les unes que les autres. En compagnie de Dany Dan et Freeze Corleone, ils maîtrisent parfaitement l’art de la comparaison (« Tu fais le mauvais garçon, ton corps flotte comme les glaçons dans la boisson », « Top 3 »; « Elle veut que je crache le liquide comme un jet-ski », « Ralenti »). Si la technique est aussi sûre que celle de Xavi et Iniesta, Veust et Infinit’ ont aussi l’art du contre-pied en enchaînant les multisyllabiques sans que les rimes ne soient téléphonées ni anticipées par l’auditeur averti. Les gars poussent le délire en allant jusqu’à rimer souvent sur quatre-cinq syllabes sur plusieurs mesures ! Les lascars sont faciles quand il s’agit de balancer les allitérations et assonances (refrain de « Décapotable »), adlibs en tous genres et références, notamment cinématographiques. D’ailleurs, une des forces de Mr Le Faire et de Plaza Hotel réside dans la présence de nombreux extraits de films, de chansons, d’interviews, de moments de vie, en début ou en fin de morceau, donnant ainsi une certaine consistance et du liant aux deux projets.
Définitivement, on a affaire à deux rappeurs qui aiment rapper, aiment le rap, mais nos azuréens s’accordent des moments plus légers, smooth, à l’image du single « Un sbire et un A.C.E » et d’« Environnement » (qui pourrait tout à fait être une chute de l’album 888 d’ailleurs). Autre point commun, Veu-Veu et Inf’ sont très attachés à leurs mères et l’évoquent ci et là (« J’aimerais remercier ma mère, je t’ai dit que j’ai vite appris à faire mes lacets pour qu’elle mette plus genou à terre », « Exelero »). Par contre, le rapport aux femmes semble sensiblement différent : Karim se la joue player, considérant la gente féminine comme de simples partenaires sexuelles, tandis que Veust fend parfois l’armure et aborde des expériences plus ou moins (mal)heureuses. Nos deux frères mais de mères différentes ont aussi comme thème de prédilection l’argent, mais si cela semble être une obsession pour Infinit’ (« J’ai qu’l’oseille au centre de la tête », « Wisconsin »), pour Veust, il s’agit davantage d’un moyen plus que d’une fin, lui qui pourtant vient « de Vallauris, là-bas faut économiser pour être pauvre » (« Ralenti »).
Ainsi, vous l’aurez compris, ces deux projets sortis le même jour (le Zéro Six Day !) sont particulièrement enthousiasmants, Infinit’ poursuivant sur sa lancée, avec peut-être une pression moindre que sur le format album, tandis que Veust semble avoir sorti son meilleur projet solo (il est vrai que nous étions restés sur notre faim avec Alley Oop et Ce bon vieux Veu-Veu). On peut remarquer que les partis pris visuels au niveau des pochettes reflètent l’état d’esprit de chacun, Inf’ s’amusant et faisant preuve d’un certain lâcher prise en mode No Limit, tandis que Veust pose de façon plus solennelle, illustrant son ambition sur Plaza Hotel. La suite est claire pour les deux zins : l’album commun ! Après avoir fait près d’une dizaine de morceaux ensemble (voir notre playlist), sans parler des morceaux collectifs, il est évident que Veust et Infinit’ doivent le faire, afin de compléter le podium composé de Dany Dan & Ol’Kainry et Isha & Limsa. De plus, à leur niveau, les deux bougres semblent avoir l’appui d’équipes déterminées (c’est quand le fer est chaud qu’il faut le battre). Ils pourraient enchaîner avec une compilation mettant à l’honneur le 06, réalisée par D’en Bas Fondations. On y croiserait Zmail, Sako, Weare, Gak (qui vient d’ailleurs de sortir la tape Travaux Pratiques pas mal du tout !), Mili, Siloh, Barry, voire Jazon Voriz et pourquoi pas Zippo et le Pakkt. Continuons dans nos hypothèses : après une dizaine de titres ensemble, Infinit’ n’en profiterait-il pas pour balancer (enfin) un petit EP avec Alpha Wann ? Veust quant à lui ne bouclerait-il pas la boucle avec le dernier volet Été de ses saisons qui aurait du sortir en 2019-2020 ? Enfin, Akhenaton pourrait convier Veu-Veu pour interpréter le titre « Highlander » sur la scène du Vélodrome le 28 juin prochain, comme pour marquer sa reconnaissance à tout ce que l’école du 06 lui a apporté ? En définitive, on devrait pas mal entendre nos deux zins ces prochains mois.