Akhenaton & Veust, retour à la case passion | Chronique

Texte : Chafik & Olivier

La sortie de Monopolium en a surpris plus d’un. Si Akhenaton et Veust ne twittent pas comme ils respirent, un post Instagram avait néanmoins annoncé le début de l’écriture du projet en octobre 2022. Cet album est en tout cas une évidence pour beaucoup tant les liens entre les deux sont anciens. Alors qu’il vient de signer Chiens de Paille en 1998 sur La Cosca, ces derniers font découvrir au parrain marseillais leurs compères de Coloquinte puis de Mic Forcing (dans lequel officie Veust Lyricist), qui intégreront à leur tour l’écurie. En effet, cette fine équipe partage avec Chill un même ADN, un esprit new-yorkais et une même science de la rime. Après avoir mis sur orbite la Fonky Family et le 3eŒil via Côté Obscur, Akhenaton mise sur cette école du 06, qu’il aura autant influencé qu’il s’en est inspiré. D’ailleurs, en compagnie du Rat Luciano, Veust est le seul rappeur à avoir impressionné AKH, au point qu’il ait été jaloux de certains de ses couplets. C’est peut-être pour cette raison, et des affinités artistiques et humaines, que les morceaux réunissant Chill et Veu-Veu soient si nombreux (pêle-mêle : « Le Fiston », « Commode », « Charge », « J’ai du boulot pour toi », « O’Straniere », et une dizaine d’autres collaborations entre les deux tontons). Shurik’n mis à part, Veust est donc le meilleur acolyte d’Akhenaton, bien plus que Sako ou Faf Larage. Ainsi, après plus de vingt ans de collaborations, nos (jeunes) vétérans ont enfin réalisé un album entier ensemble, eux qui sont actuellement dans une productivité impressionnante : si Akhenaton enchaîne ces dernières années projets de groupe, EP’s et featurings, Veust est lui aussi très présent avec Alley OopCe bon vieux Veu-Veu, ainsi que des apparitions remarquées, notamment sur les mixtapes Don Dada et Saboteur. Le projet commun est donc entre nos mains. Sera-t-il à la hauteur de nos espérances ? Les deux compères nous ont-ils livré de la punchline et des barz en pagaille ? Analysons Monopolium via cette chronique écrite à deux mains, en mode passe-passe.

Pour commencer, les crédits sont formels, c’est Akhenaton lui-même qui s’est chargé de la partie instrumentale, épaulé par Cehashi sur quatre des treize morceaux que contient Monopolium. S’il a ses habitudes avec quelques beatmakers talentueux tels que Nicholas Craven, Just Music Beats ou le duo Sébastien Damiani / Faf Larage, il démontre ici que son goût pour la production ne l’a pas quitté, lui qui sample et compose depuis ses tout débuts (cf notre interview). Sans tomber dans le jeunisme, ses productions sonnent 2023 dans les arrangements et certains éléments utilisés, tout en gardant l’ADN « rap orthodoxe » qui colle à sa musique. La mise à jour du côté des machines a été effectuée, et laisse penser que malgré ses projets solos produits par d’autres, il a continué à peaufiner son art dans son coin, délivrant des supports musicaux léchés, sophistiqués, du sur-mesure pour les bons mots que contient Monopolium, particulièrement efficaces sur « Dans ce pays » ou « Head up », dans deux registres différents.

« Je ne suis jamais parti mais je les fais flipper comme un revenant »  

Veust

Derrière le microphone, ce qui marque d’emblée de jeu, c’est la confirmation de l’osmose, de l’alchimie qui existe encore et toujours entre eux, au point qu’on ait davantage affaire à un vrai duo qu’à deux rappeurs unis pour la circonstance. Quand bien même les deux Sudistes ont enregistré la plupart des morceaux à distance, leur proximité est flagrante, à l’image du titre éponyme dans lequel les couplets s’enchaînent parfaitement. D’ailleurs, si les projets en commun sont en vogue en ce moment, peu peuvent se vanter d’être aussi fluides, cohérents, travaillés et hauts en couleurs. En effet, on ne s’ennuie jamais durant ces 45 minutes : le delivery est varié, les flows se multiplient (par exemple, rapide sur les premières mesures avant que la diction s’allonge sur les deux dernières) ; ça rime sur trois, quatre, voire cinq syllabes ; le name droping, les références et images marquent ; les adlibs sont inspirés ; les refrains se veulent éclectiques (que ce soit sur « Monopolium », « File de gauche », « Head Up » ou encore « Briser ses chaînes »). Surtout, c’est le festival de punchlines qui nous ravit, et Veust se distingue là de bien belle manière. Ne boudons pas notre plaisir et citons-en quelques-unes : « J’connais la rue, les balles perdues s’arrêtent pour me demander la route » sur « PTSD » ; « Tu m’cherches ? T’as qu’à regarder en dessous des Canadair », « Faire la paix avec le gouvernement ? J’te promets pas, entre nous y a un tas de braises, qui fera le premier pas ? » sur « Funkytown à Junkyville ».

« Si je prends le mic c’est la folie, les opps ont la colique, je shoote lui, lui, lui, son acolyte alcoolique »

Akhenaton

Mais Veust ne brille pas que par intermittence, ses talents d’écriture ne s’expriment pas que lors de fulgurances. En plus de punchlines dévastatrices, il enchaîne ses rimes en variant une même sonorité sur plusieurs mesures comme sur « Funkytown à Junkyville » : « J’veux qu’mon fils dise que son père c’est Hulk, le son les persécute, les exécute, bref c’est culte, tellement qu’elles veulent me gratter avec leurs ongles de Belzébuth, qu’elles sont belles ces p…. » ou en surprenant tout son monde sur « Je pardonne tout mais je n’oublie rien » avec un storytelling d’une terrible efficacité. Ainsi, Veust nous livre une démonstration de force, en confirmant que sur certains registres, il est bien l’un des plus chauds du game (d’autant que ces deux derniers projets ont pu laisser quelques-uns un peu déçus). N’allez pas croire qu’Akhenaton fasse pâle figure. Dans la continuité de ses projets avec Just Music Beats ou Nicholas Craven, notre quinqua ne semble jamais aussi actuel qu’avec des challengers plus jeunes que lui, que ce soit dans ses placements, son groove ou ses techniques de rimes. De fait, aux côtés d’un découpeur tel que Veust, ses talents de lyriciste sont encore plus visibles. L’ADN de son rap est néanmoins différent de celui de son acolyte, moins égotrip, avec une palette de thèmes plus large et des références moins collées du bitume. Il fournit ainsi une sorte de contrepoids, qui donne au tout un équilibre qui permet de ne se lasser ni de l’un ni de l’autre, et d’écouter l’album d’une traite sans efforts. Et à propos de références, sur « Dans ce pays », un des sommets de l’album, les extraits de Scarface ne sont pas sans rappeler l’incontournable premier album d’Akhenaton, Métèque et mat, sorti en 1995, un clin d’œil malin pour les auditeurs de la première heure.

En dépit de toutes ces qualités, pas vraiment étonnantes de la part de ces MC’s talentueux, on ne peut s’empêcher d’avoir quelques réserves, trouvant des limites à cet album tant attendu. Parce qu’ils en sont capables, n’est-il pas dommageable qu’on n’ait pas eu droit à un album proposant davantage de concepts, d’exercices de style ? On ne retrouve pas un morceau à la hauteur d’« Highlander » par exemple, peut-être le meilleur titre de nos deux lascars. Si AKH et Veu-Veu excellent dans l’egotrip, on aurait aimé que le Provençal emmène l’Azuréen sur d’autres terrains, plus introspectifs, quand bien même Veust se livre ici et là, avec parcimonie. Ce dernier cumule le plus de punchlines marquantes mais au milieu de ses centaines de barz, quelques phases semblent néanmoins capillo-tractées (« Faut avoir goûté la merde pour apprécier le miel, le jour où ils m’ont coupé le courant j’ai vu la lumière »). Si nous avons pris beaucoup de plaisir, comme toujours, à les entendre rapper ensemble, nous aurions apprécié un petit morceau solo de chacun, ou un posse cut, en compagnie d’un Infinit’ ou d’un R.E.D.K. (sur le remix d’ « Independenza » par exemple).

En définitive et malgré quelques critiques, Monopolium confirme le statut de roi sans couronne de Veust et renforce une impression qui va grandissante depuis le début de la décennie 2020, celle d’avoir affaire à une nouvelle jeunesse d’Akhenaton. Nous le soulignions plus haut, à la fin des années 90 et durant la décennie 2000, Sentenza a toujours su s’entourer de jeunes prometteurs aux plumes affûtées, du Rat Luciano à Sako, en passant par Veust, toute l’école du 06 au début des années 2000, suivis des Psy4, et de R.E.D.K. par la suite… Des relations artistiques bénéfiques aux deux parties, les plus jeunes profitant de l’expérience et des conseils du tonton, quand ce dernier mettait à jour ses katas. Mais au tournant des années 20, après une décennie plus centrée sur le groupe IAM pour Philippe Fragione, le voilà de nouveau sollicité par les rimeurs les plus en vue du rap jeu. Au-delà de son aura et des faits d’armes passés qui constituent déjà une raison valable d’être invité, ce sont ses qualités de rimeur qui sont requises sur ces tracks, qui vont au-delà du simple passage de flambeau symbolique comme ça a pu être le cas sur « Je suis Marseille » (ce qui ne l’empêche pas d’être un très bon morceau). Ainsi, Dinos, JeanJass (avec l’excellent « Mains qui prient »), et tout récemment SCH sur « Chiens fantômes » (et son passe-passe qui souligne l’évidence de la connexion) sur les Chroniques de Mars III, ont croisé le micro avec un Chill en grande forme, peut-être le seul parmi les pionniers du rap en langue française à être encore appelé pour de vraies bagarres microphoniques. En tout état de cause, cette productivité et cette occupation du terrain démontrent une chose : la passion pour la musique rap d’Akhenaton, à 55 ans, est intacte.

«  Des fois je suis fou j’imagine la paix sur terre, mais mes grosses Nike aux pieds faites par un enfant me gardent les pieds sur terre »

Veust

Maintenant que cet album a enfin vu le jour, que souhaiter pour la suite ? De nouvelles incartades solos pour Akhenaton réalisées en étroite collaboration avec un seul beatmaker ? Un album commun Veust / Infinit ? Akhenaton / JeanJass ? Un album des quatre ensemble ? Un album de Benny The Butcher produit par Akhenaton ? Plus sérieusement, retenons simplement qu’on peut être un roi sans couronne, ou à mi-chemin entre la cinquantaine et la soixantaine, mais p***** qu’est-ce qu’on peut tuer sur le micro.

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