Un an s’est écoulé depuis l’envahissement total de la trap dans l’hexagone. Tandis que des grands noms du rap continuent de défendre leurs valeurs artistiques, des rappeurs plus jeunes avec les crocs apportent des perspectives nouvelles, mêlant rap, trap et influences électroniques. Cette diversité reflète une société française en mutation (bouleversements pour la politique française : la gauche est en chute libre, s/o Hollande et Valls, le FN progresse encore et la société est de plus en plus désenchantée par la classe politique) où le rap sert autant de miroir social que d’outil d’expression personnelle. En 2014, les codes de l’industrie musicale changent également. Les plateformes de streaming gagnent en importance (passant de 8 millions d’abonnés en 2010 à 68 millions en 2015 – selon l’IFPI), bouleversant les modes de consommation et permettant aux rappeurs de toucher un public plus large sans forcément passer par les circuits traditionnels. C’est dans ce contexte, entre renouvellement artistique et affirmation d’une identité propre, que se dessine le paysage du rap français en 2014.
Alpha Wann – Alph Lauren
Paru le 20 janvier 2014 | > Quand on chausse les crampons
« J’suis ni ton prof ni tes parents / J’ai pas de grandes idées, j’chante / J’fais ça pour atteindre le next level, la 36eme chambre » (Quand on chausse les crampons). Si l’on devait prendre une formule pour illustrer l’approche d’Alpha Wann, ce serait peut-être celle-ci. Premier vrai solo du rappeur du 14ème, Alph Lauren assène à qui veut l’entendre sa philosophie du rap. Nique les carcans, Philly Phaal enjaille lui et ses gens, à coup de rimes plus fluides les unes que les autres, mettant à l’honneur 1995, Nemir ou encore VM the Don (à la prod sur la majorité de l’EP). Du revers du microphone, Alpha Wann balaye les jugements le tout saupoudré de références rap, subtiles ou non « Pour moi le microphone n’est qu’un défouloir / J’suis un limite dingue, Biggie mince / Le shiznit alias Philly Flingue » (Steven Seagal). En huit pistes, Philly Flingue, seul ou accompagné, confirme qu’il n’est pas juste un étudiant du rap, mais en est bien un érudit. En puisant dans son histoire et en investissant son présent, s’affranchissant du format purement collectif sans pour autant le rejeter, Alpha Wann étale son talent. Au-delà du jeu des références historiques et de rimes bien senties, la palette évolue dans le registre plus-que-technique, à base de flows volontairement irréguliers, de syllabes tantôt étirées, tantôt hâchées, puis abrégées, grâce auxquelles, tel un félidé, Phaal retombe toujours sur ses pattes. Feignant la nonchalance et le détachement du pacha, c’est la virtuosité que dépeint Alph Lauren. Et l’auditeur attentif de regretter de n’avoir été honoré plus tôt d’un tel talent solo sur un format aussi long. Avec Alph Lauren, première sortie de son label Don Dada, Alpha Wann s’impose de manière évidente comme l’un des meilleurs MC Français, bien au-delà de sa génération. – Maxime
Crown – Pieces to the Puzzle
Paru le 17 février 2014 | > En Roue Libre
Quels sont les ingrédients nécessaires à un album de rap pour qu’il puisse traverser les époques ? S’il est difficile de répondre à cette question, il est en tout cas certain que Pieces to the Puzzle a la recette. Peut-être est-ce le côté anachronique de ce projet qui, bien que sorti en 2014, a une bonne vibe années 90’s ? En tout cas, dix ans ont passé, et cet album est toujours aussi agréable à écouter et à (re)découvrir avec plaisir. L’alternance de MC’s anglophones et francophones font entrer celui-ci dans la catégorie des collaborations internationales réussies. Beaucoup de rappeurs qui figurent sur le projet connaissent encore aujourd’hui une belle carrière et ont poursuivi leur chemin ; d’autres ont disparu de la scène rap ; et d’autres encore restent dans l’underground français ou américain. Tout ce monde créé une belle diversité que Crown orchestre d’une main de maître. De fait, la difficulté de réaliser un album en tant que beatmaker est de doter celui-ci d’une cohérence qui fasse qu’il ne soit pas une simple juxtaposition de titres. La force de Pieces to the Puzzle est de ne jamais faire passer les rappeurs au second plan et de garder une ligne musicale qui soit uniforme sans être répétitive. Les beats sont boom-bap mais très musicaux et on se surprendra à siffloter certaines lignes mélodiques. En bref, c’était déjà le cas au moment de la sortie mais ça l’est d’autant plus aujourd’hui : c’est un projet qui est toujours pour ceux qui pensent que le rap était mieux avant, qui aiment les scratchs, et qui désespèrent de retrouver des lyricistes qui savent poser sur des beats boom-bap ! – Costa
Jul – Dans ma paranoïa
Paru le 24 février 2014 | > Winners
L’exercice de la réécoute d’un disque dix ans après permet souvent d’en réévaluer certains aspects à l’aune de la poursuite du parcours de l’artiste. Dans le cas du premier album de Jul, à la fois clivant à sa sortie et rapidement couronné de succès, plusieurs choses sautent aux oreilles. La première c’est que les instrus simples et entraînantes, qui portent désormais le nom de beats type Jul, et l’usage de l’autotune pied au plancher si caractéristique du rappeur marseillais, nous sont désormais familiers, deux éléments qui lui ont valu (et lui valent encore aujourd’hui, mais dans une bien moindre mesure) de nombreuses critiques et railleries. Autre élément frappant, tous les ingrédients de sa musique semblent déjà en place. Des sonorités à ses thématiques de prédilection (l’amitié, la loyauté, la rue, la mélancolie, l’humilité, les relations avec les femmes, Marseille), en passant par de solides couplets rap ici et là (« Winners », « T’es pas le seul »), des reprises de tubes d’eurodance (« Mon son vient d’ailleurs ») et bien sûr des hits instantanés (« Sort le cross volé », « Dans ma paranoïa », « J’oublie tout »), ce qui fait encore l’essence de sa musique dix ans et trente albums plus tard est déjà là. Les moqueries autour de son style vestimentaire, de ses fautes d’orthographe sur les réseaux sociaux ou de la simplicité apparente de sa musique s’estomperont avec le temps et les disques de platine. Ce ne sera pas le cas des critiques autour des paroles pour le moins maladroites du refrain de « Sort le cross volé », qui refont régulièrement polémique quand Jul se retrouve sous les feux des projecteurs. Mais surtout, Dans ma paranoïa marque le début de sa productivité hors normes avec deux autres albums pour la seule année 2014 (Lacrizomic et Je trouve pas le sommeil), et de son hégémonie sur le rap francophone. – Olivier
Disiz – Transe-Lucide
Paru le 3 mars 2014 I > Rap Genius
Alors qu’il avait annoncé arrêter le rap en 2009 (pour se lancer dans le rock sous le nom de Peter Punk), il ne fallut pas trois ans pour que Disiz remonte sur le ring et sorte les deux premiers volets d’une trilogie ! Il faut dire que le projet Klub Sandwich avec Grems notamment lui a permis de s’émanciper de certains carcans et que depuis 2011, le rap a changé, bien aidé par l’arrivée d’une nouvelle génération incarnée par L’Entourage (invité en partie d’ailleurs sur Lucide et Extra-Lucide sortis en 2012). Trans-Lucide, son huitième album en 15 ans de carrière, se veut conceptuel : la partie Terre symboliserait l’enfance, l’Eau l’adolescence et le Ciel l’âge adulte. Mais ce qui saute aux oreilles, c’est le fait que Sérigne M’Baye Gueye a retrouvé son mojo. Inspiré, il alterne les ambiances, les flows, se montrant tour à tour lucide (« Banlieusard syndrome »), touchant (« Miskine », « Fuck les problèmes », « Kadija »), décomplexé (« Kamikaze », « Sayonara »), mais l’éléphant au centre de la pièce est bien sûr le morceau « Rap Genius ». Sur plus de sept minutes, D.I.S.I.Z kicke furieusement et démontre phase après phase à quel point il a le rap dans le cœur et dans le sang. Les références, les punchlines font mouche, le rappeur du 91 n’hésitant pas à mettre du respect sur son propre nom (reconnaissant néanmoins des maladresses de parcours), rappelant son pedigree, tout en malmenant ses congénères, les journalistes et ceux qui l’avaient enterré. Bien que la deuxième partie de l’album soit un ton en dessous, Disiz clot sa trilogie de belle manière, bien aidé par un pool de beatmakers cinq étoiles (Medeline, Skread, Belek, Kore, Dave Daivery notamment). A bien des égards, Trans-Lucide marque le début de la seconde carrière de Disiz. – Chafik
R.E.D.K. – Chant de vision
Paru le 10 mars 2014 I > Un mal pour un bien
A l’heure où sort Chant de vision, R.E.D.K. est loin d’être un new comer. Membre du groupe Carpe Diem, avec lequel il a sorti plusieurs projets depuis 2005, il s’est aussi illustré sur des compils (Chroniques de Mars 2, Têtes Brûlées 5), ainsi que sur E=2MC’s, avec Soprano. Mais c’est surtout le morceau « Simple Constat 5 » sur le foot, devenu viral à sa sortie en 2009 qui a fait parler de Kader au niveau national. Il se retrouvera alors invité par nombre de ses congénères, notamment sur certains posse cuts majeurs, comme « Invincible Remix » ou par Akhenaton sur Je suis en vie. Dès lors, la pression se faisait plus grande pour que R.E.D.K. livre un album solo, au grand dam du principal intéressé pas forcément emballé par l’idée de délaisser son groupe de toujours (il ne peut s’empêcher d’ailleurs de citer ses frères de rap en guise de premiers mots sur l’intro « Début de la fin »). Parce qu’en effet, sa proposition artistique est d’une grande diversité, son écriture est très travaillée, l’art de la punchline est totalement maîtrisé, la technique est omniprésente et le Phocéen est capable d’enchaîner egotrip, rap à thème, fast flow, ce qui dénote du reste de la scène marseillaise. C’est (trop ?) propre, ça rappe comme un adulte et la liste des invités ayant répondu présents sont impressionnants : Soprano, Kayna Samet, le rarissime Ali et Lino ! Ce dernier a d’ailleurs concocté avec Kader un morceau conceptuel de haut vol (« Un mal pour un bien »). Évidemment, Picrate, L.O., Réso et Teddy accompagnent leur acolyte sur « Quintessence », mais ce titre préfigure la fin officieuse du groupe, qu’on n’entendra plus au complet par la suite. R.E.D.K. lui-même se fera très rare dans le seconde moitié des années 2010, comme lassé par le game et les discussions autour de son statut de rappeur sous-côté. – Chafik
Furax Barbarossa – Testa Nera
Paru le 24 mars 2014 | > Fin 2012
Dans la première partie des années 2010, l’expansion des réseaux sociaux entraîne avec elle une ébullition du rap indépendant, dont la diffusion ne dépend désormais plus des radios ou des majors, pas encore adaptées à cette nouvelle donne, mais de la grande accélération du bouche à oreille. Sa production est également facilitée par l’avènement de nouvelles technologies, les smartphones n’étant qu’un exemple parmi d’autres. Partant, des scènes locales décentralisées s’imposant à grande échelle ne sont bientôt plus des exceptions, et ne sont plus réservées aux passionnés locaux. Parmi celles-ci, Toulouse représente un cas d’école. Depuis les années 2000 et le Polychrome 7, les rappeurs toulousains retournent des scènes locales mais leur renommée restait circonscrite à la ville rose. Le contexte des années 2010 leur permet ainsi d’exploser le plafond de verre local, et Furax apparaîtra dès lors comme une des, si ce n’est la principale tête d’affiche, non seulement toulousaine mais de toute la scène indépendante francophone, à travers sa qualité d’écriture exceptionnelle couplée à une interprétation prenant aux tripes, bien aidé par une voix rauque venant des catacombes. A cela s’ajoute une présence sur scène dont n’importe qui l’ayant vécu se rappelle. Ainsi, après ses albums confidentiels, solos ou collectifs sortis durant les années 2000, Testa Nera devait non seulement couronner l’un des meilleurs rappeurs de sa génération, mais aussi consacrer ce qui a rapidement été qualifié de nouvel âge d’or. Et ce d’autant que le principal intéressé avait fait monter l’attente, le classique « Qui m’demande ? » ayant longtemps été le seul extrait, jusqu’aux extraits lâchés sur scène, dont les vidéos sont rapidement devenues virales à leur petite échelle. Les attentes étaient donc hautes, et c’est peu dire qu’elles ont été largement atteintes. Aussi sombre qu’il pût l’être, les samples épiques, pour la plupart du producteur attitré Toxine, soulignent à la perfection l’écriture de Furax, sondant les tréfonds de l’âme humaine. Aucune surprise au niveau des invités, tous se complétant parfaitement sans dépasser leurs plates-bandes. Et cette outro qui aura longtemps hanté les plus sensibles de couronner le tout. Rarement un album n’aura autant mérité l’appellation de classique instantané. – Xavier
Dinos – Apparences
Paru le 14 avril 2014 | > Comme un dimanche
Encore connu sous le nom de Punchlinovic au moment où il sert Apparences, Dinos est depuis un moment au cœur des radars de la rookiesphere. Et loin de décevoir les espoirs placés en ce jeune prodige de la Courneuve, il sort en 2014 un petit 12 titres qui changera pour longtemps son statut d’étoile montante à suivre. Peu de rappeurs peuvent se targuer de se voir parer des lauriers d' »incontournable » après un peu plus de 35 minutes en EP, et Dinos est sans doute de ceux-là. Alors que les contours de son talent singulier étaient déjà bien identifiés, la maturité plus ou moins inattendue du projet a eu raison des éternels sceptiques. Encore jeune lorsqu’il entre dans l’arène, le petit roi de la punchline confirme sa capacité à manier subtilement émotions et technique, les premières servant la seconde, et vice versa. Le rap de Dinos est déjà introspectif. Sa quête d’identité, ses doutes, notamment liés à son choix de carrière, ses origines, tout glisse avec facilité sur des prods savamment choisies et minutieusement orchestrées, offrant un tout plutôt cohérent et bien construit. Avec cette approche poétique tirant sur le mélancolique qui n’appartient qu’à lui, même sur les phases égotripées, Dinos se montre moins incisif que dans les heures de gloire de ses punchlines aiguisée en RC, et quelque part, c’est tant mieux. Apparences, désormais signé chez Capitol, son nouveau label, est un vrai tournant dans l’ascension de Dinos. Avec « Namek » qui tourne en radio et dont la prod hypnotique de Richie Beats reste engluée dans nos oreilles, il décroche un succès qui dépasse celui de l’estime des pairs et entame vraiment la transition qui le conduira à exprimer tout le potentiel qu’il gardait en dessous de sa paire de Nike Air. – Sarah
Zekwe Ramos – Seleçao 2.0
Paru le 28 avril 2014 | > Le début de la faim
Alors que nous mettons les mains sur Seleçao 2.0, nous avons encore en tête la parfaite carte de visite qu’était le premier opus, sorti trois ans plus tôt. Il nous paraissait déjà évident que Zekwe Ramos est rappeur hors pair, tant avec un micro qu’avec une plume, un producteur redoutable et même un directeur artistique de qualité. Ce deuxième album va enfoncer le clou sur chacun de ces points. Plus encore, nous allons découvrir un aspect qu’on pouvait entrevoir sur Neochrome Hall Stars Game, à savoir une musicalité folle. On le sent d’abord plus libre sur certains refrains, chantant des mélodies diablement efficaces, les exemples parfaits de cet aspect sont sans doute « Le Premier Métro » et « La Fille d’À Côté ». Les deux storytellings s’axent sur des relations plus ou moins amoureuses, plus ou moins charnelles, et lui permettent de faire des morceaux grand public en allant chercher jusqu’au chant sans perdre un brin de son rap, de son sel – ou de son authenticité. Son second degré, ses mille et un flows rebondissants et ses schémas de rimes ravageurs ne sont pas évidés pour un sou dans le but d’obtenir une mauvaise soupe et un hypothétique tube. Tout demeure et le jeune rappeur affirme encore davantage sa personnalité. Plus libre encore qu’avant, Zekwe prouvait au rap qu’on pouvait apporter des sonorités musicales (oserait-on dire, des influences de la variété ?) sans renier le rap. Parce qu’en définitive, il s’agit résolument d’un album rap avec ce que ça implique de brutalité, de violence, d’introspection chez le Maestro. Et si les amateurs plus fermés d’esprit seront aussi ravis (exemplairement par l’exceptionnelle « Le début de la faim »), on est surpris et légitimement un peu déçu que l’album ne parvienne pas à dépasser pas les sphères souterraines du rap. – Wilhelm
Ol’Kainry & Dany Dan – Saison 2
Paru le 12 mai 2014 I > Déglingos
On ne fera pas l’injure de présenter Dany Dan et Ol’Kainry, rappeurs solos issus de groupe, devenus binôme en 2005 pour un disque qui avait reçu d’excellentes critiques (au point d’être considéré comme un des meilleurs projets collaboratifs entre deux artistes). La sortie de ce second volet, sobrement intitulé « Saison 2 », près d’une décennie après le premier, nous enthousiasmait forcément, en particulier quand la pochette, quasi identique au volume un, fut dévoilée. Au menu de cette nouvelle galette, encore et toujours du rap (il ne s’agit que de ça), des couplets tranchants, des multisyllabiques travaillées, de solides références, des prods qui siéent à ravir à nos deux kickeurs (réalisées en grande partie par Dave Daivery) et aucun morceau à jeter. Les deux bougres brillent dans leurs textes sans thèmes, mais ne sont pas moins forts quand il s’agit d’évoquer la gent féminine par exemple, comme sur « Lalala » ou « Miss météo » et s’accordent même un solo chacun, au milieu de leurs passes d’armes terriblement efficaces. Mais il y a un mais, l’album n’a pas marqué son époque comme il aurait dû, sûrement pour tout un tas de (mauvaises) raisons : après un classique, le suivant souffre toujours de la comparaison avec son prédécesseur ; l’album était trop hip-hop pour l’époque et l’hommage aux nineties n’a pas été reçu ; en dépit du bon « Classic Shit », il ne contenait pas, il est vrai, de posse cuts aussi forts que sur l’album précédent ; le public de nos jeunes vétérans a peut-être décroché du rap ; de nouveaux auditeurs préféraient une nouvelle vague, incarnée par 1995 (pourtant influencés par le Sage Po’ et l’agresseur verbal)… L’injustice devait être (en partie) réparée en plaçant cet album sous-estimé dans notre dossier sur l’année 2014. – Chafik
Metek – Riski
Paru le 26 mai 2014 | > Polizei
Après son aventure avec le groupe Les Refrés (membres du collectif ATK) et celle de Noir Fluo, Metek se lançait officiellement en solo en cette année 2014, d’abord avec la mixtape rétrospective Paris 75021 puis avec son premier album Riski. D’emblée, il nous lance dans un jeu de l’oie en brouillant les pistes avec un jeu autour de la filiation qui va s’étendre tout au long de l’album. Le thème du double est omniprésent, si bien que l’on l’entend souvent s’interpeller lui-même en s’appelant Metek, Manuel ou Riski. Par si surprenant pour celui qui déclare avoir beaucoup lu Dostoïevski (spécialiste de la thématique du double), son pseudonyme « Riski » en étant même inspiré. On a vite la sensation d’entrer dans un album hyper personnel où chaque sample semble délivrer un message caché. Un album cryptique, à la fois ouvert par la grande sincérité qui le traverse, et fermé, parce qu’il faut pénétrer sa forme et ses personnages fantomatiques pour pouvoir réellement se situer dans l’histoire. On est comme dans un labyrinthe où rejoindre le centre serait tâche quasi impossible, y compris pour son concepteur, mais le magnétisme est suffisamment puissant pour qu’on continue d’essayer. Partout s’y étendent des images comme des successions de flashs mémoriels, parfois terriblement clairs, d’autres fois masqués par la brume du temps qui passe. On est constamment bousculé dans le temps et l’espace par un flow souvent rapide et hyper cadencé, mais qui tourne parfois également à la confession conversationnelle et qui sait également verser dans le chant. Riski est comme une grande course en avant, dans le passé, à l’image de la fuite consumériste perpétuelle de la figure féminine de « Gwadanniga ». On y croise des personnages énigmatiques (« Katoucha »), on y plonge dans des bribes de souvenirs avec des visages estompés comme une peinture impressionniste (« 75021 »), on se laisse embarquer dans la ride (« Niquer tout ce qui bouge ») ou encore trimbaler dans le monde entier avec le ludique « Polizei » et ses jeux géographiques et de couleurs posées par petites touches. A l’image de son contenu, Riski est un album qui brouille la perception du temps, il semble s’écouter très rapidement mais donne l’impression d’avoir traversé de nombreuses vies. – Jérémy
A2H – Art de vivre
Paru le 26 mai 2014 | > SCVD
Entre 2011 et 2014, A2H creuse son trou avec la sortie de trois mixtapes, de son premier album Bipolaire et d’un projet commun avec Aelpéacha. Mais c’est probablement avec Art de vivre qu’il prend définitivement sa place et s’affirme comme une figure importante de son époque. Construit par une petite équipe de producteurs incluant notamment DTWEEZER et Gregarson, Art de vivre pose d’abord un écrin cohérent en se basant sur des rythmiques trap avec des samples souvent planants, du spleen de « Elle ne veut pas » aux nappes rêveuses de « Dans ma chambre » en passant par l’ovniesque « Rouler rapper ». Le timbre d’A2H est chaud, ses flows variés et techniques, et ses refrains apportent systématiquement un plus tout en allant chercher des directions diverses : le mélange de spoken word, de screw et de chœurs sur « Ma ride », l’autotune planant de « Ma chambre » avec son piano jazzy, les refrains chantonnés à voix basse charriant un aspect confessionnel, etc. La ride alliée au rap, la fête puis la recherche du calme, l’amour et ses déceptions, la positivité même dans la galère (voir l’hymne « SCVD ») sont autant de thèmes contrastés qui sont abordés dans l’album. L’esprit global est en fait résolument blues comme le dévoile le très bon « Robert A2 Johnson » avec ses références à cette mythologie. Il y a du spleen, de l’humour, des contradictions incessantes qui le taraudent mais dont il tire des leçons, sans pour autant vouloir se renier. Il faut accepter ce que l’on est et sacrifier des choses en conséquence. Art de vivre est un disque varié mais avec une vraie cohérence de fond, porté par des productions qui maintiennent une ambiance tout du long et par un A2H qui parvient à présenter l’entièreté de son univers et à nous y impliquer. Dix ans plus tard, c’est toujours aussi efficace. – Jérémy
ENTRE PLÉTHORE DE SORTIES, FOCUS SUR DEUX PROJETS « INDÉ » DE LA SCÈNE PARISIENNE
Pour la scène underground parisienne, la période 2012 – 2015 est un véritable tourbillon de sorties, toutes plus intéressantes les unes que les autres. De nombreux groupes et rappeurs émergent à ce moment-là, et Facebook (oui, oui, vous avez bien lu) devient une véritable pépinière d’artistes. Parmi l’avalanche de singles, mixtapes, EPs, projets collectifs et diverses compilations, nous nous sommes penchés sur deux opus parus en 2014.
Népal – 16/16
En 2013 sortait La Folie Des Glandeurs, une mixtape d’un peu plus de 60 minutes réunissant la crème du rap parisien de l’époque, que nous avons déjà évoquée à plusieurs reprises dans nos dossiers rétrospectifs. C’est sur ce projet que l’on découvre « officiellement » Népal – le MC -, bien qu’en creusant un peu plus, on puisse déjà tomber sur son alias Grand Master Splinter. 2014 arrive, et Népal en profite pour sortir son premier EP, intitulé 16/16. Six titres exclusifs, un seul featuring avec son compère Doum’s, le tout sur une tripotée de faces B : Goodie Mob, Drake, Big Krit, ou encore Warren G et son mythique « Regulate ». La carte de visite est maintenant en circulation et disponible en téléchargement libre (comme la plupart des projets de sa discographie), et rencontre un petit succès. Tellement, d’ailleurs, que le rappeur / beatmaker décide de faire comme certains EPs électro de cette époque là (s/o Institubes et Sound Pellegrino) et de ressortir les morceaux sur de nouvelles instrus. C’est ainsi que naît 16/16 Remix et ses invités remarquables : GooMar, Kyo Itachi, Vaati, ou encore Diabi avec son légendaire remix de « Skyclub », qui propulse le titre instantanément dans la catégorie des classiques.
Ol’Kameez – Volume 1.5
Très souvent cité dans nos colonnes et dans nos dossiers de vieux qui regardent dix voire vingt ans en arrière, Ol’Kameez est un duo composé de Walter (aujourd’hui Waltmann) et Skyle (aujourd’hui à la retraite). Suite du premier opus éponyme sorti en 2012 sur lequel on pouvait découvrir leurs plumes aiguisées , le volume 1,5 met la barre beaucoup plus haut. Malgré un mixage et un mastering hélas très moyens, le projet vieillit bien et reste encore cohérent dix années après. Les instrumentales produites par GooMar et Dooze n’ont pas pris une ride et nous offrent ce qui faisait de mieux à l’époque en matière de boom-bap. Côté texte, c’est encore mieux que le précédent opus. Le duo a beaucoup progressé et nous offre plusieurs grands moments : le morceau « Poudrière » en featuring avec Nekfeu et Alpha Wann, « A couvert » et son instrumental un poil grisaldesque avec Fixpen Sill ou encore « Le bruits des ombres » séparé en deux parties sur le même sample de Vangelis. Malgré sa brièveté, le duo Ol’Kameez a profondément marqué certains d’entre nous et me replonge inévitablement dans une époque que je chéris, un peu comme Wolverine contemplant avec nostalgie son cadre photo. – Clément
I.N.C.H. – Ni Saint Ni Sauf
Paru le 20 juin 2014 | > Ugotrip
Ni saint ni sauf est une compilation de morceaux produits par I.N.CH. qui sont, pour la plupart, sortis – généralement sur un disque porté par un des rappeurs présents sur le morceau. C’est toutefois l’occasion de revenir sur un beatmaker particulièrement doué qui a largement officié dans l’underground des années 2010 et s’est logiquement souvent retrouvé dans nos colonnes. La multitude de morceaux nous permet de distinguer plusieurs influences. Bien sûr, on entend l’éternel héritage du New-York des années 90s mais on va aussi reconnaitre des touche de Non Phixion, Necro, etc., et surtout de genre musicaux très différents de ceux qui infusent habituellement le rap et le boom bap. Les nappes vaporeuses nous rappellent les films d’horreur des années 1980 et l’influence revendiquée de John Carpenter ne surprendra personne et on sent aussi, parfois, des sonorités plus rock. Mais tout ceci est ingurgité, digéré et mis au service d’une esthétique (poisseuse, crasseuse) dominé par des batteries ravageuses au rythme pourtant classique. A l’écoute de la compilation, la patte unique, qu’il partage peut-être avec un Al’Tarba, est évidente et des morceaux, des artistes en apparence très éloignés s’enchainent avec un naturel déconcertant notamment grâce à ces grosses caisses et caisses claires que l’on prend en pleine face de la première à la dernière piste du disque. Très proche (membre ?) du Gouffre, I.N.C.H fera bénéficier son projet d’une sortie physique avec le soin du détail que l’on connait aux Gouffriers. Le producteur en profitera pour nous raconter, au travers du livret, la genèse ou des anecdotes sur chacun des morceaux réunis. Cela nous permet notamment d’avoir quelques illustrations de ce qu’il peut faire à partir d’un sample connu de tous sans que l’on s’en rende compte. – Wilhelm
Asocial Club – Toute entrée est définitive
Paru le 21 juin 2014 | > 99%
Souvent programmés ensemble au cours de plateaux de rap français et désireux de se produire conjointement sur scène, AL, Casey, Vîrus, Prodige et le regretté Dj Kozi, qui nous a malheureusement quittés en 2019, décident de se réunir afin de créer une entité propre le temps d’un opus. Tcho, chargé de l’entité visuel du collectif, joue un rôle fédérateur essentiel pour la création de ce projet. L’Asocial Club voit le jour. Cette appellation oxymorique définit à merveille cette équipe composée de rappeurs à fortes identités. Ces derniers préfèrent rester en marge de leurs homologues comme ils l’affirment avec conviction et véhémence dans le morceau « 99% ». Ils s’insurgent également contre les institutions sur le titre « Ce soir, je brûlerai ». Si l’obscurité, la révolte et la misanthropie font office de fil rouge au long de cet album, les quatre MC surprennent en faisant preuve d’autodérision sur la chanson « Anticlubbing ». Ils y tournent en ridicule leurs sorties nocturnes qui tournèrent au fiasco. En ce qui concerne les productions, c’est en toute logique que l’Asocial Club a travaillé en famille. Hery et Laloo, beatmakers du groupe Anfalsh sont associés à Dj Saxe, proche de AL et à Banane, binôme de Vîrus. La qualité du disque est notamment due aux sonorités modernes, aux teintes électroniques et métalliques qui apportent une réelle singularité aux ambiances des morceaux. Elles laissent la place à chaque artiste d’exprimer sa technique et de développer son univers. Côté featuring, on note la présence de B.James, acolyte de Casey et Prodige au sein d’Anfalsh, ainsi que celle de Rocé dont le couplet sur l’excellent « Creuser » vient clôturer l’album. Celui-ci avait d’ailleurs pris part aux concerts au début de l’aventure du collectif. Un artiste éminent qui aurait eu une place de choix au sein de ce club si restreint. – Jordi
Lucio Bukowski & Nestor Kéa – L’art raffiné de l’ecchymose
Paru le 23 juillet | > Chaque dimanche
Les dizaines de projets (EP, albums, mixtapes) qu’il possède à son actif peuvent en témoigner, Lucio Bukowski aime les collaborations exclusives avec un beatmaker le temps d’un disque. Pour l’album L’art raffiné de l’ecchymose, c’est le multi-instrumentiste Nestor Kéa qui se charge des productions, pour un rendu musical et mélodieux, un peu plus épuré que les instrumentales utilisées habituellement par le rappeur lyonnais. Si l’album est somme toute assez court (neuf titres et une interlude), il ne possède aucun déchet, en grande partie grâce à l’alchimie évidente découlant de la collaboration entre les deux artistes, qui n’en sont pas à leur premier coup d’essai ensemble. La voix et les flows de Lucio se mêlent à merveille aux pianos, cordes et batteries de Nestor, pour des textes oscillant entre pessimisme, révolte et poésie. Quant aux invités, c’est sans surprise que l’on retrouve Anton Serra, son acolyte au sein de L’Animalerie, ainsi qu’Arm de Psykick Lyrikah, habitué lui aussi à croiser le micro avec Bukowski. La présence de Veence Hanao sur « Chaque dimanche », gris et teinté de langueur, constitue un des sommets du disque, notamment grâce à la finesse d’écriture et l’interprétation des deux MC’s qui viennent sublimer la boucle mélancolique de Nestor Kéa. Dans la foultitude de disques sortis par Lucio Bukowski depuis 2010, L’art raffiné de l’ecchymose figure assurément parmi les plus réussis, aux côtés de La plume et le brise-glace, son album commun avec Anton Serra, qui sortira l’année d’après. – Olivier
Lacrim – Corleone
Paru le 1er septembre 2014 | > A.W.A.
En 2014, dans la catégorie déjà bien identifiée des trapeurs hardcore, Lacrim n’est pas le meilleur en rap. Il est moins technique que Niro, moins inspiré que Kaaris, n’a pas la fraîcheur de quelques loups s’apprêtant à rejoindre la partie, mais il bénéficie d’une popularité hors norme, comme en attestent ses impressionnants chiffres de vente dès la première semaine d’exploitation de Corleone, son deuxième album. Le grand public adhère au personnage de voyou qu’il dépeint dans ses textes, notamment parce que chacune des nouvelles lignes ajoutées à son casier judiciaire est relayée par les médias généralistes et scrutée par le grand public, à l’instar de la cavale de son acolyte Mister You quelques années auparavant, un rappeur aux côtés duquel il a commencé à se faire un nom à la fin des années 2000. Pour autant, la critique n’a pas été tendre avec lui en 2014, notamment pour son usage de l’autotune et un refrain R&B sur « Le loup d’la street », vus comme les signes d’un formatage lié à sa récente signature chez Def Jam. D’un autre côté, l’adéquation entre le storytelling et le personnage, son incarnation, les productions léchées et calibrées d’Aurélien Mazin et Kore (qui fera aussi bénéficier le rappeur du 94 de son expertise sur la direction artistique de l’ensemble), et les collaborations réussies avec les rappeurs Outre Atlantique Lil Durk et French Montana, ont rapidement placé Corleone au rang d’incontournable, voir de classique pour tout un pan du public rap français, comme en attestent les vidéos rétrospectives, publications et morceaux célébrant cette année les dix ans de l’album. « Des mecs comme moi dans le rap y’en a peu, mais dans les cités y’en a des milliers. » – Olivier
STICK – 1 MC 2 plus
Paru le 9 septembre 2014 | > Pluie de sang
Plus confidentiel que beaucoup des projets cités dans cette liste, 1 MC 2 plus de Stick n’a pourtant rien à leur envier en termes de qualité. Sorti au moment où les soirées rap de Toulouse se déroulaient à la Dynamo, cet album a le mérite de condenser en lui toute l’ambiance rap de la ville rose de l’époque : du boom-bap lourd, des paroles glauques et véridiques, et de quoi faire bouger quelques têtes dans la foule. Les noms des beatmakers et featurings sont bien connus de tous ceux qui sont familiers de l’underground français et on se replongera assez facilement dans l’écoute d’un album qui aura très bien vieilli. En effet, l’écriture crue et authentique de Stick a le mérite d’être hors-norme et de ne pas être le fruit d’une mode : la violence des thématiques en fait un disque qui tend vers l’horrorcore sans jamais pouvoir s’y limiter. Exploration de l’âme humaine, 1 MC 2 plus s’écoute comme on lit un livre de Charles Bukowski : avec un mélange de dégoût et de plaisir. Il s’agit donc d’un album qui se distingue par son authenticité. Stick n’essaie pas de plaire à tout prix; il propose une musique sincère, en phase avec ses expériences et sa perception du monde. Il s’adresse à ceux qui cherchent à explorer les profondeurs de l’âme humaine, à travers un rap dépouillé des artifices habituels. Stick, avec son approche introspective réussit à capturer la réalité brutale de sa génération, marquée par la désillusion et la quête de sens. Cet album n’est pas juste un ensemble de morceaux, mais une véritable exploration des tourments intérieurs où chaque rime donne à la fois envie de rire et de pleurer. – Costa
LaCraps – Machine à écrire
Paru le 3 octobre | > Doucement mais sûrement
Alors que la lourde vague d’un revival old school caresse le rap français en cette première moitié des 2010’s, LaCraps ajoute, depuis le cœur de Montpellier, sa pierre à l’édifice de la tendance. Machine à écrire est un album tout en longueur (21 titres quand même, plutôt rude pour l’époque) qui s’inscrit tout à fait dans la lignée de son premier opus, avec, comme son nom voulait bien le sous-entendre, une attention particulière donnée à une écriture plutôt affûtée. Si on retrouve tout au long de l’album les petites pointes de brio qui avaient valu à LaCraps de se retrouver sous la lumière après sa poignée de punchlines buzzante de l’année précédente, ses talents de lyriciste ne suffisent pas à réinventer la formule du rap boom bap. Les thèmes abordés restent classiques : la rue, les doutes personnels, la désillusion… Les prods, souvent sombres et minimalistes, cochent les cases de ce qu’on attend d’un tel objet. Pourtant, l’alchimie opère absolument. La machine de LaCraps est bien huilée et même l’auditeur le plus blasé se laisse convaincre par l’authenticité simple des paroles, enrobée dans des sonorités nostalgiques, douces aux après midi de spleen. Avec un OBL dans des chaussons ou l’incontournable Mani Deïz aux commandes des morceaux les mieux réussis, l’approche old school, répétitive, introspective de l’album lui donne une couleur cohérente, où la plume et les productions se répondent efficacement. Les collaborations avec des Sako, l’Hexaler ou Swift Guad renforcent la position du rookie natif de Roubaix, au sein de la nébuleuse de ce rap ‘underground’, de province, bien fait, ambitieux et qui, malgré des recettes éculée, fait son trou à force de talent et de persévérance. A défaut de pouvoir se hisser sur l’étagère des bangers de l’annee Machine à écrire est une belle illustration de l’effusion rap qui s’emparait, chaque année un peu plus, de tout le territoire et nous rappelait, en pleine explosion trap et cloud, que différents raps allaient désormais gentiment cohabiter en France, avec succès, pour le plus grand bonheur des passionnés. – Sarah
Vald – NQNT
Paru le 27 octobre 2014 | > Shoote un ministre
Il s’agit du premier véritable projet de Vald : pensé et conçu pour être mieux structuré que ses deux prédécesseurs, mais conservant ce côté déjanté qui avait permis au rappeur d’Aulnay-sous-bois de commencer à se faire un nom dans le rap français. Avec une signature en maison de disque et un coaching par Tunisiano et Tefa, il s’agissait donc d’un premier EP commercialisé qui devait amener Vald dans le grand jeu. La mission a été accomplie puisqu’il y aura eu du buzz (« Autiste » et « Shoote un ministre », sortis pour la promotion de l’album, auront causé quelques polémiques) et qu’il lui aura été possible de capitaliser dessus par la suite (« Bonjour » qui aura un véritable buzz sortira huit mois plus tard en juin 2015). En revanche, il est difficile de juger de la qualité de NQNT dix ans plus tard. Si le personnage de Vald conserve une certaine fraîcheur et un côté décalé attachant, l’ensemble du projet apparaît comme assez inégal musicalement. Les bangers qui ont bien fonctionné et ont permis à l’EP de faire connaître Vald auprès d’un large public sont de qualité, mais les sonorités du projet font que celui-ci est difficile à écouter du début à la fin. Pris dans sa totalité, il est difficile d’affirmer que ce projet est réussi tant les instrumentales sont agressives. Néanmoins, il méritait d’être mentionné dans cette sélection car il est le point de départ de l’ascension d’un artiste qui n’aura laissé personne indifférent au sein du rap français. – Costa
JeanJass – Goldman
Paru le 3 novembre 2014 | > Mes Jambes
Originaire de Charleroi en Belgique, JeanJass s’est fait connaître au sein de son groupe Exodarap, actif depuis 2004. Rappeur et beatmaker, il a affiné son kata à travers de nombreuses collaborations, que ce soit derrière le micro ou aux machines. Parmi ses projets notables, on trouve son duo Jean XVI avec Le Seize, ses couplets avec son futur acolyte de toujours, Caballero — notamment le remarquable morceau « Profondeurs » sur la mixtape Laisse Nous Faire vol.1 —, ses productions pour Ysha, Senamo et L’Or Du Commun, ses contributions au collectif de beatmakers Tour De Manège, ainsi que des freestyles pour le légendaire Give Me 5 (dont un freestyle mémorable avec James Deano, Rizla, Caballero, Nekfeu, Seyté et Alpha Wann). C’est dans cette effervescence que JeanJass sort son premier EP solo, intitulé Goldman (parce que quand la musique est bonne, bonne, bonne). En grande partie auto-produit et avec l’aide de ses compères Le Seize et Eskondo, cet EP de 8 titres présente parfaitement l’univers du rappeur de 26 ans à l’époque. On y trouve de l’égotrip pur et dur, teinté d’humour et d’absurde, des références minutieusement choisies allant du football à la cuisine, et quelques moments d’introspection marquants. Musicalement, l’EP s’inscrit dans la continuité de ses apparitions précédentes, mêlant des touches de jazz, du boom-bap classique mais toujours actuel, et quelques expérimentations plus modernes. Mention spéciale aux morceaux « NPQ » et « Pippo Inzaghi », ainsi qu’à son classique instantané « Mes Jambes », qui utilise un sample d’Alceu Valença. Nous sommes en 2024, dix années se sont écoulées et il est clair que ce projet a marqué d’une pierre blanche le début de la belle carrière que connaît actuellement le double J. Une question me taraude encore aujourd’hui, comment fait-il pour avoir des boucles si belles ? – Clément
Sameer Ahmad – Perdants Magnifiques
Paru le 10 décembre 2014 I > Siwak
Parce que Justin Herman Plaza sorti en 2010 nous avait impressionné, l’annonce d’un nouveau projet de Sameer Ahmad nous avait forcément enthousiasmé en 2014. Entre temps, le Montpelliérain s’était fait très rare, montrant que le rap n’était pas son obsession et qu’il se mêlait bien peu au reste du game. Disons-le directement, ceux qui étaient sensibles au style de A.H.M.A.D. ont été conquis, quant à ceux qui l’ont découvert alors, ils n’ont pu que reconnaître les qualités du bonhomme, que ce soit cette économie de mots, inversement proportionnelle à la densité des textes, ce minimalisme à l’instar des refrains sans paroles, des couplets courts, dont les deux dernières phases sont d’ailleurs toujours très soignées et de la place laissée aux prods, en milieu ou en fin de morceau. En 10 titres et 33 minutes, Perdants Magnifiques confirme le talent, l’art du contre-pied, l’écriture, imagée et cinématographique de Sameer. Détournant les expressions populaires, reprenant ses propres phases passées, sa plume est chirurgicale, sa technique et sa science de la rime sont sûres sans en avoir l’air et les punchlines marquantes s’accumulent (« Rêve de Jordan 6, d’insomnie et de Cisjordanie » ; « Seul Chuck Taylor m’arrive à la cheville » ; « Venu prendre la Tour Eiffel pour la courte échelle » ; « J’ai pris la lune pour m’asseoir, la soleil comme allume-cigare », entre autres). On s’amuse à capter ses très nombreuses références qui vont de Tonton David à GZA, de Lunatic à Téléphone. Plus que sur ses projets précédents, Sameer Ahmad revendique son identité multiple, frenchie biberonné par la culture US, certes, mais surtout d’origine irakienne, tant les occurrences à Bagdad, Gilgamesh et au Moyen-Orient sont nombreuses. Bénéficiant d’un succès d’estime immédiat, Perdants Magnifiques, sorti en décembre, est venu coiffer tout le monde au poteau pour être le meilleur album de l’année 2014. – Chafik
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