Oui, pour une grande partie du public, l’année 2013 est directement associée à un album qui a traumatisé le rap français et imposé un nouveau registre, de manière durable, à savoir le premier album d’un certain rappeur de Sevran, entraînant dans son sillage une nuée de trappeurs aux dents aiguisées. Résumer cette période à ce phénomène serait réducteur, puisqu’on assiste également à la confirmation d’une forme de retour à un rap orthodoxe (pour reprendre la formule des tontons marseillais d’IAM) enclenché au début des années 10, que ce soit chez des rappeurs déjà quadragénaires, ou des MC’s à peine majeurs. Et puis entre ces deux pôles, des artistes qui, le temps passant, s’affranchissent toujours plus des modes et des courants, avec des propositions audacieuses, originales, inédites, parfois couronnées de succès, participant à décomplexer encore davantage ce courant musical déjà bien diversifié en 2013.
Comme tous les ans, c’est au travers de vingt chroniques (et un encart) que nous vous proposons un aperçu du rap d’il y a dix ans, agrémentées cette année d’un mix dédié juste en-dessous, disponible également sur YouTube.
Loko – Vis ma vie
Paru le 28 janvier 2013 | > Médaille d’or
« Loko : Animateur radio, rappeur, Néochrome, ingé son, producteur » scande-t-il dans le refrain du premier extrait de son premier (et seul à ce jour) album solo. Il faut donc reconnaître que le CV en impose. S’il est familier du rap depuis plus de quinze ans en 2013, on ne s’étonnera pas que la tracklist annonce une vingtaine de morceaux étalés sur plus d’une heure, et qu’il y fasse à peu près tout ce qu’il est possible de faire, de la production à la post production. Loko se distingue, en premier lieu, par son flow à toute épreuve, virevoltant ; on sent que la musicalité est primordiale. On ne pourra pas non plus passer à côté du soin apporté aux rimes et au second degré. Sur ce point, même les titres et thèmes des morceaux peuvent être évidents, « Ma main droite » et « Mon trône » en tête. Les thèmes fourmillent et le rappeur sait toujours doser ses ingrédients avec brio pour que des moments plus personnels s’intègrent naturellement à la légèreté générale. On retrouve la tradition du développement d’une idée sur tout un morceau mais, à l’heure où les textes de rap s’éloignent généralement d’une grande ligne directrice, le traitement assez naturel donne un crossover efficace qui ne laisse pas sa place à l’anachronisme. Du côté du son, bien sûr, tout est léché et sonne aujourd’hui encore très bien – même si typé de son époque. C’est peut-être, d’ailleurs, quelque chose qui éloignera l’album d’un plus large public ; les rappeurs dont les univers s’approchent de celui de Loko ont, en 2013, une esthétique souvent plus brute et crado. Sans se perdre davantage en conjecture marketing – après tout, on n’est pas sur lebonmarketing – Vis Ma Vie réussit sa promesse : nous faire passer une heure dans la vie de l’auteur. – Wilhelm
Gaël Faye – Pili pili sur un croissant au beurre
Paru le 4 février 2013 | > Fils du hip-hop
Pili pili sur un croissant au beurre, ou le mélange des saveurs. Du piment et de la douceur. De l’amour, de la mélancolie. De la joie, de la tristesse. Un peu d’Afrique, un peu d’Europe. En 2013, pour son premier album solo, Gaël Faye nous livre une explosion de sentiments. Celui qui se fait connaître avec Milk Coffee and Sugar (son duo avec Edgar Sekloka) ouvre son journal intime et le livre de contes. Au détour d’un titre, il partage ce qui affecte sa vie entre le Burundi qu’il fuit à 13 ans pour échapper à la guerre civile, et les chemins qui le mènent à Paris, Londres. Puis narre les (més)aventures de personnages anonymes, souvent déracinés. On ne sait pas toujours si ces protagonistes sont fictifs. Peu importe finalement, ces histoires sont les voix de millions portées par les mots de Gaël Faye. Vous l’aurez compris, Pili pili sur un croissant au beurre n’est pas uniforme. On passe effectivement des sourires aux larmes. Les musiques varient aussi, pour mieux épouser la narration : cuivres, guitare sèche, basse, snare. Les beats s’accélèrent, et on se sent chalouper, sourire aux lèvres sur « Bouge à Buja ». On opine frénétiquement du chef sur « Fils du hip-hop », avant que le piano et le spoken word de « L’ennui des après-midis sans fin » ne nous laissent planer, la larme à l’œil. Cet opus n’est pas toujours présent dans les rayons rap, et si Faye démontre par moments qu’il maîtrise l’exercice, son registre est en fait plus large. Une voix aux frontières du rap, du slam, du chant. Des musiques empreintes de soul, de musiques traditionnelles, de boom bap. Pili pili sur un croissant au beurre a autant sa place au rayon chanson qu’au rayon hip-hop. Et à ce titre fait partie des albums les plus marquants de 2013. – Maxime
Scylla – Abysses
Paru le 18 février 2013 | > Douleurs muettes
Si Scylla sort son premier album en 2013, sa voix d’ogre n’est pas étrangère au public rap pour autant, notamment grâce à divers projets gratuits, et au morceau « BX Vibes ». Portés par une palette d’instrus provenant d’une liste assez conséquente de beatmakers, les quinze titres d’Abysses abordent tour à tour le décalage du principal intéressé avec la société (« Erreurs génétiques », « Coupable », « Répondez-moi »), quelques coups d’œil dans le rétroviseur (« Rien à remplacer », « Langage de signes »), ses doutes (« Second souffle », « Douleurs muettes »), ou le pointage de ses contradictions (« La logique d’une contradiction », « La sagesse d’un fou »). Une introspection clôturée par « Douleurs muettes », qui nous révèle les véritables abysses du MC, entre peurs et souffrances inavouées. Côté invités, Tunisiano et REDK, auteurs de deux honorables couplets sur « Coupable », sont raccord avec la thématique, mais n’atteignent pas le niveau de complicité de Saké et Furax sur leurs featurings respectifs, habitués à croiser le mic avec le rappeur bruxellois. A l’aune de ce que livrera le rappeur bruxellois dans les années qui suivront, Abysses semble contenir les prémices des différents registres sonores qu’il compartimentera ensuite dans ses albums. « Tout a un sens » et « Douleurs muettes » évoquent les albums piano / voix Pleine Lune 1 et 2 qu’il sortira avec Sofiane Pamart en 2018 et 2019 ; sur « Langage de signes » il s’autorise à chanter, une compétence qu’il développera particulièrement sur le LP Eternel (2022) ; enfin les albums Masque de chair et BX Vice se placeront quant à eux dans la continuité des morceaux de rap plus classiques de ce premier disque. En somme, Abysses constitue une palette représentative des différentes facettes de l’Ogre, reliées entre elles par les samples et compos de piano et de violon présentes sur l’ensemble du disque. – Olivier
Rocé – Gunz’n’Rocé
Paru le 4 mars 2013 | > Actuel
Trois ans après L’être humain et le réverbère, Rocé revenait avec un album brut et purement hip-hop. D’abord, il y a cette ossature faites de break-beats et de rythmiques parfois surprenantes mais toujours funky, puis il y a l’usage de ces samples, souvent minimalistes, entaillés jusqu’à la moelle, et puisés dans différents courants : on ressent là des influences arabisantes, du funk, du jazz, de l’électronique… Rocé lui-même est d’ailleurs l’auteur d’un bon nombre de productions, accompagné notamment par DJ Karz. Ces variations rythmiques le poussent à varier ses flows et son débit, toujours avec une diction parfaite. Le thème du rap est présent en filigrane tout du long, dans « J’rap pas pour être sympa », « Mon rap ne tient qu’à un fil » ou dans l’iconique « Actuel », morceau qui signait le grand retour de JP Manova. Mais comme on est chez Rocé, et que l’homme a bien d’autres sillons à creuser, parler du rap raccorde directement à d’autres sujets plus profonds, avec comme fil rouge le rapport de l’humain à son environnement : « Adolescent, si t’as pas de quartier tu deviens fou, tu deviens fou, car la première question des autres est tu viens d’où ? ». On pense notamment au superbe enchaînement de « Habitus », morceau sociologique traitant du rapport au langage chez les pauvres et les riches et de « Le sourire des villes », traitant du rapport à la sociabilité en ville. Le rapport à la vitesse de la société, aujourd’hui hautement d’actualité, traverse également tout l’album comme dans le paradoxal « La vitesse m’empêche d’avancer », et le tout se conclut par un très bel hommage à DJ Mehdi. En résulte un album court aux axes principaux bien définis, avec un contenu dense et où l’on sent que chaque morceau, chaque rime a été affiné. On ne relève la présence d’aucun déchet, même si une poignée de morceaux sortent du lot. Ce Rocé est décidément chirurgical. – Jérémy
Nakk – Supernova
Paru le 18 mars | > Devenir quelqu’un
En terme d’inspiration, le début de la décennie précédente était peut-être le point culminant de la carrière de Nakk Mendosa, et pas seulement en terme de quantité. D’abord, l’orientation artistique qui se dessinait sur Darksun un an auparavant est renforcée et perfectionnée. On passe du crayon à papier au marqueur indélébile. Au grand désespoir d’une poignées de nostalgiques, le rappeur vit avec son temps. Jusque là souvent critiqué sur ses choix de prods, le recul lui donne (au moins) cette fois raison tant le disque pourrait sortir aujourd’hui. Rien n’est trop typique pour témoigner d’une période spécifique, mais tout est éminemment contemporain. On sent de l’amusement dans la création, le monument de Bobigny glisse sur tous les supports musicaux qui se tendent à lui. Qu’on soit dans un exercice complètement freestyle ou dans les deux thèmes (« Moi non plus » et « Pourquoi »), le micro doit se faire malmener. Les bons mots et la plume technique ne surprendront évidemment personne, mais les performances sont tout à fait digestes. On n’est jamais noyé dans l’avalanche continue de phrases notables et les rimes nous tombent toutes naturellement dessus. Les invités ne sont pas venus plomber la fête, au contraire, tous sont à la hauteur. Ils ne sont pas trop nombreux non plus – même si le format l’aurait permis. Toutefois, il est de notre devoir de saluer tout particulièrement l’apparition de Grödash sur « Dans La Zone », tant les deux rappeurs livrent une performance d’exception et affirment, si besoin était, pourquoi les amateurs les apprécient autant. Sur le coup, on pouvait être surpris par la productivité nouvelle de Nakkos, et les enfants gâtés que nous fumes auraient pu avoir une sensation de trop plein. Pourtant, en définitive, Supernova s’impose comme bien plus solide que son déjà solide prédécesseur. – Wilhelm
IAM – Arts Martiens
Paru le 22 avril | > Sombres Manœuvres / Manœuvres Sombres
Dominants dans les nineties, mais parce que le rap et son public ont changé, les années 2000 ont été plus compliquées pour IAM au point de sembler en marge du game en 2013. Pourtant, contrairement à tant d’autres pionniers, ils sont toujours là (comme ils le répètent dès le refrain du premier titre), le groupe n’a pas splitté (malgré le départ de Freeman) et fait partie des premiers à continuer le rap après 40 ans. On les sent particulièrement revanchards, et pour ces raisons, ce retour est donc quasiment un acte de résistance. Relevons d’emblée la qualité des prods : Imhotep et le binôme Sébastien Damiani / Faf Larage ont réalisé des compositions de haute volée, mélodieuses, profondes. Les arrangements amènent encore une fois chez IAM une solennité, un côté épique qui leur sied tellement. Akhenaton et Shurik’n sont très en verve et livrent des textes denses, inspirés (« Notre Dame Veille », « La part du démon »). Dissipant tout doute et montrant qu’ils rappent encore, nos quadras ont fourbi leurs sabres, aiguisé leurs rimes, endossé leurs armures, quant aux scratches de Kheops, ils sont encore et toujours tranchants. Cet esprit combatif, on le retrouve sur moult titres (« Spartian spirit »), et ne comptez pas sur eux pour dire que tout va bien ou s’être assagis après un tas de disques d’or (« Les Raisons De La Colère »). Les lames de Philippe et Geoffroy sont loin d’être émoussées, à l’image de leurs performances sur « Benkei et Minamoto », « 4.2.1. », « Marvel » et surtout sur le storytelling « Sombres Manœuvres / Manœuvres Sombres ». Parce qu’IAM reste IAM et n’est jamais aussi fort que lorsque Chill et Jo nous narrent une histoire ; et quelle histoire ! Si l’album comporte son lot de bons morceaux (et de moins bons, comme « Pain au chocolat »), il prend une dimension supplémentaire grâce à ce genre de titre, à l’instru, à la structure du morceau, au clip. Présenté comme leur dernier album, Arts Martiens rencontrera un succès certain, leur permettra de sortir …IAM six mois plus tard, de continuer à faire de la scène et de retrouver une seconde jeunesse. Retour réussi. – Chafik
5 Majeur – Variations
Paru le 27 mai 2013 | > Nulle part
Pour les quatre du fond qui n’auraient pas la référence, le terme « 5 majeur » est employé au basket pour désigner les starters, c’est-à-dire les 5 titulaires qui commencent chaque match. (5 parce que c’est le nombre de joueurs présents sur le parquet). Nous sommes quelque part dans les années 2010 et plusieurs gars qui se connaissent de par des open-mic et autres activités ou connaissances décident de monter, non pas un club de basket-ball, mais un petit posse de rap. Le premier lien s’établit entre Kéroué et Heskis pendant les Transmusicales de Rennes, lorsque Fixpen Sill assurait la première partie de La Rumeur. En effet, le duo composé de Vidji et Kéroué était sur la lancée de leur premier projet assez remarquable : Le sens de la formule. Viennent se greffer au duo Heskis et Human, qui formaient à l’époque Hors II Portée, immédiatement rejoints par Nekfeu, membre de 1995, du S-Crew et de l’Entourage. Le groupe 5 Majeur était né. Avec l’envie de rendre hommage à ceux qui ont donné leurs lettres de noblesse au rap, le groupe sort en 2011 une première mixtape éponyme (à retrouver dans notre dossier sur l’année 2011), avec plusieurs morceaux de très bonne qualité. Deux ans plus tard, les choses se sont accélérées, le rap français se porte de mieux en mieux et le groupe décide de sortir son premier album. Intitulé Variations et porté par d’excellents producteurs (GooMar, Rezo, Kyo Itachi ou encore Fef), l’album fait son petit effet. Treize titres, un seul featuring et des couplets très costauds de chacun des membres du groupe. Il n’y a pas à dire, les gars ont évolué, sont devenus plus forts, plus matures, plus techniques, et le prouvent en délivrant un projet très cohérent. Mention spéciale pour quelques titres qui resteront ad vitam en rotation : « Coup d’pouce », « La pression », « Gère tes affaires », « A juste titre » et le meilleur morceau à mon goût : « Nulle Part ». Le premier et dernier album du 5 Majeur fut un succès d’estime, qui, dix années après, n’a (presque) pas pris une ride. – Clément
Écouter aussi : K, Oni & Rezo – Réflexions, Futur Proche – Ailes Brûlées, Crown – Piece to the Puzzle, Hugo Délire – Un Maxi en Taxi
Grems – Vampire
Paru le 7 juin 2013 | > Cimetiere
Que ce soit via ses projets collectifs avec Hustla (duo avec Le Jouage), Olympe Mountain, Maximum Boycott, la Fronce, Foreign Beggars ou Disiz, ou bien ses multiples sorties solos, Grems ne devrait plus être à présenter en 2013. Artiste reconnu tant musicalement que graphiquement d’ailleurs, Vampire est alors la sixième sortie solo de Miki Grems, et ses talents graphiques qui s’exposent sur les murs de Bagnolet ou Biarritz, s’étalent aussi en galerie. Au-delà de ce succès polymorphe, ce qui distingue peut-être Grems du reste du paysage rap hexagonal, c’est l’influence de la house de Chicago et Detroit sur sa musique. Et une aisance évidente pour y incorporer son rap. Les BPM varient et le flow de Grems demeure imperturbable. Mais plus que le tempo, ce sont les sonorités qui distinguent Vampire du reste de cette selection. Grems cite Moodymann comme référence, et on pourrait egalement déceler du Omar S ou du Theo Parrish ici et là. Mais en talentueux touche-à-tout Grems appose son style et du rap pour en faire une recette unique (le deep kho). Vampire, de l’avis de Grems lui-même, est un instant charnière (lire son interview « 10 Bons Sons »). On y retrouve donc un peu de deep house / deep kho façon Buffy (sorti en 2014), une touche UK Garage sur UFO (featuring Foreign Beggars), mais aussi du BPM plus lent et torturé à la Dabrye ou Cannibal Ox (« Zombi », « Vampire »), rappelant des codes un peu plus proches d’une partie du rap des années 2000. Il est difficile de placer un opus au dessus d’un autre dans la discographie de Grems. Vampire restera tout de même comme l’un des meilleurs témoins de son œuvre musicale. Il met parfaitement en lumière la curiosité de Grems, sa polyvalence et sa faculté à naviguer des styles différents, à la prod ou derriere le micro. – Maxime
Niro – Rééducation
Paru le 8 juin 2013 | > Poussez-vous
Rééducation est le second street-album de Niro après l’impactant Paraplégique, et cela se passe encore une fois du côté de Street Lourd. Il y fait appel à un large panel de producteurs, dont certaines grandes figures de la trap en France, parmi lesquels Cannibal Smith, Dieway, Richie Beats, Kilogrammes ou même Clément d’Animalsons. Niro tente quelques morceaux à thème, sur des sujets assez basiques, comme la défonce sur « Encore un » ou les darons sur « Fier de nous », mais ce n’est pas forcément cela que l’on retiendra. Ce qui fait que le Niro de cette époque est devenu iconique, c’est sa manière de découper des grosses productions avec un flow parfois à demi-hurlé, ou ses enchaînements en fast-flow avec des intonations bien vénères. Des titres comme « Faut les sous », « Poussez-vous », « Ghetto Star Killer », « On s’comprend » ou « Les mains sales » ont tout du street-banger. Les productions trap sont efficaces, le ton est bien agressif et l’énergie incroyable que met Niro dans l’interprétation est palpable. C’est cette énergie unique qui a rendu les débuts de Niro cultes car l’écriture n’est pas toujours spectaculaire, bien qu’il soit parfois capable de belles fulgurances, notamment lorsqu’il fait appel à son vécu, ou de faire des morceaux accrocheurs voir touchants, comme il commençait à le prouver ici, et comme il le prouvera plus tard. Mais voilà, on est avant tout emportés par le raz-de-marée qui est tellement puissant qu’il finit par nous engloutir : une heure quinze à ce rythme, c’est long et ce n’est pas évident à digérer d’une traite. On pardonne évidemment cette générosité gargantuesque, car on peut aisément revenir grignoter quelques titres lorsqu’on a besoin d’un surplus d’énergie, encore aujourd’hui. Au même titre qu’Or Noir, Rééducation représente parfaitement une époque dont on serait presque nostalgiques. – Jérémy
LA CAPITALE DES GAULES EN EBULLITION
Si Paris connaît une incroyable effervescence depuis 2011, avec des noms que l’on a déjà cités dans nos dossiers précédents, mais aussi d’autres plus discrets à ce moment-là, mais tout aussi importants (Mothas la Mascarade et son crew BPM, Walter et son Val Mobb Industries, Ikar, Zoonard – aujourd’hui Jeune Mort -, Sopico, Népal, Hugo Délire, la 75e session, etc), quelques villes de « province », comme ils disent, tentent également d’émerger. Si on a une petite scène rennaise avec RezO et Doc Brown, que les Marseillais ont toujours leur figure de proue avec les anciens et anciennes (IAM, Keny Arkana ou encore Psy4 de la rime), que deux frères toulousains semblent faire de plus en plus de bruit sur la scène locale, dans le sillage de Bastard Prod et Omerta-Muzik, ou encore qu’à Lille, un groupe discret nommé Rapsodie (avec un petit pianiste du nom de Sofiane Pamart) commence à faire parler de lui, c’est bien la ville de Lyon qui se démarque le plus. Depuis 2009, le beatmaker Oster Lapwass et son collectif L’Animalerie décident de publier moult freestyles sur Dailymotion avant de migrer sur YouTube. Au fil des années, le collectif va se faire connaître pour ses freestyles légendaires dans lesquels ils invitent justement des jeunes mousses parisiens (Nekfeu, Alpha Wann, Doum’s, Vald, etc.), pour leurs concerts mythiques à travers la ville des lumières, et enfin pour les différents projets de leurs membres (Lucio Bukowski sortira l’EP La Noblesse de L’échec avec Mani Deïz, Anton Serra publiera deux projets dont on vous parle plus haut, et Missak livrera L’adultère est un jeu d’enfant). Mais ce n’est pas tout, à Lyon et aux alentours, il y a aussi la Mégafaune, un collectif semblable à L’Animalerie, porté par le groupe La Microfaune (composé de Vax1, Double A et Barbiok) et tout aussi actif que son aînée. Dans mes veines, On va tous mûrir, Brise La Glace, Arsenic sont des projets qui porteront ce collectif et qui leur ouvriront d’autres horizons (on retrouvera par exemple le beatmaker Vax1 aux manettes du second album des Belges de L’Or du Commun). Plus tard, d’autres possees lyonnais prendront vie, le 667, Lyonzon, les rappeuses Lala &ce et Chilla, Tedax Max ou encore Okis, et attireront la lumière sur eux, aidant encore et toujours à la décentralisation du rap français. – Clément
Fayçal – L’or du commun
Paru le 13 juin 2013 | > Baroud d’honneur
Sept ans après Secrets de l’oubli sortait le troisième album de Fayçal. Celui-ci était attendu car des morceaux comme « Grandeurs et décadences », « La Belle endormie » ou « In articulo mortis » lui avaient permis par le passé de se démarquer. Si l’attente put paraître longue pour certains, la sortie de L’or du commun vint définitivement propulser le Bordelais sur le devant de la scène du rap indépendant. Un des atouts notables de ce disque est avant tout la musicalité qui s’en dégage, plus flagrante que sur les précédents projets. Elle est due à la volonté du rappeur de s’entourer pour la première fois de trois producteurs aux univers différents. Son accolyte Dj Yep, évidemment, mais aussi Vista et No Name. Fayçal a su varier les thématiques abordées et proposer certains morceaux plus aérés et radieux qu’à l’accoutumée. Nous pensons par exemple à « Lettres de noblesse » ou encore « Mélodie d’un jour de juin » tous deux narrés avec sensibilité mais aussi une certaine légèreté. Sur d’autres chansons telles que « Spleens et premières » ou « Mes points d’interrogation », il réussit à nous transporter dans ses songes tout en nous invitant à la réflexion. Comme toujours, sa plume aiguisée a un rôle central dans son œuvre. Elle puise son essence dans une discipline et une sagesse qu’il compare aux valeurs des arts martiaux nippons dans « Ninjutsu ». Elle est également mise en avant dans « Quelques rimes sous le soleil » en feat avec Demi Portion mais surtout dans « Requiem pour encre fine » où Mysa et L’Indis confirment leurs talents d’écrivains hors-pairs. Le clin d’œil à VII, rencontré sur les bancs de la fac et présent aux côtés de Fayçal à ses débuts, fait partie des moments charnières de cet opus. Pour finir, nous souhaitons mettre en avant « Baroud d’honneur » sublimé par la production de Vista et les notes de piano de Sophie Heriaud. Ce titre demeure, à nos yeux et à ce jour, le meilleur morceau de l’orfèvre bordelais. – Jordi
Vîrus – Faire-part
Paru le 18 juin 2013 | > Des fins
Chaque projet de Vîrus est un événement tant le rappeur est discret, ce qui signifie que même un EP de quatre titres peut trouver sa place dans notre sélection de l’année 2013. Bien qu’il soit sorti le 18 juin, il est possible d’affirmer avec certitude qu’aucun des titres présents n’a figuré dans les playlists pour ambiancer votre été, à moins que vous soyez seul, particulièrement déprimé et que vous passiez celui-ci en Normandie… Casseur d’ambiance, Vîrus l’est certainement par sa propension à choisir des thèmes en rupture avec tout ce qui pourrait être source de joie : la mort et la violence sont au cœur de ces quatre titres qui se répondent entre eux du début à la fin. Faire-part porte donc bien son titre, lui qui peut annoncer la naissance comme la mort (toute naissance n’est-elle pas une mort future ?). Les instrumentales de son acolyte Banane, qui produit tout l’EP, ajoutent une ambiance lourde et pesante. Pourtant, il y a un réel plaisir à écouter un projet comme celui-ci, car en réalité l’écoute d’un son de Vîrus n’est jamais dépourvue de sourires. Bien entendu, il s’agit toujours de sourires dont la cause est la reconnaissance d’un jeu de mots, d’une assonance surprenante ou encore d’une association d’idées incroyable. Il y a du génie dans cette écriture, et personne dans le rap français n’écrit comme Vîrus. Faire-Part est la première face d’un projet qui en comptera deux. A la mort succèdera la folie avec l’EP Huis-Clos qui sortira deux ans plus tard. Les deux projets ont été réunis dans un album sorti le 20 novembre 2015 dont nous avions fait la chronique. – Costa
Fadah – Les loges de la folie
Paru le 24 juin 2013 | > Mon meilleur ennemi
2013 reste une année capitale dans la carrière artistique de Fadah. En effet, en mars sortait l’album À contre temps du collectif Omerta Muzik et trois mois plus tard son premier album solo. Les loges de la folie, dont le titre fait honneur à l’oeuvre de l’humaniste Erasme, a indiscutablement marqué et agréablement surpris les amateurs de rap francophone. Il faut dire que beaucoup ont découvert le talent du membre de Saydatyph avec ce disque, puisque ce dernier n’avait sorti ni mixtape ni EP par le passé. Fadah y impose son style percutant, son rap brut et sa rime tranchante. Il fait preuve d’une interprétation sincère qui transmet tout au long de son oeuvre introspective des émotions fortes. Parfois nostalgique sur « Manège désenchanté », fataliste et alarmiste sur « Vivre avec son temps » c’est avant tout un jeune homme soucieux de se bonifier (« Mon meilleur ennemi ») et rester authentique que l’on retrouve au long de cet opus. Un album de ce calibre n’aurait pu voir le jour sans la présence de nombreux producteurs de talent. Le collectif Kids of Crackling y est dignement représenté avec la présence de trois beatmakers : Metronum, aussi auteur du mix et du master, Mani Deïz, qui pose les fondations de sa future hégémonie et Rakma. Dj Shogun, Slim Guesh, Fonka ou encore Croftis sont en charge des autres productions. Côté featurings, on retiendra notamment le couplet de Sentin’l sur « Carnet de liésions » et celui de Melan sur « J’irai pas chercher l’or ». Le catalan et Fadah se convertiront d’ailleurs avec le temps en deux figures de proue indissociables de la scène toulousaine. – Jordi
Mac Tyer – Banger #1
Paru le 24 juin 2013 | > Hustler
Il faut se souvenir que ce qui est aujourd’hui le premier volet d’une trilogie bien identifiée sur le paysage rapologique des 2010’s fut d’abord un street album, 100% digital. Avec cette petite arrogance caractéristique qui lui va si bien, Socrate se moque alors du game français, adoptant avec Banger des codes d’une modernité inattendue et violente. L’oreille des auditeurs avertis n’était certes pas vierge d’intéressantes et nombreuses déclinaisons du « Dirty », Le Général et d’autres hexagonaux ayant importé le style quelques temps plus tôt et frénétiquement trempé leur verves dans ses marécages bourbeux. Pourtant, en allant un cran plus loin, à travers le chant, plongeant dans un hardcore guimauve, abusant de la bastos de caisse à ricochet de basses – tendances toutes vouées à un bel avenir -, Banger offre une atmosphère générale et des sonorités qui parviennent à marquer les esprits. Enthousiasmant ceux qu’il ne repousse pas catégoriquement, cet opus mêle une sorte d’audace à une trap qui ne dit pas vraiment son nom, permettant à Mac Tyer de simplement faire du Mac Tyer. Artisan de la surprise, insensible aux hésitations, enfonceur de balbutiements, il saute à pieds joints dans le marais angoissant du mélange de genres. Le venin que libèrent les beats de GoFast MusiK a su se placer à la hauteur des textes souvent restés denses du Dyonisien, si bien qu’à l’époque, on se déchaîne et on s’insulte sur les partis pris. Dès lors l’album bénéficie d’une belle publicité, et sans rotation radio, des sons emblématiques comme « Hustler » (gros, gros coup), « Interdit d’échouer » – avec La Fouine sur un refrain chantonné et mielleux – ou « Ça pue sa mère » – franchement discutable – en feat avec Niro, font leurs petits chemins dans les lecteurs mp3. En 2013, le Général semble s’être détaché d’une critique jamais complètement convaincue de ses expérimentations artistiques, et assume avoir troqué son étiquette de rappeur lyriciste conscient pour de la punchline en 70BPM. Est-ce la fin officielle de Tandem l’année précédente ou la diffusion de Banger en indé, loin des canaux habituels ? Il se montre en tout cas, encore une fois, capable de capitaliser sur son expérience pour se hasarder là où il le souhaite. Et malgré l’inégale qualité des titres, il parvient à faire de ce coup d’éclat musical un vrai succès populaire. – Sarah
Caballero – Laisse-nous faire Vol 1.
Paru le 22 septembre 2013 | > C’est aussi simple que ça
Il fut un temps où Caballero n’était pas encore le grand professeur de rap qu’on connait aujourd’hui. À cette époque, Caba avait quelques kilos en moins et quelques cheveux en plus, mais était déjà à cheval sur la qualité comme cette marque et son fameux logo. Nous sommes en 2011, et Arthur « Caballero » sort sa toute première mixtape, intitulée Laisse-moi faire. Deux ans plus tard, en plus de marquer chaque épisode des Grünt par sa présence, Caballero sort un freestyle intitulé « Freestyle de la cigarette fumante ». Le concept est simple: freestyler pendant qu’une cigarette se consume. Le morceau, dont le clip était disponible à l’époque sur Youtube, donne une certaine visibilité à l’artiste. Fort de ce succès, Caballero se lance dans la création de son deuxième projet, Laisse nous faire vol.1. Cette mixtape de plus de vingt morceaux résume ses années de travail acharné en mettant en avant rencontres, collaborations, expérimentations et découvertes. Produit par une tripotée de très bons beatmakers (Le Seize, JeanJass, Alpagino ou encore Mani Deiz) et avec quelques face B remarquables (Pete Rock, AraabMuzik), Caballero se montre aussi à l’aise qu’un joueur de polo argentin en finale des championnats du monde. Les invités sont quant à eux nombreux et viennent parsemer l’ensemble du projet : on y retrouve JeanJass, Perso, Doum’s, Lomepal, Ysha, Senamo ou encore Alpha Wann. Du beau monde sur la corde à linge et des morceaux de grande qualité (« Mailles du filet », « Profondeurs » pour ne citer qu’eux), mais qu’importe, ça n’aura pas empêché le Cab de délivrer son tout premier classique, et quel classique… Il s’agit de « C’est aussi simple que ça » et sa performance gargantuesque. Laisse-nous faire vol.1 a le panache des mixtapes d’autrefois, ou plus qu’un projet musical c’est aussi une démonstration de savoir et de technique, une sorte de validation des compétences, l’obtention du master écriture rapologique et création musicale. Celui qui se nommera plus tard El Gordo Guapo a réussi en un seul projet à mettre toute la scène francophone d’accord. En plus d’être probablement le meilleur rimeur du plat pays (l’avenir le prouvera), il faudra dorénavant compter sur lui dans tout l’hexagone (s/o Renaud). – Clément
S-Crew – Seine Zoo
Paru le 30 septembre 2013 | > Jungle urbaine
Les 2010 sont clairement marquées par le retour nostalgique, notamment en région parisienne (mais pas que), d’un boom bap « old school », technique, traditionnel sur la forme, dont la galaxie de jeunes rappeurs qui hante les RC depuis 2011 (et qui se regroupera finalement en formation élargie avec l’Entourage), est la parfaite illustration. Au sein de cette nébuleuse, le S-Crew, qui, dans l’ombre du bien établi 1995, cherche également à profiter de l’engouement. Avec la sortie de ce premier album, qui compte une quinzaine de titres aux inspirations et thématiques banales mais variées, le quatuor de Paris Sud entend livrer une démonstration. Bien sûr, Nekfeu sort du lot sans effort : technique, écriture, flow, le Parisien creuse l’écart, c’est déjà flagrant. Les autres ne déméritent pas pour autant. Chacun dans son style, Mekra et Framal apportent une certaine simplicité et un traitement des phases et des samples souvent plus accessibles. 2zer, tout autant accro à la punchline, fait également son trou dans l’ombre de son petit génie d’acolyte et place ici et là quelques pépites qui marquent certains morceaux, offrent des respirations assez bienvenues dans le style encore très dense du Fenek. Appliqué et ambitieux, le groupe signe ainsi, après deux mixtapes moyennes, un album cohérent et bien propret, qui répond aux codes du genre : extraits de films, scratchs, intro parlée et boucles castagnées par des grosses caisses, tout y est. Star des bacs à sa sortie, l’album s’arrache et les ventes très honnêtes ouvrent au groupe la voie de la tournée nationale. Car ce boom bap revitalisé, loin du street / hardcore qui fait recette, rencontre un public allergique à la « violence » de certains beats et attrape un public (et des médias) touchés par la grâce d’un âge d’or qu’on aurait retrouvé. L’album, qui présente certaines qualités sans être non plus génial, remet une pièce dans un jukebox rebranché par 1995, et que Jeunes Entrepreneurs rallumera l’année suivante. D’ailleurs en feat avec la moitié de l’Entourage, et un digne représentant de l’éternelle vague boom bap en la personne de Morad (pour une fois dans la tendance), le S-Crew s’inscrit dans la dynamique et produit presque un « album témoin » de cette mouvance, qui trouve de fait sa place dans les albums marquants de cette époque. – Sarah
Marche Arrière
Paru le 7 octobre 2013 | > Lavokato (Les 10)
Près de dix ans après sa sortie, Marche Arrière demeure un ovni dans l’univers du rap français. Projet pharaonique ayant nécessité plusieurs années de préparation et de promotion, le quadruple album avait pour ambition de réunir 69 rappeurs indépendants, plus ou moins connus et surtout, de tous âges, sur une même galette, le tout étant entièrement inédit et accompagné d’un merchandising et d’un environnement visuel original. A l’origine de cette idée, un groupe relativement peu connu alors, excepté dans les bas-fonds de l’est parisien, Le Gouffre. Collectif tentaculaire, on en trouvait alors des mixtapes ou des bootlegs dans d’obscurs endroits des internets disparus depuis. Avec Marche Arrière, Le Gouffre fait une entrée fracassante dans le haut du panier du rap indépendant. Et la force du geste réside sans doute dans son intention. Demeurant dans une attitude de soldats de l’ombre (jusqu’à ce que certains membres ne révèlent jamais leur visage sur les photos et vidéos officielles), Le Gouffre adopte une approche résolument fédératrice, mettant en lumière certains jeunes talents (on pense notamment à Ladéa, Geule Blansh ou encore Rabakar), autant que des MC’s déjà installés (Furax, Nakk, Hugo TSR, Niro et même Nekfeu), tout en ramenant des anciens, certains de manière totalement inattendue (Mac Kregor, Manu Key ou le K-Fear). S’il existe naturellement du déchet sur près de 70 morceaux, le disque contient largement de quoi satisfaire n’importe quel auditeur de rap underground, et peut se targuer d’avoir quelques sons de très grande facture, comme celui de Lavokato, l’un de ses très rares morceaux solos. Désormais armés d’une réussite commerciale relative mais surtout d’un succès d’estime sincère et unanime, Le Gouffre allait pouvoir faire des années 2010 leur décennie, imposant leur marque et enchaînant dès lors les opus collectifs et solos de très bonne facture. – Xavier
Stamina – Prison(s) de verre
Paru le 7 octobre 2013 | > Prison(s) de verre
Après avoir fait ses armes avec La Baraka à Orléans, The Free pose ses valises à Paris 18 dans les années 2000, et se connecte avec Emoaine au cours de soirées open-mic. Ensemble, ils forment rapidement le duo pétillant et énergique Stamina, et de cette rencontre naîtra le sublime Les règles de l’art en février 2011. Ils remettent le couvert en 2013, pour un deuxième effort qui répond au nom évocateur de Prison(s) de verre. Seize titres pleins de rap, de sens, de rimes et de technique qui ravissent alors les auditeurs les plus avisés. La passion d’Emoaine pour la littérature et l’amour de The Free pour le cinéma font de leurs écritures des puits sans fonds, le binôme proposant des textes sérieux et des thématiques précises comme le crack qui ravage les rues et les transports parisiens, ou plus largement « toutes ces parois invisibles qu’on te met, quand les gens se parlent, dans les rapports humains il y a des proximités mais finalement les gens sont seuls » comme les présentaient M.O.N. lors de notre interview. Ils définissent d’ailleurs la couleur musicale du projet en produisant eux-mêmes la majorité des titres où la guitare électrique et le piano se partagent la part belle, laissant leurs potes Chilea’s, Nizi ou Just Music Beats (excusez du peu) produire ici et là leurs propres pépites pour agrémenter le tout. Les copains du 18ème arrondissement – où ils habitent alors – se joignent d’ailleurs pour les excellents « Boulevard des ombres » (feat Aki La Machine & Sidi O), « Entre les lignes » (feat Sidi O) ainsi que deux morceaux avec Ockney. Un excellent album de rap français, qui, dix ans plus tard, n’a pas pris une ride, et c’est assez rare pour le souligner. – Antoine
Anton Serra – Frandjos
Paru le 10 octobre 2013 | > La carte de l’ignorance
En octobre 2013, à peine plus d’un an après son premier album Sales Gones, et quelques mois après le maxi annonciateur Antosterlapwasserra (aux allures d’EP), Anton Serra livre son deuxième long format, Frandjos. Il faut dire qu’au début des années 10, le rappeur lyonnais est prolifique, entre son premier projet gratuit en 2010, ses albums, ses freestyles (mention spéciale aux « Freeshtaïs »), et les couplets lâchés sur les disques des copains, ou sur les légendaires vidéos de son collectif, L’Animalerie. Sur le titre éponyme qui ouvre Frandjos, le rappeur lyonnais, en parlant d’un ami décédé, lâche une phrase qui colle bien à la couleur de son rap, une « sensation bizarre entre larmes et fossettes ». Pratiquant d’un rap sans filtre au sourire tordu, sûr de lui, et cicatrices apparentes, il offre à ses textes un supplément d’âme qui fait souvent défaut à notre genre musical préféré. La petite trentaine, il revendique son âme de grand enfant qui vit encore chez ses parents, criant son attachement à ses frandjos, et à l’esprit vandale qui le suit depuis ses débuts dans le graffiti. Si le public remarque particulièrement Anthony au sein de l’Animalerie ou en featuring, ce n’est pas seulement à cause de la sincérité dans ses textes, mais aussi parce que c’est un kickeur hors-pair, doté d’un débit patate, jamais monotone, qui vient sublimer les schémas de rimes inattendus ou les figures de style variées qui peuplent ses textes. Parmi les temps forts de ce deuxième opus solo (qui ne contient pas de déchets), soulignons le sophistiqué « Aimer tue » rappé sur le générique de Dexter, l’égotrip bordélique et collectif « La carte de l’ignorance », l’évocation de son enfance (thème dans lequel il excelle) avec Hakan le Grand sur « J’voulais (pas) », ou la description de Lyon sur « Not’ville » accompagné de l’acolyte Lucio Bukowski, avec qui il sortira un album commun deux ans plus tard, avant de se faire discret jusqu’à son troisième solo en 2022. – Olivier
Kaaris – Or Noir
Paru le 21 octobre 2013 | > Bizon
En 2013, le public rap sait que Kaaris est capable de faire de l’ombre à Booba sur son propre album et de dérouler des punchlines d’une violence inouïe sur des beats trap. Therapy 2093, de son côté, s’est déjà fait un nom grâce à son travail sur l’album Futur, mais aussi divers placements dont quelques-uns sur la mixtape Z.E.R.O de Kaaris. Cet état de fait n’empêche pas Or Noir de faire l’effet d’une déflagration dès sa sortie. Il faut dire que « Zoo », le premier extrait, a donné le ton : des différents registres présents sur Z.E.R.O, c’est le hardcore de rue qui sera mis à l’honneur sur l’album. En effet, de « Bizon » à « 2 et demi », le déchaînement de violence est total sur les 17 titres exclusivement produits par Therapy. Ce dernier a réussi à concilier la double exigence de coller aux influences drill façon Chicago du rappeur de Sevran, et de donner l’espace nécessaire à ses punchlines pour faire mouche. Et si l’écriture de Kaaris peut paraître simple, notamment parce que les lignes sont facilement mémorisables, l’écriture est bien plus subtile qu’il n’y paraît, de par le mélange des registres de langue, des champs lexicaux jusqu’alors inexplorés dans l’égotrip de rue, et une plume imagée unique. Ces qualités qui se remarquent au premier abord camoufleraient presque la science de la rime du Dozo, toute en maîtrise. À 33 ans, quatorze ans après sa première apparition discographique, la proposition artistique de Kaaris est arrivée à maturité, « [il est] dans la cuisine, tu bouffes ce qu'[il] te prépare« . La trap existait avant cet album dans le rap français, mais après Or Noir, elle occupera le devant de la scène pendant le reste de la décennie 2010. Avec ses nombreuses références à sa ville et son département, ce disque marque aussi le retour du 93 sur le devant de la scène, et, quoi qu’on en dise, participe à placer Sevran de manière durable sur la carte du rap francophone. Comme souvent avec un album s’imposant rapidement comme un game changer, toutes les sorties suivantes, jusqu’à aujourd’hui, seront jugées à l’aune de ce premier disque. C’est le prix à payer pour avoir délivré une pièce majeure du rap français, toutes époques confondues. – Olivier
Orelsan et Gringe sont les Casseurs Flowters
Paru le 18 novembre 2013 | > 16h22 – Deux connards dans un abribus
Si Aurélien Cotentin et Guillaume Tranchant ont sorti leur mixtape Fantasy en 2003, il leur aura fallu dix ans pour que le premier album commun des Casseurs Flowters soit dans les bacs. Si Gringe avait été entendu sur Bombattack en 2006 et n’avait pas de projet personnel à son actif, Orelsan avait défrayé la chronique en 2007 via le sulfureux « St Valentin » avant surtout de marquer les esprits avec ses deux solos en 2009 et 2011 (chacun platine). Boulimique de travail malgré ses allures de je-m’en-foutiste, Orelsan se lance dans ce troisième projet en cinq ans en compagnie de son acolyte, pour qui il est une véritable locomotive. Les deux compères vont graver sur disque leur amitié et leur jeunesse dans ce buddy movie qui prend l’allure d’un album concept, retraçant leur quotidien de branlo de province dans les années 2000. Avec quatorze ans d’âge mental, nos jeunes trentenaires mettent en musique et élèvent au rang d’art de survivre leur flemme, en repoussant à l’an prochain ce qu’ils auraient dû faire l’année dernière. Greenje et Orselane poussent à fond le délire fait d’autodérision, assument leur stupidité, leur amour pour l’alcool, en désolant leur entourage (Skread et Ablaye compris). Les exercices de style ne manquent pas (« Bloqué », « La mort du disque ») et nos deux zozos s’aventurent même dans le politiquement incorrect avec « Les putes et moi » (sommet de l’album ?). Les 18 titres et interludes marquent la fin de l’adulescence de nos joyeux lurons. Cette aventure leur aura permis d’embrayer avec la série Bloqués sur Canal Plus et le film Comment c’est loin. Orelsan a confirmé par la suite son statut de superstar du rap, Gringe n’a quant à lui pas converti l’essai avec un premier album assez quelconque. Retenons surtout qu’ils ont prouvé à travers cet album qu’ils forment un vrai groupe qui n’a rien à envier à d’autres duos de choc, tout en continuant leur parcours en solo sans jamais être loin de l’autre. – Chafik
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