A l’occasion de la sortie de l’album Automne, réalisé avec le beatmaker Greenfinch, nous avons voulu échanger avec Zippo. Six ans après son précédent opus, nous sommes revenus avec lui sur la conception de ce projet, le travail en binôme avec Greenfinch, leur direction artistique, les prises de risque, le rapport de son public à sa musique, l’autotune, la paternité, la nostalgie, ses featurings rêvés ainsi que les législatives et les punks. Entretien avec un découpeur d’instrus qui a toujours la flamme.
Entre 2008 et 2018, tu as enchaîné les projets en groupe et en solo (six en tout), depuis tu as sorti quelques morceaux, dont plusieurs collaborations, notamment avec Greenfinch, mais tu as quand même été assez rare ; durant ces cinq – six ans, tu as eu envie d’arrêter le rap ou tu voulais juste prendre du temps pour toi et te régénérer ?
J’ai toujours été quelqu’un d’assez lent dans la création. Entre Bûcheron et Zippo contre les robots, il y a peut-être cinq ans qui se sont écoulés. Je suis assez admiratif des types qui arrivent à pondre un album par an ou des mecs comme Jul qui en sortent deux. Perso, j’ai besoin de me remplir, je suis un peu comme une éponge, pour ensuite la presser et avoir des choses à dire. Il y a eu aussi le Covid entre temps et surtout un gros changement de vie pour moi. Lors de notre dernière interview (NDLR : avril 2020), j’habitais encore en ville et puis j’ai réussi à franchir le pas, je suis parti vivre à la campagne. Ce changement de vie a été assez chronophage, c’est un grand bouleversement existentiel quand même… Mais en parallèle, j’avais toujours envie de continuer, je me faisais un morceau par an, pour dire « Coucou, je suis encore dans le game » avec toujours l’idée de faire ce projet-là avec Greenfinch, parce que ça faisait un moment qu’on en parlait.
Justement comment vous avez décidé de faire cet album commun ? Est-ce que c’était en lien avec les collaborations que vous aviez pu faire ?
Avec Green, on a appris à se connaître petit à petit, ça doit faire une bonne dizaine d’années qu’on se connaît maintenant. On a fait de plus en plus de son ensemble, on s’est un peu apprivoisé mutuellement. Puis il m’a proposé de faire un album ensemble. Et moi j’aime bien bosser avec des gens, c’est stimulant de ne pas être seul dans son coin, surtout quand tu n’as pas d’équipe autour de toi. Et je lui ai dit oui ! Mais ça fait quand même deux ans qu’on est dessus mine de rien. On a pris le temps de bien peaufiner le truc, de voir où on allait, de rectifier un peu notre direction, de changer de cap parfois puis de tenter des trucs, et on y est.
Vous sortez d’ailleurs l’album Automne le 22 septembre ; un dimanche donc ?
On avait décidé du titre depuis un moment et on s’était dit que ce serait sympa de le sortir le jour de l’automne. Et on était tellement focalisé sur la date qu’on n’a même pas fait gaffe à quel jour de la semaine ça correspondait. L’album devait être prêt un mois avant la sortie et c’est au moment de tout valider que le distributeur de l’album, celui de Greenfinch, nous a fait remarquer que ça tombait un dimanche. On s’est dit : « Merde ! On va sortir un dimanche, c’est pas très orthodoxe » (Rires). Mais pourquoi pas j’ai envie de te dire ! Ce n’est pas très grave, j’espère que les gens n’auront pas trop la gueule de bois pour l’écouter.
Comment vous avez défini avec Greenfinch la direction musicale de l’album ?
Green est très branché boom bap, il aime beaucoup ça. Les mecs avec qui il bosse sont dans cette mouvance un peu old school, un peu traditionaliste du rap. Et moi, après Zippo contre les robots, j’avais un peu goûté à des trucs plus modernes et c’est un peu addictif. Une fois que tu as mis les pieds dans la trap et tous ces trucs-là, tu n’as pas forcément envie de t’arrêter. Mais j’aime toujours autant le boom bap, je viens de là avec Le Pakkt, mais je me disais que ce serait cool de faire un album un peu hybride.
Je lui envoyais un morceau en lui disant que ce serait sympa d’en faire un dans ce style-là, etc. Petit à petit, j’ai commencé à le sortir de sa zone de confort jusqu’au moment où j’ai un peu poussé le bouchon en lui faisant écouter des trucs un peu zumba à la Jul ou des trucs vraiment autotunés, même si ce n’est pas trop son univers… Mais je lui disais qu’il fallait qu’on tente ! Au final, l’idée a fait son chemin et on est assez content parce qu’on a réussi à construire ce truc un peu hybride.
La distance n’a pas été un problème pour travailler ou est-ce que vous vous êtes accordé des moments de rencontre durant ces deux ans de conception ?
C’est ça la magie de notre époque : on ne s’est pas encore rencontrés. On est assez loin l’un de l’autre et on a donc bossé le truc à distance. Par contre, on était tout le temps (il appuie sur ces termes) dans l’échange. Il ne se passait pas trois jours sans qu’on soit en train de discuter, de parler des morceaux, des prods… C’est quelqu’un de très pro Greenfinch. J’aime beaucoup bosser avec lui. C’est un mec qui se lève à 7 heures du mat’, il attaque direct avant de partir au taf, c’est un charbonneur, vraiment. Du coup, c’est stimulant de taffer avec des gens comme ça, ça te donne envie d’être à la hauteur. Mais tout s’est fait de manière très dématérialisée, grâce à internet, aux réseaux. Mais on s’est dit que ce serait quand même sympa de sabrer le champagne dans la vraie vie. (Sourire)
A l’écoute de l’album, il y a beaucoup de choses à dire, notamment une évolution dans ta musique, sur la forme surtout. On note des prises de risque dans l’interprétation et dans le choix des prods. Pour ce qui est de l’interprétation, tu chantonnes sur « Yellow », tu as recours à l’autotune dans « James Webb » ; ces prises de risque qui ne le sont pas forcément pour tous les rappeurs le sont pour toi, ça a été difficile d’oser ?
En fait, ça n’a pas été très difficile pour moi ; je pense que ce sera plus difficile pour les auditeurs. (Sourire) J’ai toujours été friand de tout ce qui se fait dans le rap, d’expérimenter un maximum. Je n’ai pas envie de m’enfermer dans un style, ça ne m’intéresse pas de rester bloqué dans un truc et de faire la même chose. Parce que sinon, je pense que j’aurais arrêté. Un des trucs les plus stimulants avec le rap, c’est de continuer à vivre avec son époque, à voir ce qui se fait, à s’intéresser aux outils qui sont à ta disposition. L’autotune c’est un bon exemple : il y a très souvent une espèce de … (il cherche ses mots)
Un délit de sale gueule.
Exactement. Surtout dans ma génération, les quarantenaires qui sont restés bloqués dans une image du rap où l’autotune c’est tabou. Je trouve ça très dommage parce que ça permet des choses qui sont super intéressantes. C’est une histoire d’acceptation : c’est un cap à passer. Au début, j’ai eu un peu de mal, puis j’ai écouté des trucs parce que je n’ai pas voulu me fermer à ces choses-là, j’ai essayé de faire preuve de curiosité et de fil en aiguille, j’ai compris. A force d’essayer de comprendre comment ça fonctionne et pourquoi, tu finis par trouver de la beauté là-dedans. Orelsan disait à juste titre : « la mélancolie robotique d’autotune » et c’est une super belle phrase parce qu’il y a une esthétique qui est incomparable, que tu ne trouves nulle part ailleurs. Ce que j’ai envie de dire aux gens de cette génération, qui ont tendance à fermer les écoutilles dès qu’ils entendent de l’autotune c’est : « Essayez ! Essayez de vous ouvrir. Ce n’est pas parce que certains l’utilisent pour faire de la merde que tu ne peux pas l’utiliser pour faire des choses différentes ». Je ne sais plus qui comparait cela avec l’arrivée de la distorsion dans la guitare, peut-être Philippe Katerine : tous les puristes qui étaient en mode guitare sèche disaient que c’était la musique du démon et au final ça a permis de révolutionner le rock ! C’est un outil et tout dépend de ce que t’en fais. L’autotune, c’est un peu pareil dans le rap.
Je me disais d’ailleurs que sur « James Webb », premier morceau de l’album, si ton premier couplet est classique, le refrain était presque provocateur avec cet autotune dont tu n’étais pas coutumier.
C’est vrai que c’est taquin. Mais en fait, placer dès le début, c’était une façon de dire : « Attention, tout est possible sur cet album ». Je trouvais intéressant de secouer les gens dès le premier morceau. Mais en fait, il n’y a pas tant d’autotune que ça.
Pour dire un mot de ton public, il est quand même spécial : il y a les puristes mais toi tu es suivi par une autre catégorie encore. J’ai l’impression qu’une partie de tes auditeurs projette sur toi des choses que tu ne souhaites pas forcément incarner.
Je ne sais pas pourquoi ! Ça m’intrigue un peu. La plupart des gens qui me suivent depuis quelques années me résument un peu à l’album Zippo contre les robots ou au deux derniers. Mais il ne faut pas oublier que j’ai déjà fait plein de choses différentes. Avec Le Pakkt on a exploré beaucoup de choses, là avec Automne j’en suis à mon huitième projet et une partie de mon public comme tu dis m’a résumé aux deux derniers. Et maintenant que je continue d’explorer de nouveaux trucs, je pense que certains vont lâcher le train en route. Mais à la limite j’ai envie de dire tant pis pour eux. Moi je fais ça parce que je m’éclate et encore une fois, si je devais tout le temps faire la même chose j’aurais arrêté. J’espère qu’il y aura des gens à qui ça va continuer de parler, qui essaieront de comprendre où on a voulu aller avec cet album et si certains se heurtent à la forme, ben c’est dommage, tant pis. Après on a quand même essayé de faire en sorte que sur l’album il y en ait un peu pour tous les goûts parce qu’il y a quand même des morceaux comme « Hiver indien » qui sont plutôt fidèles à ce que je faisais avant aussi.
Tu as choisi des prods de Greenfinch qui sont aussi bien boom bap que trap, on va vers la pop parfois, la variété aussi et tu sembles donc t’affranchir de certains codes, de certains carcans ; tu t’es demandé si tu ne risquais pas de perdre l’auditeur, notamment celui qui ne te connaît pas sous ces différentes facettes et qui pourrait avoir du mal à distinguer une ligne directrice à l’album ?
Peut-être, ouais, mais j’avoue que je ne me suis pas trop posé la question. Je me suis dit que ça allait peut-être perdre des gens en route, ceux qui sont restés bloqués sur mon album précédent, j’allais peut-être en décevoir certains mais j’espère que ça va potentiellement parler à d’autres gens au passage. Quand tu adoptes d’autres formes, ça peut être l’occasion de parler à un public plus jeune. C’est marrant parce que j’ai fait écouter les maquettes de l’album à quelques personnes et souvent en fonction de leur âge, ils n’aiment pas les mêmes morceaux. Les mecs et les nanas d’un certain âge sont pas forcément emballés par l’autotune tandis que les gens plus jeunes ont préféré les titres avec davantage de prises de risques, comme « Yellow », « Monstres » ou « James Webb ». Alors peut-être qu’effectivement, en comparaison à Zippo contre les robots qui était très cohérent musicalement, du moins je pense, celui-là comporte davantage de prise de risques.
Après le fil rouge de l’album, ce qui fait le ciment entre tous les morceaux ça reste le concept de l’automne qui revient toujours d’une façon ou d’une autre. J’aime bien faire des albums avec des univers particuliers, c’était le cas pour Bûcheron, c’était le cas pour Zippo contre les robots. L’automne peut vouloir dire beaucoup de choses, c’est un peu l’automne de la civilisation, je suis à un moment de ma vie où je me rapproche d’un mode de vie plus rural, en lien avec les saisons. C’est vraiment le fil rouge, après sur la forme, j’expérimente mais en le réécoutant je le trouve cohérent.
Dans le même temps, j’ai l’impression que les gens écoutent moins un album de A à Z. Il y a une sorte d’éclatement de la façon d’écouter. Avant on mettait une galette dans un poste, on écoutait le disque en entier et on avait quelques chansons préférées. Maintenant avec les plateformes, tu écoutes directement celle que tu as repéré. Donc je me dis que tout le monde fera son marché.
Sur plusieurs morceaux, les prods sont assez punchy, quant au fond, il reste conscient, avec l’envie de sensibiliser, d’amener à réfléchir, à agir et à réagir ; je me demandais si cette direction avait été prise pour ne pas être chiant, à l’image d’un certain rap conscient et à l’image du discours écolo catastrophiste des décennies passées qui ne semble pas avoir convaincu ?
Peut-être… Mais encore une fois ça s’est fait assez naturellement, je ne me suis pas forcé. J’aborde tous ces thèmes parce qu’ils font partie de moi, ils … (Il réfléchit), ils m’habitent, j’allais dire ils m’obsèdent, mais ils m’habitent plutôt, donc ça se ressent forcément dans mes textes. Et il faut que ça reste ludique parce que j’appréhende ça comme un jeu. Si tu ne prends pas le micro avec l’envie de rapper ton texte, ce n’est pas intéressant. Déjà que ça ne remplit pas le frigo, il faut au moins se faire kiffer avant tout et une des formes que j’ai trouvées pour m’éclater, c’est d’explorer ces formes-là. Je parle de choses qui me tiennent à cœur, mais j’en parle de plein de façons différentes. Je ne voulais pas m’enfermer dans une forme, comme font beaucoup d’anciens rappeurs. Ça devient chiant. J’avais envie de faire un truc que tu peux écouter en bagnole, qui te donne la pêche, même si le fond est parfois sombre, enfin souvent… Mais je ne m’en rends pas forcément compte. Pour moi, c’est ma purge.
Si tu as fait des morceaux avec de l’autotune, d’autres où tu chantonnes, le morceau « Écho » est lui très rentre-dedans dans la forme et dans le fond, comme si tu voulais transmettre tes idées de deux manières différentes ?
Tu sais j’étais avec des potes aux manifestations contre les méga bassines à Saintes Soline et avant d’arriver à la zone d’affrontement, il y avait une marche d’organisée qui avait duré plus d’une heure. Le cortège était immense, on écoutait un peu de musique pour se donner de la force et je me disais que ça manquait d’hymne, qu’il fallait un hymne de guerre, un truc bagarre. Je suis rentré chez moi ce soir-là et je me suis mis à écrire un truc. Pour les prochains combats, pour se donner de la force. Ça faisait un moment que j’avais cette idée qui traînait dans un tiroir de s’intéresser à la notion déco-terroriste, qui est un concept complètement absurde, très révélateur de notre époque où on a tendance à tout inverser et qu’Orwell avait vu venir. Avec Greenfinch on avait tripé sur la vièle à roue, cette espèce d’instrument du Moyen-Age complètement improbable qui donne des sonorités d’un autre temps et on s’est donné le défi de faire un beat à base de vièle à roue. Green qui est un putain de musicien, qui est très fort, a réussi à mettre en place ce truc-là et c’était un vrai kif de faire un morceau patate sur une instru qui sort de nulle part.
Un grand écart aussi entre la prod d’inspiration médiévale et le clip très moderne.
Carrément ! Le clip s’est fait de manière un peu fortuite. C’est par l’intermédiaire d’un ami que j’ai rencontré Systaime, qui est un artiste qui a travaillé avec l’I.A. dès le début, qui fait des trucs assez surprenants. Comme j’avais eu le questionnement du rapport de l’homme avec la technologie sur l’album précédent, je trouvais ça intéressant, sur un morceau qui parle de la terre et du rapport à l’écologie de faire un contre point visuel avec un clip issu des I.A. J’étais content du résultat même si je sais qu’il y a beaucoup de gens anti I.A., mais encore une fois, c’est comme l’histoire de l’autotune, ce sont des outils et ça dépend de la manière dont tu les utilises.
Histoire de faire une petite parenthèse tout en restant sur l’idée de contre pied, j’aimerai qu’on aborde le morceau « Nazis dans l’bus », qui n’est pas sur l’album certes, qui est sorti fin juin. Il y a un propos conscient, malheureusement toujours d’actualité, mais surtout une prod « julesque » qui a du en surprendre plus d’un. Premièrement, est-ce que tu as hésité à faire ce morceau, à réagir publiquement face à la confirmation qu’une grande partie des Français vote extrême droite ?
Le morceau s’est fait sur un coup de tête. On était dans un bus avec des potes, un bus spécial qui allait de pub en pub, pour éviter que les gens prennent leur bagnole et qu’ils puissent picoler. En descendant de ce bus, j’ai pote qui dit : « Je crois que je viens de voir un mec faire un salut nazi dans le bus ». Je lui ai dit : « T’es sérieux ? Un salut nazi c’est chaud ! ». On a essayé de le retrouver, en vain. L’anecdote est restée entre nous et c’était devenu un délire : « Il y a des nazis dans le bus, y a des nazis dans l’bus ! ». C’est arrivé juste avant les législatives, durant cette période chelou. Je l’ai écrit en une soirée, je ne voulais pas que le morceau soit dans l’album, je l’ai plus sorti pour faire marrer les potos. Je l’ai enregistré presque aussitôt que je l’ai écrit, c’est pour ça qu’il est si court.
Je n’ai pas anticipé l’impact que ça allait avoir sur la communauté de gens qui peuvent me suivre. C’est vrai que c’était clivant, notamment au niveau de la forme avec le beat très julesque, mais aussi sur le fond, à une époque où tout le monde tâtonne politiquement, où les frontières sont un peu floues. Tu as des mecs qui écoutent du rap qui avouent à demi-mot qu’ils votent pour Bardella. Tu te demandes comment ça se fait que les gens ont perdu le sens des priorités… C’était une façon de mettre un coup de pied dans la fourmilière, mais l’impulsion de départ c’était vraiment un délire. Je ne voulais pas faire un morceau plaintif mais plutôt agressif, qui pousse les gens dans leur retranchement.
Ce qui m’a un peu fait halluciner dans les retours et les commentaires de gens, parce que tu les regardes forcément, même si tous les rappeurs te disent qu’ils ne les regardent pas, ce qui m’a fait halluciner c’est qu’il y avait plein de fafs en fait ! J’ai envie de leur dire : « Mais pourquoi vous m’écoutez ? ». Je me suis rendu compte qu’il y avait des gars qui écoutaient ma musique, je ne sais pas depuis quand, qui sont proches de l’extrême droite. Ça a eu au moins le mérite de faire le tri. Barrez-vous ! Les loups sortent du bois. En faisant un morceau comme ça, tu te rends compte qu’il y a des gars dans ton auditoire qui ont des idées franchement dégueu et tu n’as pas envie d’être assimilé à ces gens-là.
Les commentaires qui se sont plus attaqués à la forme, je me suis dit que c’était un peu dommage. Des gens ont bien aimé le propos. Bon c’est vrai que ce n’est pas une chanson très intelligente, elle est un peu bas du front, mais encore une fois, c’était pour marquer le coup et je me disais que le moment était opportun pour sortir ce morceau. Mais j’ai vu de ces commentaires… Un gars a sorti : « ça y est, Zippo va faire du rap commercial ». Qu’est-ce que ça veut dire ? Déjà c’est un logiciel d’une autre époque que de dire ça. Et surtout, déjà que ça ne remplit pas le frigo comme je disais tout à l’heure, laissez nous au moins nous amuser et tester des trucs. Je pense quand même avoir prouvé avec le temps et l’énergie que j’ai mis dans ce merdier, sans pouvoir en vivre, je pense que je peux un petit peu faire ce que je veux.
Tu t’es senti seul d’ailleurs à cette période ? Parce qu’il y a eu assez peu de rappeurs qui se sont engagés, en dépit du posse cut très moyen qui a fait parler, pas forcément en bien…
Je n’attends pas des rappeurs qu’ils se positionnent, je m’en fous. C’est un petit peu lâche à la limite de ne pas le faire mais je ne leur en veux pas. (Il cherche ses mots) Ça traduit une méconnaissance du monde politique de la part de ces gens qui s’en désintéressent et tu peux difficilement leur en vouloir parce que lorsque tu vois à quel point le simple fait de voter a peu d’impact dans le quotidien des gens… Mais même le morceau dont tu parles, il fait un petit peu plaisir, parce qu’il y a plein de rappeurs que j’aime bien, mais dans l’ensemble c’est un peu léger.
C’était dommage que l’on s’affiche de la sorte alors que ce n’était pas le moment.
Ben ouai… Mais c’est très compliqué de faire des morceaux qui touchent à la politique, d’autant plus quand tu fais un truc collectif, avec tout un tas de gars qui n’ont pas les mêmes idées, qui n’en sont pas au même niveau dans leur réflexion politique… Je n’en sais rien mais je pense qu’ils doivent un peu regretter d’avoir fait ce morceau, parce qu’il a fait du bruit de la mauvaise façon. Leur objectif n’a pas forcément été accompli, mais bon, ils ont eu le mérite d’essayer de le faire !
Revenons à l’album. Tu dis dans « Couleurs » que « La planète est surpeuplée » ; dans « Pouces rouges » qu’on t’a « retiré l’envie d’enfanter » ; dans « Champignons » tu dis que l’avenir s’annonce sombre mais qu’« on va quand même faire des gamins », dans « JDD » , « Sur la planète on est trop » ; j’aimerais savoir ce que tu dis à un pote qui attend un enfant : Tu le félicites ? Tu l’engueules ? Tu lui présentes tes condoléances ? (Rires)
C’est marrant parce que j’arrive à un âge où j’ai de plus en plus de copains qui ont des enfants, donc dans les réunions entre potes, il y a souvent des gamins qui gambadent dans tous les sens. C’est toujours un bon moment quand même de voir des amis de longue date avoir des mini-eux dans les pattes. Mais peut-être que c’est précisément parce que j’adore les gosses que je n’en fais pas. Après j’ai un problème avec ça, j’ai un rapport à la paternité qui est très particulier. Mais loin de moi l’idée de juger ceux qui font des enfants. Même moi j’hésite encore, des fois je me dis que ce serait quand même cool, que je passe peut-être à côté de quelque chose, mais on a fait des choix de vie qui ne nous amènent pas forcément dans cette voie-là. Il y a un rapport (Il cherche ses mots) à la liberté, à l’égoïsme peut-être. Souvent, des gens te disent que c’est égoïste de ne pas faire d’enfant… Mais tu pourrais leur rétorquer que c’est égoïste d’en faire. Je rencontre aussi des gens intéressants ici qui ont fait le choix définitif de ne pas en avoir, qui ont passé le cap de la vasectomie pour être droit dans leurs bottes et c’est quelque chose qui m’impressionne beaucoup. Moi, je ne suis pas suffisamment sûr de moi pour le faire, j’aime bien le doute, j’aime douter, j’aime bien la possibilité de pouvoir douter. Je m’en suis rendu compte de ce que tu dis, que ça revenait pas mal dans l’album. Peut-être parce que j’arrive à un âge où ces questions me hantent pas mal ?
(S’ensuit un long échange sur la croissance démographique mondiale depuis 1900, sur l’inégale répartition des richesses, sur le système industriel actuel, sur l’exploitation des ressources terrestres, sur l’émergence de la classe moyenne en Chine)
Toujours sur « Couleurs », tu trouves qu’étant donné l’état du monde depuis des décennies, tu ne comprends pas qu’on puisse être nostalgique. Mais toi, tu n’es pas nostalgique de ton enfance ? De ton adolescence et des années lycée ? Des débuts avec La Pakkt ?
C’est une bonne question. (Il réfléchit) J’essaie de ne pas être nostalgique, j’essaie d’aller de l’avant, j’essaie de ne pas perdre trop de temps à regarder en arrière parce que c’est ma façon d’avancer. Mais le rap c’est forcément un terrain sur lequel tu peux te permettre de l’être par moment. Quand tu es dans l’intimité de la création, quand tu es tout seul face à ta feuille, que tu écris depuis cinq ou six heures, tu as des questionnements qui vont remonter. Ce n’est pas parce que je ne le suis pas au quotidien, que je ne peux pas l’être parfois dans mes textes. Mais j’essaie de ne pas l’être. Quand c’est trop nostalgique le rap… (Il cherche ses mots)
Ca te fait chier, dis-le ! (Rires)
Le mot est un peu fort, mais je préfère le rap qui me donne la pêche plutôt que le rap qui me rend triste.
Pourtant, certains pourraient dire que ta musique ne donne pas forcément la pêche…
Ahah. Une fois j’ai rencontré un type dans une soirée, qui connaissait ma musique, et qui m’a demandé : « Zippo, tu penses que tu es dépressif ? ». Ça m’a fait marrer parce qu’au quotidien je pense être quelqu’un d’assez positif quand même, mais quand j’écris c’est différent, c’est l’occasion de faire le point, c’est pour ça que je parlais de purge tout à l’heure aussi, je purge toutes les ombres qui sont en moi. Du coup ça peut aussi être un peu copieux à écouter par moments, j’en ai conscience, mais en tout cas dans la forme j’essaie de ne pas le faire sur un ton plaintif, garder une certaine énergie, transformer les ombres en puissance, pas en tristesse.
Encore un mot sur le morceau « Couleurs, qui est le meilleur de l’album à mes yeux : pourquoi n’a-t-il pas été placé en outro ? Parce qu’il a tout pour clore l’album.
La question de l’ordre s’est posée. A un moment, on l’avait mis à la fin, puis on a essayé autre chose pour choisir « JDD ». Ce morceau part d’un tableau du Moyen-Age de Jérôme Bosch, avec tout un tas de personnages, dans un délire très biblique, avec la genèse, le paradis, l’enfer… Et sur le cul d’un de ces personnages, on voit une partition musicale, que des musicologues se sont amusés à rejouer et à sortir la mélodie en question. Green était chaud pour qu’on en fasse une prod. Donc l’instru de « JDD » traverse les époques, avec une partition qui a été écrite il y a 500 ans. Je trouvais ça super intéressant comme exercice de faire un morceau de rap issu d’une vieille partition. Il va d’ailleurs y avoir un clip et on va se balader dans le tableau, au fur et à mesure du texte. On aurait pu terminer par « Couleurs », mais je trouvais pas mal de finir là-dessus, avec ce côté intemporel et puis on a bouclé l’album avec une outro parce que je voulais donner un peu de place à Greenfinch pour qu’il puisse exprimer son génie musical. C’était de bonne guerre de lui laisser le dernier mot.
D’ailleurs, vous avez eu recours à des compos, vous avez samplé ?
Il y a énormément de compos, un peu de sample aussi. Dans l’album, il y a trois ou quatre instrus que Green avait déjà faites et le reste, ce sont des morceaux que l’on a faits ensemble en ping pong, c’est-à-dire que je lui proposais un truc, il me proposait un truc et à partir de là, on bâtissait au fur et à mesure. On enlevait, on rajoutait des trucs et on arrivait à construire assez rapidement des morceaux très cohérents. Il voyait assez bien là où je voulais aller. Il proposait aussi énormément d’idées que je n’aurais pas eues. C’est un vrai musicien et il sait bien composer, moi je n’ai pas de formation, je suis plus autodidacte. Du coup, c’est intéressant de bosser avec des gens comme ça.
Tu as bossé avec Greenfinch et l’osmose a l’air réelle, mais il n’y a pas de featuring sur l’album. En vrai, rien de surprenant quand on te connaît, il n’y en avait pas sur Bûcheron, pas non plus sur Zippo contre les robots, d’autant que tu as été rare ces dernières années et que tu as un côté ours ; mais si tu te laissais aller ou si tu pouvais inviter quelqu’un, qui ce serait ?
Avant tout Le Pakkt, parce que je leur dois bien ça. Je pense d’ailleurs que je vais peut-être faire un EP qu’avec des feats pour rattraper ceux que je n’ai pas faits. Donc en premier lieu, je ferai Le Pakkt, ça reste les frérots et ça fait un moment qu’on n’a pas fait de rap ensemble. On avait même envisagé de faire un petit projet, mais ça met un peu de temps à se mettre en place. Ensuite, avec qui j’aimerais faire du son ? (Il réfléchit) Il y a plein d’artistes avec qui j’aimerais bien faire des trucs, des types d’horizons différents. Je pense à un mec que j’aimais beaucoup c’est Taipan (lire notre interview 10 Bons Sons). Il y a d’autres grandes plumes comme Vîrus, comme Casey (lire notre interview 10 Bons Sons), j’aurai beaucoup aimé faire quelque chose avec eux, mais encore faudrait-il qu’ils aient envie aussi. Un mec comme Dooz Kawa, avec qui on avait envie envisagé de faire un son et nos vies nous ont un peu absorbé chacun de notre côté, mais ce n’est pas impossible que ça finisse par se faire. Dans l’absolu, j’adorerais faire des feats avec des gars beaucoup plus street, mais je pense quand même qu’il y a assez peu de chances que je fasse un feat avec SCH. Ça me ferait trop délirer aussi de faire un truc avec Alkpote. Mais je ne viens pas d’un univers qui doit beaucoup leur parler, je ne crois pas que ce soient des univers qui soient compatibles. Je crois d’ailleurs que Furax disait qu’ils n’étaient pas du même monde avec SCH et que ce n’était pas grave s’ils ne faisaient pas de morceau ensemble. Après j’aurai bien aimé faire des feats avec des mecs comme ça. Mélanger les mondes, je trouve ça intéressant, il peut en ressortir des choses sympas : mélanger le monde de la tess’ avec le monde de la ruralité, qui est aussi un monde violent à sa façon, il y aurait des bangers potentiels à faire qui viendraient d’un autre monde, ce serait trop intéressant.
Automne sort donc le 22 septembre ; est-ce qu’il y aura un Hiver qui sortira le 21 décembre ?
Je suis assez partant pour enchaîner sur un autre projet. J’ai envie de rebosser avec Vargas Le PDG qui continue de faire des prods. J’aimerais aussi faire un petit album à base de featuring et puis refaire un solo, ça me botterait bien ! J’ai en tête un album lié à l’idée du feu, un truc conceptuel, pour aller au bout du Zippo. Ce qui me fait chier c’est que Nekfeu a appelé son album Feu, j’aurai bien intitulé un album de Zippo de cette manière. On verra ! Je suis chaud mais si ça se trouve, je le sortirai que dans deux ou trois ans.
J’ai rencontré des MC’s dans le coin, des beatmakers. Le monde rural est très hip-hop, limite plus qu’à Nice (NDLR : d’où est originaire Zippo). La place qu’on accorde au rap dans le 06 n’est pas énorme, ici les gens sont férus de rap ! Tu peux arriver dans des ambiances assez étranges dans des granges où il y a 200-300 personnes qui viennent voir des concerts de rap. Du coup, j’ai rencontré plein de gens super cools. D’ailleurs, je suis sur un petit projet avec des potes du coin : le concept c’est « Marmule musique ». Une marmule en patois c’est un costaud, un bagarreur et on prépare un truc un peu en mode rigolade.
J’ai l’impression qu’avec cette équipe, c’est la récréation, où tu fais de la musique instinctive, pour se faire plaisir sans se prendre la tête et les albums, c’est plus pour les concepts, avec une réflexion poussée. Cette équipe t’amène une certaine complémentarité.
Oui, c’est très bien vu. Je retrouve un peu ce que j’ai perdu depuis que je me suis éloigné physiquement du Pakkt, par la distance. Quand on se voit on lance des instrus, on a ce plaisir de kicker et je viens de ça, je viens du rap en groupe. Ça me fait du bien de retrouver cette énergie, c’est stimulant aussi, ils écument toutes les scènes locales, moi qui suis un peu un ours comme tu dis, ça me pousse à aller de l’avant. On va faire un petit EP sans se prendre le chou. Et j’aime bien casser l’image que je peux avoir avec des morceaux plus légers, un peu egotrip, un peu délire. Avec HP, on a fait un morceau sur sa BX. Elle a 300 000 kilomètres au compteur, il l’a acheté 50 euros. (rires) En le voyant arriver avec, je lui ai dit : « Il faut faire un morceau là-dessus ! ». Donc ça part souvent d’un délire.
D’ailleurs, tu as entendu parler de MC Circulaire ?
Je ne connais pas très bien. Les gens d’ici m’ont conseillé d’écouter, en me disant que ça ressemblait à ce que je faisais. J’aime bien, c’est patate, déjanté, il y a un petit côté punk aussi. J’aime bien les punks, j’ai une grande tendresse pour les punks. Je pense que je suis un punk raté. La différence entre le rap et le punk, c’est que le punk aborde des thématiques tout aussi sociétales, mais toujours avec ironie et second degré. Le punk met toujours de l’humour dans sa façon de raconter des histoires. Peut-être que je vais faire une nouvelle carrière dans le punk. (Sourire)
Un dernier mot sur la pochette ?
Elle n’a pas été faite par I.A. comme on pourrait le penser. C ‘est une amie qui m’a fait ça de manière assez spontanée, après que je lui ai fait écouter quelques morceaux. J’ai trouvé le dessin vraiment canon et on s’est dit qu’on avait trouvé la cover de l’album. Elle a un côté un peu biblique, un peu apocalyptique et je sais que c’est quelque chose qu’on peut me reprocher. C’est pour ça que dans « Couleurs » je dis : « Je leur tends un miroir, ils me reprochent de venir prêcher l’apocalypse », mais ce n’est pas mon but d’annoncer la fin du monde. J’ai plus l’impression que j’observe, que je décris ce que je vois. Je trouve que cette pochette est super efficace, elle va bien avec « Champignons » et avec l’automne civilisationnel dont il est question sur certains morceaux.
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