2022, le bilan rap francophone

Comme beaucoup de choses en fin d’année, la nouvelle forme de notre bilan prend des allures de tradition. En effet, pour la troisième année consécutive nous vous proposons non pas un top, mais un palmarès pour chaque rédacteur du pôle rap francophone, articulé autour de cinq catégories : l’album, le son, le couplet, l’oubli et le beatmaker.

Chafik

L’album : Prince Waly – Moussa

Album attendu par le public et sûrement redouté par Waly (lire notre interview) qui sait trop bien ce que représente un premier LP, Moussa a été à la hauteur en évitant le crash test et les sorties de route. Les fans de la première heure seront ravis, le rappeur de BBC continue de faire du Prince Waly, autrement dit de la multi, avec un univers cinématographique, du storytelling, le tout avec l’ombre de Booba et de Lunatic qui plane tout au long du disque. En effet, Waly nous rappelle qu’il n’a pas de temps pour les regrets, nous propose le deuxième volet d’« Avertisseurs », reprend une punch’ de « Les vrais savent » sur la Lexus, une de « Pucc’ Fiction » sur « Cra$h », une de « Si tu kiffes pas » sur « Problème » et invite surtout Ali sur « Rottweiller ». Ce featuring est un des gros morceaux de l’album et même une des collabs de l’année, en compagnie de la passe d’armes avec Freeze Corleone. Surtout, Moussa a davantage fendu la carapace en se livrant comme jamais, parlant de ses frères, de sa maladie, dévoilant l’homme qu’il est, processus légèrement démocratisé par Alpha Wann sur UMLA, tout en disséminant ci et là quelques couplets plus légers, chantés, lui permettant de rendre sa musique encore plus actuelle. On tient donc là un album travaillé, réfléchi, cohérent, varié, sans être calibré (coucou Dinos !).

Le son : Alpha Wann – « 99 en peuf »

Si Dany Dan aurait pu être l’auteur du morceau de l’année avec « Pop (Style Libre) », Alpha Wann lui a grillé la politesse avec ce titre dans lequel il enchaine petits ponts, sombreros et retournés acrobatiques des couilles. On les verrait bien ensemble d’ailleurs pour un passe-passe de légende l’an prochain, sur l’album de Dan, produit par Kyo Itachi (qui aurait pu être le beatmaker de l’année au passage). On aura ainsi le meilleur album, le meilleur morceau, le meilleur producer, le meilleur couplet, le meilleur feat de 2023. Amen.

Le couplet : Infinit’ – « Rio » (feat. EDGE, Eff Gee & Esso Luxueux)

Infinit’ est bien trop rare depuis la sortie en 2020 de son album Ma vie est un film II (qui n’a pas eu le destin qu’il mérite – cause / conséquence ?). Cette année, on l’a entendu sur la compil’ Teahupoo et une nouvelle fois avec ce bon vieux Veuveu, mais surtout sur l’excellente Saboteur Mixtape pour un couplet plein d’attitude dans lequel ça rime sévère, comme toujours, où ça punche (« Mentalité moitié chef d’réseau, moitié Jeff Bezos »), où les oppositions se succèdent (« Dans le Porsche Carrera, j’transporte un pote clando »), comme pour illustrer qu’Inf’ est à la croisée des chemins dans sa vie de rappeur et d’homme. On est curieux de voir le tour que prendra la suite de sa carrière.

L’oubli : Dinos

Omniprésent en 2022 avec 3 EP’s et un album sortis entre janvier et novembre (sans parler de ses featurings), Dinos n’a pourtant pas été chroniqué dans nos 10 Bons Sons mensuels. C’est d’autant plus paradoxal que sur ma plateforme d’écoute préférée, mon top 5 de l’année comporte 4 titres de Nosdi ! Mention spéciale aux titres « Deïdo » et surtout « Amaru », mélanges de phases personnelles, d’egotrip, de références rap et de gamberge, qui ne nous ont pas laissés indifférents (« Tous mes gars se marient, tous mes gars font des gosses, moi j’regarde leurs stories »). Toujours sur ces EP, Dinos s’est offert un beau cadeau en collaborant avec Ali pour un morceau qui régale. Même les titres hors projet « Mojave Ghost » et le « Nanga Boko Freestyle » font plaisir. On était forcément emballé par la sortie du double album conceptuel Un hiver à Paris, son quatrième, dans lequel il continue d’exploiter sa nostalgie, sa mélancolie, son rapport au rap, au succès, à Paris, à l’amour et à la gent féminine, thèmes ô combien évocateurs pour nombre d’entre nous. On aurait pu évoquer « Simyaci » ou « L’univers ne nous voit pas danser », mais pas beaucoup d’autres malheureusement (comme si Dinos avait eu du mal à exploiter ses sujets de prédilection). Le silence n’est pas un oubli.

Le beatmaker : Nicholas Craven

Le Québécois, dont le nom s’impose de plus en plus dans l’underground US, a su concocter un univers sonore à base de samples profonds et hauts en couleurs, permettant à Akhenaton de connaitre une nouvelle jeunesse. Le résultat, deux EP Latin Quarter, qui compilés, ressemblent à un vrai bon album solo d’AKH avec beaucoup de (très) bons morceaux. Alors qu’Astéroïde produit par Just Music Beats nous avait ravis, on ne peut s’empêcher de penser que ces derniers temps, le leader d’IAM n’est jamais aussi bon que lorsqu’il s’entoure de beatmakers de talent. Et pourquoi pas enchaîner avec un volume 3 ?

Olivier

L’album : Bu$hi – Bushi Tape 2

Avec sa Bushi Tape 2, le membre de Lyonzon a subtilement su apporter un peu de douceur et de singularité à la recette drill générique qu’on entend un peu partout, sans trahir le genre, notamment grâce à son travail avec le beatmaker TaeminTekken. Au vu de la qualité de son rap, de la cohérence musicale et de l’homogénéité de la proposition, cette tape aurait pu être qualifiée d’album sans que cela ne choque personne.

Le son : Souffrance – « Tour de magie »

Plus qu’un tour de magie, en 2022, le deuxième album de Souffrance relate le tour de force que représente le fait de confirmer une première impression réussie, et de se mettre à l’abri. « Tour de magie », le titre éponyme de ce nouvel opus, illustre bien le propos (« J’ai ramassé quatre fois rien, ils m’ont demandé j’ai pris combien, faut que je me casse »), et ce n’est pas pour rien que l’équipe de Montreuil est allée le clipper à Las Vegas.

Le couplet : Freeze Corleone – « Dégradé » (feat. Ashe 22)

La menace fantôme a déjà deux ans, et Freeze Corleone ne semble pas pressé de nous annoncer son deuxième album. Il est peut-être encore un peu tôt pour parler de classique, mais LMF a marqué les esprits, et chaque nouveau couplet du membre du 667 est attendu et décortiqué. Pas avare en featurings (une petite trentaine en 2022 selon nos calculs), il est régulièrement sollicité, et se permet même ici et là des petites incartades sur des productions moins sombres qu’à l’accoutumée, comme récemment sur « 90’ » avec Doums ou « Inception » avec Zuukou Maizie. Cette année, il aura également fait parler de lui grâce à Riyad Sadio, un EP commun avec le Lyonnais Ashe 22 paru en mars, annoncé un mois avant sa sortie via l’excellent « Dégradé ». Servi par l’instru d’Amine Farsi et sa boucle de piano lugubre à souhait, Ashe 22 ouvre le bal dans un style plutôt sentencieux, avant l’arrivée de Chen Zen pour un refrain en passe-passe réussi, qui ouvre la voie pour le couplet dont il est question ici. Nerveuse et technique, la performance de Freeze prend le contrepied de la première partie du membre de Lyonzon. Sa façon bien à lui de rimer et d’user des silences rappelle qu’il est chez lui sur ce type d’instru, sans pour autant voler la vedette à son compère, avec une dédicace dès l’entrée tonitruante de son couplet. Ekip.

L’oubli : Tif – « Hinata »

S’il vit entre l’Algérie et la France depuis un peu plus de deux ans, Tif a plus d’une décennie de rap au compteur et côtoie la scène algéroise depuis son adolescence. Il se fait remarquer en 2019 avec le titre « 3inaya » puis se fait plus discret le temps des premiers confinements, avant de revenir en mai 2022 avec un premier EP intitulé Houma Sweet Houma. En septembre, il finit d’enfoncer le clou avec le morceau « Hinata », du rap francophone posé sur un habillage sonore mêlant chaâbi et sonorités modernes. En quête de sa « Hinata » (dont est amoureux Naruto, dans le manga du même nom), Toufik (prénom de Tif dans le civil) dépeint ses difficultés à rencontrer l’âme sœur dans un Alger nocturne et festif, où les accords de piano et les pulsations nerveuses se marient à merveille avec le mandole et la derbouka. Dans le paysage rap francophone actuel Tif est un artiste singulier, dont nous aurions pu parler en mai, en septembre ou dès 2019. Il n’est pas trop tard pour réparer cet oubli, et surveiller le ciel pour les sorties à venir. Et pour ceux qui aimeraient en apprendre plus sur Tif, nous ne saurions que recommander l’épisode d’« On the corner » qui lui est consacré.

Le beatmaker : Eazy Dew

Le pari du retour réussi n’était pas gagné d’avance pour Josman, après un deuxième album incompris et boudé par le public, et l’allusion avec M.A.N. à son premier disque couronné de succès, J.O.S. Dès sa sortie, ce troisième opus a su rassurer les auditeurs du rappeur, et le beatmaker Eazy Dew n’y est pas pour rien, puisqu’il intervient sur 13 des 19 titres de M.A.N., dont les très bons « Intro », « L’œil de la Joconde », ou « Brûle ».

Jérémy

L’album : Grems & Rrobin – Outrage

Grems a livré deux albums cette année, mais c’est celui en collaboration avec Rrobin qui a le plus retenu notre attention. Les deux hommes sont tellement polyvalents que chaque titre offre son lot de surprises. Les textures et les rythmiques se succèdent, on est à la fois dans l’hyper-cohérence, avec cet aspect froid et industriel qui relie le tout, et dans le perpétuel contre-pied, avec des programmations de batterie qui surprennent sans cesse, et sur lesquelles Grems se fait plaisir en multipliant les flows. L’intransigeance et la volonté d’indépendance de l’artiste transparaissent comme souvent de toutes parts, à l’image de « Rébellion ». Mais l’écriture de Grems est loin de se limiter à cela : il multiplie les images et les associations d’idées étranges, créant bien souvent la stupeur chez l’auditeur, sans pour autant se complaire dans une écriture absurde puisqu’il brasse aussi de nombreux sujets sérieux, qu’ils soient liés à l’industrie, au politique, au social, ou plus généralement à l’humain. Le fait qu’il n’y ait que deux invités (Eloquence et Starlion) donne à l’album l’apparence d’un long tunnel dont on ne verrait pas le bout, balancé de toute part par la créativité déroutante des deux protagonistes principaux. Toutes ces idées de gimmicks, de phases, de production qui pleuvent de toute part donnent l’impression d’une grosse montée de drogue. Le temps se dilate, on se laisse absorber dans le trou noir avant d’être relâchés sans qu’on sache réellement ce qui s’est passé ni combien de temps cela a duré. Un ressenti qui n’est pas si courant que ça dans la musique.

Le son : Aelpéacha & MONFORT feat. Driver, Boomerdidit, 2nd II None & MSJ – « Playday »

Talkbox, cuivres et basse bien grasse : voilà la recette magique qui permet à Aelpéacha et MONFORT de créer cette ambiance funky et festive. Au micro c’est un enchaînement trans-continental de vieilles légendes qui se déploie, de 2nd II None à Driver. Un hymne d’été à savourer en toutes saisons.

Le couplet : Nessbeal – Le premier couplet de « La frappe de la brume »

Ce couplet à demi-drumless ouvre le titre final du dernier album du rappeur du 94. Débit mi-heurté, mi-aérien, et écriture condensée où les fulgurances se succèdent. Il y a là l’art d’en dire beaucoup en peu de mots. Nessbeal nous avait manqué.

L’oubli : Eloquence – Maison suave

Son nom a été évoqué plusieurs fois sur Le Bon Son, mais aucune fois en cette année 2022 malgré la sortie de Maison Suave. Il est l’heure de réparer cette erreur. Sur ce dernier album, Eloquence assume totalement son statut d’O.G du rap français en travaillant sur des ambiances jazzy ou soul avec une assurance qui lui permet de pousser loin la nonchalance, sans jamais perdre en prestance. Les couplets semblent parfois posés tranquillement dans un fauteuil en cuir. Les productions, souvent assez épurées, sont finement sélectionnées et concoctées par de vrais talents à l’instar d’Heizenberg, de Chapo, de DJ Per-K ou de Kyo Itachi. On retrouve par ailleurs ce même esprit de concision dans l’écriture d’Eloquence qui fait partie de cette catégorie de rappeurs (celle de Beanie Sigel) qui peint ses décors par petites touches et qui n’a pas besoin de beaucoup de lignes pour imposer ses images. Côté invités, là encore la sélection est précise, d’abord dans les styles, puis dans l’aspect générationnel puisque plusieurs époques se côtoient (de Smoker à Tedax Max). Le tout se mélange harmonieusement comme dans un film de gangsters, les jeunes loups côtoyant les OG’s dans un respect mutuel. Maison suave est un album avec une vraie cohérence mais sans l’air d’y toucher, le liant global ne passant pas par un concept artificiel mais par une couleur de son, d’émotions, et par un protagoniste principal bien campé. Une phrase issue de « Triple menace » résume bien l’esprit : « Ils sont dans l’m’as-tu-vu, nous dans l’pas vu pas pris ».

Le beatmaker : Flem

On l’a retrouvé aux côtés de son équipe sur les projets de Freeze et Ashe 22, Osirus Jack ou à des endroits plus surprenants, comme sur l’album de Dinos, celui de Gazo ou de Tiakola. La profondeur de son son reste présente de toutes parts mais Flem a aussi tenté de s’ouvrir à d’autres sonorités, à l’image de « Mode AV » qui vient flirter avec la mélancolie avec son sample de guitare sèche.

Clément

L’album : Lesram – Wesh Enfoiré

Le petit prodige du Pré-Saint-Gervais a frappé fort dès le début de l’année avec son premier album studio. Produit par des pointures comme Amine Farsi, Shaz, Hologram Lo’ ou encore Mehsah, l’ancien tonton flingueur délivre un projet très solide (comme l’album de Kyo Itachi) où il se place comme un des meilleurs chroniqueurs des bas des blocs (et pas que). On en redemande encore et encore. Grünt est probablement du même avis, même si le spécial Marcel est bien trop court. Rendez-vous en 2023 pour, on espère, un nouveau projet, un EP, une mixtape, un album, peu importe.

Le son : Robdbloc – « Rien ne change« 

Déjà mentionné dans nos colonnes que ce soit sur son dernier EP ou sur d’anciens projets, la pépite de l’écurie « Goldie » reste une valeur sûre qui ne demande qu’à pop encore plus. On l’attend lui aussi sur un premier véritable album studio.

Le couplet : Limsa d’Aulnay – « Symphonie » (feat. Souffrance)

Limsa par ci, Limsa par là, dès que je peux le citer je le fais. Et une nouvelle fois ici avec son apparition sur l’excellent second album Tour de magie de Souffrance. Un morceau qui reste en tête, que ce soit par son piano entêtant ou par la performance des deux protagonistes. D’ailleurs on attend de pied ferme le projet commun avec Isha qui s’annonce très prometteur.

L’oubli : Keroué

La moitié de Fixpen Sill a sorti son premier solo en juillet, intitulé Eckmühl. Composé de huit titres et produit en grande partie par Delho, le projet est une véritable réussite. Refrains entêtants, instrumentales diverses (petite trap, drumless, boombap poussiéreux), textes aiguisées et punchlines efficaces : tout y est pour passer une très bonne demi-heure. Si vous souhaitiez du rab’, ça tombe bien, Keroué a sorti un deux titres pas plus tard qu’en début de mois, lui aussi de très bonne facture.

Le beatmaker : Epektase

Guitariste hors pair et ingénieur du son, Epektase est un des meilleurs beatmakers drill qui n’aime pas la drill. Mais pas que, à l’aise dans tous les styles, celui que vous pouvez retrouver au studio Winslow ou avec Pandrezz et Kronomusik à régalé tout le long de l’année. Force est de constater qu’on est amené à l’entendre de plus en plus et le voir un peu partout.

Sarah

L’album (la mixtape, pour être précise) : SCH – Autobahn

C’est vrai, l’année dernière, SCH trustait déjà cette place dans mon palmarès avec JVLIVS II. Il faut croire que, les mois passant, l’Aubagnais ne perd rien de sa force de frappe, voire n’en finit pas de se bonifier. Cette fois au volant d’un bolide calibré pour le disque d’or, SCH remballe sur le format concept, un peu plus court, puisqu’il expédie celui-ci en quatorze titres et quarante-cinq minutes d’une belle intensité. Une mixtape (lire notre chronique) annoncée à grands renforts de symboles, puisqu’on se retrouve encore sur une autoroute, sept ans après A7. Et SCH a clairement passé la sixième. Les singles ne s’excusent plus de s’enchaîner, les featurings de haut vol contrôlent les accélérations, tout est soupesé, quadrillé, parfaitement maîtrisé et complètement assumé. Le flow du S est à son plus haut niveau et ne montre aucun signe de faiblesse, pour notre satisfaction la plus entière. Une vraie réussite et de fait, un beau succès dans les bacs. 

Le son : Isha – « La familia » 

Coup de cœur indétrôné depuis le mois d’avril, « La familia », c’est le son Ishien par excellence. Dans la droite ligne de « Magma » sur LV3, qui s’était aussi retrouvé dans ces lignes il y a 24 mois, Isha nous offre un autre condensé de son savoir-faire. Sur la prod légère et presque mignonette de Dee Eye, le Belge se balade, slalome sur un contre-temps sophistiqué, et nous en envoie plein les dents. Le refrain, simple et efficace, revient suffisamment pour marquer l’oreille durablement, tandis que chaque couplet porte son lot de punchlines pour nous décrocher des sourires admiratifs et complices. Isha, décidément, sait nous parler, sait nous séduire.

Le couplet : Damso sur « Bodies » feat. Gazo

La recette est pourtant tellement connue. Le piano insatiable de Chopin n’en est pas à sa première boucle. Le Dionysien et le Bruxellois se promènent sur les croches avec une belle aisance, laissant leurs timbres sombres et denses dompter la nocturne à leur tour. Pourtant il se passe quelque chose, qui laisse l’auditeur assommé et conquis. Si Gazo offre une performance au-dessus de ses propres standards, son invité belge fait clairement monter le morceau au niveau du dessus. Harcelant les seizes de son hôte dès le début avec des backs subtilement surpuissants et des gimmicks omniprésents, il suffit finalement à Dams de huit petites phases violentes et de quelques rimes brutales pour emporter le tout et faire passer « BODIES » dans la première division. La noirceur du propos, la subtilité des placements, la force du flow, on n’avait pas entendu Damso kicker comme ça depuis un moment. On le retrouve, même très brièvement, au meilleur de sa forme, dans le 93 comme chez lui. Merci Gazo pour le cadeau et shout out d’avoir tenu la côte. 

L’oubli : Fanny Polly – ReBelle

Toujours active en sous-marin, la Cannoise continue son petit bonhomme de chemin et a sorti, en tout début 2022, trois ans après Toute une histoire, un premier opus plutôt intéressant, un album d’une belle qualité. Amatrice de long format, la trentenaire nous propose cette fois encore une belle heure de musique, développée en 16 titres et un interlude maternel mignon à souhait. Une tracklist à vrai dire sans faux pas, dans un style à la fois personnel, assez technique et élégant. Un petit quart de son temps de micro est simplement partagé avec des featurings bien choisis, naviguant un peu dans la galaxie Scred, revendiquant si possible une pointe de racines sud-américaines, qui lui parle forcément. Musicalement, on traîne dans des influences classiques, entre boom bap plaisant et latino type beats, mais intelligemment maniées, si bien qu’on ne réinvente pas la roue mais qu’on la fait joliment tourner. En 2022, Fanny Polly rappe avec douceur, avec passion, avec conviction, avec force, avec volonté, bref avec tout ce qui nous fait aimer les artistes. Une belle progression, un bel album, un oubli désormais réparé. 

Le beatmaker : Ice Cold

En charge de l’introduction « Pain de Maïs et Weed » sur Cotton Gun Blues et du morceau « Artiviste » présent quant à lui sur Baguenaude d’un nègre libre, Ice Cold fait en 2022 une belle démonstration de force en participant aux deux merveilleux projets de Gizo Evoracci, sortis coup sur coup pendant ce dernier trimestre. En deux morceaux, il parvient parfaitement à retranscrire, sur chaque opus, le ton, l’ambiance générale, la direction que semblait vouloir leur donner Gizo. Jazzy, mystérieux, mélancolique et un brin lascif, dans une tradition West Coast qu’on aurait trempé dans les remous du Mississipi, Ice Cold ralentit proprement les BPMs pour nous donner le temps de profiter de la balade, tout en rendant les mesures et les changements de pieds suffisamment intéressants pour nous tenir en haleine. Collant au flow de l’Essonnien, comme le soleil à la peau un lourd après-midi d’été, la musicalité que propose le beatmaker sublime la voix grave et souligne parfaitement l’identité du rappeur francilien. Vaporeux dans ses notes, il révèle tranquillement la luminosité et l’optimisme qui se cache au détour de rimes riches et très référencées, participant à leur donner la profondeur qu’elles méritent. 

Antoine

L’album : Nessbeal – Zonard des étoiles

Il y a deux catégories : ceux qui ont grandi en écoutant NE2S, et ceux qui l’ont découvert cette année. Certifié roi sans couronne par la plupart des connaisseurs de rap français, Nessbeal a fait son surprenant retour… onze ans après son dernier opus. Le rimeur marocain aura touché ses auditeurs de la première heure, tant la plume est fidèle à son passif, chirurgicale et complexée, les prods électriques et froides, et l’univers entier. Quelques feats dont son pote de toujours Orelsan, Landy, Zed, PLK, et ZKR, également distribué par Believe. Pas forcément les meilleurs titres car il n’est aisé pour personne de se confronter à la musique de Nabil. En revanche, les titres en solo forment un sans-faute. Condamné au succès d’estime, il a vu son ambitieuse tournée annulée et l’on pensait déjà que Zonard des étoiles serait son jubilé, beau et lucide. Mais, au cours d’une année décidément surprenante, Nessbeal vient de dévoiler un nouveau single « Mourir à Casa » en cette toute fin d’année. Une lueur d’espoir paradoxale ? (Ecouter ici notre podcast consacré à Nessbeal.)

Le son : Veerus – « 97130 »

Quel titre de Veerus ! Sur certainement l’un des projets de l’année, comme à chaque projet qu’il sort, le MC de Dunkerque a mis un coup de crayon très fort sur ce titre engagé et personnel. A la fois pudique, touchant et acide, V2E fait de sa sincérité une vraie singularité et envoie à l’auditeur un paquet d’images marquantes en hommage à ses ancêtres, sur une prod très adéquate avec la thématique.

Le couplet : Souffrance « Mash up » (feat. Rocca) 

Traumatisé dès janvier par ce couplet légendaire de Souffrance, on pouvait se douter qu’il figurerait en bonne place dans notre bilan 2022. Y’a-t-il vraiment besoin de décortiquer les rimes, les images, les punchlines de Souffrance sur ce 16 mesures ? Doit-on absolument s’attarder à revenir sur le flow du Montreuillois particulièrement inspiré ? Évidentes réponses.

L’oubli : Tres Coronas – « La Junta »

Il n’y a pas qu’en France que le rap au sens authentique du terme a vécu une belle année. Le Franco-Colombien Rocca, particulièrement actif en 2022 dans ses deux pays d’origine, et son acolyte Guajiro ont envoyé cette belle claque boom bap pour le grand retour de leur groupe Tres Coronas. Hyper efficace et évidente pour les amateurs du genre.

Le beatmaker : Dee Eye 

Rien que pour le travail de boombap éclatant sur l’EP de Caballero OSITO, Dee Eye devait absolument figurer dans notre recap’ annuel.

Jordi

L’album : Souffrance – Tour de magie

En 2021 Souffrance se faisait définitivement une place sur la scène rap francophone avec la sortie de Tranche de vie. Reconnu par ses pairs et adoubé par les médias spécialisés, il avait fourni un album de vingt titres incroyablement dense, personnel et sombre qui lui aura valu un succès d’estime. Quelques temps après sa sortie, il avait promis de refaire parler de lui rapidement. Il ne lui aura fallu que dix-sept mois pour nous proposer un nouveau long format. Dès les premières écoutes, il me semblait évident qu’il s’agissait du disque de l’année et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le choix des productions. Un des souhaits du Montreuillois était d’axer son œuvre sur plus de musicalité. Pour ce faire, il a fait appel à une palette de beatmakers tels que TonyToxik (dont le rôle à la réalisation de l’opus est primordial), Itam, James Digger, Jeune G, Mani Deïz ou encore Max Kdch. Cela lui a permis de diversifier les ambiances et de proposer à ses auditeurs des morceaux plus aérés aux BPM plus variés qu’à l’accoutumée. En témoigne, les sonorités contrastées proposées sur « Tour de magie », « Plan annulé », « Sourire » ou encore  « Au milieu des ombres ». Autre nouveauté, le choix des invités. Si Tranche de vie se voulait un album cent pour cent solo, Souffrance a souhaité cette fois-ci ouvrir davantage ses horizons. Mais hors de  question de solliciter des collaborations carriéristes. Si la présence de Prince Waly et Cenza sur « Matrice » semble tout à fait naturelle, il a également fait appel à l’artiste de dance hall jamaïcain Spectacular afin d’apporter une touche new roots  au morceau « Sourire ». Aussi, l’apparition toujours remarquée de Limsa d’Aulnay sur les notes de piano de Max Kdch a elle aussi fait son effet. Côté écriture, la plume du membre de l’Uzine reste tranchante et sincère tout au long de l’album. Enfin, les thématiques sont quant à elles moins torturées et souvent un peu plus légères que sur Tranche de vie. Pour conclure, Souffrance nous a bel et bien bluffé avec son Tour de magie. Et bien prétentieux sera l’auditeur qui prétendra être capable d’anticiper son futur tour de passe-passe.

Le son : Josman – « Intro »

Si j’avais été totalement conquis par les deux premiers albums de Josman 000$ et J.O.S, j’admets avoir été quelque peu déçu par Split paru il y a deux ans maintenant. C’est pourquoi j’attendais de pieds fermes la parution de M.A.N (Black Roses and Lost Feelings) au mois de mars. Le moins que l’on puisse dire est que ce projet m’a réconcilié avec l’artiste. Même si la cohérence et l’harmonie présente tout au long de l’œuvre me semblent ses principaux points forts, il est indéniable que l’opus regorge de véritables bijoux comme « L’œil de la Joconde », « Mort ce soir » ou encore « Brûle » en featuring avec Laylow. Cependant, le titre qui m’a le plus marqué demeure incontestablement celui qui ouvre le bal. Josman y alterne le chant et le rap en utilisant l’autotune avec une subtilité rarement égalée. Les notes de piano, la batterie assez lente et les arrangements d’ Eazy Dew viennent sublimer la co-production de Lucci et Crayon tout au long du morceau. D’ailleurs, lorsque j’ai interviewé ce dernier au mois de mars dans nos colonnes, il affirmait être fier de pouvoir collaborer avec le rappeur de Vierzon, tant il reste minutieux dans le choix de ses instrumentales. Il insistait aussi sur le fait que la prod retenue par Josman pour l’ »Intro » le « représentait totalement et le renforçait dans l’idée de continuer à faire ce qu‘il aimait car les rappeurs étaient prêts à s’ouvrir, à s’aventurer sur d’autres terrains. » Avec ce morceau, Josman démontre qu’il est maintenant bien plus qu’un simple rappeur. Il faut désormais le considérer comme un interprète capable de se hisser au sommet de la musique française.

Le couplet : B.B. Jacques – le deuxième couplet de « Fuck off »

Personnage incontournable de cette année, B.B Jacques a sorti pas moins de trois projets en 2022 dont l’excellent EP Poésie d’une pulsion, part. II. Sur celui-ci figure le morceau « Fuck off ». Le second couplet interprété avec sa fougue caractéristique m’a particulièrement plu. Il reflète à merveille l’univers imagé et singulier de l’artiste.

L’oubli : Furax Barbarossa

La publication d’un projet de Furax (lire son interview) est toujours un authentique évènement. Caravelle ne déroge pas à la règle même si celui-ci est passé entre les mailles de mes filets car sorti pendant l’été. Comme toujours, le pirate à la barbe rousse nous délivre une œuvre introspesctrice pleine d’émotions, sublimée par des rimes multisyllabiques dont lui seul à le secret.

Le beatmaker : Crayon

Si Moussa de Prince Waly se place indiscutablement sur mon podium des meilleurs albums de l’année, c’est en grande partie grâce à Crayon présent sur un tiers des morceaux. Il est aussi à la co-prod sur l’ »Intro » de l’album de Josman et architecte sonore de la mixtape Walk Tape Vol.01, fruit de l’association entre le label Microqlima et le collectif Walk in Paris. Une année mémorable pour le producteur parisien.

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