2021, le bilan rap francophone

A l’instar de 2020, pas de grand vote autour d’une sélection de dix morceaux cette année, mais un bilan par rédacteur, reflétant davantage les goûts de chacun, et organisé autour de cinq catégories : un album, un morceau, un beatmaker, un couplet et un oubli. Du beau monde quoi qu’il arrive !

Jérémy

L’album : Ben PLG – Parcours accidenté

Il y a des albums qui, même sortis en fin d’année, s’imposent directement comme des évidences dans les bilans. D’abord parce que la personnalité de Ben PLG transparaît dans chaque ligne, ce qui n’est pas si courant dans le rap français actuel. Comme deux de ses références fréquemment citées, Salif et Nessbeal, Ben n’hésite pas un instant à mettre la peau sur la table. Cette authenticité est mise au service d’un vécu particulier. Il y a d’abord le rapport au nord de la France (« On vient du nord pour nous quatorze degrés c’est le sud« ) avec ses vacances à Dunkerque, un fort rapport à la famille comme en témoigne ses parents et grands-parents abondamment cités (« Né pour briller comme le chicot en plomb de papi / J’fais genre j’suis pas touché mais l’cœur est fondant comme le gigot d’mamie« ), et aussi un fort esprit collégial, le « on » prenant souvent le pas sur le « je ». Les images sonnent vraies et peuvent être touchantes et drôles à la fois. C’est d’ailleurs ce qui fait le sel de son écriture : Ben PLG a un vrai sens de la formule. Techniquement aussi c’est très fort comme le démontre « Né pour briller » avec son trio d’instrumentals sur lesquels le rappeur démontre toute sa polyvalence. On pense aussi à des morceaux plus chantés, sous autotune, plus ou moins réussis, le meilleur étant sans doute celui qui a été choisi comme single : « Vivre et mourir à Dunkerque ». Authenticité et particularisme, force de l’écriture, technicité : Ben coche toutes les cases et signe un très bel album.

Le son : Sameer Ahmad – « Vera Cruz »

Ambiance jazzy contemplative pour cet étonnant morceau de Sameer Ahmad. Dur à cerner, le refrain pose pourtant d’emblée son empreinte. Les images et les références impriment automatiquement la rétine et la voix brisée de Sameer (évoquant « Siwak ») participe à donner ce titre son côté étonnamment réconfortant.

Le beatmaker : Madizm 

Plus de 20 ans après IV my people, et après avoir bossé avec quelques figures historiques du rap français, Madizm est plus présent que jamais. Producteur de plusieurs belles découvertes, de Carson à  Yara en passant par Djado Mado, Izm s’est offert une seconde jeunesse et s’impose comme l’un des hommes forts du rap français en 2021.

Le couplet : SCH – « Tempête » (couplet unique)

Revoilà SCH sur le terrain qui le fait le plus briller : celui du morceau introspectif et émo. L’interprétation de cette chanson confession a quelque chose de très naturel, comme s’il s’agissait d’une conversation à bâtons rompus avec l’auditeur (et avec lui-même). Les souvenirs et les images se dessinent par petites touches et nous rappellent la qualité d’écriture dont est capable le rappeur marseillais.

L’oubli : Norsacce Berlusconi – Marathon

Voilà un artiste qui a partiellement été occulté de nos sélections cette année. Pourtant Marathon est un album qui se tient de bout en bout. Son introduction est intense. La violence des sub bass et ce long couplet sans refrain annonce la couleur. « J’ai braqué la peur et j’ai tué le doute / J’peux pas calmer les flots, j’ai trop navigué dans des eaux troubles« . Tout est résumé dans les premières mesures. On a à faire à un album intransigeant qui ne laissera place à aucun écart. Un souci de la cohérence que l’on retrouve dans la tracklist puisque Congo Bill est présent sur la grosse majorité des productions, sur lesquelles on peut aussi retrouver Flem qui gère lui le mix, le mastering étant laissé en grande partie aux soins de Jee Van Cleef. Le flow est tranchant et varié. Norsacce lâche ses phases par salves, les intonations finales sont souvent puissantes et suivies de silence, parfois ponctués d’adlibs, laissant de petits temps de digestion avant que la cartouche suivante flambe. Rayon refrains, le rappeur du 667 est loin d’être en reste et nombre de morceaux sont ponctués d’enchaînements entêtants qui trouvent le bon équilibre entre l’aspect répétitif propre à la trap et à la drill et quelque chose de plus écrit. Dans la pure tradition de son clan, Norsacce évoque les grands thèmes qui leur sont propres : l’aspect communautaire de la « secte » ou le complot, ponctuant le tout d’égotrip agressifs dans une ambiance marécageuse qui flirte parfois avec le morbide. Il n’en est pas à son premier coup d’essai, mais nul doute que le marathonien signe ici l’une de ses œuvres les plus abouties.

Olivier

L ‘album : Souffrance – Tranche de vie

Souffrance nous avait prévenus en en interview : « Tout le monde m’a dit « vingt titres c’est beaucoup ». Je m’en foutais, je voulais envoyer un gros pavé d’enculé dans la vitre. » Force est de constater qu’il a tenu parole, avec un album dense, technique à souhait, sans déchets, cohérent du premier au dernier titre, avec un seum et un supplément d’âme qui ont tendance à faire défaut à la scène rap indé de ces dernières années.

Le son : « Pégase »

Non, ce n’est toujours pas le retour de Kaaris d‘Or Noir et de ses punchlines d’une sauvagerie inouïe sourire en coin. Ni le retour des productions oppressantes de Therapy (93) du début des années 10. Cependant, la réédition de 2.7.0. a démontré qu’il existe toujours une alchimie entre les deux artistes, et que même si elle est d’une autre nature, l’intensité contenue dans leurs morceaux communs est toujours au rendez-vous.

Le beatmaker : Skread

Peut-être le seul beatmaker qui place des prods sur des classiques du rap français sans discontinuer depuis presque deux décennies. Malgré ce statut il est encore capable de se mettre au service de son pote de toujours pour lui livrer une vision, des idées, et un support musical qui puissent sublimer ses textes et ses concepts. Sur le rouleau-compresseur Civilisation d’Orelsan, difficile de ne pas saluer le travail de Skread, on pense notamment à « L’odeur de l’essence » ou « Manifeste ».

Le couplet : Le Rat Luciano sur la trilogie « Reda »

Qu’on aime ou pas le rap de Lacrim, il est difficile de nier que la trilogie « Reda », présente sur son nouvel album Persona non grata, est objectivement bien construite. L’enchaînement de ce storytelling, constitué d’un solo, puis d’un morceau en duo, pour finir sur un track collectif dans lequel chaque rappeur joue un rôle au service du récit, n’est d’ailleurs pas sans rappeler la fameuse trilogie de Tandem. Lacrim y incarne bien son personnage de fin connaisseur des lois de la calle, et son duo avec Mister You dans la deuxième partie résonne directement avec leurs retrouvailles sur disque, préfigurées sur le Classico Organisé de Jul. Mais s’il y a bien un couplet marquant dans cet ensemble c’est celui du Rat Luciano. Tout d’abord pour sa qualité intrinsèque, entre allitérations et rimes courtes, une interprétation impeccable, et une dose de charisme en adéquation avec son personnage. De fait, le choix de son rôle, celui d’un personnage doté d’une autorité certaine dans la rue, n’est pas sans rappeler la crédibilité et la reconnaissance dont peut se targuer le rappeur du Panier dans le milieu. En huit mesures seulement, Le Rat s’illustre non seulement musicalement, mais confère, si besoin était, une légitimité supplémentaire à la trilogie. Il ne manque plus qu’un clip (ou un court-métrage ?) à la hauteur de l’ensemble pour illustrer le tout, et finir de marquer les esprits. Espérons qu’on y aura droit en 2022.

L’oubli : Preach Drill de Cinco

Malgré cinq volumes de ses mixtapes Told Y’all, ainsi que The North Doesn’t Forget, puis l’excellente Preach Drill parue en juillet, des featurings avec des rappeurs aussi bien underground qu’en rotation sur Skyrock, un freestyle « Booska Preach » et une participation à Rap Jeu, ce n’est qu’en septembre que j’ai remarqué Cinco sur l’album de Josué, sur l’excellent « TP ». Le temps de creuser, et l’étendue de son talent s’impose peu à peu : connu pour son goût pour le mumble rap, il est aussi à l’aise sur de la drill, de la trap sous autotune (dont il n’a pas vraiment besoin) ou des couplets de pur rap. Son grain de voix tendant parfois vers la baby voice (que l’on retrouve parfois dans un registre moins street et plus émo chez la jeune garde) et sa facilité déconcertante à dénicher des mélodies et des flows imparables en toutes circonstances font de lui un rappeur à part, potentiellement promis à de grandes chose, même si le talent et la bonne musique ne suffisent malheureusement pas toujours à toucher le plus grand nombre. En attendant un véritable album de la part du rappeur de Choisy Le Roi, nous vous recommandons Preach Drill, et plus particulièrement les titres « Booska Preach » et « Personnellement », ainsi que ses nombreux couplets en featuring placés tout au long de l’année 2021.

Chafik

L’album : Joe Lucazz & Eloquence – Codex Gigas

Les albums collaboratifs ont quelque chose d’excitant, de rafraichissant, deux artistes (ou plus) se joignant pour un projet, fruit d’une amitié et/ou d’un délire artistique commun. Si les références sont bien sur Ol’Kainry & Dany Dan, il semblerait qu’un autre duo soit en train de s’affirmer, en l’occurrence Joe Lucazz & Eloquence. On avait déjà beaucoup aimé le volume 1 L’enfer ou l’eau chaude, sorti en 2019, et les deux bougres ont enchainé cette année avec Codex Gigas. Au menu, toujours cette complémentarité, notamment vocale, un univers haut en couleurs, très imagé, cinématographique, d’inspiration ricaine, sur la vie de G. Eloquence & Joe ne s’adressent pas à tout le monde, leur jargon est obscur pour beaucoup, leurs références ne vont parler qu’à des initiés, à une communauté et nous rappellent comme le disait Lino que le rap est et doit demeurer une musique spé. On aime leur phrasé, débarrassé de pronoms, d’articles, cette économie de mots afin de toucher plus rapidement leur cible, avec leur nonchalance si caractéristique. Difficile de citer un titre plutôt qu’un autre, l’écoute de l’album se fait track par track, la cohérence étant évidente, la suite logique, d’autant plus avec les débuts ou fins de morceaux assurés par des extraits de films. On pourrait néanmoins évoquer « Bail any means » et sa prod sans beat, le feat avec Grems (très en forme d’ailleurs et qui s’est aussi chargé brillamment de la pochette), les solos respectifs de Eloquence (« Film alimentaire ») et J.O.E (« 3ème œil » et son deuxième couplet anthologique), sans parler de « Boomrang », « Quintana », « Corrado Soprano »… On se réjouit qu’un volume 3 arrive !

Le son : SCH – « Marché Noir »

Loin d’être un fan de SCH, de son personnage, de ses albums, « Marché noir » est néanmoins instantanément devenu le titre de l’année à mes yeux. La flûte envoutante, l’interprétation tranchante, l’absence de refrain, les phases marquantes (« le crime paie, j’suis aveuglé, j’le vois à travers l’abat-jour » ; « les espèces sentent le Vanish »…) ont fait que j’ai réécouté ce morceau des dizaines et dizaines de fois (à chaque fois que me venait l’envie de l’écouter). Surtout, il permet de distinguer davantage Julien Schneider derrière la star du rap game. En vrai de vrai.

Le beatmaker : Skeez’Up

Si Sameer Ahmad a certainement réalisé l’album de l’année, il le doit à son talent mais aussi à son acolyte attitré depuis maintenant plusieurs saisons, Skeez’Up qui lui fournit l’écrin à son groove urbain. Chaleureuses, percutantes, profondes, intemporelles, les prods font mouche, restent en tête et nous font voyager. Un travail d’orfèvre à apprécier à sa juste valeur.

Le couplet : Benjamin Epps sur « Goom« 

Benjamin Epps a goomé le rap français en 2021. Après s’être révélé en décembre 2020 avec son EP Le Futur, nombreux étaient les curieux à le guetter afin de voir ce que le jeune avait dans le ventre. Et l’année qui se clôt a clairement été la sienne, le Gabonais fermait des bouches et faisait bouger les têtes sur son EP Fantôme avec chauffeur, mais aussi sur des featurings montrant qu’il avait clairement franchi des paliers (avec Vladimir Cauchemar, Dinos, Sam’s, mais aussi Zesau, 404Billy et Selah Sue). Sur « Goom », son deuxième couplet est tout simplement magistral, impossible de ne pas saluer la démonstration technique, le dédoublement de rimes, les placements, ainsi que la sortie qui se veut comme une évidence (« si je dis : j’suis le meilleur rappeur de France, tu peux pas l’nier »). Les jaloux ont maigri.

L’oubli : LTA

Regrettant de ne pas en avoir parlé dans nos colonnes cette année, l’occasion était trop belle de se rattraper en plaçant LTA dans cette catégorie. Il est vrai que le lascar évolue en marge du game, rejette une grande partie de ses codes actuels, n’a sorti qu’un clip ces derniers mois (comme un doigt d’honneur au fait que la musique se regarde plus qu’elle ne s’écoute). Pourtant, sans être dans la lumière, l’ombre de LTA a plané sur le rap en 2021, lui a qui a sorti pas moins de six EP en 12 mois ! Cette productivité impressionnante et surprenante est digne d’un jeune loup qui a les canines qui rayent le bitume. Authentique, fier d’être un old timer qui pratique le boom bap, le bougre est hardcore comme pas deux et tape sur tout ce qui bouge : les rappeurs multisyllabiques, l’industrie, le public, la France, l’Occident, mais aussi toi et moi (un peu comme L’Argent De La Drogue d’ailleurs). Pour déverser sa bile, LTA a donc trouvé sa formule secrète : des EP d’une dizaine de minutes, de 5 titres chacun, avec des morceaux très courts d’un seul couplet et un visuel marquant. Mais surtout, c’est le contenu sous pression qui est cool et radical. Jamais dans la tendance, toujours dans la bonne direction, tout en étant terriblement efficace avec cette maîtrise et cette interprétation si singulières, le mafieux africain est d’un nihilisme glaçant, ne laisse entrevoir aucune touche d’espoir de meilleurs lendemains, le présent étant à chier, l’avenir à vomir. Pas besoin d’être accompagné dans ce drive by, LTA est sa propre poutre, il se soutient seul, rien à foutre pour lui de faire des feats (même si on aurait pu imaginer La Hyène ou Despo cracher leur haine non pas de la mère patrie mais de la dame nation avec lui). Pourtant, comment ne pas voir entre les coups de griffe et les molards de LTA, une déclaration d’amour aux nineties, à sa jeunesse, au rap et au hip hop ?

Clément

L’album : Bohemian Club – Moloko +

Difficile de décrire avec les bons mots les projets du Bohemian Club. Mais quand le titre du projet a pour référence ce bon vieux Stanley, qu’il est produit par Yabu et GooMar et que le seul featuring de la tracklist est monsieur Limsa D’aulnay, et bien forcément j’écoute en boucle, tout simplement.

Le son : La Fève – « Mauvais payeur« 

Ressemblant fortement à un freestyle avec son unique couplet encadré d’un refrain ultra entêtant , « Mauvais payeur » est une véritable démonstration de la qualité d’écriture de La Fève. Puissant, technique, le morceau se déguste comme un délicieux nectar ou de l’ambroisie. La plupart des phases font carrément mouche (« première scène c’est salle pleine, sale c’est ça l’thème, ma chérie c’est ça qu’taimes » ou encore l’enchaînement « featuring / figurine / enfui du ring »), le tout porté par une prod mielleuse et qui parle forcément à un geek comme moi, puisque le sample est tiré de l’incroyable OST du tout aussi incroyable Hollow Knight. Masterclass.

Le beatmaker : Katrina Squad

Cette année, beaucoup de beatmakers auraient eu leur place ici et je suis ravi de voir bon nombre d’entre eux dans les paragraphes au-dessus et en dessous des miens. Personnellement j’ai jeté mon dévolu sur le Katrina Squad, Toulouse oblige et forcément, SCH oblige. Les productions de l’album JVLIVS II sont d’une précision rare et les compositions des quatre lurons de la ville rose (et alentours, coucou Muret) atteignent une certaine perfection. L’orchestration, les mélodies, l’instrumentalisation : à ce niveau là c’est pratiquement plus de la prod mais de l’orfèvrerie.  

Le couplet : Freeze Corleone sur « Mannschaft »

Autrefois très discret, l’année 2020 et donc 2021 a vu pléthore de featurings du côté de Freeze Corleone. Ici une collaboration avec SCH sur son JVLVS II avec le morceau « Mannschaft » et sa prod hypnotisante signée Katrina Squad. Le couplet de Freeze vient conclure un morceau déjà de très bonne facture avec des références multiples qu’on peut désormais qualifier de « corleonienne » : le film V pour Vendetta, le jeu vidéo Def Jam Vendetta, le dessin animé Courage, le chien froussard ou encore l’univers du ballon rond. Un feat qu’on n’aurait pas forcément imaginé mais qui montre le shine de Freeze depuis sa Menace Fantôme.

L’oubli : M le Maudit – « 3ème étage »

M le maudit porte bien son blase. L’ultra productif MC de la 75e Session et des Tontons Flingueurs a sorti le projet Poème Poison, un recueil de tracks un poil hétérogène mais dont les fulgurances raviront les poètes comme les G’s. Mention spéciale pour la fragilité du morceau « 3ème étage ».

Antoine

L’album : Peet – Mignon

On pourrait prendre ce choix comme une forme d’insistance sur une chronique déjà parue. Il n’en est rien. Le premier album de Peet a été une vraie bonne surprise, puis finalement l’un des projets les plus agréables à réécouter, juste pour quelques titres ou parfois pour l’album en entier. Ses atmosphères changeantes, son écriture mi-intime mi-festive, ses prods vaporeuses s’avèrent attachantes et réconfortantes, là quand on a besoin de se retrouver. Mignon n’est pas nécessairement le « meilleur » album de rap de 2021 mais il est l’un des plus plaisants et aboutis, comme le sont aussi Avant la nuit de L’Or Du Commun et Neptune Terminus de Youssoupha.

Le son : Ichon – « La vie »

L’un des tout meilleurs sons rap de l’année sera donc sorti dès le 7 janvier. En partenariat avec la chaîne Youtube prescriptrice Colors, « La vie » est le titre qui porte le mieux son nom en 2021. Sur une prod du duo Dabeull & Sofiane Pamart, arrangée par PH Trigano, Ichon se libère et libère un groove imparable, instantanément entraînant et tellement libérateur en cette deuxième année d’épidémie mondiale consécutive. L’envie de danser, de chanter et plus encore de positiver contamine chaque auditeur qui se le prend. Imparable. Mention au passage pour l’album Encore + pour de vrai ainsi que l’autre duo sorti en toute fin d’année avec Dabeull & Sofiane Pamart, La vie en rose.

Le beatmaker : Herman Shank

Que ce soit avec Lpee, avec Chanje, pour le feat décalé de Hyacinthe avec Spider Zed ou avec la jeune chanteuse Marilou Filoni, Herman Shank a délivré des prods vraiment intéressantes, aussi variées que les artistes avec lesquels il a collaboré cette année. Kickage trap, boombap moderne, instru purement rap français et même prod avec mandoline (!), sa palette est large et rend de fait sa griffe insaisissable. Producteur à suivre de près en 2022.

Le couplet : Vîrus – « Avec des si »

Toujours aussi exceptionnelle, sarcastique et tranchante, la plume de Vîrus s’est une nouvelle fois faite rare en 2021. Mais le peu qu’elle a couché sur papier ou sur smartphone, s’est converti aussitôt dans l’enceinte de l’auditeur en nectar ultra précieux. A l’image de son featuring sur le premier album de Deadi; son jeu époustouflant avec les assonances en “di”, ses néologismes à la pelle et ses photographies superposées défilent et font le spectacle comme personne d’autre ne sait le faire. Fidèle à l’univers traditionnel du rap français, elle n’est peut-être pas tout terrain mais elle sait se confronter à d’autres MC’s confirmés et s’adapter à de nouveaux beatmakers lorsque Banane leur laisse la place. Le titre solo de Vîrus sur la nouvelle compilation All Star Game de Mani Deïz se classe aussi, comme une évidence, parmi les bijoux les plus brillants des 365 derniers jours. Heureusement que les plateformes de streaming mettent à disposition la fonction “repeat”. On en redemande toujours plus pour 2022.

L’oubli : Caballero & Jeanjass – Zushi Boyz 

Plus qu’un simple oubli, c’est une sortie « cadeau de fin d’année » qu’ont donné Caballero & Jeanjass, le duo le plus emblématique du rap en Belgique, à leurs plus chers fans. Plus qu’une sortie cadeau, Zushi Boyz est probablement ce qui constitue le point culminant de leur carrière, appuyant un peu plus sur le point névralgique du regret des aficionados dont nous faisons partie, et qui avons tant été déçus par les trajectoires musicales des deux compères au fil des années, devenus des poids lourds du game en allégeant leurs plumes. Zushi Boyz est un régal absolu, du très gros rap riche en images, en punchlines et en prods 90 BPM. Zushi Boyz n’est disponible qu’en vinyle, même si de nombreux fans se chargeront de le rendre disponible sur le net dans les prochains jours. Pourvu que Zushi Boyz ne soit pas qu’un événement à part, mais redonne envie à ses auteurs de continuer à croiser le fer dans la catégorie des plumes lourdes, celle qui leur va le mieux.

Sarah

L’ album : SCH – JVLIVS II

Assis sur un classieux fauteuil de velours rouge dans ce qu’on devine être un studio d’enregistrement, un petit sourire au coin des lèvres à mi-chemin entre l’arrogance et la modestie, SCH tient son nouveau disque de platine entre de longues mains décidément faites pour l’or. La photo est fugace et ne restera pas longtemps sur les réseaux, mais elle marque les rétines tant elle est parlante, illustration vraie du succès fulgurant du cinquième album de SCH, certifié double platine seulement sept mois après sa sortie. Jiveelleiveesse, tome 2, c’est l’album concept par excellence. L’ambiance, les textes, les interludes, une vingtaine de titres, une heure d’immersion dans l’univers quadrillé d’un des plus hauts lieux communs du rap français. Une plongée dans un grand banditisme fantasmé, apnée dans le cœur serré d’un loup en mal d’amour que l’exercice du crime a rendu solitaire. Aux manettes des prods, du très beau monde, qui travaille avec habileté, chacun dans son style pour créer un écrin cohérent dans lequel l’auditeur se love pour écouter une histoire fascinante. De gros tubes sont sortis de cet opus, de nombreux sont déjà certifiés or sinon platine – dont certains figurent d’ailleurs dans les bilans de l’équipe. Et comment, de toutes façons, passer à côté d’un « Marché noir » ? D’un « Crack » ?  Et des deux featurings (avec Jul, avec Freeze Corleone) qui ont fait exploser les compteurs de streams et figurent parmi les meilleurs titres de l’année ? La montée en puissance de SCH ces dernières années a été des plus impressionnantes et JVLIVS II s’est posé en début de 2022 au point culminant de l’ascension. On espère de tout cœur qu’il restera longtemps au sommet car c’est de là qu’il envoie les plus jolies cartes postales.

Le son : Sopico – « Slide« 

Gros retour de Sopico en fin d’année après de longs mois d’acoustiques et de one offs. Un retour marqué par un album très agréable, ponctué par les accords mi-tendres / mi-violents de la guitare du parisien. Contrastant avec le reste de l’album par sa force de frappe, « Slide », deuxième titre de l’opus avait immédiatement trouvé le chemin de notre sélection du mois d’octobre, tant le beat têtu et entêtant avait giflé nos écouteurs. A l’image de cette année, toute en douces retrouvailles et déchirantes restrictions, « Slide » s’est finalement imposé comme un mantra, la bande son qui a accompagné l’épuisante fin de 2021 et nous tiendra la main pour accueillir 2022, de pied ferme.

Le beatmaker : Guilty (KatrinaSquad)

Ce ne sera pas la première année qu’on fera figurer Guilty et derrière lui, plus généralement toute l’équipe Katrina Squad, dans nos sélections des artistes qui auront fait une année. Comment passer à côté des Toulousains quand ils ont été aux manettes des plus gros titres du JVLIVS 2 de SCH et des plus jolis passages de l’album de Zikxo, notamment ? Année après année, ils distillent savamment leurs boulets de canon, imparables, qui éclatent tout sur leur passage. Si c’était encore à démontrer, le KS s’est encore affirmé en 2021 comme une signature gage de succès.

Le couplet : Deadi sur « Folie« 

Définitivement sorti de sa carapace, Deadi a régalé cette année un public qui ne s’attendait pas à moins. Avec un premier album, Tout va, sorti en mars, il a su envoyer une belle démonstration de son potentiel, affirmant son style unique et surtout sa patte, son écriture ultra riche. Collés à la milliseconde à la prod incroyablement pertinente de Nizi (on y voit les bases de la collaboration qui fera naitre Calcium quelques mois plus tard) les mots du premier couplet de « Folie » sont parfaitement pesés pour fonctionner entre eux et pour sublimer le flow du Francilien, lui-même impeccablement soutenu par le beat grave, les silences et les accords de ritournelle grinçante de la prod. L’alchimie est parfaite, le couplet de tout juste vingt secondes, posé après un refrain déjà bien puissant, met simplement sur les genoux.

L’ oubli : MHD – Mansa

En trois lettres. MHD. Après une absence prolongée des nouveautés poussées par les plateformes de stream, ennuis judiciaires obligent, on a presque pris l’habitude de ne plus parler du jeune parisien. Pourtant, l’été dernier, le petit prince de l’auto-proclamée Afrotrap a sorti Mansa, un album qui aurait dû faire couler beaucoup plus d’encre et aurait dû attirer plus d’attention que l’intérêt qu’il a pu susciter, davantage généré par le voyeurisme du fait divers que par une analyse de la musique, d’ailleurs. Alors oui, la partie 11 de ses Afro Trap tapera très bientôt ses 50 millions de vues et a été certifié platine sans surprise, tandis que « Pololo » a suffisamment tourné cet été pour décrocher l’or sans trop d’effort. Pourtant, au-delà de ces têtes d’affiches formatées pour les succès estivaux, l’album propose une homogénéité et une évolution musicale assez exceptionnelle. À cheval entre la douceur taxée guilty pleasure et la grosse claque rapologique qu’on n’avait pas vu venir, MHD approche, séduit, convainc et emballe avec un naturel qui démontre une maturité indéniable. Le bonhomme connait son affaire. Ces 16 titres, c’est lui, c’est ce qu’il est, c’est tout ce qu’il aime. Ce qui le fait vibrer nous émeut, ce qui le fait rapper nous fait bouger la tête, ce qui le touche nous file des claques. Le choix des prods, les featurings, se sont fait loin du tapage, sonnent justes, sont diablement efficaces, traduisant simplement l’état d’esprit d’un jeune homme bercé par une musique qui le maintient à flots dans la tempête. Pour nous, surement le meilleur opus de MHD jusqu’à maintenant. Petit prince devenu Mansa, alors ? Attention, nous savons tous que les trônes sont instables. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que cette année, il n’a pas volé le siège sur lequel il s’est -confortablement- assis.

Jordi

L’album : Benjamin Epps – Fantôme avec chauffeur

En décembre dernier sortait le premier projet de Benjamin Epps intitulé Le futur. Celui-ci fit l’effet d’une bombe. Dans un rap français de plus en plus aseptisé et tourné vers les nouvelles sonorités, le natif de Libreville prit tout le monde à contre-pied en misant sur une formule qui marqua au fer rouge les années 90’. Quelques mois plus tard, il publia son second projet Fantôme avec chauffeur en collaboration avec le beatmaker Le Chroniqueur Sale. Tous les espoirs placés en lui furent immédiatement confirmés. Dès la première phase de cet opus, Eppsito donne le la : « Booba a sorti le dernier album, ça y est maintenant je peux prendre le trône ». Il excelle dans l’art de la punchline insolente plaçant la notion de compétition au centre de son art. Il fait également preuve d’une aisance technique hors du commun, comme en témoigne  notamment le deuxième couplet du morceau «Goom ». Tout au long de Fantôme avec chauffeur, les mots glissent avec aisance et une fausse nonchalance. Les placements sont variés, les références sont nombreuses. Les images fusent comme au cinéma. Benjamin Epps fait aussi preuve de sensibilité sur le titre « Dieu bénisse les enfants » qui demeure un des instants phares du projet. Sur une boucle mélodieuse accompagnée de drums déjà samplés par Kendrick Lamar, le rappeur du quartier Bellevue nous offre une délicate ôde à la jeunesse pleine d’espérance. Rares sont les artistes à avoir publié deux premiers EP d’une telle qualité. En espérant que son premier long format soit dans la même lignée.

Le son : Souffrance – « Simba »

En quelques mois, la carrière de Souffrance a pris un sacré virage. Le membre du groupe L’Uzine a décidé de faire des concessions afin de se consacrer pleinement au rap. En avril, un passage très remarqué dans le planète rap de 7 Jaws lui aura permis de faire la promotion de son album de la plus belle des manières.Tranche de vie aurait eu sa place dans ma catégorie album 2021, tant celui-ci regorge de pépites comme « Étoiles filantes », « Racialiste » ou encore « Bicraveur blues ». Malgré cela, « Simba » reste selon moi le chef d’oeuvre du projet et mérite d’être particulièrement mis en lumière. Dans ce titre, le Montreuillois retrace son parcours personnel de ces dernières années. Il aurait pu être le morceau éponyme de l’album tant il semble représentatif de son univers. Entre spleen, galère et bicrave mais aussi soif de réussite à travers notamment l’egotrip, il raconte la rue comme peu ont su le faire par le passé. L’écriture est précise, concise, franche, sans artifice. La voix à la fois posée et tranchante. L’ensemble rappelle le Booba de l’époque Lunatic. Le choix de la production n’est pas anodin. Le sample de pop de Permafrost apporte une touche de chaleur au morceau et l’arrivée progressive des percussions une certaine émotion. Les scratchs de Soul Intellect sur des classiques de La Cliqua, Tandem ou Nubi en fin de chanson sont de véritables clins d’oeil à l’âge d’or du rap français dont Souffrance semble être aujourd’hui l’un des dignes successeurs.

Le beatmaker : Mani Deïz

Si 2020 avait été prolifique pour Mani Deïz, 2021 n’est pas en reste. Il aura fallu être patient pour profiter en cette fin d’année de Terrain Miné de Swift Guad et Ol Zico entièrement produit par ses soins. Son double album All Star Game paru il y a à peine quelques jours se veut être un projet fédérateur rassemblant une grande partie de la scène rap indé. Les années passent et Mani fait toujours preuve de persévérence et de talent.

Le couplet : Ron Brice sur « Les premiers, les derniers »

« Les premiers, les derniers » est un morceau extrait de l’album Q.L.A.S.S d’Hemo. Sur ce titre, les deux rappeurs de 12 Monkeys nous délectent de rimes minutieusement travaillées et d’images fortes. Le couplet de Ron Brice atteint des sommets et démontre une nouvelle fois qu’il mériterait une plus grande exposition.

L’oubli : Sofiane – La direction

Le sixième album de FIanso aurait sans doute mérité d’apparaitre dans nos colonnes. Des morceaux comme « Zidane », « American Airlines » ou « Attrape-moi si tu peux » sont la preuve qu’après tant d’années, il demeure toujours un performeur hors pair. Mention spéciale au titre « Windsor », clippé chez Colors, dans lequel il apparaît déterminé et ambitieux comme au premier jour.

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