Akhenaton – De la face B à Astéroïde, l’entretien « 10 Bons Sons »

A la fin de notre interview d’IAM pour la sortie de leur album Yasuke en novembre dernier, nous avions proposé à Akhenaton de nous revoir afin de réaliser une interview « 10 Bons Sons ». Courtois, il avait accepté mais nous avait renvoyés vers son attachée de presse, qui nous a signifié que la préparation puis la tournée Rap Warrior allait occuper Chill pour plusieurs mois. A l’image de Sako dans son morceau « 18 décembre 1997 », nous nous disions que « les stars qui ont de la mémoire sont rares ». Un Covid et un confinement plus tard, c’est Chill qui nous accueille dans les studios de La Cosca pour cette interview durant laquelle il a été une nouvelle fois très bavard, le jeu des questions réponses nous amenant à échanger avec lui deux fois plus longtemps que la durée prévue par l’attachée de presse. En dépit de la difficulté de ne sélectionner que dix morceaux de la discographie d’Akhenaton, nous sommes revenus sur ses débuts à New-York, sa jeunesse, ses albums solos, son rapport au groupe, le choix des samples, l’art du storytelling, Le Rat Luciano, Salif, les critiques dont il a fait l’objet, l’école du 06, Comme un AimantConte de la Frustration, Veust, Astéroïde, ses futurs projets ainsi que son regard sur la crise sanitaire actuelle.

Propos recueillis par Chafik et Olivier

Photos : G. Hadouch

Avant de commencer, choisir dix morceaux de ta discographie s’est avéré très compliqué…

Même moi, quand on me demande quels sont mes morceaux préférés, mes réponses changent selon les moments. C’est une question de mood. Ça part dans tellement de directions différentes… Des fois on me dit : « Tu te rappelles de celui-là ? » Et c’est souvent non. J’ai en tête les cinquante que je répète, mais je ne peux pas me souvenir de tous les autres.

Juste avant de commencer avec le premier morceau, on va tricher un peu et te demander un mot sur ta première apparition sur disque, qui ne s’est pas faite ici mais aux Etats-Unis, « This is the B side » en 1988.

En fait j’ai une apparition simultanée sur « This is the ‘B’ side » en 1988 avec Choice M.C., produit par Chubb Rock et Todd Terry, et sur l’album de MC Sergio en tant que beatmaker, sur un morceau qui s’appelle « The journalist ». Ce que les gens ne comprennent pas souvent, c’est que je suis autant beatmaker que rappeur à la base. A la limite j’ai plus un caractère de beatmaker que de rappeur à la base. D’ailleurs, le premier contrat que je signe en tant qu’artiste au début, c’est un contrat de beatmaker pour une filiale de Rush, pour laquelle je faisais des sons pour des rappeurs américains.

Tu as continué à utiliser l’expression « la face B » tout au long de ta carrière, que ce soit sur morceau, ou pour intituler ton livre. Est-ce lié à ce premier couplet sur disque ?

En fait je me suis retrouvé sur ce disque par hasard parce que je n’étais pas du tout parti pour être présent sur ce morceau. Je l’ai raconté plusieurs fois, mais j’étais en pyjama dans le studio, qui était au sous-sol de là où je vivais. On y descendait tous les jours, et je voyais tout le monde enregistrer. Ce jour-là un des rappeurs de Choice M.C. galérait sur un couplet, et pour rigoler l’ingénieur a dit : « Vas-y, montre-leur comment tu poses en français ». J’ai fait un couplet que je connaissais par cœur en one shot, et ils étaient comme des fous. Chubb Rock et tous les autres m’ont dit : « On le garde, c’est un couplet en français, ça n’a jamais été fait ! » Voilà, c’est un heureux hasard, si je m’étais levé une heure et demi plus tard et que je n’avais pas été là à la session du matin, je n’aurais pas posé. Après j’ai continué à utiliser le terme en référence à ce morceau oui, puisque c’est mon premier couplet sur un morceau qui sort de manière officielle. Tous les autres morceaux avec IAM étaient des maquettes à l’époque, rien d’officiel.

1 – IAM – « L’aimant » (Ombre est lumière – 1993)

« L’aimant ». Pour moi c’est un des morceaux les plus importants parce qu’il faisait partie de mon style de vie de l’époque. En même temps que j’ai écrit le morceau, on a eu l’idée avec Kamel Saleh, qui est un ami très proche, d’écrire le film. Dans le morceau j’ai volontairement fait sortir ce qu’on décrivait dans le film. J’ai mis du personnel dans le morceau, et des témoignages d’un ami à moi qui est très présent dans ce titre-là. C’est un constat qui se fait encore aujourd’hui, qui part du fait que tu as beau faire des tas de choses, essayer de te hisser par divers moyen, le quartier et sa mentalité vont toujours te rattraper. C’est valable pour nous en France, mais aussi aux Etats Unis, il suffit de regarder ce qui est arrivé à Pop Smoke. Tous ses problèmes l’ont suivi, y compris dans son succès et sa musique. Ce n’est pas que dans le rap, puisque même dans le football, on voit des fois des footballers rattrapés par des trucs liés à leurs amis d’enfance ou leurs origines géographiques. On a voulu mettre ce morceau solo dans Ombre est lumière, mais il aurait pu être dans Métèque et mat. Ce genre de morceau, comme « Où sont les roses ? » ou « Le soldat », étaient les prémices de Métèque et mat, avec beaucoup de storytelling. J’aime bien construire les histoires, et amener quelque chose de cinématographique. « L’aimant » était un des premiers morceaux où tu sentais comme une caméra à l’épaule, à la manière d’un reportage photo. Je tenais à ce qu’on voit les images du morceau. Et puis il y a du personnel dedans.

C’est un des premiers morceaux sur la rue, si ce n’est le premier. Est-ce que tu avais conscience de ça quand tu l’as écrit ?

Des fois il ne faut pas se fier aux dates où les morceaux sortent. Certains sont écrits en amont. Par exemple « Le Mia » a été écrit en 1990, « Elle donne son corps avant son nom » aussi, alors qu’il ne sort qu’en 1997. Donc il y a des morceaux qui sont très vieux. « Elle donne son corps avant son nom » date de l’époque de Concept, il aurait pu être dedans ! Je me rappelle même le jour où je l’ai écrit, j’avais un pote qui avait dormi à la maison, on avait rigolé ! « L’aimant » c’est pareil, c’est un morceau un peu plus vieux. Il correspondait plus à mon quotidien, et au style de vie que j’avais tous les jours. On avait une vie sans aucune responsabilité, pas d’argent, pas de travail, et une passion, la musique. Au milieu de tout ça, on avait une vie nocturne dans le centre-ville de Marseille. Les années 1980 étaient très spéciales, c’était un endroit très tendu, beaucoup plus qu’aujourd’hui. Ce morceau correspondait à mon life style, j’ai voulu raconter ces choses-là, mais je n’avais pas conscience que dans le rap ça ne se faisait pas en France, puisque j’écoutais du rap américain et que ça se faisait déjà. Pour moi j’étais dans la continuité du rap américain.

Je l’explique à beaucoup de gens, mais ce n’est pas du snobisme, c’est juste que j’ai commencé à écouter du rap en 1981 et que j’étais bilingue. Quand j’écoute du rap américain je comprends les paroles, donc le rap français qui est arrivé en masse en 1996, 1997 et 1998 avec l’explosion de beaucoup de groupes, ça m’a moins parlé parce que je n’écoutais que du rap américain, et c’est encore le cas aujourd’hui. Ma culture rap français est pauvre. Imagine, si tu aimes le basket, que tu grandis à une époque où il n’y a que la NBA, et qu’à cette époque-là le basket français n’est qu’amateur. Tu te focalises logiquement sur une seule ligue. Imagine qu’on te demande de changer seize ans après… Ce n’est pas possible.

2 – Akhenaton – « La Cosca » (Album Métèque et mat, 1995)

(Le temps que le morceau se lance) C’est bien de parler de musique. (sourire) « La Cosca » ! C’est marrant, vous avez choisi deux story tellings. C’est un morceau de fiction sur le basculement de la nature de la mafia en Sicile et l’avènement de la nouvelle génération, que j’ai choisi de traiter à une époque où le thème était un peu moins répandu. Ce basculement était aussi valable à Naples avec la Camora, il a engendré de grosses guerres. Pour moi c’est plus de l’ordre du témoignage social qu’autre chose. Je ne fais pas un blocage sur l’imagerie de la mafia. De fait il y a plusieurs mafias, il y en a même qui ne vont pas en prison ! On le voit en ce moment, j’ai l’impression d’assister au plus grand braquage de l’humanité, sous les yeux de tout le monde, avec des gens qui ne risquent absolument rien parce qu’ils ont l’arme absolue qu’est la peur. Quand tu as la loi, la science et la peur avec toi, tu fais ce que tu veux.

J’avais choisi de traiter ça parce que culturellement c’est des histoires que j’ai connues dès mon enfance, moins sur la mafia sicilienne que napolitaine. Je voulais faire un morceau comme un film. J’ai grandi avec la trilogie du Parrain, qui est un monument pour moi, ainsi que d’autres films qui parlaient de l’histoire de la mafia. Je voulais faire un morceau qui était comme un film. Beaucoup de gens qui écoutent ce morceau me disent qu’on voyage, et qu’on y voit les paysages, les lieux… Pour moi le rap c’est un truc extraordinaire de par la masse de paroles, beaucoup plus grande que dans la chanson par exemple. C’est magique, on peut arriver à prendre la personne, à l’emmener et la faire voyager. Dans « Un brin de haine » par exemple, tu suis l’histoire caméra à l’épaule. Ça s’écrit comme un scénario, c’est différent, ça prend plus de temps.

C’est une façon de planter le décor italien et méditerranéen de ton album solo, dès l’intro, dans l’image, mais aussi dans la musique. Les chœurs et l’orchestration présents sur ce morceau sont des choses qu’on ne retrouvait pas avec IAM.

C’est moins présent, même si dans IAM comme dans mes albums solos, il y a toujours eu des héritages de notre tradition musicale, ce qu’on entendait gamins à la maison. J’ai grandi avec la musique napolitaine, mon grand-père qui n’écoutait que ça, et j’ai voulu en mettre dans un morceau. C’était plus délicat à faire avec IAM parce que c’était plus personnel. J’avais voulu le faire avec « Où sont les roses ? » mais là j’ai pu pousser le concept beaucoup plus loin qu’avec IAM. Malgré ça, quand tu écoutes Ombre est lumière, tu retrouves cet héritage avec des samples de musique italienne traditionnelle, arabe, indienne, africaine…Ce sont toutes nos origines qui rejaillissent dans la musique.

Pour le coup, personne ne faisait ça. Tout le monde allait sampler du funk, de la soul, voire du jazz.

C’est pour ça qu’on avait charrié Timbaland à l’époque, et qu’on disait « Quand tu allais on revenait ». (rires) C’est vrai somme toute, parce que Timbaland s’est mis à sampler des musiques arabes et indiennes à la fin des années 90, alors qu’on le faisait déjà depuis la fin des années 80. Le premier morceau d’IAM c’est « Pharaon reviens », et c’est de la musique classique égyptienne. Je pense qu’on y est venu indirectement. On l’a osé aussi parce que notre nom et notre concept étaient égyptiens, à une époque où tout le monde faisait de la soul et de la musique afro-américaine. On s’est dit qu’il nous fallait des musiques à la hauteur de notre concept.

Dans « La Cosca » il y a des instruments aussi ! Il y a de la guimbarde qui est un instrument traditionnel d’Italie du Sud. (Il mime l’instrument) J’ai fait jouer des trucs en live. C’est la première fois, sur cet album, qu’on a vraiment l’utilisation massive de musiciens comme des joueurs de flûte, de guimbarde, de guitare, de basse… On a fait intervenir plus de musiciens que dans De la planète Mars… et Ombre est lumière. C’est quelque chose que je fais énormément maintenant, comme dans Conte de la frustration.

Même dans Revoir un printemps.

Ouais ! Un album pour lequel on nous a dit à l’époque que ce n’était pas bien musicalement. C’est bizarre. Des fois la musique c’est des cycles. Quand on a sorti Revoir un printemps après L’Ecole du Micro d’Argent, on nous a dit que ce n’était pas bien, qu’il n’y avait pas assez Imhotep qui n’avait pas pu être présent à cette époque-là. Suite à Comme un aimant, j’avais décidé de me débarrasser des samples, ça craignait de plus en plus. Bizarrement, quand on me reparle de Revoir un printemps, on me souligne la qualité des prods. C’est bizarre comme des choses ne passent pas à une époque et peuvent passer à d’autres. Je pense que culturellement, les choses ont parfois besoin d’être digérées. Avant j’avais une forme de colère vis-à-vis de ça, maintenant j’ai plus de tolérance parce que tu t’aperçois que la musique c’est des questions d’innovation, mais aussi de timing. Des choses qui ne sont pas bien perçues à un moment peuvent l’être à retardement.

Vous arrivez après L’Ecole du Micro d’Argent, un classique du rap français. La critique sera forcément sévère sur l’album suivant !

Exactement ! Par définition, on ira chercher les angles morts ! Ça avait déjà été un peu le cas dans Sol Invictus, qui contient beaucoup de samples, et qui est plus proche de L’Ecole du Micro d’Argent que Revoir un printemps. J’ai un côté très hip-hop dans IAM que je n’impose pas aux autres. Par exemple mon album We Luv New York (avec Faf Larage, ndlr) est très égotrip, ça ne plaît pas forcément à tous les membres du groupe, mais j’adore ça. Là où Jo va kiffer des battles de krump et de danse, parce qu’il est danseur à la base, moi je vais regarder du battle rap. Ça ne parle pas à la totalité du groupe IAM, mais c’est plutôt ma culture. Dans chaque album d’IAM, on essaie de faire un consensus entre les goûts de tout le monde. C’est compliqué de travailler en groupe ! Mais j’ai eu la chance d’avoir des frangins tolérants qui acceptent des choses qui ne soient pas forcément dans leur culture musicale.

Il n’y a presque plus de groupes dans le rap.

Pour des raisons culturelles. L’individu est mis en avant, et les gens n’arrivent pas à accepter de vivre dans un groupe, c’est compliqué pour eux, alors que tu peux y accomplir des trucs extraordinaires, que tu ne vivras jamais tout seul. Du coup les mecs ramènent sur la route leurs copains qui ne servent à rien sauf voler le mini bar pour recréer le groupe ! (rires) Je rigole mais c’est ça. C’est triste mais c’est comme ça. Tout le monde aime les groupes ! Regarde Sexion d’Assaut, Saïan Supa Crew, Fonky Family, Psy4 de la Rime… Le public adore les collectifs ! Pourquoi ? Parce que la nature humaine aime que des gens se rassemblent pour faire de la musique. Les gens dans le rap, comme dans la variété et toutes les musiques, sont dans la mode des réseaux sociaux, donc dans l’individualisme. Alors qu’ils s’apercevraient que s’ils faisaient des projets collectifs, ils auraient encore plus de succès. Et je sais que chez beaucoup de rappeurs de la nouvelle génération, il y a cette volonté de réinitier des projets collectifs. J’ai entendu parler de plusieurs groupes que je ne citerai pas, ils en parleront eux-mêmes quand ils le décideront.

3 – Akhenaton feat. Le Rat Luciano – « Rien à perdre » (Maxi J’ai pas de face, 1997)

Comment dire ? C’est un morceau très spécial parce qu’il a été écrit et composé à New York. On avait fait venir la Fonky Family pour tourner un clip, au lieu de rester deux jours ils sont restés un mois. On avait du temps à tuer et on était à Sorcerer Studio. J’étais sur le piano, et il me fait écouter le début d’un couplet qui ne s’appelait pas encore « Rien à perdre », mais qui allait en faire partie. J’ai dit au Rat : « Allonge-le, j’écris un couplet et on se fait un truc. » Le morceau a été écrit et composé dans la cabine de voix de Sorcerer. A l’époque le patron était fan d’animaux exotiques, et on a écrit ce morceau au milieu des serpents et des araignées, il y avait des vivariums dans le studio. C’est resté un studio de production et de vidéo. Pour ceux qui aiment les visites, je suis revenu récemment à l’adresse, et j’ai eu le cœur serré, il y a un Green Street à la place en haut. J’ai demandé aux vendeuses de Louis Vuitton de m’emmener au sous-sol mais ça a changé. C’était des vendeuses afro-américaines, je leur ai dit qu’une grande partie de la musique américaine qu’écoutaient leurs parents, que ce soit rock, R’n’B ou rap, avait été écrite dans ce sous-sol. Run DMC, Mobb Deep, tout le monde a fait ses albums là-bas !

Pour revenir au morceau, on l’a enregistré en maquette dans ce studio comme des tas d’autres morceaux tels que « Bad boys de Marseille remix », qui était un morceau de rap américain au départ. Quand le label m’a dit qu’il faudrait faire un single, j’ai profité de la présence de la Fonky et j’ai décidé qu’on allait faire un remix des « Bad boys ». C’était mes potes de New York qui avaient rappé sur la prod, et je l’ai finalement récupérée pour faire le remix. On l’a donc enregistré à New York, et on a tourné le clip dans la foulée. « Rien à perdre » est parti des maquettes de Sorcerer Studio pour se retrouver beaucoup plus tard comme morceau inédit, sur le vinyle de « J’ai pas de face ». Pour les collectionneurs, il y a deux versions de ce vinyle, une avec les instrus, et une sans.

D’ailleurs, en parlant de vinyles, c’est bien qu’on parle de musique, et qu’on dise ces choses-là concrètes. La réédition de L’Ecole du Micro d’Argent a été une des plus grandes ventes de vinyles de ces vingt dernières années, mais c’est né de gamins qui me croisent dans la rue à Paris, rue Saint Sébastien devant un magasin de vinyles, et qui me disent : « Ressortez les vinyles, ils coûtent 450 euros sur internet ! » En même temps, la mafia ukrainienne avait fait des pressages pirates pour financer leur guerre en bois. Ça a mis la pression à Warner, qui s’est enfin décidé à sortir les vinyles de L’Ecole il y a cinq ou six ans. Depuis ils ont tout réédité en vinyles. Comme quoi les fans peuvent avoir un poids, ils m’ont fait réaliser qu’il y avait une demande de réédition de certains vinyles. Et malheureusement le vinyle de « Rien à perdre » n’a jamais été réédité, mais j’espère pouvoir le faire un jour. Je sais qu’au marché noir, il coûte horriblement cher, mais je n’ai pas le pouvoir de le rééditer pour l’instant, parce qu’il n’a pas de référence commerciale. C’est un disque que nous n’avons sorti que pour la scène, donc il n’est pas référencé.

Sur ce morceau il se passe un truc entre vous deux, il y a une osmose, un état d’esprit commun, qui fait que les couplets paraissent interchangeables.

Parce qu’on était ensemble, dans la même pièce. C’est comme ça que j’aime faire mes featurings. Je n’aime pas les featurings à distance, ou avec des gens que je ne connais pas. Souvent, quand on me demande des feats, si je n’ai pas rencontré la personne je demande à ce qu’on se voie, qu’on se rencontre, et si possible d’écrire au même endroit, ou alors d’échanger, de croiser nos trucs, etc. On était dans la même pièce, avec un peu de bouffe, des prises de tête sur les paroles… On l’a écrit ensemble.

Comme pour « L’aimant », ce morceau a été scratché des dizaines et des dizaines de fois.

Je crois que c’est un des morceaux les plus scratchés du rap français ! Et j’autorise ça largement. Je suis capable de faire des guerres à ma maison de disques s’ils font des ennuis aux gens qui scratchent nos paroles. Les DJ et les rappeurs qui ont poursuivi d’autres artistes pour utilisation de leurs voix ont une responsabilité profonde. C’est quelque chose d’insupportable. Ce sont les rappeurs et les DJ qui ont validé le meurtre du scratch. Il faut voir ses propres erreurs des fois, ne pas voir les méchants ailleurs.

Ce n’est pas que « nous contre eux ».

Exactement, c’est aussi « nous contre nous »

4 – Akhenaton – « J’voulais dire » – (B.O. de Comme un aimant, 2000)

C’est vraiment un morceau très important pour moi, avec des parties de moi et de ma vie. C’est aussi une énorme fierté parce qu’énormément de gens du rap, que je ne vais pas citer mais qui sont des plumes reconnues en France, sont venues me dire qu’ils avaient pris une tarte à l’écoute de ce morceau. Je voulais faire un morceau sur la B.O. de Comme un aimant, qui soit comme le film : personnel, avec des images. Quand j’écoute le morceau je revois des choses de mon enfance. Je démarre le morceau par une justification, même si je ne cherchais pas à me justifier en l’écrivant : « A ceux qui m’appellent ‘enculé’ j’voulais dire, la première fois où ma main a touché un mic j’voulais rire. » C’était juste pour dire que j’ai commencé à rapper par plaisir, juste pour le fun et pour m’éclater, pas pour faire des projets qui rapportent des millions. Après je raconte une partie de l’histoire de ma vie parce qu’il y avait un fantasme de banditisme dans le rap, et moi je voulais partager des éléments de mon vécu, des choses vraies. Comme quand je dis : « Les barils plein de moulailla que j’ai vus, c’est pas en écrivant que je les ais trouvés. Ça c’est Chill, 30 ans ». Je me suis retrouvé des fois à compter des liasses de billets dans des barils de lessive dans un sous-sol. J’ai baigné dans cette culture, mais je ne suis pas là-dedans. Pour moi le rap est ma passion, elle m’a sorti d’un tas de mauvais chemins. Je voulais l’écrire dans ce morceau et en faire le témoignage. Ceux qui sont dans le rap savent et comprennent le truc. Quand ils écoutent ça, ou « Mon texte le savon », ils savent très bien. Un jour, Salif, qui est un rappeur que j’aime beaucoup, est venu me voir, et m’a dit qu’il avait compris le morceau.

J’ai aussi des morceaux très complexes, compliqués à comprendre. D’ailleurs dernièrement ma fille m’a dit que je devais aller sur Rap Genius et expliquer le deuxième sens de certains couplets. Par exemple, sur « L’empire du côté obscur » c’est toujours la pop culture qui est mise en avant alors que c’est une métaphore née d’un discours de Mohamed Ali, qui dit que chez l’être humain, tout ce qui est décrit comme mauvais est noir, et tout ce qui est bon est blanc. Si on inversait les choses ce serait peut-être la vérité aussi dans certains cas. Le morceau naît de ça. Très peu de gens comprennent le vrai sens de « Côté obscur ». Il faudrait que je prenne le temps et que j’explique des couplets par ci par là. Pour le coup, « J’voulais dire » est très explicite.

C’est une période où tu enchaînes les projets, les succès solo ou en groupe, pendant laquelle tu prends une nouvelle dimension. En retour tu reçois beaucoup de critiques. On a l’impression que tu t’épanouis artistiquement, mais que tu souffres en même temps. Des morceaux comme celui-ci, « Pousse au milieu des cactus », « C’est ça mon frère » ou « Au quartier » le montrent bien.

« Au quartier » c’est différent, c’est plus des embrouilles. Mais pour les deux autres oui. Comme un aimant est un des rares albums qui est fait avec de l’argent propre, c’est-à-dire « à moi », avec des prêts en banque et ma maison mise en hypothèque, comme pour le premier album des Psy4 et des tas d’autres trucs. J’ai eu la chance dans ma vie, avec mon équipe à l’époque, Aïcha, Fabien (respectivement sa femme et son frère, ndlr) d’avoir été un vrai producteur, sans l’argent de l’avance d’une maison de disque ou des narcos comme ça se fait aux Etats Unis depuis les années 80 ou en France depuis les années 2000. Ça existe, on ne va pas se raconter des histoires. J’ai été un vrai producteur parce que j’ai pris des risques. La B.O. de Comme un aimant, je l’ai sentie passer, j’avais l’épée de Damoclès au-dessus de ma tête sur un projet. Je ne le referai plus aujourd’hui, à 52 ans, mais je l’ai fait. J’ai réussi ce pari parce que j’ai eu la chance de vendre suffisamment. Si j’avais fait Contes de la frustration dans les années 90, j’aurais eu plus de mal à me relever.

5 – Akhenaton « Mon texte, le savon » (Album Sol Invictus, 2001)

Ces morceaux-là… (Il cherche ses mots) C’est l’histoire de ma vie, avec beaucoup de sens cachés, que ce soit dans « Mon texte, le savon 1 », le 2, 3, 4, 5, même si je n’ai pas sorti le dernier.

Tu vas nous le faire écouter et on te dira ce qu’on en pense. (rires)

Il faut d’abord que je change l’instru. Le 2 n’a jamais été clippé et je pense qu’on va y remédier en offrant aux gens une version alternative, comme ça on n’aura pas affaire à la maison de disques, ni aux autorisations, parce que c’est compliqué. Si aujourd’hui tu produis un clip, même si tu le payes, tu n’en es pas propriétaire si tu ne détiens pas les masters de la musique. Ça me ferait chier de financer un clip et qu’à la fin, il ne nous appartienne même pas. Mais on va quand même le clipper et l’offrir aux gens parce que je tiens à ce que tous soient mis en image. Et le clip de « Mon texte, le savon Pt. 4 » arrive d’ailleurs (interview réalisée 4 jours avant la sortie officielle du clip, ndlr).

Sur Sol Invictus, l’école du 06 est très présente, que ce soit Chiens de Paille, Coloquinte ou Mic Forcing, qui étaient d’ailleurs tous signés sur La Cosca. J’ai l’impression que cette école a amené une nouvelle donne, notamment sur la forme, parce que vous aviez de nombreux points communs, notamment en termes d’influences… (Il coupe)

Toutes les écoles ont amené quelque chose. Psy4 a amené quelque chose, L’Algerino aussi… Quand tu vis en communauté avec des artistes, leur art, même de manière inconsciente, t’influence. Un morceau marquant qu’ils vont faire va t’influencer. A fortiori chez quelqu’un comme Veust, dont je suis particulièrement fan et friand. Et je pense que c’est valable à rebours. C’est ce qui a posé beaucoup de problèmes à beaucoup de rappeurs. J’ai souvent entendu des embrouilles de ce type, même chez les plus jeunes. Je leur dirai qu’en vivant entassés, c’est normal qu’ils aient des expressions en commun au bout d’un moment.

A La Cosca, il y avait du monde tous les jours, et les groupes de l’école du 06 étaient super présents. Donc oui, ils ont amené énormément de choses, que ce soit à IAM ou à tous les autres membres de La Cosca. Comme les autres groupes de La Cosca leur ont amené des trucs.

Une sorte de jeu gagnant-gagnant.

Bien sûr que c’est un jeu gagnant-gagnant ! Pour moi c’est une émulation. Quand tu es un rappeur et qu’il y a quarante rappeurs dans les studios, tu as envie de poser ton couplet et de tous les impressionner. Et tout le monde était dans cet état d’esprit-là. C’est du battle rap, inconscient. Quand on faisait La Cosca mixtape, tout le monde voulait impressionner tout le monde ! C’est génial ! Je trouve ça sain et dans le même temps, il y avait une grosse camaraderie, une grosse amitié chez tout le monde. Quand tu dis gagnant-gagnant, je pense que c’est le bon mot. Aujourd’hui encore je suis très proche de Veust, notamment artistiquement et pour moi, lui et Le Rat Luciano ont fait des fois des couplets que j’aurais aimé écrire. Le Rat a influencé énormément de monde, à commencer par les membres de son groupe, mais aussi à Marseille et en France. Je peux t’assurer qu’il a traumatisé des tas de rappeurs connus. Et Veust n’a pas le crédit qu’il mérite dans le rap français. Je l’appelle le rappeur des rappeurs. Tous les rappeurs que je connais l’écoutent ! C’est marrant, et ça en dit long…

6 – Akhenaton feat Shurik’n – « La fin de leur monde » (Album Soldat de fortune, 2006)

Celui-là pour moi c’est un des gros classiques d’IAM. Et il n’est même pas sur le premier CD de Soldat de fortune, il est sur le bonus. J’ai écrit la suite pendant la réalisation de l’album Rêvolution et elle n’est pas encore sortie. Je l’ai écrit le lendemain des attentats de Nice. Pour le moment je suis seul dessus et il y a déjà 12 minutes.

Shurik’n apparaîtrait dessus ?

Ce sera une question d’occasion, je ne sais pas. Pour revenir à « La fin de leur monde », j’ai rarement eu du mal à interpréter des morceaux sur scène mais c’est le cas sur celui-ci. Il ne faut pas que je me retourne et que je regarde le clip sur scène. Encore aujourd’hui, le clip m’arrache des larmes. Quand je vois la gamine avec son cœur qui bat à travers ses côtes, ce sont des images qui sont insupportables, d’autant plus quand tu as des enfants. Je pense vraiment que c’est un des morceaux majeurs de l’œuvre d’IAM, post 11 septembre, avec ce goût de fin du monde. On a écrit ce morceau en 2006 avec des élections présidentielles qui se rapprochent, avec le traumatisme de l’extrême droite au second tour en 2002, la guerre en Irak… Ce morceau apparaît dans ce contexte compliqué et malheureusement il est encore d’actualité, quatorze ans plus tard, sur les questions de géopolitique, sur l’écologie… On était en préparation sur Saison 5 donc Jo était au studio tous les jours et dès qu’il avait envie apparaître sur un morceau, il y apparaissait. Il y a même des morceaux sur lesquels j’ai retiré un couplet pour que Jo y soit.

Ce qui est intéressant, c’est que d’habitude tu fais tes solos juste après ceux d’IAM. Il y a six ans quand on t’avait interviewé pour Je suis en vie, (lire notre interview) tu disais que tu étais en jambe après un album du groupe. Là, c’est l’inverse puisque Soldat de fortune sort juste avant l’album d’IAM.

L’écriture c’est ingrat. Quand tu arrêtes durant plusieurs mois d’écrire, tu perds. C’est pour ça que depuis Astéroïde, je continue d’écrire, je ne lâche pas. Le beatmaking par contre, c’est plus compliqué pour moi.

7 – Akhenaton – « Rooney » (IAM official mixtape, 2007)

(Sourire) C’est toutes mes conneries compilées dans un morceau de PES. On passait beaucoup de temps au studio à jouer à la console, à des jeux de foot. Ça devenait vraiment n’importe quoi, ça me bouffait du temps sur la musique, donc j’ai éjecté la console du studio. C’est complètement addictif. J’ai arrêté PES, FIFA et le jeu en général. Je suis devenu un no gamer, parce que je me désintoxique. Mais il y a des conneries dans ce morceau ! (rires)

C’est effectivement un morceau plein d’humour, léger, et quand vous êtes en meute avec IAM comme vous dites, vous avez ce côté boute-en-train. Est-ce que c’est le « péché originel » du Mia, ou en tout cas son interprétation, qui vous a dissuadé de faire des morceaux légers ? Ou est-ce que vous vous êtes pris au sérieux en vous disant qu’il fallait faire des morceaux sérieux ?

Je pense que c’est notre vie de teenager qui s’est évanouie. Quand on était teenager, on vivait dehors, on trainait dans le métro, à Camille Pelletan, à Belsunce, on rigolait, il y avait beaucoup d’insouciance. On a continué à écrire des morceaux légers, mais ils sont devenus beaucoup moins bons avec le temps et en réalisant que dans nos vies, nous avions des responsabilités, des enfants, on est devenus moins bons sur ce type de morceau. Tu vois celui-là apparait en 2007, mais c’est fortuit, il sort sur une mixtape… On en fait toujours des morceaux légers mais ils sont moins bons, ce qui ne veut pas dire qu’on ne continue pas à rigoler !

Dans ce morceau tu dis : « Mis à part Salif, ma réput’ a été très peu salie. » Il n’y a donc que Salif qui ait terni ta réputation à la console ?

(Il coupe) Oui, avec un jeu minable, il faut le dire ! Il m’a battu à PES, j’ai eu 88 actions, il en a eu 2 et il a réussi à me battre, j’étais vert. C’était un super rappeur Salif. Il a arrêté de par sa volonté. Des fois certaines personnes peuvent être déçues par la tournure que prennent les choses. Il s’épanouit dans un autre domaine je pense. Pour moi, c’était vraiment un très bon rappeur. Son premier album était magnifique.

8 – Akhenaton – « Ma Conscience » (B.O. Conte de la frustration, 2010)

(Dès les premières notes) Ah « Ma Conscience ». C’est un morceau où il y a beaucoup de moi aussi. Je voulais faire un morceau… (Il cherche ses mots) qui montre combien la culture ou la conscience qu’on peut avoir empêchent de faire des choses. On vit à une époque où dès que les gens sont frustrés, hop, ils tuent quatre personnes, voire rejoignent des organisations terroristes. Il y a une mise en scène de la mort qui est incroyable. Dans ce morceau-là, c’est l’inverse. C’est se ramener à soi et avoir une forme de raison et de conscience qui dit : « Non, je ne vais pas faire ça, même si la vie peut être compliquée, pleine de frustrations, ce ne sont pas les autres qui en sont responsables. On ne peut exercer sa colère sur les autres ».

Sur la forme du morceau, j’ai choisi de rapper d’une manière monotone et de chanter derrière. Mais ça ressemble beaucoup à des procédés que j’avais sur Métèque et Mat, dans « Au fin fond d’une contrée », que j’ai réédités sur ce morceau-là, mais de manière encore plus affirmée.

Le contenu influence l’interprétation.

Des fois c’est l’instru. Ici il a un côté complètement planant, très organique dans le rythme, avec des pianos électriques. Je voulais avoir une forme de rap complètement différente sur celui-là parce que dans tous les autres morceaux de Conte de la frustration, je rappe de manière beaucoup plus classique. Ce morceau-là, je l’aime particulièrement. C’est un chouchou.

On a remarqué que tu avais sorti un film en 2000, un en 2010. A quand le prochain et pourrait-il porter sur les débuts du rap à Marseille, sur le groupe ?

Tu connais le cinéma français ? C’est du sponsor. Le cinéma en France se fait quand il est prêt à acheter. J’ai compris ça plus tard. Comme un aimant, a été une expérience extrêmement douloureuse. Avec Kamel Saleh, on a passé deux ans et demi dessus, pour rien. Il avait pourtant fait un demi-million d’entrées, il avait été premier des ventes en cassettes… Conte de la frustration je le fais, Sarkozy est élu, il vire toute l’équipe de France 2 (producteur du film, ndlr) et l’équipe qu’il met en place me le diffuse le 8 août à 23h50… Donc ce sont deux expériences compliquées dans le cinéma et j’ai compris une chose, c’est que si on n’a pas une bonne productrice ou un bon producteur, il ne faut pas se lancer. Des idées, j’en ai, mais ça se fera quand je rencontrerai la bonne personne qui me donnera envie de refaire un film.

9 – Akhenaton feat Veust « Highlander » (Album Je suis en vie, 2014)

Tu sais Smooth Da Hustler et Trigga sont frères et ils avaient fait un morceau à l’époque qui est typiquement du rap que j’aime, à l’opposé de « L’Aimant » ou de « J’voulais dire », c’est-à-dire du rap bête et méchant, mais que j’aime aussi, le word play. C’est l’essence même de cette musique, qui le rattache à une tradition millénaire, en Europe antique et médiévale, en Afrique et au Moyen-Orient, et à toutes les époques. Trigga et Smooth avaient fait un morceau qui à cette époque m’avait traumatisé en 95-96 et je me suis toujours dit qu’un jour je ferai un cover de « Broken langage ». L’occasion s’est présentée et avec Veust on est partis sur un délire avec des « eur ». Le morceau est plus souriant qu’autre chose.

C’est un ovni dans l’album qui est plus laidback.

L’album est fait de chansons, il correspond à une époque. C’est pour ça que dans ce que je fais, il faut distinguer certains trucs. Par exemple, Je suis en vie et Astéroïde sont très différents. Astéroïde est dans la veine d’un rap viscéral, même s’il y a des morceaux comme « La Peur » qui sont importants pour moi parce qu’ils racontent une histoire vraie, sur un sample de Crosby Stills Nash & Young que ma mère écoutait quand j’avais sept ou huit ans. Et je me suis toujours qu’un jour je le samplerais, et à 52 ans je l’ai fait. Je suis en vie est plus introspectif, il est né d’une lecture, les textes ne sont pas tous faciles d’accès. « Tempus fugit », c’est un morceau qui est important pour moi. Si un jour je me fais tatouer quelque chose sur la peau, j’écrirai « Mais le temps fuit, il fuit inexorablement, alors que nous restons prisonniers de nos quotidiens dérisoires ». C’est Virgile qui a écrit ça durant l’Antiquité, c’est un poème romain qui est valable aujourd’hui. Le temps, c’est ce qu’on a de plus précieux, et dans « Tempus fugit », il n’y a que des images de ma vie !

10 – Just Music Beats x Akhenaton – « Le signe V » (Astéroïde, 2020)

Récemment on m’a demandé comment je percevais l’échec. Pour moi l’échec c’est génial, parce que quand tu tombes, tu n’as plus qu’un chemin : savoir comment tu vas remonter. Par contre, la culture de l’échec elle est nulle, et c’est « cocorico », c’est Poulidor, on aime le deuxième. Moi ça me débecte. Je viens du hip-hop, la culture qui consiste à dire : « C’est bien tu es le deuxième, tu as participé. » J’en ai rien à foutre. Pour moi c’est le premier qui compte, et ça n’a rien à voir avec le capitalisme, c’est du sport. Le rap c’est un sport. C’est pour ça que je m’intéresse au battle rap, c’est parce que très vite, ce qui m’intéresse, ce n’est pas participer, mais faire des choses qui marquent, des morceaux innovants, de la création, aller chercher des sons, être les premiers à faire ci ou ça. Quand on sort « Demain c’est loin », un morceau de dix minutes alors que personne n’a jamais fait ça, c’est une fierté. Quand avec Ombre est lumière on fait un double album avant 2Pac, c’est une fierté. Ce sont des trucs que les autres membres du groupe et moi avons pensés parce que c’est dans notre mentalité, qui n’est pas celle de la « french lose » de se dire : « c’était super, on était deuxièmes, je me console même si c’est l’autre qui a le maillot jaune ». C’est la culture de l’échec qui justifie l’échec. C’est la Nouvelle Vague dans le cinéma. C’est la hype un peu mal placée qui dit « C’est super ! Personne ne connait mais c’est super ! ». Non, personne ne connait parce que c’est nul.  Quant au morceau « Le signe V », c’est pour dire que je fais le signe V au pays de l’échec. « J’ai grandi sur ces terres et je les aime, ne me fais pas dire autre chose », mais au bout d’un moment je ne suis pas de cette culture-là, où on aime Godard, Jacques Demy, leurs films miteux dans une chambre avec des bruits de bouche.

Tu en parles dans « Reste Underground »…

Exactement ! L’underground, c’est génial ! Aujourd’hui encore je n’écoute que de la musique underground. Et les gens qui me reprochaient le morceau « Reste underground » n’écoutent que du mainstream. J’écoute de l’underground mais pas par snobisme. J’écoute de l’underground parce que dans l’underground, on trouve de bonnes choses qui éclateront peut-être un jour. Regarde, il y a huit ans, je passais Conway et Westside Gunn à la radio, aujourd’hui ils sont signés chez Jay-Z et les gens me demandent : « Oh tu connais Conway, Westside Gunn et Benny the Butcher ? ». Et ouais, j’ai fait un morceau avec. C’est la différence entre la hype et le fait d’être réellement aimé, d’aimer ce qui est underground. Un truc n’est pas bien parce qu’il n’est pas connu. Et je reviens sur ce que j’ai dit tout à l’heure, ce n’est pas parce qu’il n’est pas connu qu’il est nul.

J’évite les généralisations à tous les niveaux et je mets de la nuance dans tout ce que je fais, quand je parle des flics, des médecins, ou des gens. Après ça peut m’arriver de lâcher des phrases où ça mitraille dans la foule. Dans le morceau « Les Cons » j’imite la voix du gamin dans le film 6ème sens qui dit « Je vois des morts partout » en disant « Je vois des cons partout ». Mais c’est la réalité. Je les vois. Par exemple, les gens qui conduisent avec un masque au volant de leur voiture, tout seuls dedans. J’ai envie de les sortir de leur voiture immédiatement et de leur dire « Calme-toi gars ! Le virus ne va pas sauter dans ta voiture, il est en train de disparaitre ! Il est plus contagieux mais moins dangereux ! »

Ce que je reproche aux gens justement, c’est d’écouter et d’acquiescer parce que d’autres ont fait plus d’études qu’eux, comme si ces derniers avaient la vérité. Non, la vérité est dans plein de choses. Et je reproche à ceux qui ont fait plus d’études de raconter des conneries pour vendre leurs suppositoires. C’est ce qu’on disait en 2012 dans le morceau « Que fait la police » (Il reprend des phases de son couplet) « Que fait la police, Elle devrait chuter leur fric au lieu de buter les noirs à Minneapolis, Allo le 17 j’sais pas qui tire les ficelles, J’ai vu des terroristes poser des bombes à misère, Puis des labos se placer dans le line-up, A côté de ceux qui nous font grailler du round-up, Qui s’plaignent il y a trop de lascars, Et qui déposent des brevets sur les plantes à Madagascar, C’est pas du vol c’est de la science, C’est le plus fort qui l’emporte et ouais voici la France, La maison où le suppo pénètre sans effort quand on l’endort, Avec un concombre, un porc et un canard mort ». Je peux rajouter un pangolin maintenant.

Ce que l’on vit, c’est la répétition de 2009 et du H1N1, qui n’avait pas marché, mais le Covid a fonctionné parfaitement. Ce n’est pas du conspirationnisme. Parce que la plus grosse des conspirations, c’est d’accuser ceux qui la dénoncent de conspirationnisme. La plus grosse des conspirations s’appelle le business et elle se fait sur ta gueule, gentiment, tranquillement. On te vend des trucs. L’occasion fait le larron. On a un virus un plus agressif que d’autres, qui va faire un peu plus de morts que la grippe. Ils le savaient très bien ! Donc je peux avoir des généralisations pour un peu choquer (Il tape son poing droit contre la paume de sa main gauche), mais dans ma tête je ne généralise jamais parce que j’ai affaire à des gens. Je dis dans « Mon texte, le savon » : « Certains m’ont fait sourire, d’autres vomir au point d’en effacer le souvenir ». La nuance dans toutes choses.

En trente ans tu as fait six solos, dix albums de groupe, deux films, la BO de Taxi, tout un tas de projets annexes, Astéroïde a été fait durant le confinement ;  le travail, la musique est un refuge ? Ça t’a couté autant que ça t’a apporté ?

La musique m’a ouvert les yeux sur la nature humaine, donc ça m’a coûté de l’énergie, de l’argent des fois, ça m’a coûté des relations. Certains sont incapables de faire le bilan et de remarquer que l’échec de certaines de leurs entreprises n’est dû qu’à eux-mêmes, c’est ce que je dis dans « Le signe V » (« Tu cherches un responsable à tes ratés, Un bon miroir pourra te les montrer »). Ça m’a coûté des choses mais ça m’a plus apporté. J’ai rencontré des gens incroyables, des gens qui m’ont aidé, qui ont été fantastiques, j’ai pu voyager. J’ai quasiment tout réinvesti dans la musique parce que c’est comme ça que je conçois ma vie. Je n’avais pas envie d’or, de Porsche, parce que ce n’était pas mon truc. Par contre, je peux faire le con en achetant un synthé super cher, et je ne vaux pas mieux qu’une personne qui achète une voiture super chère. Je fais le con dans mon domaine aussi. Mais j’ai l’impression que ça passe mieux dans la musique. (sourire) Je pense que ça m’a plus apporté que ça m’a coûté. Ça m’a permis d’être heureux et le bonheur se conçoit à l’intérieur de soi.

Quand je faisais Astéroïde, j’étais heureux tous les matins de me lever. D’ailleurs, Astéroïde a provoqué chez moi un processus de fonctionnement et je pense qu’à l’avenir je vais sortir pas mal de projets, en format EP, en tant que producteur et en tant que rappeur, directement sur internet. Il y aura du physique, que je vendrai sur les tournées ou sur Bandcamp, avec du vinyle, etc. Un des premiers projets sur lequel je suis en train d’avancer est avec Napoleon Da Legend, avec lequel j’ai fait le morceau « Flip the verse version ». On fait deux EP ensemble : le premier sera pour la fin de l’année ou le début de l’année prochaine et le second pour le mois d’avril. Je n’interviens pas du tout vocalement, seulement en tant que beatmaker. Parallèlement à ça, j’ai un projet vocal, mais je ne peux pas en parler, parce que je n’ai pas encore bien avancé dessus mais ce sera un ou deux EP. Si j’écris trop de morceaux, je ferai deux EP, mais je ne sortirai pas d’album. J’ai sorti Astéroïde au format album parce qu’il y avait un concept. Les EP permettent des choses, de s’ambiancer, d’écouter six morceaux, de voir ce que l’artiste fait, sans devoir entrer dans un concept, un truc trop complexe. Je peux faire un EP, un clip, ce sont des choses que je peux prendre en charge. Je n’ai plus envie de signer en maison de disques ou de faire de gros projets. Si je le fais, c’est qu’il y a d’autres choses.

Sur Astéroïde, as-tu voulu faire dix-neuf titres ? Parce que très souvent, tes albums en comportent dix-neuf.

On était partis sur sept ou huit titres, le confinement a duré et j’ai fait plus de morceaux, pour arriver à dix-sept titres. Et c’est vrai que dix-neuf, c’est un chiffre qui me tient à cœur, parce que le Coran est écrit en base dix-neuf. C’est le chiffre qui revient le plus souvent dans la métrique d’écriture du Coran, dans le nombre de pieds dans les vers. 19 au carré ça fait combien ? 361. Voilà pourquoi ma fille veut que j’explique mes concepts.

Partagez:

8 commentaires

Commentaires

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.