IAM, une discographie pharaonique

La discographie d’IAM a ceci d’intéressant qu’elle a traversé toutes les époques de l’histoire du rap français. Des premiers pas du genre jusqu’aux années 2020, le groupe a su franchir les décennies, les courants et les modes, évoluant parfois à contre-courant, parfois en épousant les mutations sonores du moment. C’est aussi l’histoire d’un groupe qui n’a jamais cessé d’exister malgré des chiffres de ventes à donner le vertige ou des rendez-vous manqués avec son public, et qui ne s’est jamais arrêté de créer, de prendre des risques et de clamer son amour pour Marseille et le hip-hop. À une semaine de leur concert-célébration au Stade Vélodrome, passage en revue détaillé des onze albums qu’ils comptent à leur actif, ainsi que de quelques pas de côté.

Photo d’en-tête : Livio Iuliano

CONCEPT, PREMIER LONG FORMAT POUR UN GROUPE DE RAP FRANÇAIS

En janvier 1990, lorsque sort Concept, IAM est un groupe marseillais, composé d’Akhenaton, DJ Kheops, rejoints par Shurik’n, Imhotep, puis des danseurs Kephren et Malek Sultan. Le rap n’en est qu’à ses balbutiements en France et les sorties sont essentiellement parisiennes (Dee Nasty en 1984, Destroy Man et Jhonygo en 1987, sans parler des freestyles de Lionel D sur Nova). Cette cassette, format majeur de l’époque, a été produite par le Massilia Sound System et se distingue par une certaine débrouille, de l’enregistrement à la pochette et au livret (originale et révélant un humour certain des Phocéens). Durant 59 minutes, le groupe marque son territoire sur le rap français. A coup de passe-passes ravageurs et de morceaux solos, Akhenaton et Shurik’n impressionnent par leurs flows, la densité de leurs textes ou leur niveau lyrical. D’ailleurs, le premier se distingue notamment par des morceaux rappés en anglais, Imhotep produit nombre de pistes endiablées à base de sonorités très punchy, quant à Kheops, il délivre des scratches, omniprésents sur quasiment chaque morceau. De plus, l’ambiance générale lorgne, de manière inédite, du côté de l’Égypte ancienne, via des extraits de péplums qui détonnent. Si le débat sur Concept n’est pas clôt (démo, mixtape, pré-album, album?), il semble assez clair qu’en dépit des 400-500 copies de la cassette, son impact national a été rendu possible grâce à l’intermédiaire de Joey Starr, de Maître Madj et de Dee Nasty, qui ont permis sa diffusion sur Paris. – Chafik

De la planète… Mars (1991)

Paru en 1991, De la planète… Mars est un disque de pionniers. Des imperfections inhérentes à ce format sont facilement repérables, que ce soit au niveau du mix ou, plus globalement, de la qualité sonore du rendu final. Cependant, il s’agit d’un album riche et pointu à de nombreux égards. L’exercice de la réécoute, plus de trois décennies plus tard, alors qu’en 1991 l’industrie du rap n’en était qu’à ses balbutiements en France, révèle une maturité dans la proposition artistique — sans doute parce que les IAM, anciennement B-Boy Stance, rappent ensemble depuis déjà une demi-décennie. De fait, ce premier album pose déjà les jalons de ce qui constituera l’essence d’IAM : une mystique propre au groupe, une place importante accordée à la spiritualité, un centrisme asiatique, africain et méditerranéen affirmé, de l’humour (avec déjà des interludes aux petits oignons), des citations poussiéreuses qui ponctuent l’ensemble, un regard tourné vers la jeune garde marseillaise, une forte influence de la scène new-yorkaise (Rakim en premier lieu), une contestation de l’autorité en place, et une science de l’échantillonnage déjà maîtrisée par Khéops et Imhotep. Quelques passages rappés en anglais pourront surprendre l’auditeur non averti (le rap en français n’en est alors qu’à ses débuts), mais Akhenaton et Shurik’n abandonneront cette pratique dès l’album suivant. « Planète Mars », « Red, Black and Green » ou encore « Wake Up » marqueront particulièrement l’auditoire. Mais c’est le poignant solo de Shurik’n, « Tam-tam de l’Afrique », abordant l’esclavage et la traite négrière, qui résiste le mieux à l’épreuve du temps, bien aidé par la magnifique production signée Imhotep, contenant des samples d’Isaac Hayes, Barry White, mais surtout Stevie Wonder (la même boucle que Coolio utilisera sur « Gangsta’s Paradise » quelques années plus tard). En résumé, IAM a frappé fort avec ce premier album, et ne fera que confirmer cette entrée fracassante durant la décennie 1990. – Olivier

Ombre est Lumière (1993)

Et si Ombre est Lumière était le meilleur album d’IAM ? Une réponse positive signifierait que L’Ecole du Micro d’Argent ne serait donc pas le plus grand album de rap français. La question peut sembler provocatrice pour les teenagers tombés amoureux de cette musique dans la seconde moitié des années 90, tant L’Ecole fait partie du patrimoine de chacun (et nous en faisons partie !). Contrairement à d’autres skeuds chroniqués dans ce dossier, ce ne fut pas un effort de se replonger dans le premier double album de l’histoire du rap (US compris) et ses 39 morceaux, vieux de trente ans. Quel plaisir d’entendre nos quinquas durant leur vingtaine ! Akhenaton et Shurik’n s’éclatent au mic et ceux qui ne les connaitraient qu’à partir de L’Ecole n’en croiraient pas leurs oreilles. L’auditeur qui au plus tard n’est pas né au début des années 80 (vous l’avez ?), pour qui IAM est un groupe sérieux, conscient, risque de se rendre compte que ces lascars ont été jeunes et qu’ils sont drôles comme pas deux. Mais moqueurs aussi, piquants (« Attentat II » – qui n’aurait pas influencé une scène dans le film La Haine d’ailleurs ?), grossiers (« Contrat de conscience » »), voire violents (« Les je veux être ») ! Témoins de leur temps (« J’aurai pu croire »), ils répondent aux haters (« Reste underground »), rappent sur la vie de rue (« L’Aimant »), représentent fièrement leur ville (« Le Feu »), enchainent les storytellings inspirés (« Sachet blanc »), les hymnes (« Le Shit Squad »), les morceaux touchants (« Une Femme seule »), mystiques (« Cosmos »), à la cool (« Le repos c’est la santé »), sans parler du « Mia » (morceau le plus populaire de l’histoire du rap ?)… Les prods vont dans tous les sens, les musiques world et orientales notamment, l’ambiance lorgne du côté de l’Egypte, de l’Asie, quant aux interludes, extraits de films et scratches, ils portent le sceau des Phocéens. Ombre est Lumière est donc léger, drôle, instinctif, marseillais, spirituel, enragé, ouvert, plus que leur album suivant. Surtout, il pose les bases de L’Ecole et de tant de projets sortis durant l’âge d’or du rap marseillais.  Pour toutes ces raisons, Ombre est Lumière représente au mieux IAM qui jamais plus n’arrivera à condenser, à assumer toutes leurs facettes sur disque, comme en cette année 1993. Ne venez plus me dire qu’il n’y a pas match entre L’Ecole du Micro d’Argent et Ombre est Lumière– Chafik

CUT KILLER & IAM – MIXTAPES 19361 PART 1 & 2 (1994)

Dès 1993, Cut Killer inonde l’underground de ses cassettes mixées mêlant actualité rap US et français. À partir de 1994, il en dédie certaines à des groupes de rap francophone, en y ajoutant des inédits ou des freestyles à ses sélections. C’est ainsi que seront mis à l’honneur Sléo, Les Sages Po’, East & Fabe, mais également IAM, seul groupe à bénéficier d’une sortie en deux volumes : 19361 part 1 et part 2, respectivement sous-titrés « Rien n’est plus puissant que la Force du Côté Obscur » et « Le Combat sans fin ». Dans ce premier volet, qui ne contient que des titres de rap US, seules les intros des deux faces font mention d’IAM — mais pas n’importe comment. Sur la face A, « Quand les pharaons régnaient en maître » débute par l’appel à la prière d’un muezzin, suivi de notes de violon à la sonorité orientale et d’un beat redoutable, instaurant une montée en puissance pour accueillir les scratchs vocaux, des extraits documentaires crépitants et quelques mots d’Akhenaton, Kheops et Freeman (alors encore appelé Malek Sultan). Sur la face B, même procédé, en plus calme, avec « La Force du Côté Obscur » et encore quelques mots de Chill sur la mystique IAM. Le deuxième volet, quant à lui, contient trois inédits : « Combat sans fin », « Il pleut tout autour du monde » et « Il faut frapper pour qu’il s’arrête de parler ». Jamais entendus auparavant, ces trois titres aux registres variés (mystique, introspectif, humoristique), issus de l’époque Ombre est Lumière, auraient pu figurer sur l’album. Ils rappellent à quel point le groupe est capable d’être productif lorsqu’il se lance dans la création d’un nouvel opus. Cette mixtape en quatre faces ressortira en 2005 avec une pochette modernisée, sous la forme d’un double CD. Quant à Cut Killer, il retrouvera les six membres d’IAM treize ans plus tard pour une nouvelle mixtape, précédant la sortie de Saison 5 — mixtape évoquée plus bas dans ce dossier. – Olivier

1995 – 2000 : LE LANCEMENT DES CARRIERES SOLO

En 1995, Akhenaton ouvre le bal des projets solos avec Métèque et mat, un disque très personnel, entièrement enregistré à Naples, sans l’aide — ou presque — de ses compères d’IAM. En 1997, Kheops sort sa compilation Sad Hill et crée son propre label, avant d’être suivi en 1998 par Imhotep avec Chroniques de Mars, Shurik’n et son classique Où je vis, sans oublier la B.O. de Taxi, pilotée par Akhenaton. En 1999, c’est Freeman qui lance sa carrière solo, épaulé par K-Rhyme le Roi, avec une sortie estampillée Côté Obscur. Puis Akhenaton devient inarrêtable entre 2000 et 2001, enchaînant compilation (Electro Cypher), bande originale (Comme un aimant) et son deuxième album solo, Sol Invictus. Si l’on y ajoute Sad Hill Impact, paru également en 2000, ce ne sont pas moins de dix pas de côté du groupe IAM qui sont comptabilisés entre 1995 et 2000 — une période souvent évoquée comme un premier âge d’or du rap marseillais — avec un seul album de groupe au milieu, et non des moindres : L’École du Micro d’Argent. Cet état de fait, qui n’a pas nui à l’existence du groupe, témoigne à la fois de la créativité débordante de ses membres à cette époque, mais aussi d’un ciment les unissant, capable de résister au lancement de labels et de carrières solos des uns et des autres. Un modèle qui n’est pas sans rappeler la trajectoire du Wu-Tang (encore eux) à peu près au même moment. – Olivier

L’Ecole du Micro d’Argent (1997)

Comment résumer en quelques mots un disque reconnu unanimement comme l’une des plus grandes créations de l’histoire de cette musique ? Le 18 mars 1997, quand le troisième album du groupe phocéen atterrit dans les bacs, quatre ans après Ombre est lumière, le public n’était pas préparé au raz-de-marée qu’il allait provoquer sur la scène francophone, ni au Disque d’or dont il allait être certifié le jour-même de la sortie. Les quatre ans d’attente suscités par cet album auront permis à un groupe d’opérer une véritable mutation, que ce soit dans la manière de rapper, (notamment pour Shurik’n qui réalise une transformation technique remarquable), dans les domaines de références (l’imagerie passe de l’Egypte au Japon) mais surtout dans les thèmes abordés.  L’École du micro d’argent est dans ce sens un modèle de traitement de problèmes socio-culturels dans le monde du rap. Que ce soit l’inégalité sociale (« Nés sous la même étoile »), l’éducation (« Petit frère »), ou l’inclassable (« Demain c’est loin »), les thèmes sont tous traités avec un angle original, une écriture subtile, une capacité d’analyse et une lucidité supérieures à la moyenne, et ces morceaux resteront à jamais comme des références ultimes, extrêmement fédératrices. Le groupe ne laisse pas pour autant la performance de côté, affirmant sans tabou l’influence qu’a eu le Wu-Tang sur leur manière de rapper. Proches de Time Bomb, IAM porte également dans l’album l’étendard d’une nouvelle école de rap, visible sur des morceaux comme « L’enfer », « Quand tu allais on revenait », et évidemment « L’école du micro d’argent ». Le troisième album d’IAM restera sans doute le premier, dans l’histoire du rap en France, que l’on peut considérer comme charnière. Tant sur le plan technique que thématique, l’impact de ce disque est incontestable et intemporel puisqu’il continue encore aujourd’hui d’inspirer bon nombre de MC’s, jusque parmi les plus jeunes. – Xavier

« LES INEDITS » (1998)

Avec un classique tel que L’École du micro d’argent (paru en 1997) dans sa besace, IAM a rapidement su capitaliser sur son statut d’incontournable en publiant toute une série de rééditions de l’album, dès 1998 pour la première, la plus récente datant de 2022. Au fil du temps, une ribambelle de bonus ont été ajoutés à la mouture originale du disque, allant des versions instrumentales à des morceaux de l’époque 1997/1998 parus ici et là, en passant par des versions américaines de certains titres, enregistrées à New York lors de la conception de l’album. En 1998, un CD sobrement intitulé Les Inédits accompagne l’une des premières rééditions, comprenant dix morceaux d’IAM jusqu’alors inédits (à l’exception de « Hold Up Mental » et « Donne-moi le micro », parus respectivement en 1991 et 1993 sur des maxis vinyles), “recalés” lors de la finalisation des trois premiers albums. On sait que des centaines de titres ont été écartés au cours de l’histoire d’IAM, et le fait de sortir spécifiquement ceux-ci témoigne de l’attachement que leur portaient les membres du groupe. Du pain béni pour les nombreux fans de 1998, qui purent se délecter de ces titres supplémentaires, des excellents solos d’Akhenaton « Complexe » et « Réalité », au taquin « Il faut taper » dédié aux balances, en passant par l’oppressant et bien nommé « Sans issue » ou encore le brûlot anti-élites « Sales hypocrites » et ses rimes en « -tion ». Loin de se contenter de fonds de tiroirs, ces morceaux ont conféré à cette réédition un véritable intérêt, au point de figurer plus tard sur d’autres repressages de ce que beaucoup considèrent encore comme le plus grand album du rap francophone. – Olivier

Revoir un printemps (2003)

Après six ans d’absence, IAM revient avec Revoir un printemps. Comment réussir son retour après  L’École du Micro d’Argent, classique parmi les classiques, meilleur album de l’histoire du rap français pour beaucoup ? Défi impossible ? Entre temps, les membres du groupe ont tous sortis de brillants solos et une nouvelle génération s’est imposée. L’attente était forcément immense et nul doute que les Marseillais devaient ressentir une fébrilité certaine. Mais le challenge a été relevé. Les moments de bravoure ne manquent pas, les textes, le point de vue sont toujours justes, qu’ils évoquent les classes populaires, l’ennui, les tensions sociales, la géopolitique ou les héros du quotidien. Akhenaton délivre des couplets magistraux sur « Second souffle », sur « Visages dans la foule » (le switch d’instru est ravageur), Shurik’n rime sévèrement sur « Tiens » (quelle prod !), est poignant sur « Lâches ». Côté featuring, ils ont réussi à convier Beyoncé mais surtout Redman et son acolyte du Wu, Method Man, sur « Noble Art » ! Les productions rejouées par l’orchestre de Sofia amènent une solennité inédite, les scratches de Kheops sont légion, et une édition du CD dispose d’une pochette thermo-tactile en lien avec le titre. Malgré un certain succès commercial, inhérent à la stature du groupe, Revoir un printemps comporte néanmoins son lot d’imperfections. L’album semble franchir la limite entre dense et surchargé (80 minutes…), les couplets font souvent 24 mesures, les refrains sont longs et des titres sont dispensables. Surtout c’est son process qui a changé et ne permet pas de retrouver la magie des disques précédents : Imhotep n’est aux manettes que sur deux titres et le duo Akhenaton / Shurik’n doit partager le micro avec Freeman. Cette irruption n’est naturelle ni pour le groupe ni pour le public. Pourtant, il serait bien injuste de stigmatiser le Free’ qui réalise des fulgurances, sur « Mental de Viet Cong » ou « Arme de distraction massive » surtout. Le DVD Au cœur d’IAM, Genèse d’un album, est peut-être le complément idéal pour apprécier à sa juste valeur Revoir un printemps, avec ses qualités et ses défauts. – Chafik

IAM & CUT KILLER – L’OFFICIAL MIXTAPE (2007)

Après le succès mitigé de Revoir un Printemps, les Marseillais sont retournés en studio et, au lieu de revenir directement avec un album, ont proposé une mixtape afin de préparer le terrain, avec Kheops aux platines, mais aussi Cut Killer, pour une nouvelle collaboration avec le DJ parisien (après la tape de 1994 et sa participation à Métèque et Mat). Allons droit au but, ce projet a tout de la grande cour de récréation. Loin de bénéficier d’une D.A. stricte, il montre à quel point les membres d’IAM se sont fait plaisir. Les egotrips (« 12 MC’s », « Rap strict ») rappellent que nos quadras ont toujours l’esprit de compétition, les expérimentations sur le dernier couplet de « Sale Argot », sur le refrain de « Qu’est-ce que tu fous là ? » et sur le conceptuel « Rooney » sont très rafraîchissantes. Akhenaton, Shurik’n et Freeman s’accordent des solos, notamment ce dernier qui se taille la part du lion avec quatre titres (dont le très beau « Tuco thème »). IAM coupe aussi le cake et profite de l’occasion pour laisser le champ libre aux proches, des Psy4 à Chiens de Paille, de Faf Larage à Veust, en passant par les MC’s Arabica et Bouga (pour un titre dont lui seul a le secret). Seule ombre au tableau, aucun morceau où AKH, Shu et le Free rappent ensemble. – Chafik

Saison 5 (2007)

La sortie de Saison 5, après … De la Planète Mars, Ombre est Lumière, L’École du Micro d’Argent et Revoir un Printemps, semble mettre fin au débat au sujet de la cassette Concept : il s’agissait là d’une démo, d’une mixtape ou d’un pré-album mais pas d’un album. Le cinquième LP du groupe vient surtout confirmer que les Marseillais ne font pas de la musique jetable et qu’ils sont moins dans la tendance que dans la bonne direction. Contrairement à l’album précédent, les thèmes, textes et prods (assurées par Imhotep, Akos et AKH) sont moins chargés, plus instinctifs, mais tout aussi profonds (au passage, Freeman est bien moins présent au mic). Dans « WW », « Hip Hop Ville », « Rap de droite », « Une autre brique » ou « Sur les remparts », le rap, le mouvement sont célébrés dans des déclarations d’amour, des hommages, des egotrips ou des démonstrations techniques. Forts d’un rap qui prend position, Akhenaton et Shurik’n demeurent des journalistes, fugitifs, dénonciateurs, haut-parleurs, trop souvent placés au centre du viseur, notamment dans « Offishal », « Ça vient de la rue » ou encore « United ». L’émotion est très présente aussi dans des morceaux comme « Nos heures de gloire » plein de nostalgie, « Si tu m’aimes » (et sa double grille de lecture) ou le storytelling « Au quartier ». Mais, le milieu du rap peut être injuste. Alors qu’ils avaient délaissé l’humour depuis « Le Mia » dans Ombre est lumière, (au grand dam des amoureux de la première heure qui le considèrent comme le meilleur album du groupe notamment pour les moments de rigolade), l’exercice de style « Coupe le cake » et son clip parasitaient les discussions sur Saison 5 et recevaient un accueil sévère, éclipsant les autres morceaux et illustrant à quel point l’époque était ingrate. Qu’importe, moins d’un an plus tard, le groupe réalisera le rêve d’une vie en se produisant en concert en Égypte, aux pieds des Pyramides de Gizeh, pour une date historique. – Chafik

Arts Martiens (2013)

Dominants dans les nineties, mais parce que le rap et son public ont changé, les années 2000 ont été plus compliquées pour IAM au point de sembler en marge du game en 2013. Pourtant, contrairement à tant d’autres pionniers, ils sont toujours là (comme ils le répètent dès le refrain du premier titre), le groupe n’a pas splitté (malgré le départ de Freeman) et fait partie des premiers à continuer le rap après 40 ans. On les sent particulièrement revanchards, et pour ces raisons, ce retour est donc quasiment un acte de résistance. Relevons d’emblée la qualité des prods : Imhotep et le binôme Sébastien Damiani / Faf Larage ont réalisé des compositions de haute volée, mélodieuses, profondes. Les arrangements amènent encore une fois chez IAM une solennité, un côté épique qui leur sied tellement. Akhenaton et Shurik’n sont très en verve et livrent des textes denses, inspirés (« Notre Dame Veille », « La part du démon »). Dissipant tout doute et montrant qu’ils rappent encore, nos quadras ont fourbi leurs sabres, aiguisé leurs rimes, endossé leurs armures, quant aux scratches de Kheops, ils sont encore et toujours tranchants. Cet esprit combatif, on le retrouve sur moult titres (« Spartian spirit »), et ne comptez pas sur eux pour dire que tout va bien ou s’être assagis après un tas de disques d’or (« Les raisons de la colère »). Les lames de Philippe et Geoffroy sont loin d’être émoussées, à l’image de leurs performances sur « Benkei et Minamoto », « 4.2.1. », « Marvel » et surtout sur le storytelling « Sombres Manœuvres / Manœuvres Sombres ». Parce qu’IAM reste IAM et n’est jamais aussi fort que lorsque Chill et Jo nous narrent une histoire ; et quelle histoire ! Si l’album comporte son lot de bons morceaux (et de moins bons, comme « Pain au chocolat »), il prend une dimension supplémentaire grâce à ce genre de titre, à l’instru, à la structure du morceau, au clip. Arts Martiens rencontrera un succès certain, leur permettra de sortir …IAM six mois plus tard, de continuer à faire de la scène et de retrouver une seconde jeunesse. Retour réussi. – Chafik

IAM (2013)

Suite au succès d’estime d’Arts Martiens, les Marseillais ont battu le fer quand il était chaud en embrayant sur un deuxième album sept mois plus tard, alors qu’ils avaient plutôt tendance à prendre leur temps entre deux LP. Mais peut-on parler d’un album, étant donné qu’il s’agit là des chutes d’Arts Martiens ? D’autant qu’on ne distingue pas de ligne directrice commune dans ces morceaux non conservés pour l’opus précédent, eux qui, il est vrai, ont l’habitude de produire toujours beaucoup de titres en séances d’enregistrement. Mais de là à dire que les quinze tracks ne méritent pas d’écoute, il y a une limite que nous franchirons pas, ne serait-ce que pour « Poudre de brique rouge » qui fait partie des morceaux qu’on écoute 50 fois d’affilée sans se lasser tant la prod est envoûtante. On ne peut s’empêcher de s’interroger sur « CQFD » ou « Si j’avais 20 ans » qui avaient largement leur place sur Arts Martiens d’ailleurs. A noter que cette sortie s’accompagnera d’une édition Deluxe avec les instrumentaux des quinze titres. En dépit de ce second projet dans les bacs en moins d’un an, le groupe annoncera qu’…IAM sera leur dernier album, avant de préciser leur dernier album en maison de disques. – Chafik

Rêvolution (2017)

Un nouvel album d’IAM constitue toujours un évènement pour l’amateur de rap, notamment pour celui qui est tombé dedans au milieu des nineties, d’autant que les pionniers semblent avoir quasiment tous disparu du paysage francophone. Nos jeunes vétérans sont loin d’être à la retraite et ont comme retrouvé une seconde jeunesse avec leur album Arts Martiens. Sur ce nouvel opus, la direction musicale fait comme souvent la part belle aux samples, en particulier Imhotep, mais convoque aussi musiciens et orchestre. Akhenaton & Shurik’n ont encore beaucoup de choses à dire, croisent le mic avec leurs proches (Lino, Nuttea, Saïd), multiplient les références aux années 1980-1990, de Big Daddy Kane au Rat Luciano, de Kool Herc aux X-Men et les scratches, comme toujours avec IAM, sont omniprésents. L’ancrage rap est majeur, le morceau « Orthodoxes » incarnant une nouvelle profession de foi, leur définition, leur vision de leur musique. Mais, avec tout le respect que l’on a pour les auteurs d’Ombre est Lumière, de Métèque et Mat, des Chroniques de Mars, de Sad Hill, d’Où je vis et aussi gênant que ce soit pour votre humble rédacteur, Rêvolution ne (nous a pas) fait rêver et n’est en rien révolutionnaire. Peu de morceaux marquent l’auditeur au point de devenir des incontournables en dépit des 18 pistes (au passage la tournée qui a suivi fut bien moins celle de cet album que des 20 ans de L’École du Micro d’Argent). Même si on ne voulait pas entendre Chill & Jo sous autotune et qu’ils chantonnent d’ailleurs sur le refrain de « Grands rêves, grandes boites », la forme est assez classique, les flows plutôt martiaux, les surprises et prises de risque sont rares. Même la pochette est quelconque alors que leur artwork a toujours été remarquable. Pour toutes ces raisons et parce que nous avons toujours été gâtés par le groupe, Rêvolution semble être l’album le moins inspiré de la discographie d’IAM. – Chafik

Yasuke (2019)

Seulement deux ans après Rêvolution, un album qui avait peiné à convaincre son public, IAM est de retour avec l’envie d’en découdre à travers un nouveau disque. Le choix du titre, Yasuke (seul samouraï noir de l’Histoire, arrivé au Japon en tant qu’esclave), n’est pas anodin, et la combattivité ainsi que l’énergie sont palpables à l’écoute des seize titres que comporte l’album. Sur le plan sonore, Imhotep, Akhenaton, Hal (ex-Chiens de Paille) et Dance se sont attachés à intégrer des sonorités résolument tournées vers la fin des années 2010, tant au niveau des beats, des compositions que de l’usage des basses. Le contenu textuel, quant à lui, reste fidèle aux fondamentaux d’IAM, et le choix des invités rap illustre un recentrage vers la cité phocéenne. On retrouve ainsi les Psy4 reformés pour l’occasion, Relo, Faf Larage, Veust, REDK et Allen Akino dans un posse cut réussi, ainsi que JMKS, fils d’Akhenaton, qui pose le dernier couplet de l’album – tout un symbole. L’exercice de la mise à jour est toujours périlleux pour un groupe à la longévité d’IAM, mais il s’avère particulièrement réussi sur certains morceaux tels que « Omotesando », « Le train de l’argent », « Self Made Men » ou « Fin des illusions ». Rap Warrior donnera son nom à la tournée (Warrior Tour) qui, malgré son annulation en raison de la pandémie de Covid-19, bénéficiera d’une captation live en studio et d’une sortie officielle en 2023. — Olivier

Rimes essentielles (2021)

Conçu en vase-clos durant la crise du coronavirus, Rimes essentielles est la réunion de 4 EP concoctés par le groupe durant cette période. Le manque de scènes et d’activités se fait ressentir et IAM se réunit en studio pour travailler sur de nouveaux morceaux. Puis l’idée de « vagues » d’EP survient. La présence d’AKH y est écrasante, tant à la production, qu’au mix et derrière le micro. Rimes essentielles est très représentatif de l’état d’esprit du groupe durant cette période. L’album aborde une quantité importante de thèmes. Le contenu est parfois engagé (comme sur le très bon « Pouvoir au peuple »), les regards sur le passé et notamment sur l’histoire du groupe et du hip-hop sont légions et emmènent une certaine nostalgie, mais on retrouve également des thèmes plus légers avec des hommages au public, ou quelques sons plus festifs et sociaux, à l’image de « Tout ce qu’on est », fidèle à l’esprit hip-hop originel. Rayon production, on retrouve les batteries efficaces d’AKH accompagnées d’un gros melting-pot de samples, comme si le groupe avait voulu voyager sur place. Il n’y a là rien de révolutionnaire, mais il y a surtout le plaisir de faire une musique directe avec un penchant nostalgique assumé. Certains titres sont vraiment plaisants, comme le libérateur « Rap inconscient » ou encore « Vos hommes ont les mains sales », avec la présence émulatrice de Relo. Malgré quelques morceaux en deçà, on rentre progressivement dans ce qui ressemble à une longue hypnose. Rimes essentielles est un gros bloc, relativement homogène. Mis bout à bout, c’est trop long, et c’était sans doute plus efficace sous la forme originelle des EP. Le mieux étant donc de grappiller à l’intérieur de cette grosse capsule temporelle, entre 90’s et COVID. On a affaire à une œuvre qui paraît close et confinée, mais dont les envies de liberté resurgissent par bribes. Un drôle de cocktail, symptomatique d’une drôle d’époque. – Jérémy

HHHistory (2023)

Du haut de leurs 35 ans de carrière, Akhenaton, Kheops, Shurik’n, Imhotep, Kephren ont dépassé le demi-siècle et ont l’âge d’être grand-père mais semblent plus productifs que jamais en 2023, en sortant chaque mois rééditions et inédits en vinyles pour célébrer le cinquantenaire du hip hop et surtout leur quatrième album en six ans, prétexte tout trouvé pour repartir en tournée dans un monde post-covid. Contrairement aux autres disques estampillés IAM, HHHistory étonne avec ses dix petits titres, comme si le groupe s’était adapté à l’époque et au format court. Mais n’allez pas croire que les orthodoxes du rap manquent d’inspiration et sombrent dans le jeunisme, loin de là ! Après plus de 200 morceaux co-écrits gravés sur sillon (et sûrement le double jamais sortis), Chill et Jo ont encore bien des choses à dire et à répéter, n’en déplaise aux marins d’eau douce. Oncle Shu plante le décor dès le premier morceau d’ailleurs (« Fini le Hip Hop à l’acide, ça roucoule sur du zouk tout mou »). Afin d’ancrer davantage leur propos dans le réel, les extraits d’interviews d’acteurs de terrain et d’éveilleurs de conscience ponctuent l’album. Les thèmes abordés pointent du doigt les sempiternels maux de notre société qu’ils combattent, en l’occurrence, l’individualisme, le racisme, les discriminations, les violences policières, le culte de l’apparence, la mentalité française, l’hypocrisie des élites. Si le discours peut sembler redondant, il est cohérent avec la direction artistique/politique du groupe et surtout, il est loin d’être indigeste. En effet, si les albums précédents ont pu souffrir d’un manque de rimes percutantes et d’envolée lyrique, sur HHHistory, Akhenaton et Shurik’n semblent particulièrement en jambe. Les multisyllabiques, la production musicale (assurée à 90 % par A.K.H.) rendent l’écoute de l’album agréable, lui permettant d’être actuel et malheureusement nécessaire. – Chafik

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