Vingt ans après : 2000 en 20 disques de rap français

L’an 2000. Le fameux bug n’a pas fait exploser la planète et le rap français semble lancé sur de solides rails. Depuis quelques années, une myriade de groupes travaille avec ardeur et passion pour faire entrer le hip-hop dans toutes les familles de France. L’infréquentable NTM s’est même taillé une respectabilité sur les radios généralistes depuis « Laisse pas traîner ton fils ». Le mépris et la stigmatisation ne s’essoufflent pas encore tant que ça mais tendent à s’atténuer peu à peu. Les médias de masse sentent le vent tourner et ouvrent timidement la porte à de séduisants jeunes loups. Mais le rap et ses porte-voix ne se laissent pas si facilement dompter. Entrés dans la bergerie, les loups font tomber leurs faux manteaux de laine et montrent de nouveau les dents. Pour le plaisir d’un public de plus en plus nombreux. – Sarah

Beat De Boul – Dans la ville

Paru le 14 février 2000 | > « C’est la guerre »

Avec un track introductif explosif et inoubliable qui aurait largement mérité sa place ici. Dans la ville est le deuxième volet de la trilogie Beat De Boul, sorti en début de nouveau millénaire. Trois ans après le premier opus et fort du succès de Jusqu’à l’amour paru deux ans plus tôt, les trois poètes reviennent aux commandes de la nébuleuse du 9.2 grandis, encore plus forts et plus avertis qu’avant. Les quarante minutes de bon son qui sortent alors de nos enceintes sont clairement de la haute voltige et se sont fatalement faites à jamais une place au palmarès de ce que le rap français a pu produire de meilleur. Outre la présence du trio Mo’vez Lang, posant cette fois séparément mais offrant chacun de marquantes performances – on notera tout particulièrement un LIM remonté à bloc et définitivement lancé dès la deuxième piste –, on a plaisir à retrouver Sir Doum’s, définitivement devenu un poids lourd de la région, ou encore Mala, comme un vieil habitué. Mais le Beat De Boul, c’est bien là sa force, continue de trainer dans son lit des noms qui émergent pour nous en mettre plein les oreilles. Le « C’est la guerre » de Nysay est à cet égard LA perle absolue de ce projet et dispute au couplet de Lagonz Viv sur « Paranoïa » (présent sur Dans la sono) la place de meilleure performance révélée par le Beat De Boul. Côté prod, on est toujours sur du fait maison et on entend peu d’évolution sur les inspirations, les rythmes et les boucles, mais ça fait le taff sans forcer, et on se concentre sur les flows et les textes, qui offrent largement de quoi faire pour kiffer tranquillement. Quand, en temps de rétrospective, on se rend compte que cet album a pris vingt ans (et nous avec), on réalise qu’il est un endroit d’où il n’a pas bougé, c’est dans nos cœurs. – Sarah

La Clinique – Tout saigne

Paru le 28 février 2000 | > « Quelques kilos »  

Cet été de 1999, La Clinique, formation parisienne à l’aura limitée, gravitant, pour le plaisir des initiés, dans la traîne de Gynéco, Passi et du Ministère, se paye un classique. « La playa » single bien chaloupé, accompagne chaque partie de beach volley, berce les siestes estivales d’une France qui cherche à booster sa natalité, et offre enfin aux quatre compères une visibilité méritée, quoi qu’éphémère. L’album qui sort enfin début 2000 ne profite pourtant que partiellement du projecteur pointé sur sa piste 14, mais mais offre aux aficionados seize titres globalement fidèles au style de MC’s qu’on s’était habitué à écouter ici et là, au gré d’apparitions à succès depuis l’époque d’Hostile. Quelques perles vraiment, parcourent pourtant cet opus. « Mal à la racine » en tête de liste. Ce solo de Papillon vite oublié est pourtant un bijou de storytelling infernal, parfaitement maîtrisé et envoûtant. Mais les singles qui sortent pour soutenir l’album ne semblent pas à la hauteur de ce qui se promène dans les baladeurs au même moment. « Star » ou « Faites du Bruit », sont pourtant si bien construits ! Et en parfait accord avec les codes du genre qui prévalaient alors : chanteuse au refrain ici, violon et couplets forts là (Papillon vole haut sur « Faites du bruit »), le tout est exécuté avec un certain panache, mais ne convainc pas au-delà des déjà convertis. « On avance », « Le jour viendra », « Clinique 2000 » sont autant de sons bien ficelés, bien produits, où les flows de la formation s’entremêlent et se soutiennent, rappelant que ces MC’s sûrement un peu sous-côtés, en avaient sous la semelle.  «Quelque Kilos », en feat avec un Djamatik carré sur le refrain et soutenu par un Tefa à l’aise derrière la prod, paraît ainsi l’illustration parfaite de ce style tant aimé, si familier, mais qu’on commence à considérer « old school », sans trop encore l’exprimer… C’est finalement aujourd’hui, alors que le rap a tant évolué, qu’on se surprend à ré-apprécier cet opus qu’on avait pu juger trop facile, trop classique, déjà trop « à l’ancienne » lors de sa sortie. Car La Clinique faisait ici du – très – bon rap des 90’s quand le public montait sans retenue sur la vague qui portait le flow du nouveau millénaire. – Sarah

Busta Flex – Sexe, violence, rap et flooze

Paru le 29 février 2000 | > « Hip-hop forever »

Deux ans après son opus éponyme, Busta revient sur le devant de la scène avec un projet bien plus court mais tout aussi efficace. Toujours aussi percutant, il reste fidèle à ses premiers amours et se concentre sur des prods signées de ses potos du 9.3. L’ensemble sonne peut-être un brin plus mélancolique, un chouilla moins funky, mais on reconnait la patte de DJ James ici, BOSS là, quand il ne se fournit pas lui-même le matériel. Si les violons sur le titre phare « Sexe, violence, rap et flooze » ont su emporter l’adhésion générale et ont permis d’offrir à cet album un joli petit succès malgré de faibles efforts pour le faire tourner, les scratchs de DJ Goldfingers qui réveillent la petite boucle de piano sur « Hip-hop forever » sont surement l’illustration parfaite de la magie que ce petit projet dégage. Busta Flex n’a qu’un album solo sous la ceinture, mais déjà tellement de feats, tellement d’apparitions et de freestyles dans les pattes, qu’il n’a plus besoin de démontrer son talent. Sa technique est au niveau auquel on l’attend, au service de son don pour les tours de passe-passe et les bons mots. En une dizaine de titre, il se donne ici toute la latitude pour prendre un pur plaisir que l’auditeur prend en pleine face. Fort de la liberté que son premier album lui a garantie, il s’amuse autant qu’il fait passer les messages qui lui tiennent à cœur, comme s’il vivait sans la pression du résultat. Le fond comme la forme avait tout pour plaire à un public alors acquis. La preuve avec d’un côté « Black », où, intense sur une prod sur mesure de Niroshima, il clame sa fierté d’être noir sans filtre ni compromis, de l’autre un « Fonky Sex » pour que les adeptes du Flex flambeur trouvent aussi de quoi s’amuser. Deux feats quand même, un petit carton avec Sully au début et un joli freestyle, exercice cher au Dyonisien vers la fin en compagnie de Neil et F2l’ile, et le tour est joué. Sans être spécialement ni novateur, ni exceptionnel, l’album gagne pourtant sa place dans ces disques qui ont marqué le début de la décennie 2000, juste parce que Flex Busta est un acharné. Et un rêveur. – Sarah

One Shot – OST Taxi 2

Paru le 27 mars 2000 | > « Au coin de ma rue »

Fort du succès des musiques inspirées du premier Taxi en 1998, Akhenaton est de nouveau sollicité par Besson en 2000, pour le deuxième volet, avec comme contrainte de devoir boucler le projet en un mois. Sa participation consistera en mettre à disposition pour ce projet les studios La Cosca, et son pool de beatmakers Al Khemya (Akos, DJ Ralph, DJ Sya Styles et lui-même), il déléguera la direction artistique à Shurik’n. Ce dernier a l’idée de créer un groupe pour l’occasion, One Shot, le temps d’un long format, réunissant six chanteurs et rappeurs, entre artistes prometteurs et noms déjà installés : Nuttea, Jalane, Taïro, Disiz La Peste, Vasquez (Less du Neuf) et Faf Larage. L’objectif est donc de ne pas offrir une simple compilation, mais bel et bien un album, avec une semaine pour l’écrire, et trois pour l’enregistrer. Sur les seize titres qui composent l’album, un seul morceau collectif (le tube « Millénaire » et son refrain de Nuttea imparable), un solo par participant, et des combinaisons plus ou moins réussies. Si l’ensemble est inégal et peine à trouver une véritable cohérence, le disque contient quelques moments forts avec en premier lieu les deux duos Disiz / Vasquez « Au coin de ma rue » (avec Taïro et Nuttea) et « A la conquête ». Nuttea, présent à six reprises, sublime chacun des morceaux sur lesquels il apparaît, et prépare le terrain pour son album qui sortira un peu plus tard la même année. Les solos sont à l’image de chacun des participants, Vasquez livre une belle introspection, Disiz un morceau drôle et sarcastique, Faf Larage une énième ode au hip-hop, Nuttea un hit imparable, Taïro une balade reggae réussie et Jalane un titre R&B destiné aux amateurs de ce genre musical dans sa version française. A défaut de bénéficier d’une tournée commune, One Shot connaîtra un vrai succès dans les bacs avec plus de 400 000 copies écoulées. Le projet aura également le mérite d’avoir aura lancé la carrière de Jalane, et fini de préparer le terrain pour les sorties des albums de Disiz La Peste et Nuttea. – Olivier

Jacky & Ben-J (Neg’Marrons) – Le bilan

Paru le 27 mars 2000 | > « Ça dégénère »

Recentrés autour de Ben-J et Jacky, les Neg’Marrons nouvelle formule profitent de l’engouement récent mais tangible autour du rap et de tout ce qui s’en approche, pour livrer un opus retentissant. Épaulés par l’efficace et solide Tyrone Downie, le duo s’appuie sur les sonorités reggae qu’il maîtrise parfaitement depuis l’époque de la Rue Case Nègre, pour sortir du lot en cette folle année d’entrée de millénaire. S’ouvrant les portes de toutes les radios « de jeunes » avec son génial « Le Bilan », single introductif de l’album (dont des morceaux entiers sont, au passage, désormais ancrés dans le langage courant), le groupe confirme non seulement une place déjà solide au sein de la famille rap mais affirme aussi son influence sur la scène musicale française. Les 14 missiles de la tracklist s’enchaînent sur un rythme franchement excitant, poussant l’auditeur à sortir d’un boom bap omniprésent mais désormais vacillant, pour découvrir que le rap se pose parfaitement sur ces cadences caressantes venues de Jamaïque. Même lourdes de sens et de messages, les paroles sont enrobées de beats voluptueux, démultipliant leur impact. « Ça dégénère » s’impose alors comme un des autres singles marquants de l’album parce qu’il est représentatif de cette « patte » Ben-J / Jacky : groove et influence reggae pilonnées par deux flows précis et maîtrisés, qui se croisent et se répondent en écho pour faire passer plus qu’un message : un état d’esprit. Taillé sur mesure pour un duo détonant en cette fin (ou en ce début) de millénaire, Le Bilan est fait de mélodies entêtantes, de jolis classiques (« Les enfants du soleil », « Quitter son pays », « Fiers d’être Neg’Marrons ») et de voix familières (comme Pit, Rohff et Mystik qu’on retrouve sur « On fait les choses deux triple zéro », ou encore Sat sur l’outro). A le réécouter, 20 ans plus tard, on se dit que oui, les jours passent comme les voitures, mais le souvenir de ces années où le rap sortait définitivement du placard reste vivace, délicieux, et renverra toujours ici et là un bon goût de dancehall. – Sarah

Scred Connexion : la genèse d’un nouvel écosystème

Le premier long format de la Scred Connexion, sobrement titré Scred Selexion 99/2000, regroupe essentiellement des morceaux déjà sortis. Mais, malgré une cohérence assez paradoxale, c’est surtout la première brique posée sur un édifice qui accompagne le rap encore aujourd’hui. Si, cette année, Lunatic fait le premier disque d’or indépendant du rap français, la Scred s’apprête tout juste à redéfinir ce que sera l’indépendance et en devenir le symbole. Véritable sceau de qualité du rap dit « underground » dans toute la décennie qui suivit, elle montre une autre forme d’économie et d’épanouissement musical possible. Loin de s’ériger en gardiens d’un temple sacré et poussiéreux, les membres ont toujours tendu la main vers la jeunesse à tel point qu’on pourrait regretter l’incalculable liste de couplets sur les disques de rappeurs pas toujours mémorables au détriment de leurs discographies (collectives ou solo). Dès lors, traverser les époques n’est pas un problème. Fort de son légendaire crédo « Jamais dans la tendance toujours dans la bonne direction », l’équipe parisienne tente avec brio de monter un site internet et ouvrir les portes d’une boutique à Paris avec l’ambition d’être la référence du genre. Pour rester plus directement ancrés dans la musique, ils lancent le Scred Festival et reçoivent des artistes assez variés et, même si on retrouve généralement un soin prononcé pour le travail d’écriture, nombreux sont ceux à être ancrés dans les thématiques et/ou sonorités des dernières années. Des vieilles gloires aux plus jeunes pousses, des artistes indépendants, limite intimistes, aux vedettes, tout le monde peut avoir la chance de vendre ses disques et produits dérivés via l’enseigne ou de monter sur scène. Sans surprise la Scred est devenue un vecteur d’entraide et de partage loin de tout sectarisme, des valeurs revendiquées par les membres, même retraités, depuis le début. – Wilhelm

Assassin – Touche d’espoir

Paru le 27 mars 2000 | > « Esclave 2000 »

Durant les années 1990, Assassin s’est distingué comme le groupe indépendant, engagé, avec un propos ultra conscient, une forme parfois qualifiée d’indigeste et une discographie déjà imposante. Touche d’Espoir arrive en 2000 dans un contexte particulier : il doit être à la hauteur des sorties rap français des années 1997-1999 et l’entité Assassin s’est resserrée autour de Squat. On dit qu’« Il faut que tout change pour que rien ne change » et ce qui saute aux oreilles, c’est la mise à jour réalisée, en particulier dans la forme. Alors que Squat avait l’habitude de poser sur des prods chargées, il a su s’entourer de beatmakers qui lui ont procuré l’écrin de cette nouvelle formule. Les premières sessions studio se font avec Dj Mehdi (RIP) et Sulee B. Wax et accoucheront de morceaux (« Sérieux dans nos affaires », « Esclave 2000 », « Classik », notamment) qui donneront le cap de l’album. L’exemple le plus emblématique est l’ovni « $$$ », avec Pyroman. Qui aurait imaginé le déjà vétéran Squat être à l’avant-garde et kicker sa merde sur du 132 BPM ? Impossible de ne pas bouger sa tête comme un coq sur ce banger. Assassin qui semblait old school a su prendre le tournant du 21e siècle, grâce à une nouvelle donne musicale qui a insufflé une dynamique à Squat dans les textes et dans les flows, à qui on ne peut plus reprocher d’être inaudible. Toutefois, Assassin reste sérieux dans ses affaires, toujours aussi revendicatif car certaines choses ne changent pas. Niveau imagerie, toujours pas de visages mis en avant, mais une panthère noire. Mathias Cassel a toujours des choses à dire, il continue de shooter Babylone, de dénoncer l’état assassin, les crimes et bavures policières, il réclame encore une prise de conscience pour sauver la planète et dire non à cette éducation, bref faire bouger les consciences avec un rap qui prend position. Parmi les classiques de l’an 2000, il est donc évident qu’il faut noter cet album sur votre liste. – Chafik

Kertra – Le labyrinthe

Paru le 28 mars 2000 | > « Face à face »

Originaire du quartier du Val Fourré à Mantes La Jolie, c’est tout d’abord avec Expression Direkt que Kertra marque les esprits des amateurs de rap français.  Dès 1994, le groupe fait parler de lui avec la sortie du morceau « Mon esprit part en c… » sur la compilation Ghetto Youth Progress. Cette apparition remarquée leur vaut l’opportunité d’apparaître sur la bande originale du film La Haine l’année suivante avec ce titre mais aussi de sortir le classique « Dealer pour survivre » sur le projet complémentaire La haine : musiques inspirées du film. En 1998, le premier album solo du groupe Le bout du monde voit le jour et connaît un franc succès, comme en témoigne le single « 78 » en collaboration avec Big Red. L’année 2000 se veut être charnière pour Kertra. En plus de sortir son deuxième projet avec Express D, il place la barre très haute avec Le Labyrinthe, premier album solo d’un des membres du groupe.  Produit par ses soins, le Mantais nous livre un opus complet en tout point. L’intro, l’outro et « C Kertra » viennent nous rappeler l’importance de la musique funk et de la soul dans le parcours des rappeurs de l’ancienne génération. Kertra se veut tranchant sur les morceaux « Planquez-vous » et « Face à face » qui s’enchaînent parfaitement à la manière des mixtapes d’antan. Bien accompagné sur le premier par Manu Key et G.Kill et par Kery James sur le second, il apparaît comme rassembleur, déterminé et dénonce également les bavures policières. Ces titres aux productions percutantes se complètent avec des chansons aux ambiances plus douces et mélodieuses comme « La balade » et « Le rêve de mon père ». Sur la nouvelle version de ce dernier, déjà présent sur la compilation L’invincible Armada de Mysta D, on retrouve un Kertra assagi et repenti. Les couplets du Mantais sont sublimés par le refrain chanté en arabe par Nadim. À souligner également le morceau éponyme de l’album, dans lequel pas moins de huit MC’s se succèdent. Kertra y a convié plusieurs membres de la Mafia K-1 Fry (AP, O.G.B, Rim’K, Rohff) ainsi que Weedy de son propre groupe et Keedj Kendall qui apparaît aussi sur « J’enlève ma veste ». Enfin, autre temps fort de l’album, la connexion Paris / Marseille avec le titre « Business » produit par Pone et sa touche légendaire. Don Choa et Sat accompagnent Kertra pour témoigner de  l’abnégation nécessaire afin de réussir et subsister dans le monde de la musique. Tout un symbole. – Jordi

KDD – Une couleur de plus au drapeau

Paru le 10 avril 2000 | > « Qui tu es »

Pendant les années 1990, KDD a réussi l’exploit de mettre Toulouse sur la carte de France du rap. Sans internet, ce courant musical s’est longtemps cantonné à un axe Paris / Marseille. Seuls quelques groupes de province comme La Mixture ou N.A.P à Strasbourg pouvaient se targuer de représenter leur ville ou leur région. Le premier album de Kartel Double Détente, Opte pour le K, signé chez Columbia en 1996, n’obtiendra qu’un succès d’estime auprès d’un public de connaisseurs. Il faut attendre deux ans de plus pour découvrir le projet qui  révèlera le groupe toulousain au grand public, Résurrection, notamment grâce au morceau « Une princesse est morte » qui tourne en boucle sur les ondes et est diffusé sur M6. En 2000, le groupe est attendu au tournant lors de la sortie de l’album Une couleur de plus au drapeau. Même si celui-ci n’a pas connu le même triomphe en termes de ventes que le précédent, ce disque est bel est bien une réussite. Avant-gardiste de par la recherche de nouvelles sonorités et des innovations de flows, il convainc les auditeurs dès la première écoute. Les charleys dédoublées et les doubles tempos sont parfaitement maitrisés, notamment sur les excellents titres « Qui tu es ? » et « Si tu aimes ça ». D’autres morceaux aux productions  plus classiques viennent permettre aux rappeurs du groupe, et plus particulièrement à Dadppda (Dadoo), de montrer l’étendue de leur talent. Nous pensons par exemple à « Qui sera le prochain », produit par Imhotep ou « Le geste » et « Opération charbon » œuvres de Robert Hovor, beatmaker de la formation originaire du Mirail. Par ailleurs, Une couleur de plus au drapeau ne compte que deux morceaux (« Artifices » et « Ghetto Cocaïne ») où des invités font une apparition. D’une part le 113. De l’autre Don Choa, déjà  invité sur Résurrection aux côté du Rat Luciano. Les thématiques des deux titres se répondent puisqu’elles traitent des vertus mais aussi des dangers des stupéfiants. Les productions sont respectivement à la charge de DJ Mehdi et de Pone, deux monuments du beatmaking français. En conclusion, même si cet album n’a sans doute pas connu le succès commercial qu’il mérite, il demeure sûrement le projet le plus abouti du groupe fer de lance de la scène toulousaine. – Jordi

DJ Mars – Time Bomb Session Vol.1

Paru le 10 avril 2000 | > « Les frères ne savent pas »

Lorsque débarque dans les bacs en 2000 cette nouvelle compil’ Time Bomb, le label est à la croisée des chemins. Ses têtes d’affiche ont quitté le navire, Les X sont en major chez Universal, Lunatic a fondé 45 Scientific (sans coke ni Sky…), Pit a signé chez Première Classe et Oxmo, fidèle parmi les fidèles, est le seul rescapé de l’âge d’or de cette écurie qui a révolutionné le rap en français. Comme il l’avait fait en 1995 avec Kessey et Ricky, Dj Mars met en avant les nouvelles signatures du label. Mam’s Maniolo, Le Célèbre Bauza et Les Frères Diak bénéficient chacun d’un titre. Mais les rookies sur lesquels Mars a misé sont décevants, à moins qu’ils ne souffrent de la comparaison avec leurs brillants aînés. Si l’héritage Time Bomb était déjà compliqué à assumer, les poids lourds présents sur la compil ne pouvaient qu’éclipser les jeunes pousses. Le casting est XXL. Daddy Lord C balance un morceau bourré d’allitérations et d’assonances comme il en a le secret, Rockin’Squat propose une touche de désespoir sur les relations humaines, La Rumeur est critique et sans complexe, Oxmo au sommet de son art, Kery James, tout simplement noir, réalise le morceau le plus sous-estimé de sa carrière, sans parler des prestations de G-Kill des 2Bal et des Sages Po’. L’axe Time Bomb / Marseille se renforce aussi. Après les présences d’Ox’, des X, de Pit, d’Hifi sur Sad Hill et de Freeman, d’AKH et du Rat sur Opéra Puccino, Faf Larage est invité pour un exercice de style original, Def Bond règle des comptes, les nouvelles signatures de La Cosca ont droit à un posse cut et les jeunes Psy4 de la rime crèvent l’écran avec un rap technique, énervé et chanté. Au final nous avons là une compil de haut niveau, où les poids lourds confirment leur talent et les nouvelles têtes ont leur chance. Mais comme tant d’autres, ce volume 1 ne sera jamais suivi d’un volume deux… – Chafik

IV My People – Certifié conforme

Paru le 24 avril 2000 | > « C’est ça ma vie »

Le label IV My People existe depuis 1998, et la sortie de l’album éponyme de Busta Flex. En 2000 ce dernier a déjà quitté le navire, et le label ne tourne plus autour du trio Kool Shen / Zoxea / Busta Flex. D’une certaine manière, en 2000, l’EP Certifié conforme, comme le maxi éponyme IV My People paru en 1999, marque le début d’une épopée plus collective, et installe la double identité du IV My Peeps, à la fois collectif et label. C’est également le premier projet collectif maison d’une belle série (Zone, Mission, les trois volets de Streetly Street…) qui fleurira durant la première moitié de la décennie 2000. Certifié conforme, accompagné de trois maxis vinyles, finit donc de présenter derrière le microphone Salif, le duo Serum composé d’Alcide H et Dany Boss et Toy, dans une moindre mesure. Cette dernière est présente sur « United we stand » de Kool Shen, qui connaîtra les faveurs des playlists Skyrock. Salif, qui en 1999 avait été présenté via « Eenie, Meenie, Miny, Mo », brille particulièrement, alliant une énergie brute à un maniement de la plume sans égal, qui ne le quittera jamais. Ceux qui l’avaient découvert avec Nysay sur mixtape ou avec le Beat De Boul, assistent à la transformation de Cash en la future légende Salif, avec des morceaux comme « C’est ça ma vie », et un des meilleurs titres anti-poucaves du rap français, « C’est chaud ». Lord Kossity, membre satellite depuis les débuts du label, vient poser sa voix sur « J’en pose une pour le IV », qui se veut clairement une suite à l’hymne « IV My People », où Salif aurait remplacé Busta Flex. Enfin, les beatmakers Madizm et Sec.Undo, qui sont pour beaucoup dans le « son » IV My People, sont également mis en lumière avec des titres dédiés, respectivement sur l’outro et l’introduction de l’EP. Une introduction justement intitulée « La famille est réunie », puisque ses membres perdureront au sein du label jusqu’à sa fermeture en 2005. – Olivier

L’Antre de la folie, une alternative salutaire

En 2000, le qualificatif « alternatif » n’est pas encore juxtaposé au mot « rap », puisque le courant à proprement parler n’est pas encore ni fédéré, ni sorti des tréfonds de l’underground. Cependant, et si l’adjectif « alternatif » est à la fois réducteur et relativement faux, une nouvelle forme de rap s’apprête à émerger, avec comme premier manifeste – à la portée alors relativement confidentielle – une mixtape cassette réalisée de façon collective, sous la houlette du très jeune label Kerozen (créé par La Caution et Mouloud Achour), et de James Delleck et Tekilatex à la direction artistique. Sur L’Antre de la folie, ils convient une bonne partie de ceux qui seront plus tard les fers de lance de cette scène (Dabaaz, D’Oz, Cyanure, Safear, TTC, Hi Tekk, Nikkfurie, Hustla, Le Klub Des Loosers…), quelques têtes moins connues, et des noms extérieurs au pur microcosme français tels que Koast, Pijall, ou DJ Vadim, autour d’un mot d’ordre : l’inventivité. Il s’agit en effet ici de réinventer le rap français qui tourne un peu en rond depuis la glorieuse année 1998, et peine à se renouveler. Pour ce faire, les participants à L’Antre de la folie n’hésitent pas à faire voler en éclat les codes classiques du genre, et expérimenter de nouveaux flows, proposer des textes différents, drôles, surprenants sur des productions déstructurées lorgnant parfois vers la jungle ou le drum’n’bass. Les influences sont à chercher du côté de la scène indé new-yorkaise d’alors auprès de groupes tels que Company Flow ou Cannibal Ox et du label Def Jux. Certains de ces essais sont moins réussis que d’autres, mais l’important est de marquer son originalité. Exit le rap réaliste omniprésent dans les années 90, place au rap surréaliste. Des tracks tel que le morceau éponyme, les impros hilarantes de Cyanure, le détournement de « Nuthin’ but a »G » Thang », « La barre de fer » du duo Psychotron (Tekila & Hi Tekk) ou « C’est in » de James Delleck sont autant de morceaux qui trouveront un écho chez une frange du public rap français de l’époque, et qui participeront à faire rentrer cette mixtape de pionniers dans la légende. – Olivier

Fabe – La rage de dire

Paru le 10 mai 2000 | >  « La prochaine fois » 

Comme un soupir. Rarement une aussi courte carrière n’aura autant marqué les esprits, en tout cas dans la brève histoire du rap français. Parti s’exiler au Canada après un peu moins d’une décennie et quatre albums, tous aussi importants les uns que les autres, le cinquième membre de la Scred Connexion a acquis une aura frisant le mysticisme au sein du public rap underground de l’époque, au point d’être pratiquement devenu un levier de moqueries à l’encontre des vieux cons qui répètent sans relâche (à raison bien évidemment) que le rap c’était mieux avant. Alors certes, La rage de dire n’est pas le plus mémorable, ni même le plus réussi des quatre albums de Fabe. Il souffre bien sûr, de passer derrière Détournement de son, presque unanimement reconnu comme sa meilleure livraison, et la meilleure estampillée « Scred Connexion » tout court d’ailleurs. Quand bien même, La rage de dire n’en reste pas moins un album très représentatif de ce fameux style Scred Connexion, ce rap presque dénué d’influence d’outre-Atlantique, misant principalement sur une écriture fine et simple, et des instrumentales là avant tout pour appuyer les propos des MC’s. Fabe a ainsi gardé tout son sens de la formule et son écriture très piquante, qui fait de lui l’autoproclamé « Emmerdeur public n°1 ». Jamais violent gratuitement mais toujours corrosif, impertinent mais jamais sans perdre en pertinence, Fabe reste dans la continuité logique de sa carrière et la clôt de la meilleure des manières. La connexion en passe-passe avec Rocé sur « La prochaine fois » devient une évidence et sonne comme un passage de témoin du porte-étendard d’un rap d’une rare intelligente et d’une subtilité peu égalée. Loin d’être l’album de trop, La rage de dire conclut parfaitement, pour Fabe, une carrière aussi millimétrée que son écriture. Et c’est assez rare pour être souligné. – Xavier

Akhenaton & Bruno Coulais – Comme un aimant

Paru le 22 mai 2000 | > « Comme un aimant »

Après le succès de L’Ecole et la création de La Cosca, Akhenaton se lance dans la réalisation de son premier long métrage en compagnie de Kamel Saleh (qui avait réussi à clipper brillamment « Demain c’est loin ») et de ses proches en guise d’acteurs, pour raconter la vie désabusée d’une bande de jeunes du Panier, quartier de Marseille à la réputation sulfureuse qui a accueilli différentes vagues d’immigration. Le film, sorti durant la fête du cinéma à l’été 2000, a attiré une partie de la jeunesse et a reçu un beau succès d’estime. Pour la B.O., AKH a été d’une ambition folle, en sollicitant Bruno Coulais, compositeur de films de renom, contacté une première fois par Shurik’n qui avait samplé une de ses productions pour l’instru de « Samouraï ». L’orchestration, subtile et profonde, à base de nappes majestueuses, sublime les artistes présents. Sur la tracklist, certes, la famille du 13 et du 06 est réunie (Psy4 de la rime, K-Rhyme Le Roi, Akhenaton, Shurik’n, Bouga, Tony & Paco, Chiens de paille, Coloquinte) et des fines plumes new-yorkaises sont là (Talib Kweli, Bruizza), mais ce sont surtout des légendes de la soul qui ont répondu à l’appel : Millie Jackson, Isaac Hayes, Marlena Shaw, The Dells, Cunnie Williams, Dennis Edwards. L’album comporte même des chansons traditionnelles corses et italiennes. Cette B.O. raconte autant l’histoire du Panier, de Marseille, que celle d’AKH, qui a fait de la musique un personnage principal du film. Difficile de sortir un morceau du lot, tant les pistes se suivent, ne se ressemblent pas et atteignent des sommets. L’envoutant Isaac Hayes (« Is it really home ? ») et l’éternelle Millie Jackson (« Prisoners of love ») assurent des performances vocales et mélodieuses entêtantes,  « Comme un aimant » a marqué tout auditeur de rap, « Belsunce breakdown », de l’insolite Bouga, est devenu un hymne connu de tous, « J’voulais dire » est un des morceaux d’Akhenaton les plus poignants… Un bijou cette B.O. – Chafik

Expression Direkt – Wesh on écoute ou quoi ?

Paru le 24 mai 2000 | > « 3/4 Costla »

Quand Wesh on écoute ou quoi ? sort, Weedy, Kertra, Delta et le T.I.N. font déjà partie de l’Histoire. Pionniers du rap hardcore, ils ont à leur actif un album sorti en major, sont déjà structurés en labels (avec des sorties telles que Guet Apens, Le code de l’honneur, les solos de Delta et Kertra), et comptent quelques classiques du rap français dans leur besace qui, chose surprenante, apparaissent au tracklisting de ce deuxième opus. Quoi qu’il en soit, il est intéressant d’observer comme classiques et inédits s’entremêlent avec harmonie, ce qui souligne plusieurs choses : la qualité des nouveaux morceaux, la cohérence dans le propos, et l’énergie du groupe, intacte malgré les six années qui les séparent du titre « Mon esprit part en couille » sur Ghetto Youth Progress. Leur retour forcé en indépendance après les chiffres décevants de leur pourtant solide premier album leur donne peut-être cette gouache nécessaire pour entamer le virage du second disque sereinement, à l’inverse de nombre de leurs confrères qui se sont vus rendre leurs contrats après un deuxième opus décevant. Adeptes d’un rap hardcore à l’aube d’une décennie qui verra régner le genre en maître, ils paraissent à la fois remontés comme jamais et détendus, leur parcours dans la musique et leur réputation sulfureuse dans le milieu parlent pour eux. Pas besoin de froncer les sourcils pour être crédibles, l’authenticité saute aux yeux, que ce soit sur l’hymne « 3/4 Costla », l’ode à la taxe « Wesh on y goûte ou quoi », ou le hit en puissance « Happy end et tragédie ». Pour la partie instrumentale, les quatre compères se sont relayés derrière les machines pour un rendu riche, léché et mélodieux. Le projet ne contient aucun featuring, que ce soit sur les morceaux nouveaux ou plus anciens (il faut dire que Kertra s’en est donné à cœur joie sur son solo la même année), une façon peut-être, après leurs déboires en maisons de disques et le décès de leur manager Rud Lion quelques mois auparavant, de brandir haut l’étendard Expression Direkt. – Olivier

Ghetto Diplomats & X-Men – Bing Bang Vol.1

Paru le 6 juin 2000 | > « Poing levé tête baissée »

Jedi, Ghetto Diplomats, plus tard la Famille Haussman, sans compter les sous-groupes du méga collectif ATK à ses débuts… Difficile de suivre pour les non-avertis, mais pour faire court, malgré les changements de noms de groupes et les différents mercatos, les frangins Kassim et Kamal, entourés de Celsius et Watchos, rappent ensemble depuis longtemps, et ont toujours été proches d’Ill et Cassidy des X-Men. De cette réunion et ce temps passé ensemble est né un projet : Bing Bang Vol.1, qui ne connaîtra pas de deuxième volet. Le ton, les interludes potaches et les ambiances freestyle donnent parfois à cet album relayé par les seuls medias spés des allures de mixtape. Cependant, on aurait tort de résumer ce disque à un défouloir réalisé à la va-vite. En effet, quand on tend l’oreille, les techniques de rimes non-académiques héritées de l’école Time Bomb sont de haute volée comme sur l’excellent « La corde au cou », suite assumée du classique s’il en est « Pendez-les, bandez-les, descendez-les ». Les quelques moments conscients sont redoutables, « Poing levé tête baissée » en premier lieu, quand les ambiances West Coast sur un bon quart du projet collent parfaitement à l’entente chaleureuse qui semble régner entre les différents protagonistes. Pour couronner le tout, on peut compter parmi les invités la Movez’ Lang au complet, un Mala en grande forme, Sat et Menzo pour un deuxième « F.F. / X-Men », et Metek, qui ouvre l’impeccable outro « Pour mes gars autour », ode à l’amitié de 7’35 à la sauce californienne. En 2000, alors que Time Bomb en tant que collectif n’existe plus et que Pit Baccardi, Oxmo Puccino ou Lunatic sont en train de marquer le rap français chacun de leur côté, Bing Bang Vol.1 sonne comme un soubresaut de ce que pouvait représenter l’étendard mythique précité quatre ou cinq ans auparavant. – Olivier

Lunatic – Mauvais œil

Paru le 28 septembre 2000 | > « Le silence n’est pas un oubli »

Septembre 2000, tout commence comme la bande son d’un bon western. Sauf qu’encore une fois, une lourde brique vient d’être envoyée en plein milieu de la vitre d’un rap français en cours de démocratisation. Tout a été dit ou presque sur le coup de maître qu’Ali et Booba réussissent alors avec ces 15 titres coup de poing. Prouesse de cohérence musicale, prods sombres et denses à l’appui, explosion de talents si complémentaires où chacun dans son genre prend un plaisir visible à ringardiser l’offre du moment, affirmation de la punchline comme support de la modernité, comme avenir du genre… « Pas le temps pour les regrets », « La lettre » et « Civilisé », blockbusters incontournables sur le coup sont toujours estimés parmi les sons les plus respectés de cette époque. « Le son qui met la pression », « Banlieue ouest », « Le silence n’est pas un oubli », sont autant de fusées injustement moins populaires, mais revenant toujours si régulièrement dans nos playlists depuis 20 ans qu’on a du mal à leur donner leur âge. Si puissants, si audacieux, si parfaitement pertinents, Booba et Ali sont ponctuels et sortent leur bombe à cet instant où le public et les médias sont prêts à y porter intérêt. Loin alors, de porter l’œil à leur genre, ils l’amènent d’un seul coup dans une autre dimension. Rabattre subtilement les cartes de dix ans d’évolution des flows, des prods, des mixes et prouver délicieusement qu’il est heureux que rien ne soit jamais acquis, voilà ce qu’a été Mauvais Œil en 2000 en France. Rappeler que toujours la musique pousse de courageux explorateurs à sans cesse se renouveler, à s’inspirer ailleurs, et à se sortir des tendances et des carcans qu’elle a elle-même forgé. Gloire à ceux qui font exploser les idées reçues, les habitudes et les frontières. Longue vie à ceux qui ouvrent le champ des possibles et y font entrer tous les autres. – Sarah

Nouvelle Donne II : Tout vient à point à qui sait attendre

Paru le 19 octobre 2000 | > « Hommes de l’ombre »

Trois ans après la première compilation du même nom, c’est reparti pour une aventure Nouvelle Donne. Très traditionnelle et comparable sans nulle doute, dans le fond comme dans la forme, aux compiles qui faisaient légions à l’époque, elle a pourtant su trouver un chemin très évident vers la postérité. Présentant désormais une véritable écurie maison en formation plutôt qu’un amoncellement de têtes d’affiche donnant la main à de jeunes rookies affamés, elle fait la part belle aux siens (Ol’Kainry, Antilop Sa, OSFA, Daomen sur des morceaux chiadés et Disiz qu’on retrouve en fin d’album, comme une promesse). Un thème « proverbe » est même donné aux participants, histoire de se garantir une cohérence et voilà qu’est égrainé sur une vingtaine de morceaux un chapelet de featurings de haut vol, formatés pour laisser une trace. Encore une intro aux petits oignons de DJ Poska, et très bons passages et petits plaisirs simples s’enchaînent tranquillement. Sur le podium des morceaux les plus forts, de jeunes poids lourds, plus ou moins déjà visibles sur la scène nationale, confirment leur potentiel en s’asseyant sans plus d’hésitation au banc de ceux qui comptent. Ol’Kainry et Pit sont percutants sur « Veni, vidi, vici », Diams et Antilop Sa nous font sourire de leur liste de vœux simples sur « Avec des si », quant à Daomen et Manu Key, ils groovent pépères en donnant la réplique à un Rim’K ultra chaud sur « A chaque âge ses plaisirs ». Beaucoup de talent et beaucoup de kif, mais sur 20 titres, pas de bombe absolue donc ? C’était compter sans Lunatic, qui en parfait duo de petits génies indisciplinés, s’affranchit du thème dans sa collaboration avec Mala, et offre « Hommes de l’ombre » à ND2. Rien que ça. Peut-être ce qui l’a fait passer d’une excellente compile à un CD absolument incontournable de cette année-là. – Sarah

L’école du 0.6.

A la fin des années 1990, le rap français est polarisé sur Paris et Marseille. Strasbourg avec N.A.P., Toulouse avec KDD, voire Lyon avec I.P.M., complète la carte. Mais une école se développe dans les Alpes Maritimes (06), entre Nice, Cannes, Vallauris, avec le collectif Napalm, autrement dit Mic Forcing (Masar, Veust), Chiens De Paille (Sako, Hal) et Coloquinte (Samm, Le A, DJ Elyes). Leurs particularités ? Du rap technique, influencé par New York, des lyricistes, adeptes des rimes au kilomètre, obsédés des multisyllabiques et des placements, à contre-courant d’un rap français qui privilégie le fond sur la forme. Et ce qui devait arriver arriva. Les membres de cette école ont été repérés par Akhenaton, qui partage cette science de la rime. Il y aurait à dire sur cette rencontre. Beaucoup prétendent que les X-Men et l’école Time Bomb auraient influencé IAM pour la mouture définitive de L’Ecole du Micro d’Argent ; on peut se demander si l’école du 06 n’a pas eu elle aussi une influence sur AKH et les tontons marseillais ? Les affinités artistiques, humaines, les échanges de bons procédés semblent évidents entre Chill, Sako, Veust, Le A. D’ailleurs, tous les groupes de cette école auront été signés sur La Cosca. On peut même constater qu’à la fin de l’aventure Côté Obscur, marquée par les départs de la Fonky Family et du 3e Œil en major, groupes qui auront amené un vent de fraicheur dans la nébuleuse IAM à la fin des années 1990, c’est du côté du 06 qu’Akhenaton se tourne au début des années 2000 pour développer de nouveaux artistes. Cette fine équipe sort de l’ombre pour la lumière et se retrouve à poser sur une dizaine de plans d’envergure : la B.O. de Taxi (1998), Opération Freestyle (1998), Sur un air positif (1998), la mixtape La Cosca (1999), la B.O. de Comme un aimant (2000), Hostile 2000, la mixtape Extralarge de DJ Ol’tenzano (2000), Sol Invictus (2001), sans parler du premier album de Chiens de Paille 1001 Fantômes (2001). La B.O. des Rivières Pourpres (2000) est surement le projet qui incarne le mieux cette école du 06. Leur univers se marie à merveille aux compositions signées Bruno Coulais, les morceaux sont denses, en rien simples ni funky, Masar, Samm, Le A, Veust et Sako viennent marquer les esprits à chaque couplet. Soulignons pour conclure que ces lyricistes (on n’employait peu le terme de kickeurs à l’époque) ont aussi eu une grande influence sur les membres de L’Entourage ainsi que sur Infinit, qui poursuit l’œuvre de cette école du 06. – Chafik

Disiz La Peste – Le poisson rouge

Paru le 24 octobre 2000 | > « Le poisson rouge »

Nous sommes donc en 2000. Le bug n’a pas eu lieu et rien ne semble avoir changé. Le rap français ponctue ses années de noblesses tranquillement et voit de nouvelles têtes arriver. Une ressort de la masse et se plonge entièrement dans un bocal à poissons. Et pas n’importe quel animal aquatique vertébré, le cyprin doré AKA le poisson rouge. Après avoir été repéré par JoeyStarr (entre autres) à la suite de son maxi Bête de bombe (ce que les gens veulent entendre) et après sa participation à l’OST du film Taxi 2 qui, soyons honnête, n’était vraiment pas aussi qualitative que le premier volet, Disiz La Peste sort son premier album studio : Le Poisson Rouge. Composé de vingt morceaux et produit majoritairement par Jmdee (excepté deux titres produits par Cheick Tijane), Le Poisson Rouge est un album ou le mot d’ordre est éclectisme. Certains diront peut être que c’est le prototype même de ces premiers albums où l’éclectisme n’est qu’un schéma mercantile pour plaire au plus de monde. Possible. Un projet qui aux premiers abords, peut vite paraître bordélique, encore plus quand on observe le nombre d’invités : quatorze pour être plus exact. Même si ces constatations viennent un peu noircir le tableau, on s’aperçoit très vite de la grande qualité de plusieurs morceaux : « J’irai cracher sur vos tombes » en featuring avec Taïro pour un remake acide de Boris Vian, « Les rumeurs » et sa thématique de la jalousie avec Joey Starr, « Fuck Disiz » ou Disiz donne dans l’auto-sabordage et une autodérision efficace, « Lyrics de gamin » et son tête-à-tête avec Akhenaton, « Ghetto Sitcom » et son trip « Hélène et les lascars » ou encore le mythique « J’Pète Les Plombs » où dans un story telling absurde et grotesque, Disiz rivalise presque avec Michael Douglas. Vous l’aurez compris, quand on fait les comptes, le bilan est mitigé, le résultat sans doute trop hétérogène. De par la volonté de brasser large, Le Poisson Rouge de Disiz La Peste se perd parfois en eau trouble, même si certains morceaux surnagent aisément, la prouesse principale au niveau des featurings étant d’avoir réuni Joey Starr et Akhenaton sur un même album. Les productions de Jmdee (qui s’adonnera plus tard à l’électronique et au free jazz familial) paraissent un tantinet inégales, mais recèlent toutefois quelques pépites. Les confrères de l’Abcdrduson résumaient en 2000 parfaitement la chose en une phrase efficace : « Disiz est doué, intelligent, mais peut être trop consensuel : Solaar à ses débuts en somme. » – Clément

N.A.P. – A l’intérieur de nous

Paru le 25 octobre 2000 | > « Star post mortem »

Avec A l’intérieur de nous, N.A.P. ferme sa trilogie d’albums, parus à intervalles réguliers en 1996, 1998 et 2000. L’étude des pochettes successives montre une élévation aussi sociale que géographique entre La racaille sort un disque, en direct du quartier, et La fin du monde, sur les toits de la ville. A l’intérieur de nous représente le stade ultime de l’élévation pour le groupe strasbourgeois, qui pointe comme solution aux problématiques chères à son rap (l’extrême précarité dans les quartiers, la tentation de l’argent facile, les injustices subies par les minorités, les ravages de la drogue) une réponse à trouver en soi-même, et parmi les siens. La pochette blanche et épurée évoque aussi une forme de modernité et de futurisme, qu’on retrouve parfois dans les sonorités proposées par les beatmakers attitrés Sulee B Wax, Don Lab et Bilal, qui n’enlèvent cependant rien à la composante émotionnelle forte qui caractérise le rap des N.A.P. Cependant, quelques indices laissent présager la fin de leur carrière dans le rap, avec en premier lieu de nombreuses phases disséminées çà et là entre écœurement, déception et lassitude quand il s’agit d’évoquer le rap, notamment sur le morceau « La crise » : « Marre d’étaler nos vies dans chaque disque, marre de ne pas savoir faire autre chose meskin ». Car malgré un deuxième album qui aura marqué les esprits avec de nombreux featurings prestigieux, et une signature en artiste chez BMG pour le troisième (ainsi qu’un mix signé Prince Charles Alexander), le groupe semble vouloir réaffirmer son éloignement du milieu et des copinages, ainsi que son attachement sa communauté (et le Neuhof en premier lieu). Loin d’être l’album de trop redouté par de nombreux artistes, A l’intérieur de nous porte très bien son nom, et clôt de la meilleure des manières l’aventure collective New African Poets : en famille, avec un discours en totale cohérence avec l’état d’esprit qui les anime depuis leurs débuts. – Olivier

Le Rat Luciano – Mode de vie béton style

Paru le 30 octobre 2000 | > « Mode de vie complexe »

Mode de vie Béton Style n’est pas un classique. Mais un (très) bon album d’un rappeur d’exception. En 2000, Le Rat Luciano est le rappeur préféré de la F.F. et un des rappeurs préférés des rappeurs. Ses couplets sur Si Dieu Veut, sur le Hors-Série vol.1, sur « Rien  à perdre » avec Akhenaton, sur PC1, ses freestyles avec Time Bomb sur Générations ont marqué les esprits. Après les premiers disques d’or de la Fonky, c’est assez logiquement qu’il est le premier membre du groupe à sortir un solo. Il s’entoure de Pone, qui produira la quasi-totalité des instrus, et sollicite Sat pour la D.A., qui décline. Luc’ va droit au but et touche au cœur avec sa sincérité. Il raconte la vie de rue qu’il élève au rang d’art de vivre. Les prouesses lyricales se multiplient, Luciano n’ayant son pareil pour décrire la complexité de son monde, simplement. L’album regorge de (très) bons morceaux, aux formats variés : « A bas les illusions », « Mode de vie complexe », « Il est fou ce monde », « Faut niquer le bénef » (quelle interprétation !), « Nous contre eux », avec Rohff et Sat, pour une passe d’armes mémorable, « Derrière les apparences ». Mais le verre est à moitié plein. On a l’impression que Luciano s’est senti obligé de faire cet album, sans en avoir l’envie, lui qui n’a jamais pris au sérieux sa « carrière » et qui emmerde la vie d’artiste (avant ce LP il n’avait sorti que « Les mains sales » en solo, il n’y a pas eu de tournée pour défendre le disque et depuis, on attend toujours le deuxième album). Les prises de risque, en particulier au niveau des sons, en ont surpris plus d’un et certains morceaux semblent dispensables. Surtout, l’attente était trop grande autour du Rat qui n’a jamais eu l’ambition d’être la star du rap qu’on voyait en lui. Retenons l’authenticité et le talent si caractéristiques de son auteur qui irradient l’album et ont construit sa légende. – Chafik

Electro Cypher

Paru le 31 octobre 2000 | > « Une nouvelle dimension »

Début de la décennie 2000 : et l’électro s’abatis sur… la France. Toujours à l’affut et curieuse d’intégrer dans son sein de nouvelles influences, c’est la planète Marseille qui dès les premiers vrais bouillonnements, décide de tomber dans la marmite. Guidés par Akhenaton – décidement bien occupé par des projets ad-hoc en ce début de millénaire – sur une compilation en quinze morceaux, les DJ les plus en vogue du 13 se laissent aller à des explorations tantôt intéressantes, tantôt déconcertantes. Si le tout reste globalement empreint de sonorités hip-hop, les scratchs de DJ Ralph en ouverture aidant largement à rassurer les amateurs du côté obscur, AKH et ses copains nous sortent de notre zone de confort plus d’une fois, sans toutefois jamais prendre le risque de nous perdre totalement. Toujours, ici un sample, un scratch, là une tonalité funk, une caisse claire qui nous ramène au sec sur la rive, en sécurité, mais les pieds mouillés. Savamment disséminés dans la tracklist, « Une autre dimension » ou « How is it » apportent le quota règlementaire d’un rap qui ne fait pas de vague, mais permet de redonner une prise aux oreilles prêtes à stopper leur écoute, avant ou après les pistes déroutantes signées DJ Sya Style, le Mr platine des Psy4 étant surement le plus aventurier des participants, se jetant volontiers dans l’inconnu, et nous avec. AKH a appelé sa compile concept « Electrocypher », une tracklist pour danseurs, alors ? Alors pas sûr que les danseurs de l’époque aient retrouvs tous leurs repères pour poser leur groove sur chacune des quinze pistes, mais surement les morceaux les plus hip-hop (ou les moins electro) comme « The Battle », « Yes Ya’ll », « 1986 », ont participé à créer des ponts, générer de nouveau mouvements, éduquer les corps à appréhender d’autres rythmes, et à se faire plaisir dessus. Le « Marseille in the house » de Bruizza est à cet égard sûrement le meilleur morceau du CD sur lequel on a pu s’éclater à mélanger les genres. A le réécouter, alors que nos sens se sont depuis largement habitués à entendre du hip-hop partout, s’inspirant -subissant- de toutes les influences possibles, le projet nous paraît tout simple, plutôt pas mal, mais loin est l’audace qui l’avait motivée et qui lui avait valu une couverture de Radikal. Reste seulement le sentiment que la reprise de Belsunce en outro avait marqué alors la limite de ce genre d’association… et le réaffirme aujourd’hui. – Sarah

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