Vingt ans après : 1999 en 20 disques de rap français

1998 fut apothéotique pour le rap français, que ce soit par la qualité des disques sortis, la quantité de classiques qu’elle engendra, et les chiffres de ventes au beau fixe. D’une certaine manière, 1999 connaîtra les répliques du séisme provoqué l’année précédente avec des disques qui continueront à bien se vendre malgré l’arrivée massive des graveurs dans les foyers français, avec l’entrée d’une catégorie « rap / groove » aux Victoires de la Musique, la diversification de l’offre en termes émissions spécialisées sur Skyrock, et des tournées conséquentes pour les groupes de rap installés. Cependant, musicalement, l’offre commence à se diversifier, et les différents sous-genres des années 2000 commencent à se dessiner. Le courant « rap hardcore » fait doucement surface, les prémices de ce qu’on appellera plus tard le « rap alternatif » sont également en train d’émerger, quand des groupes chaque jour plus nombreux défendent de leur côté un « rap à la française ». Une chose est sûre : le rap en français s’est très bien porté en 1999, preuve en est avec cette sélection non-exhaustive de 20 galettes. 20 chroniques, accompagnées d’un mix dédié, afin que la lecture puisse se faire en musique. – Olivier

3ème Œil – Hier, aujourd’hui, demain

Paru le 9 février 1999 | > Hymne à la racaille

Avant de sortir de Hier, Aujourd’hui, Demain en 1999, Boss One et Mombi ont brillé sur toutes les sorties marseillaises de 1997 et 1998, que ce soit Sad Hill de Kheops, Si Dieu Veut de la F.F., Chronique de Mars d’Imothep, Où je vis de Shurik’n, mais c’est surtout « La vie de rêve » sur Taxi qui les révèle au grand public. Lorsque l’album sort l’attente était importante, d’autant plus après le succès de la Fonky. Et pour mettre sur orbite l’album, un choix curieux a été fait, puisque c’est « La bomba » qui a été clippé alors que le meilleur morceau du LP était « Hymne à la racaille » plein d’authenticité, de mélancolie, avec sa boucle de piano et ses scratches. Le mensuel Groove ne s’y était d’ailleurs pas trompé en mettant ce titre en tête de son fameux CD qui accompagnait le magazine (au nez des X et de leur « One one one »). L’album est composé d’hymnes Hip Hop (« Soldat du Hip Hop »), de storytellings (« Eldorado »), de morceaux tristes (« Club Merde ») et de posse cut (« Têtes brûlées ») en compagnie de la F.F., du Venin, de Faf Larage, de Disiz, de Fdy et de Rohff. Dj Bomb et Dj Ralph assurent à eux deux toutes les prods et tous les (nombreux) scratches de l’album, qui reprennent exclusivement des morceaux marseillais. Contrairement à IAM et à la Fonky Family, les Comoriens du 3ème Œil font clairement du rap de fils d’immigrés ce qui les rapprochait de La Rumeur ou Less du Neuf. Le Troize était très complémentaire avec la F.F., représentant le pendant plus posé à la Section Nique Tout. Comme la Fonky, le 3ème Œil sortira un EP (Star Clash) suite à leur premier LP, avant que l’aventure Côté Obscur ne se termine, dont Hier, Aujourd’hui, Demain aura été une des plus belles perles. – Chafik

Ecouter aussi : 45 Niggaz – Les guerriers de Mars

D.Abuz System – Le Syndikat

Paru en février 1999 | > La concurrence

En 1998-1999, tout le monde n’était pas disque d’or, tout le monde ne passait pas sur Skyrock. Et comment ne pas évoquer D.Abuz System quand il s’agit de se remémorer cette époque où chaque groupe sortait son premier LP après quelques années dans l’underground ? Sans avoir été dans la lumière, Mysta D et Abuz ont brillé dans l’ombre via leur EP Ça se passe, la mixtape N°20 de Cut Killer ou les compils Guet-apens et surtout L’Invincible Armada. Vint alors l’étape du premier album afin d’affirmer l’identité D.Abuz System. Toutes les prods (et les scratches !) sont assurées par Mysta D, qui use de samples et des moyens de la maison de disque pour faire jouer des musiciens (basse, violon, flûte, guitare, saxo), une chorale (sur « Je vis dans le péché ») et réaliser le mastering à New York. MC complet, Abuz étale toute sa technique faite d’allitérations, d’assonances, d’exercices de style (« Le riche et le pauvre ») et de punchlines (« On a les idées larges mais pas autant qu’le trou du cul d’Dave »). Les morceaux alternent entre invitation à la réflexion (« J’aurai dû être là », « Business », « On ne vit qu’une fois »), storytelling (« Traficants ») et titres plus légers (« Syndicat du rap », « Ta petite amie » qui laisse entrevoir les vices de Ricardo Malone…). Parmi les invités on croise le DA System avec Stor.K et Les Spécialistes (Tepa et Princess Aniès – seul groupe homme / femme du rap français ?!), Doudou Masta, ainsi que les proches Oxmo et Rohff. En dépit de toutes ses qualités, d’une pochette à la No Limit, d’une couv’ de Groove, l’album n’aura pas été suffisamment promotionné par la maison de disque (aucun clip !) et atteindra difficilement les 50000 ventes. Malgré le succès d’estime, le groupe ne survivra pas au passage à l’an 2000. – Chafik

Ecouter aussi : Daomen – Underground classic

Zoxea – A mon tour d’briller

Paru le 2 février 1999 | > Rap, musique que j’aime

« Quand je lisais une chronique négative de A mon tour d’briller, l’album de Zoxea, je me disais que le journaliste n’avait décidément rien compris à la vie, parce que justement cet album, c’était toute la mienne ! Cet album m’a sauvé. Il m’a fait traverser une époque, je le connaissais par cœur. » C’est ainsi que La Fouine, dans son autobiographie, évoque le classique qu’est devenu vingt ans plus tard A mon tour d’briller. Il est certain que le premier album de Zox’ des Sages poêtes de la rue est l’un des disques les plus marquants de cette année-là, tant par ses featurings (Kool Shen, Busta Flex, Don Choa, le Beat De Boul, Lord Kossity, Melopheelo…) que par ses instrumentales ou ses thématiques. Bien que Zoxea, qui a participé à la tournée du NTM tour l’année précédente, n’a pas le même rayonnement seul qu’avec son groupe, l’album sera certifié disque d’or (100 000 exemplaires) dix mois après sa sortie, ce qui en fait l’un des gros succès de 1999. Porté par le titre « Rap, musique que j’aime » qui connaîtra un clip et qui était présent sur le maxi La ruée vers le roro sorti quelques mois plus tôt, le succès de A mon tour d’briller est donc autant un succès d’estime que commercial. A cette époque, IV my people, le collectif fondé par Kool Shen, Busta Flex et Zoxea a le vent en poupe, et le rappeur des Hauts de Seine montre que cela n’est pas un hasard. Quatre années après Qu’est-ce qui fait marcher les sages ?, sa volonté de briller a mené Zoxea à réaliser ce qui restera pour beaucoup comme l’un des meilleurs albums de rap français. – Costa

Diam’s – Premier mandat

Paru le 17 février 1999 | > C’est toi qui m’gêne

Il est émouvant de retrouver après tant d’années un album comme Premier Mandat, qui transpire si bien la fragilité d’un premier opus. Soigneusement et laborieusement préparé, livré avec tout l’amour et toute la foi d’une artiste exceptionnelle entrant à tâtons dans la cours des grands, il dégouline de ce qui fera bien assez vite le succès de Mélanie. A peine 18 ans et déjà beaucoup de choses à dire pour cette jeune voix, qui se pose alors sans complexe et avec une énergie communicative sur 18 pistes, si pleines d’un entrain sans détour qu’il en est presque naïf.  Avec toute sa vérité mais aussi tout son talent, encore brut et parfois un brin maladroit, Diamant est clairement là pour en découdre, montrer ce qu’elle sait -déjà- faire. Avec un flow tantôt hyper affirmé et précis, tantôt plus approximatif, mais toujours d’une sincérité indéniable, elle confirme avec des morceaux comme « Banlieues du monde » ou « Premier mandat », son attachement à un rap engagé et témoin de son temps, tout en prouvant qu’elle est amplement capable de se faufiler sur des egotrips féroces ou d’ambiancer son monde sur des instru résolument dansantes. Si certains morceaux suivent un peu trop les grosses ficelles de singles grands public de l’époque (« Si je dois rester » par exemple, qui sample Tracy Chapman et offre le refrain à Vibes) d’autres surprennent par leur maturité, comme le très intime « Rimer ou ramer » où des sonorités avant-gardistes soutiennent un flow différent et plus profond. Preuve de son potentiel, quelques jolies voix, plus ou moins reconnues, se sont jointes au petit prodige « made in Cyprus »: Sous Scellés et Driver en haut de l’affiche pour le rap francophone, mais aussi Heather B côté US, sont venus épauler celle qui promet d’entraîner le rap game à un autre niveau sur la scène musicale française. Album très boom-bap (aujourd’hui on dirait « très à l’ancienne »…), c’est un flop à sa sortie. Mais il introduit une rappeuse hors pair, technique, intéressante, et rassemble tout ce qui a fait de Diam’s une grande. – Sarah

Ecouter aussi : Kamnouze – La technique du globule noir

La Cliqua – La Cliqua

Paru le 15 mars 1999 | > Pas de place pour les traîtres

La Cliqua est déjà légendaire en 1999, forte du maxi de Daddy Lord C Freaky Flow (1995), du EP Conçu pour durer (1995), de sa compil Le vrai Hip Hop et des solos de Rocca (1997) et de Daddy Lord C (1998). Pour ce premier album du groupe, Egosyst et Kohndo ne font plus partie de l’aventure. Raphaël est épaulé par Rocca et Daddy Lord C, la Section Camouflage gère toutes les prods, quant à Chimiste et JR Ewing, ils produisent l’album via Arsenal Records. Tout le monde s’attendait donc à un nouveau classique. Sur le premier morceau, « 3 rounds », les 3 MC se succèdent sur 3 instrus entêtantes, chacun démontrant ses qualités, mais le tout manque de liant. Dans l’album, on aurait aimé voir des combinaisons inédites (Rocca/Raphaël ou Daddy Lord C/Raphaël) et la Squadra se réunir sur plus d’un titre. Chaque rappeur a un morceau solo, mais il n’y a pas de titre phare parmi eux (Raphaël s’en sort plutôt bien, mais Daddy Lord et Rocca nous avaient habitué à mieux sur leur album). On regrette qu’il n’y ait aucun featuring majeur et aucun clip ! L’album manque aussi de prise de risque, même si la pochette en est une (magnifique pour certains, incongrue pour d’autres). Mais il serait injuste de nier qu’il s’agit là d’un bon album, d’un groupe ultra-talentueux, qui symbolise le rap français des nineties, inspiré par le QB. Raphaël déborde d’énergie avec sa voix unique, Daddy Lord, qui multiplie ses fameuses allitérations, est impressionnant, Rocca fait preuve d’un charisme sans faille et Gallegos dispose d’un son qui lui est propre. La Cliqua est hip-hop dans l’âme, comme le montrent leurs professions de foi dans « Pas de place pour les traitres » et « Né pour ça ». Dans « Je pense à toi », Ace convoque alto, violons et violoncelle pour un des temps forts de l’album. Le LP se termine avec « Un dernier jour sur terre », morceau apocalyptique qui a marqué toute une génération. Même s’il n’y aura jamais de deuxième album, La Cliqua demeure légendaire. – Chafik

Première Classe vol. 1

Paru le 18 mars 1999 | > Atmosphère suspecte

S’il fallait associer les compilations dans le rap français à une période en particulier, il s’agirait très certainement de la seconde moitié des années 1990. D’Hostile à Invasion en passant par L 432, L’invincible Armada ou encore les premières sorties de Nouvelle Donne ou Neochrome, la période était riche en qualité et en quantité. Première Classe arrive en 1999 comme un couronnement de cette période bénie pour la compilation. Il est presque impossible de se rendre compte aujourd’hui ce qu’un tel regroupement de têtes d’affiche pouvait représenter. Alors que les compilations font régulièrement la part belle aux petits MC’s, excellents en freestyle et en performance pure, mais en difficulté dès le moment où il est nécessaire de suivre une ligne directrice ou de tenir un thème, c’est le principe inverse qui est mis en avant dans cet OVNI. En effet, quelle compilation peut se targuer de rassembler des combinaisons aussi prestigieuses que Shurik’N / Kery James / Rocca / Hamed Däye, Lino / Don Choa / Le Rat Luciano ou encore Akhenaton / Ärsenik / Pit Baccardi, le tout mis en musique par la fine fleur de la production made in France, composée de DJ Mehdi, Djimi Finger, DJ Maître & Tefa ou encore Pone ? En réunissant toutes ces légendes, pour la plupart alors au sommet de leur art (on peut encore y ajouter Rohff, Fabe, Pit Baccardi, Oxmo Puccino…), Première Classe vol. 1 apparaît comme le bouquet final d’une époque bénie, après laquelle rien ne sera jamais pareil. C’est probablement la compilation la plus légendaire de l’histoire de ce rap français car elle prend la forme de la révérence définitive d’une époque qu’on ne vivra plus jamais, quand bien même on tente vainement de s’en convaincre à travers les pluies de sorties qui font plus penser à des concours du meilleur sosie de ce qui marche qu’à de véritables démarches artistiques. – Xavier

Ecouter aussi : Homecore | Hostile 2000 | Kool & Radikal | L’Univers des Lascars

B.O.S.S., IV My People : NTM passe le mic’

En 1999, à l’apogée de leur gloire avec le Suprême, Joey Starr et Kool Shen se lancent un peu par hasard dans la production et la réalisation d’albums, indépendamment d’NTM. Côté pile, accompagné de DJ Spank, Joey Starr plonge dans la production, qu’il pratiquait occasionnellement mais presque depuis toujours et reprend les rennes de Boss Of Scandalz, devenu B.O.S.S, en attrapant les manettes d’une des émissions de radio les plus célèbres de la fin des 90’s. Fort du succès de SkyBoss, la compile B.O.S.S vol. 1 voit le jour en 99, se hissant rapidement sur l’étagère des compiles les plus intéressantes de l’année – année faste en termes de compiles s’il en est. Avec les participations notables du fidèle Kossity, bien sûr, mais aussi de Mala, Mass, VipR, Naja, Iron Sy… et du tout jeune Sniper qui s’y illustre sur un exercice de style qui fera date, la compile est parfaitement produite et sent la patte Morville de l’intro à l’outro. Suivi de deux autres volumes, les opus suivants n’offriront pas autant ce sentiment d’écouter une sorte de bouture de NTM poussant sur le terreau labouré par le duo du 93, mais fleuriront davantage de leur côté avec leurs propres couleurs. Au delà des compiles, B.O.S.S devenu label ne servira de base qu’aux solos à venir de Joey Starr et Iron Sy et disparaîtra sans trop de vagues un peu plus de dix ans après sa création. Pour autant, Skyrock garde encore la trace de ces soirées survoltées et de nombreux événements et festivals du début des 2000’s ont été témoins du savoir faire B.O.S.S., laissant de bons souvenirs aux fans de la première heure. Côté face, autre démarche, avec Kool Shen qui en 98 avait accepté pour la Warner de réaliser l’album de Busta Flex, sous la bannière IV My People, créée pour l’occasion par la maison de disque. Après le succès de Busta c’est au tour de Zoxea de passer entre les habiles main de Shen, alors que le maxi IV My People voyait officiellement le jour, lançant définitivement le label. Après quelques mixtapes et compiles sorties à partir de 99, ce sont les albums solo de ses membres éminents (Busta, Zox, Salif, Les Spécialistes…) qui feront les heures de gloire du label, faisant par là même un bien fou au rap français.

Si IV My People était plus structuré, axé sur le développement des personnalités évoluant en solo au sein d’un collectif présent pour les soutenir, B.O.S.S était sans doute plus du genre nébuleuse où DJ et rappeurs satellites se retrouvaient au petit bonheur pour travailler dans un joli bordel, sur des projets très variés. Mais pendant toutes leurs existences, les deux labels du duo mythique s’entremêlent, se côtoient, se mutualisent parfois et se soutiennent, tout en écrivant leurs histoires parallèles. Chacun à leur façon, Joey Starr et Kool Shen, en ne craignant pas de se lancer dans une nouvelle aventure avec leur labels respectifs, passant au moins autant derrière la scène que devant, ont continué à participer à l’essor du hip-hop en France, se rendant indispensables sur tous les tableaux : en studio, sur scène, en soirée, à la radio et en festival, lors des ces années charnières où le rap français se creusait une place de choix dans la culture du pays. – Sarah

 

 

Freeman – L’palais de justice

Paru le 23 mars 1999 | > Combien j’ai ramé

L’Palais de Justice n’est pas un album solo. Freeman est accompagné sur 12 titres de K.Rhyme Le Roi, avec lequel il s’était notamment distingué sur Chroniques de Mars et sur la B.O. de Taxi, en 1998. Le binôme était très bien entouré, puisque les membres d’IAM, AKH et Imothep en tête, ont réalisé 90% des prods. Pour que l’album soit « conforme aux normes marseillaises », il fallait évidemment des scratches (présents sur plus de la moitié des titres !) et ce sont les Turntable Dragun’z (Majestic, Ralph et Sya Style – RIP) qui étaient aux platines. Quant aux feats, les MC Arabica ont croisé le mic avec notamment Oxmo et Pit, ainsi qu’avec Khaled, alors tête d’affiche des charts. Pour compléter ce casting XXL, l’artwork est géré par Tous des K, aux manettes des pochettes des sorties marseillaises de cette fin de siècle. Mais il ne faudrait pas croire que Freeman et K.Rhyme Le Roi ont une part infime dans le succès de ce disque. Anciens danseurs d’IAM et du Soul Swing, ils ont figé sur disque leur amitié à travers des morceaux émouvants, conscients, sur lesquels ils multiplient les passes-passes. L’album est peut-être la preuve que le travail de la rime paie. On sent tout au long des 19 pistes à quel point Malek Sultan a progressé depuis sa prise de mic sur « Un bon son brut pour les truands » (il apparaitra dès lors sur tous les morceaux d’IAM). Il a su créer un univers, alternant les morceaux introspectifs et spirituels, portés par des instrus piano-violon « Mobb Deepienne » qui ont marqué l’époque. « Combien j’ai ramé », « Bladi » et « Elle, chienne » sont les singles qui tournaient en rotation sur Skyrock. L’album a rapidement atteint les 100000 ventes et il est à classer parmi les disques qui incarnent l’âge d’or du rap marseillais. – Chafik

Fonky Family – Hors-Série Volume 1

Paru le 29 mars 1999 | > Si je les avais écoutés

« De rien, voilà de quoi j’pars. De quoi je parle ? De tout et de rien. » Cette phase du Rat Luciano résume assez bien la F.F., qui aura marqué le rap français en 1998. Plus encore, c’est la jeunesse qui se sera reconnue dans leur premier album, rapidement double disque d’or. La Fonky Family revient un an après pour confirmer avec furie et foi tout son potentiel. Ce 6 titres aura été réalisé en partie durant leur tournée, qui leur aura fait comprendre qu’il leur fallait des morceaux plus énergiques. Pone leur a donc réalisé des prods aux BPM plus rapides afin d’endiabler davantage les concerts, bien épaulé par Djel et ses scratches. La family devient Section Nique Tout. Toujours pas de calcul dans leurs propos, les frères mais de mères différentes vont droit au but et ont conscience qu’ils n’ont rien à perdre mais tout à gagner. Don Choa mitraille (« Si on aime le fric ? Qui crache dessus ? Si on aime les flics ? J’crois qu’il en faut mais j’leur crache dessus »), Menzo est au niveau, quant à Sat et Luciano, ils rappent leurs vérités avec sévérité pour niquer le monopole des grands. Au menu, trois inédits, deux lives. Les quatre MC’s ont comme perdu l’innocence du premier album. On les découvre revanchards, multipliant les messages aux médisants et à leurs soutiens, leur faisant bien comprendre qu’ils ont toujours envie de croquer le monde et qu’ils sont loin du compte. Il faut ajouter que cet EP clôt l’aventure F.F./IAM, la Fonky ayant un contentieux avec Côté Obscur, symbolisé par cette rime du Rat : « En quel honneur on m’appelle petit frère ? Y a personne au-dessus de moi ! ». Dans la foulée, Luciano fera son album solo, Pone fournira des prods pour P.C.1, pour le 113, Sat multipliera les featurings. A l’aube des années 2000, la F.F. est LE groupe incontournable. – Chafik

Ecouter aussi : Prodige Namor – L’heure de vérité

Faf Larage – C’est ma cause

Paru le 20 avril 1999 | > J’accuse

Plus connu du grand public pour son refrain à succès au générique de Prison Break dans les 2000’s que pour ses apparitions réussies sur Sad Hill ou Les chroniques de Mars sorties la décennie précédente, Faf est de ces rappeurs qui ont tout des grands mais peinent à sortir de l’ombre de ceux autour desquels ils gravitent. Bien que très cohérent, bien ficelé et bien réalisé, dans la veine de ce que l’écurie marseillaise savait proposer de mieux à la fin des années 90, l’album passe globalement inaperçu dans le flot des sorties de 1999. Peu innovant ? Musicalement un peu rébarbatif ? C’est ma cause est pourtant une belle ode au hip-hop et une harmonieuse réussite technique, presque entièrement produite par les soins du Marseillais de surcroît. Adepte d’un certain storytelling tirant sur l’humour noir, on retrouve sur ce deuxième album des personnages déjà rencontrés chez Khéops (« Le fainéant à la mer ») ou autres losers locaux dont il retranscrit si bien les pérégrinations malheureuses (« Putain de soirée de merde »). Fidèle à ses racines, l’album offre évidemment son  lot de morceaux « conscients » où revendications se mêlent habilement aux descriptions d’un quotidien morose, mais sans doute sans réussir à déclencher un tsunami d’émotions chez l’auditeur qui eut beaucoup à se mettre sous la dent au même moment, ailleurs. Agrémenté de jolis featuring avec des voix piochées dans la maison du Côté Obscur, l’album comporte aussi des collaborations moins attendues comme en témoignent les apparitions de Rockin’Squat et Mr R sur un pur exercice de style, mais également la présence de jeunes parisiens en pleine ascension sur le distrayant « Faut savoir anticiper » avec les Neg Marrons et Pit Baccardi. Quelques egotrips plutôt rodés pour couronner le tout et on a bien entre les mains un vrai album de rap abouti. S’il n’a pas eu à l’époque l’écho attendu, il vaut cependant la peine d’être écouté à tête reposée aujourd’hui pour se rendre compte de la qualité du travail effectué et enfin l’apprécier à sa juste valeur. – Sarah

Mo’vez Lang – Héritiers de la rue

Paru le 4 mai 1999 | > La vie est pleine de surprises

Au sein du Beat De Boul’, les Sages Po’ ont globalement toujours eu du flair et attiré dans leur giron des MC de grande qualité ou à haut potentiel. Cens Nino, Lim et Boulox ont eu la chance d’être de ceux-là et de profiter du savoir-faire et de l’aura de leur aînés boulonnais pour se frayer un chemin vers les bacs. À l’aube de l’an 2000, Héritiers de la rue voit le jour et offre aux curieux plus d’une heure d’un rap street simple mais efficace, porté par l’insolent trio. La présence en filigrane des membres du B2B, souvent à l’origine des prods ou posant sur certains couplets, aide à renforcer un ensemble cohérent et bien ficelé, où des textes entre revendication et egotrip se baladent sur des ambiances portant l’empreinte reconnaissable du collectif du 9.2. Album introductif, sur lequel les jeunes MC se présentent brièvement sur des interludes au piano, à la flûte ou au carillon, tranchant avec les instru plus tendues du reste de la tracklist. On les découvre, entre dédicaces, bons sentiments et défonce, être fiers de nous entraîner sur le chemin de leur ambition. Avec beaucoup de sincérité, ils livrent un rap honnête, parfois un peu jeune et brut de décoffrage qui su séduire un public averti, sentant le filon de la petite pépite à potentiel. Ratant la cible grand public car trop niche -ou trop approximatif, selon les points de vues-, l’album est toutefois intéressant à redécouvrir, rien que pour entendre Lim y dévoiler pleinement, et notamment sur le puissant solo « A neuf ans déjà », la marque d’une identité développée en longueur huit ans plus tard, et qui lui permettra enfin de rencontrer le succès à grande échelle, mais toujours en indé. – Sarah

Bams – Vivre ou mourir

Paru le 15 juin 1999 | > Différente

Au Printemps de Bourges, le lauréat de la « Révélation Hip-Hop » s’appelle Vivre ou mourir. Il est porté par Bams, une jeune rappeuse étrangère au milieu. Les sonorités, caractéristiques d’un rap français encore bercé par la côte est américaine malgré quelques expérimentations, portent un propos très engagé. Assez naturellement, l’album s’ouvre sur les difficultés personnelles de son auteure et s’il semble se conclure sur le rapport de celle-ci au rap, il est surtout question de dénoncer ce qui la dérange dans la société avant d’ouvrir sur une piste cachée, a cappella et en grand groupe, appelant à l’unité face aux inégalités et au racisme qui planent dans l’hexagone. Mais, entre le passage du « je » au « nous », c’est tout un cheminement très naturel qui s’installe. L’intime est marqué par une catharsis profonde, sans jamais manquer ni d’espoir ni de pudeur, et les textes sont jonchés de revendications. Des revendications parfois anodines, comme la politesse, et souvent très politiques. Au milieu de toutes celles-ci, on notera un féminisme assez inédit dans le spectre du rap (français ou non), certain et assumé, mais beaucoup moins rentre-dedans que celui auquel nous sommes familiers aujourd’hui (chez Chilla, par exemple). La liste des invités est intéressante : Nysay, Sinistre, Miio, Fidel’ Escroc et Nakk livrent des prestations irréprochables. Aujourd’hui, c’est un prétendant très sérieux au titre (si souvent galvaudé) de classique et la principale intéressée avoue en recevoir plus d’éloges qu’à la sortie. Pourtant, malgré une réception commerciale au demeurant très modeste, l’accueil critique dithyrambique et une presse spécialisée conquise avaient déjà permis à Bams de défendre le premier de ses albums au cours d’une tournée de plus de 200 dates, parfois hors des frontières françaises, et d’écumer les festivals. – Wilhelm

La Brigade – Le Testament

Paru le 15 juin 1999 | > Libérez

C’est en 1997, avec leurs EPs blancs et noirs, puis au travers d’apparitions remarquées (Martin Luther King, Mafia Trece, Sachons dire non, Première Classe, Néochrome), que La Brigade s’impose comme un collectif prometteur dans l’underground parisien. L’énergie qui se dégage du collectif, la rigueur dans le message et l’écriture, et le mystère qui entoure le logo aux 12 têtes venues des quatre coins de l’ïle de France en font un crew à part dans le rap français. Sur Le Testament, ce sont huit MC’s (exit Ziko), aux grains de voix identifiables, qui croisent le micro sur 15 morceaux à thèmes souvent portés par des concepts forts, les rappeurs n’hésitant pas à se prêter à des jeux de rôles pour appuyer leur propos. Chacun des morceaux semble être le fruit d’une réflexion collective au vu de leur construction et des nombreux passe-passes. L’utilisation répétée du mot « frère » révèle une véritable volonté de fédérer, un objectif affiché qu’ils étendent jusque dans le choix des featurings, puisque les trois pôles du rap français, supposés être en froid à cette époque, sont invités en sur l’album : Ärsenik pour le Secteur Ä, Shurik’n et Faf Larage pour Côté Obscur (sans compter l’instru de « La yerpri » signée Akhenaton), et Joey Starr (qui se fend d’un couplet, phénomène suffisamment rare pour être souligné) pour le Suprême NTM. Les cinq interludes, signées Dieudonné, marquent le début d’une relation artistique avec l’humoriste qui durera jusqu’au troisième et dernier album du groupe en 2007. Lancé par l’énergique « Libérez », les ventes de l’album décolleront véritablement (80 000 copies écoulées) avec le morceau « Opération coup de poing » en featuring avec Pirepoljak, présent sur la réédition de l’album, permettant au groupe de réaliser une tournée conséquente, aux quatre coins de la francophonie. – Olivier

Ecouter aussi : 16’30 contre la censure | Pyroman & Neda – Le jour ?

Puzzle – Puzzle

Paru le 25 juin 1999 | > Le soleil me promet la lune

En 1996, le label Night & Day sort sa mixtape intitulée Hip-Hop Vibes sur laquelle figure « Venu des souterrains » du Puzzle. Les quatre MC’ s de la capitale se retrouvent deux ans plus tard sur la compilation Opération Freestyle de Cut Killer. Avec le morceau « On perd notre vite à la gagner », Ben, Resha, Zedoo, et Tony impressionnent et suscitent de l’attente auprès de leur public désireux de les voir publier leur premier album qui verra le jour durant le mois de janvier 1999 sous le label de Logilo, producteur, DJ et figure emblématique du mouvement hip-hop hexagonal. Cet opus se révéla être l’une des  meilleures sorties de l’année pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il convient de souligner la qualité des productions de Logilo, à la fois dynamiques et mélodieuses, magnifiées par ses propres scratchs. Les quatre rappeurs font quant à eux preuve d’un flow technique, bondissant, d’une écriture fine, travaillée, leur permettant ainsi de se démarquer des autres artistes de l’époque. Sur le disque, ils rappent des textes ayant pour but d’éveiller les consciences comme sur « Le tour du monde en 80 mesures », prônent l’authenticité dans « J’ai jamais trahi » mais alternent également avec des thèmes plus légers, faisant preuve d’humour et d’autodérision sur plusieurs chansons. Ce parti-pris permet de créer une complicité avec l’auditeur qui voit lui aussi son quotidien se refléter dans des titres comme « Pousse à fond », « Reste sport » ou « Le soleil m’a promis la lune ». Les américains de la côte Est, D.V alias Khrist, Smooth Da Hustler et son frère cadet Trigga Da Gambler ont été invités sur le très bon morceau « Échanges de bons procédés », donnant ainsi à l’album une dimension internationale. La sortie de ce premier album semblait permettre au groupe d’envisager une carrière sur le long terme. Malheureusement, malgré un second opus paru sept ans plus tard sous le nom de Viens m’chercher, le groupe parisien devra se contenter d’un succès d’estime. Il pourra se satisfaire tout de même d’avoir gardé sa ligne directrice depuis ses débuts et d’avoir une place de choix dans les souvenirs des fans de rap français des années 90/2000. – Jordi

Koma – Le réveil

Paru le 12 juillet 1999 | > Et si chacun

En 1999, un groupe réunissant cinq MC’s issus de Barbès soufflait un vent de fraîcheur sur un rap français largement dominé (avec le retard qui va avec) par la mouvance transatlantique. En effet, les groupes qui marchent reprennent tous avec succès les codes dictés par les MC’s de la grosse pomme. Mais depuis environ un an, ce groupe, pur produit du XVIIIème arrondissement parisien, fait de la résistance, en développant une manière de rapper nouvelle, qui sent bon les marchés aux puces et les balades plus ou moins sécurisées au cœur des quartiers de la capitale. Que ce soit au niveau des références, des schémas de rime et de l’absence de franglais, c’est à peu près à cette période que l’on peut dater la naissance du rap « à la française ». Mais jusqu’à cette année 1999, les membres du groupe s’étaient peu laissés tenter par une expérience solo, Fabe, doyen leader incontesté du quintette, excepté. C’est donc avec un certain intérêt, et une certaine attente, que l’on attend la sortie de Le Réveil. Entre les notes d’espoir d’« Et si chacun » en ouverture, et le tragisme de « Loin des rêves » en sortie, l’encore jeune Koma jongle entre constats désabusés de la réalité d’une vie de quartier, ou plus globalement, d’une vie de maghrébin en France, et des atmosphères plus énergiques et dynamiques, comme un refus de se laisser abattre par un contexte défavorable. Cette seconde facette répond de façon plus cohérente au titre de l’album, répondant lui-même au nom de scène choisi par le natif de Chambéry, le tout accompagné d’un formidable sens de la formule et de la simplicité. C’est en ce sens que Le Réveil est probablement resté comme l’album le plus représentatif de la Scred Connexion, et plus généralement, de ce rap « à la française ». Cette balance entre joie et tristesse, raconté avec un mélange de maturité et de simplicité restera plus marquant pour ce public que les opus en groupe, d’un niveau bien moindre, ou encore que les albums de Fabe, qui pêchent parfois pour leur côté trop intellectuel. Et d’ouvrir la voie à d’autres rappeurs et groupes, qui reprendront ces codes avec un succès plus ou moins important selon les cas. – Xavier

Ecouter aussi : AL & Adil El Kabir – A force de tourner en rond  | Scred Connexion – Bouteille de gaz | Faouzi Tarkhani – Guerrier pour la paix

Les victoires de la musique : « Nous contre eux »

« On n’a jamais une deuxième occasion de faire une bonne première impression » et en effet, la 14ème cérémonie des Victoires de la Musique a montré qu’elle avait tout du rendez-vous manqué. Samedi 20 février 1999. L’industrie musicale célèbre ses succès à l’Olympia. La grande nouveauté est la création d’une catégorie « Rap et Groove ». Ainsi, cette institution montre qu’elle semble avoir capté l’ère du temps. Le rap est dans la bergerie : NTM et IAM sont en lice pour être le groupe / artiste de l’année ; Stomy pour la révélation de l’année ; « Ma Benz » et « Mon papa à moi… » pour le meilleur clip. Si nos chers rappeurs reviennent bredouilles, IAM se distingue en remportant la Victoire de la meilleure B.O. pour Taxi. Tandis que le maître de cérémonie, Michel Drucker, se vantait d’inviter les Marseillais en prime time sur le service public, personne ne s’attendait à l’opération coup de poing préparée par les auteurs du Mia. Arrivés sur scène cagoulés, veste en cuir, ils s’installent à une table façon meeting du FLNC. Lorsque l’instru démarre, un drapeau « IAM Independenza » se déploie au-dessus de leurs têtes. Au premier refrain, une vingtaine de personnes débarque, cagoulées et en treillis kaki. A la fin de son couplet, Freeman répète « On vient pas de France, on vient de Marseille ! » puis balance sa cagoule dans le public (sur la Ministre de la Culture d’après la légende !). Sur le deuxième refrain, 20 personnes montent sur scène en respectant le dress code guerrier et en envoyant des tracts sur les 1e rangs. On n’est plus à l’Olympia mais dans la cité phocéenne, avec la F.F., K-Rhyme Le Roi, les Mecs De La Rue, des écharpes de l’OM sont brandies. Le bordel est magnifique et se termine par une prise de parole d’un AKH dénonciateur. Une partie du public est choquée par cette attaque du mic armé qui restera comme un moment fort de cette cérémonie. Mais l’évènement attendu par les amateurs de Hip Hop était la remise de la Victoire du meilleur album « Rap et Groove ». Le cru ne pouvait être qu’exceptionnel vu la qualité des sorties en 1998. Exit Oxmo, Ideal J ou Fabe, au profit du Supreme NTM, d’Ärsenik, de MC Solaar et, sacrilège, de Manau, groupe celtique, sorti de nulle part. Si la nomination de Solaar était déjà contestable, que dire de celle de Manau ? Le ver n’était-il pas dans le fruit ? Comme redouté, porté par « La tribu de Dana » (1,5 million de singles vendus…), Manau remporte la Victoire. Cette imposture a montré l’incompréhension de la profession. La rencontre entre le rap et les Victoires a été un rendez-vous manqué. Nique la musique de France– Chafik

Pit Baccardi – Pit Bacccardi

Paru le 22 juillet 1999 | > La rue

Alors que LE tube de l’album, qui tourne même sur les radios généralistes de l’époque, est le touchant mais quelque peu dégoulinant « Si loin de toi », le premier album de Pit est pourtant enfin le long format que tous les amateurs de Time Bomb et de la jeune Première Classe attendaient. Enfin une heure pleine de son flow et de sa voix, si reconnaissable, si envoûtante quand l’instru sort les violons et si efficace quand la prod se fait plus féroce. Si certains lui reprochèrent sa tendance guimauve (et il faut reconnaître que des titres comme « Le titulaire » ou « Carpe diem » ne l’auront pas volé) Baccardi tient dans l’ensemble le haut du pavé, montant le niveau en crescendo au fur et à mesure que les titres s’enchaînent. Invitant grosses pointures et étoiles montantes pour partager le mic’, c’est encore en groupe que le B-A-2C-A-R-D-I donne le meilleur et offre les morceaux les plus percutants. À l’instar du « Trop peu pour qui ça paie » avec IAM, mais encore plus certainement sur « K’1frystyle » aux côtés de Rohff et Kery James, ou « Comme à l’ancienne » avec Ärsenik, la plupart des featuring figurent parmi les jolies claques techniques et musicales de l’album. Fidèle disciple de l’écurie Time Bomb, le Parisien s’éclate ouvertement sur égotrip, mais il ne néglige pas le storytelling pour autant. La « Journée de dealer » nous emmène ainsi en balade, le flow tout terrain de Pit nous offrant là un aperçu à peine romancé, entre argent facile et désillusion, du quotidien d’un vendeur. Avec une sensibilité parfois à fleur de peau – ce qui lui a valu l’essentiel des critiques – et cédant à quelques facilités (on passera sur le WTF « Sexcitation »), Baccardi a su convaincre les amateurs de rap à l’aube du nouveau millénaire avec un discours solide, et des inspirations musicales variées couplées à une technicité sans faille. Comme tous les bons disques bien aboutis de cette période, il a vraiment peu vieilli… – Sarah

Ecouter aussi : Mystik – Le chant de l’exilé | Dontcha – Les bords du fleuve 

Lady Laistee – Black Mama

Paru le 19 octobre | > Et si

Alors que trois ans plus tôt elle posait déjà sur L-432 au milieu de nombreux rookies du nouveau millénaire, Lady Laistee continuait de se chercher une place sur la scène rap français, de projets communs en compiles, jusqu’à l’arrivée de Black Mama. Véritable hymne à ses racines guadeloupéennes comme à la famille du hip-hop qu’elle a choisi, et qui l’a adoptée, ce disque raconte des blessures, des convictions, des combats, mais surtout une volonté et une ambition à toutes épreuves, le tout avec puissance et simplicité. Peu de rappeuses s’imposent sur le devant de la scène en 99 : Diam’s n’en est qu’à ses débuts, et il semble n’y avoir que peu de place pour elles au mic. Mais Lady Lais-Lais saisit sa chance et se lance après de longues années à graviter dans une galaxie rap en plein boom – les rageux diront grâce a son compagnon d’alors Terror Seb, manager de Joey Starr, entre autres –. On retrouve du beau monde sur cet album, avec un Weedy notamment aux manettes du très musical « Oh Child » ou encore un joli Sully Sefil entre autres sur la prod du titre phare de l’album, « Et si… », où Lais-Lais revient sur le décès de son petit frère, et qui émut un public suffisamment large pour lui assurer un succès commercial retentissant. La nébuleuse B.O.S.S. n’est quant à elle pas bien loin non plus, et Spank / Starr assurent la plupart des prods, tandis que Mass pose sur le meilleur featuring de l’opus. Entre refrain ou interlude en créole, et l’affirmation – égotripée ou non – d’une féminité en pleine possession de son destin, Dieu, l’amour et le sens de la famille se frayent un chemin sur la tracklist de la Black Mama. Portés par un flow précis et un groove doux et juste, le premier des trois albums sortis à ce jour par Lady Laistee, se laisse ré-écouter 20 ans après, comme s’il avait été écrit hier. Une belle marque de qualité pour une artiste de grand talent injustement un peu oubliée. – Sarah

Ecouter aussi : Teemour – Don Blakka

 

Saïan Supa Crew – KLR

Paru le 25 octobre 1999 | > Abécédaire des cons

Sorti alors que les membres du crew pleuraient l’un des leurs parti tragiquement quelques mois plus tôt, KLR (en hommage au jeune défunt) est l’essence même de tout ce qui a fait la force et le -large-succès du Saïan. Sur ces 18 titres, le public de l’époque découvre une polyphonie rappée qui va bien au-delà de toutes les passes d’armes et autres exercices de style auxquels pouvaient jusqu’alors s’adonner leurs rappeurs préférés. En écoutant des morceaux aux influences aussi riches que variées, où les voix, les flows et les styles s’enchevêtrent, se répondent en écho et se superposent dans un joyeux bordel déstructuré, on s’émerveille d’entendre un résultat aussi cohérent où vers et couplets sont assemblés avec une habileté de dentellière. Si c’est le bouillant « Angela », qui, avec ses tonalités caribéennes appuyées et langoureuses, emporte tout sur son passage et propulse le groupe au sommet, le disque offre de nombreuses très belles raisons de pousser les amateurs à le ranger sur l’étagère des classiques du rap français. Outre « La preuve par trois » et le « Raz de marée » qui feront les bonnes heures de la radio plus ou moins grand public, les échanges ultra techniques du SSC sur « Le malade imaginaire » ou « Darkness » sont des gros moments de groove qui devraient toujours forcer l’admiration et le respect, même 20 ans plus tard, de tout ceux qui de près ou de loin s’essaient au genre. Leurs jeux de rimes, leurs storytelling à plusieurs voix et leur façon de découper les beats pour les dompter avec une harmonie à toute épreuve, font encore école aujourd’hui et peu peuvent se targuer d’avoir su égaler les 6 Saïans. Maniant le second degré, l’ironie et la dérision avec autant de brio qu’un érotisme à peine masqué, le groupe interpelle aussi avec ses textes qui disent toujours plus que ce qu’ils ont l’air, régalant toute une génération d’adolescents et de jeunes adultes qui glissèrent avec le SSC et leurs instrus frénétiques sur une pente de rébellion et de revendications toute douce, mais toujours  sulfureuse… – Sarah

Ecouter aussi : Svinkels – Tapis rouge | Double H DJ Crew – H² DJ Crew | Compilation 1er Round

113 – Les princes de la ville

Paru le 27 octobre 1999 | > Ouais gros

Octobre 1999, la grisaille s’installe sur Vitry et la vie y aurait sans doute suivi son cours tranquille et routinier si Rim’K, AP, Mokobé et DJ Mehdi, survoltés depuis le premier opus du 113 sorti un an plus tôt, n’avaient pas décidé de tout réveiller, une bonne fois pour toute. Tellement de tubes et de classiques ont été saignés sur cet album par toute une génération, que 20 ans plus tard, la nostalgie de notre adolescence nous revient en pleine face quand il nous arrive de tomber sur un morceau par hasard. Si le morceau éponyme « Les princes de la ville » devient logiquement le titre phare de l’opus, tournant en radio et repris en cœur par tous les jeunes ambitieux dès l’âge du collège, c’est bien « Jackpotes 2000 » qui touchera le plus grand public et attirera d’abord l’attention sur l’album. Pourtant, c’est un solo de Rim’K qui emportera rapidement la mise et fera exploser la notoriété du groupe. En posant « Tonton du bled » avec bienveillance et non sans auto-dérision, le rappeur vitriot offre aux auditeurs de l’époque le récit exceptionnellement vrai de vacances vécues par tant de jeunes de toute la France, amateurs de rap ou non. La prod incroyablement efficace de DJ Mehdi et un refrain entré depuis au patrimoine culturel mondial, ont simplement fait le reste. Pour tous ceux qui se le procurent alors, le disque tient ses promesses. 14 titres d’un bon rap directement inspiré de la vie de cité de ses auteurs, entre ambition et grosse lose, injustice et fierté, pas prétentieux pour deux sous, mais loin d’être dénué de messages. Pas en reste au niveau du story-telling, l’excellent « Hold up » et son refrain mythique reste un must dans le genre, avec une prod de Pone entêtante à souhait et à contre-courant d’un récit bien violent. Les princes de la ville est de loin l’une des plus grosses sortie de 99, tellement bien fait et pertinent qu’il a depuis traversé les décennies sans prendre de rides, et se laisse encore écouter avec une immense délectation ! – Sarah

 

Rohff – Le code de l’honneur

Paru le 7 décembre 1999 | > Appelle-moi Rohff

Ah Rohff… « Un MC parmi des millions », et pourtant un de ceux qui, en quelques albums, deviendra un des plus populaires et des plus attendus, tant par ses fans que par ses détracteurs. C’est donc officiellement avec Le code de l’honneur que R.O.H.2F se lance en solo en cette année de grâce 1999 et balance 14 titres qui affirment un rap dur, ghetto, sans filtre, cru. 14 titres pour poser une identité propre, plus profonde que celle distillée à force de couplets coup de poing sur les projets à plusieurs de la Mafia K’1Fry ou de la toute récente Première Classe. Avec des égotrips surpuissants et du storytelling parfois glaçant (« Rohff vs l’Etat » en deux morceaux brutaux), le rappeur du 9.4 réaffirme un flow violent et sophistiqué sur des titres souvent déstructurés ou désorientants. La rage au corps, le Vitriot envoie partout avec virulence et sait aussi composer de vrais morceaux de bravoure. En mode freestyle, « Du fond du coeur » et « Génération sacrifiée », avec leurs instrus étonnamment douces – notamment la seconde signées Weedy d’Expression Direkt -, interpellent et resteront ainsi dans les annales. Jamais loin, les potos de la Mafia K’1 Fry posent assez peu auprès de leur acolyte mais leur présence ajoute efficacement ici et là, la touche du collectif, comme sur « Le bal des voyous » avec le 113 et OGB notamment, intégrant ce premier album de Rohff dans la famille des opus sortis autour de cette année-là par les autres membres. Succès commercial assez mou à sa sortie, le CD s’inscrit à n’en pas douter dans cette tendance  « hardcore » du rap français prenant de plus en plus d’ampleur à la fin des nineties, et qui a toujours été le credo de Rohff. Tendrement moqué pour sa pochette « loup solitaire » un brin ringarde mais clairement collector, le disque a pourtant su faire fi des critiques et s’installer avec le temps dans la discothèque idéale des amateurs de bon son. – Olivier

La Boussole – On fait comme on a dit

> Hip-hop en déclin

En 1999 sortait un projet qui allait mettre la ville normande du Havre au rang des villes française où « ça rappe ». C’est cette année-là que le collectif La Boussole (formé de Ness & Cité, Bouchées Doubles, Médine, Enarce, Koto, Aboubakr et Samb) sort son premier album On fait comme on a dit. Si, pour nos lecteurs en 2019, le nom de cet album est désormais associé aux parisiens d’ATK, il y a vingt ans, alors que le rap français était dominé par les villes de Paris et Marseille, ce sont bien les Havrais qui se l’étaient approprié d’une fort belle manière. Avec onze tracks (plus une cachée), ce premier album de La Boussole a tout du petit bijou de l’underground de l’époque : des paroles vraies et crues, des instrumentales classiques et des rappeurs en devenir. Ness & Cité (Salsa et Proof) était alors le groupe tête d’affiche du collectif et Medine et Moodee formaient le duo NH. Depuis, Médine a eu la carrière que l’on connaît et les autres se sont faits plus discrets ou n’ont pas connu le succès qu’ils auraient mérité. On fait comme on a dit n’est certainement pas un album qui a changé la face du rap français, mais il mérite sa place dans cette sélection du fait qu’il dévoile les premiers pas de rappeurs qui marqueront les années 2000. La postérité retiendra notamment le morceau commun du collectif, l’outro « Hip-hop en déclin », qui annonce déjà la belle histoire d’un rap havrais qui confirmera dans les années qui suivent. – Costa

Ecouter aussi : Ness & Cité – Mais qu’est-ce que tu veux petit ?

Lire aussi :

Vingt ans après : 1998 en 20 disques de rap français

Vingt ans après : 2000 en 20 disques de rap français

Partagez:

Un commentaire

  • Salut ,
    On se permet de vous contacter pour vous présenter notre projet qui s’appelle Marché Noir et qui est un mélange de trap/grime. On est originaire de Rennes et on fera d’ailleurs la première partie de THE ALCHEMIST chez nous le 4 novembre à l’ubu. Voici le lien de notre 2eme clip « La Nuit Est Une Femme » extrait de l’album « Souterraine » prévu pour L’ automne.
    Big Up
    Marché Noir
    Voici toutes les infos :

    https://www.youtube.com/watch?v=Waq5H_l92qs

    « La nuit est une femme » de Marché Noir nous entraîne au cœur d’un univers parallèle où la nuit est personnifiée en divinité urbaine invoquée par les deux rappeurs Rennais. La production (Roolio), nocturne et soignée, est finement rehaussée par les nappes de violon signées Judith basquet. Balade trap à l’atmosphère ténébreuse assumée, ce nouveau morceau du M.N est à écouter comme un rdv charnel donné au prochain crépuscule.

    Distribué par Bacorecords et disponible sur toutes les plateformes

    https://baco.lnk.to/MarcheNoir_LNEUF

    Les rappeurs Casta & Oliver Saf, tous deux ex Micronologie, se sont retrouvés pour signer plusieurs morceaux à la teinte sombre et à la saveur amer sous le nom de Marché Noir. Finement posés sur des productions modernes et audacieuses de Runcol notamment, les textes sont emprunts de la débrouille téméraire des périphéries urbaines. Nocturne et souterrain, le rap du groupe Rennais assume une époque secouée par des crises diverses, mais pose également un regard lucide quant à l’avenir d’une génération confinée à ses difficultés quotidiennes.

    Cover : https://drive.google.com/file/d/1mkJpKZWWEl6rzvm6SgJhTgIS_okBr0IG/view?usp=sharing
    Photos de presse : https://drive.google.com/drive/folders/1SEsheIQnXUMbg-nBRwGT4DafIIE7mFrk?usp=sharing

Commentaires

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.