Vingt ans après : 2001 en 20 disques de rap français

S’il avait fallu classer ces albums qui, en 2001, ont simplement régalé le rap français, les dix amateurs que regroupe cette équipe en seraient sûrement venus aux mains pour savoir lequel devait atterrir tout en haut de la pile. Heureusement pour la cohésion de notre équipe, de classement il ne sera nullement question dans les colonnes qui vont suivre. Comme chaque année nous avons simplement voulu revenir sur 20 colosses qui, à leur façon, ont porté le genre à son niveau actuel et contribué à son évolution. Car après quelques années de révolution, de crus exceptionnels, depuis un peu rapidement qualifié de « portail du gold », « Avenue du kiff » ou plus simplement « âge d’or du rap français », on en oublierait presque qu’en 2001, la scène rap francophone était encore plus survoltée, excitée, surchauffée, encore plus prête à tout pour sortir de l’ombre. En ce début de millénaire, le hip-hop est clairement sorti de son lit, déborde et inonde progressivement la société, apparaissant de plus en plus dans les colonnes « concerts » de la presse régionale et désormais régulier des Victoires de la Musique sur France 2. Ce que 2001 nous apprend, c’est qu’à partir de ce moment-là, il est désormais impossible d’organiser le rap game, n’en déplaise aux amateurs de petites cases. On se croyait scindé entre une nouvelle punchline flegmatique venue du 92, les discours un peu moroses des piano-voix Mobb-Deepiens généralisés dans l’hexagone et la violente énergie de ghettos qui se dévoilait sans filtre, quand tout à coup : le Saian revient, Rohff tape dans la pop, Salif sort de sa cachette, Kery veut repartir de zéro, Sniper tire à bout portant, la Scred choisit sa direction sans Fabe, Oxmo devient romantique et Eben provoque des rencontres inattendues… entre autres. En 2001, sur fond de scandale de la fièvre aphteuse, procès Festina d’un tour de France sous amphet’ et de tours jumelles abattues, une bonne nouvelle explose : le rap est devenu inclassable, comme tous ceux qui le font, comme tous ceux qui l’écoutent. Et c’est de bon augure pour son avenir. – Sarah

Sniper – Du rire aux larmes

Paru le 30 janvier 2001 | > La France 

En 2001 Sniper en tant que groupe n’est pas encore connu du grand public. Quelques apparitions bien calibrées sur des compiles prestigieuses (Première Classe, B.O.S.S) leur ont certes apporté une petite visibilité auprès de connaisseurs, mais jusqu’en 2001, les trois rookies de Deuil-la-Barre ne sont encore que des promesses. Pourtant les trois rappeurs et DJ Boudj ont les dents longues et une envie impressionnante de tout casser. (Très) bien entourés chez Desh Musique, poussés par des rencontres qui les inspirent, et motivés par des scènes où ils confirment leur capacités devant des publics réceptifs, ils sortent donc ce long format fin janvier. Seize titres qui transpirent la fougue et l’envie, débordent d’énergie et de charme, et qui emmènent le groupe vers un instantané carton. Il faut dire qu’ils ont plutôt compris et intégré les tendances dont le public est avide et l’intérêt grandissant pour un rap sincère mais accessible. Si bien que sans pousser, Du rire aux larmes fini par cocher presque toutes les cases de ce qui définira les bombes des années à venir. Bien pensé pour jouer sur des registres variés, du missile engagé et provocateur au morceau de pure déconne, l’album aura traîné son lot de polémiques, avec en tête le titre « La France », calibré pour secouer et inaugurant une série d’ennuis avec une partie de la classe politique. Bien produit par des Tefa, Maître et Eben super-actifs et décidément dans tous les bons coups de ce début de millénaire, il y en a pour tous les goûts, entre la gravité, la légèreté et la fête, de chanteuse en J-Mi Sissoko aux refrains. Sniper se balade, pose sur tous les tableaux, à l’aise malgré les fautes de français, souvent moquées, et les formules parfois maladroites et malheureuses, qui participent à donner à l’ensemble une sorte de naturel un brin candide mais incontestablement honnête. Enfin, promotionné intelligemment, l’opus sera soutenu par deux clips qui ont certes un peu vieilli mais qui ont permis une visibilité et un passage, toujours bon à prendre, sur M6 grâce à la présence, sur la vidéo de « Quand on te dit », de David … du Loft (les vieux savent). Également en playlist sur Skyrock avec le titre éponyme en rotation, l’album sera amené à taper le disque d’or avant la fin de l’année. Le début d’une belle aventure. – Sarah

Original Bombattak Volume 1

Paru le 13 février 2001 | > La tour 20

L’histoire de la compilation Original Bombattak est avant tout liée à celle de l’émission de radio du même nom. Née en 1996 sur Générations grâce à l’initiative de Mark, ex-animateur et directeur des programmes, celle-ci a tenu un rôle charnière dans l’explosion du rap en France à la fin des années 1990. Du collectif Time Bomb en passant par Fabe ou les marseillais d’IAM et la FF, tous ont un jour offert un freestyle d’anthologie aux auditeurs branchés sur le 88.2FM. En véritable producteur et chef d’orchestre, Mark avait le flair pour songer à des combinaisons inédites et à faire cohabiter des rappeurs confirmés avec des jeunes talents qu’il n’hésitait pas à mettre en avant. En 1999, la mixtape cassette Original Bombattak Volume 1, mêlant morceaux inédits et freestyles parus en radio voit le jour et semble poser les fondations d’un futur monument. Deux ans plus tard, la compilation sous forme de CD arbore fièrement un ghetto blaster chromé sur sa pochette. Les dix-huit morceaux se distinguent tous par un univers propre mais sont pourvus d’un dénominateur commun : une qualité indéniable. Rares sont les projets de ce niveau regroupant autant de rappeurs. Beaucoup d’auditeurs découvrent la plume de Nakk qui offre une visite guidée de sa « Tour 20 », d’autres restent ébahis par la prestation technique de Diam’s lors de son clash fictif face à « Suzy » ou par la gouache d’un Ol’Kainry criant son nom. La collaboration plus sombre entre Xtaz et Le Rat Luciano, sur un sample de Lamont Dozier, fait aussi partie des titres marquants de la compilation, tout comme celle entre Comité de Brailleurs et le duo Lunatic, le couplet de Booba étant devenu aujourd’hui classique. Les X-Men, habitués des studios de Générations, ne pouvaient évidemment pas manquer à l’appel. Ils y apparaissent aux côtés des Ghetto Diplomats sur le titre « Kan c cho ». La prestation tranchante de 13or et 16ar du groupe L’Skadrille sur un production de 20Syl est elle aussi à souligner. Vingt ans plus tard, c’est avec toujours autant de plaisir que l’on se replonge dans cet opus devenu incontournable. Avec du recul, il demeure sans doute le plus mémorable de l’histoire du label Original Bombattak Recordz. – Jordi

Ness & Cité – Ghetto Moudjahidin

Paru le 14 février 2001 | > Dique-sa

En avril 2000, un jeune groupe originaire du Havre est élu découverte nationale sur la scène du festival du Printemps de Bourges. Il s’agit de Ness & Cité, accompagné en live par leurs compères du collectif La Boussole. Après une longue tournée, Sals’a et Proof commencent sérieusement à faire parler d’eux et leur structure DIN Records prend de l’ampleur. L’année suivante, une véritable bombe en provenance du quartier Mont-Gaillard est lancée sur le rap français. Après l’EP Par tous les moyens en 1998,  Ghetto Moudjahidin, leur premier long format se retrouve dans les bacs. Il s’en dégage une identité textuelle, visuelle et sonore très puissante. L’influence de Mobb Deep se fait sentir sur les productions du génie Proof. La qualité des instrumentales est telle que l’introduction « Rien à prouver », les interludes « Cause commune », « Voué à se dévouer » et l’outro « À venir » se convertissent en d’authentiques morceaux à part entière. L’auditeur prendra un malin plaisir à les redécouvrir à chaque écoute du projet. Le titre du disque quant à lui est loin d’être anondin. Ness & Cité affiche clairement un rap militant et résistant, prônant l’émancipation des quartiers populaires. Concernant les collaborations, Ibrah et Pad (Tiers-Monde) du jeune groupe Bouchées Doubles apparaissent respectivement sur « Mafieux sans mafia » et « Baston de regard ». La présence de Fabe est elle aussi à mettre en avant, faisant de « Haine story » un  morceau clé de l’album. « Dique-sa » demeure lui un storytelling rappé d’une main de maître. Celui-ci narre l’histoire tragique du témoin oculaire d’un acte pédophile et le laxisme judiciaire lié à cette affaire. Ghetto Moudjahidin est un album qui a eu le mérite de mettre en lumière Le Havre sur la scène rap français. Le groupe a d’autant plus de mérite car l’histoire musicale de cette ville est étroitement liée avec le rock. Cet opus a également permis à l’époque d’ouvrir des portes aux jeunes artistes du label Din Records comme Médine, avec tout le succès que l’on lui connait aujourd’hui. – Jordi

Futuristiq – Demain c’est maintenant

 Paru le 20 février 2001 | > Ich Madinina

La première chose qui frappe, quand on lance l’écoute de Demain c’est maintenant, sont les grognements de Joey Starr dès l’ouverture du disque, alors que cet album symbolise la relève du Secteur Ä, alors en froid avec le groupe de Saint Denis. C’est dire le consensus formé autour du duo d’origine antillaise, fort de quelques apparitions remarquées sur Hostile Hip Hop 2, Les Militants ou Première Classe. Une fois les (énergiques) présentations faites, le duo déroule une palette de morceaux dont les thématiques respectent le cahier des charges de la construction d’un album en 2001, avec des titres configurés pour la scène, un hommage au bled, un récit de soirée, une invitation à prendre son destin en main, un son dédié à la maréchaussée, une histoire d’amour qui finit mal, quelques égotrips nerveux… Mais malgré ces poncifs, les deux MC’s tirent leur épingle du jeu grâce à l’homogénéité de leurs prestations, une scarlatitude propre à eux, et quelques morceaux qui sortent du lot comme l’inspiré « Ich Madinina », l’autoproclamé « Classé dans les classiq », ou l’efficace titre solo de Qrono « Reste toi-même ». Côté technique, la diction et les placements inédits pour l’époque du duo du 91 lui permettent de se démarquer, et ses mutlisyllabiques élaborées feront avec le temps la renommée de Nubi, au point de devenir une référence du genre, à l’instar d’Ill ou de Dany Dan. De fait, Demain c’est maintenant constitue la première pièce à l’édifice de la discographie de Nubi, qui sera agrémentée d’une mixtape en 2006 puis d’un seul album en 2012. Malheureusement, Demain c’est maintenant ne bénéficiera d’une promotion à grande échelle, ni des grosses rotations pourtant quasi automatiques pour les artistes labellisés Secteur Ä. Jacky, autre ambianceur de renom, les accompagne pour conclure l’album (et leur carrière en duo), la boucle est bouclée. – Olivier

Salif – Tous ensemble, chacun pour soi

Paru le 30 octobre 2001> Gunshot

Une intro pleine de fierté puis un premier titre plein de doute, des explosions de rage, des règlements de compte, une bonne dose d’autodérision, des featurings de qualité marqués du sceau IV My People, le tout soutenu par des instrus hyper efficaces, aucun moyen de tortiller, le premier solo de Salif est un sans-faute. Intime à souhait, ravageur sur les bords, profond et intense entre deux morceaux de pure déconne, avec ses couplets techniques et ses refrains toujours bien pesés, on voudrait lui trouver des défauts qu’on les chercherait encore. Il faut dire que le petit prodige de Boulogne avait été à bonne école et avait su s’entourer, construire son succès en montant sur les bonnes marches. Gravitant dans la galaxie Beat 2 Boul depuis sa tendre adolescence, poussé par des apparitions fracassantes, seul ou avec l’ami EXS, il se retrouve, à peine majeur, propulsé tête d’affiche de l’écurie Kool Shen, les poches un peu remplies par les ventes de Certifié Conforme l’année précédente. C’est ainsi qu’avec sa quinzaine de titres bien produite, il lui est simplement impossible de décevoir. En fait, il se retrouve tout bonnement… en plein là où on l’attendait. À une époque où le rap flirte enfin avec le grand public, Salif s’engouffre dans le créneau du rookie de ghetto qui ne se prend qu’à moitié au sérieux. Évidemment, avec le temps et la suite de son travail, le débat s’est ouvert tant on était fâché qu’il n’ait pas voulu suivre le chemin qu’on lui avait tracé. Tous ensemble, est-ce vraiment « du Salif » ? C’est vrai qu’à regarder dans le rétro, le Boulonnais n’a pas franchement transformé cet essai-là et a finalement décidé d’aller marquer des points sur un autre terrain. Si bien que ce premier opus fait aujourd’hui figure d’ovni dans sa discographie et que certains amoureux de ce premier album jugèrent sévèrement le tournant pris cinq ans plus tard. Dans l’outro de « Bois de l’eau » un Salif bien attaqué déversait un « On veut du Fon, de l’autodérision, de l’autocritique et de l’autodestruction », comme une annonce de ce à quoi on aurait dû savoir s’attendre. Reste que comme première pierre posée à l’édifice de sa carrière, et comme participation à la construction d’un hip-hop protéiforme, Chacun pour soi a clairement fait le job et tourne encore dans les playlists sans qu’on ne se pose plus de question. – Sarah

 MC Solaar – Cinquième As

 Paru le 13 mars 2001 | > Solaar pleure

Nous sommes en 2001 et nous célébrons les dix bougies d’un album fort, le classique Qui sème le vent récole le tempo de MC Solaar, qui depuis en aura profité pour sortir deux albums studio et un live à l’Olympia. Le début du nouveau millénaire marque un tournant dans le paysage musical français. Le rap est de plus en plus médiatisé et le R’n’B débute son âge d’or. La scène dite « alternative » émerge tranquillement et le hip-hop se mélange avec d’autres univers musicaux. C’est dans ce contexte là que MC Solaar poursuit sa discographie avec l’album Cinquième as, sorti en mars 2001. Si nous ne devions retenir qu’un seul titre de cet opus, c’est bien l’impressionnant single « Solaar Pleure ». D’abord par son orchestration qui sonne inéluctablement variété française, ensuite par l’utilisation des premiers éléments MAO et pour terminer, de par l’emploi de chœurs très R’n’B au refrain. Un morceau qui sera surexploité par les médias, qu’on entendra souvent en rotation radio, et dont MCM diffusera le clip sans relâche. La suite de l’album est clairement en deçà de son introduction malgré quelques titres qui fleurent bon des réminiscences : « Playmate » qui pourrait être une cousine éloignée de sa « Caroline », « Lève-toi et rap » qui possède une énergie similaire à quelques titres présents sur son premier opus ou encore « Arkansas» et son storytelling puissant évoquant un tragique événement qui eut lieu en 1998, durant lequel deux très jeunes garçons ont ouvert le feu sur la population. Parmi ces dix-neuf pistes, il y aura deux sursauts très intéressants que nous n’avons pas encore évoqués : « RMI » et « Les Colonies ». Deux tracks politisés, qui lèvent le voile sur des sujets trop rarement évoqués : notre passé d’occidentaux colonialistes et la précarité des plus démunis en France. Avant de glisser totalement dans la variétoche et de pousser la chansonnette chez les Reac’ du cœur, MC Solaar avait gardé dans sa manche une dernière carte : un cinquième as qu’il a choisi d’abattre une dernière fois, comme pour conclure un chapitre de dix années d’expérimentations. – Clément

« Cru », le péché originel

« J’aime l’Africaine Mafia et faire crier ma fouf' » clamait Booba en 2000 sur l’album de Lunatic. Pas étonnant donc, après cet appel du pied, de voir s’organiser en 2001 l’enregistrement d’un morceau entre la moitié de Lunatic et deux membres de la Mafia K’1 Fry, Rohff et Rim’K en l’occurrence. Destiné à La vie avant la mort, le deuxième album de Rohff, « Cru » porte bien son nom, les futures têtes d’affiche du rap hardcore rivalisant de violence et de vulgarité (mention spéciale à Housni), destiné à « [pour] ceux qui se torchent avec la main gauche et de l’eau« . Cette formulation « pour ceux » est d’ailleurs réemployée plus loin avec le fameux « pour les Karlouches, les Arlbouches, les manouches, les gars louches, hardcore même quand ça galoche« , prémices du refrain mythique du classique du même nom qui ne sortira qu’en 2004. Booba, très en forme, recycle aussi quelques punchlines que l’on retrouvera l’année d’après sur la réédition de Temps Mort, et clame que « La banlieue c’est dangereux, t’as raison de te chier dessus« , une phase également réemployée sur le titre « Banlieue » issu du deuxième album du 113 en 2003. Dans la catégorie « rap de rue », « Cru » aurait certainement représenté un sommet du genre en 2001, si le morceau était effectivement sorti comme prévu. Malheureusement, 45 Scientific réclame à Hostile, chez qui Rohff est signé, les droits du « Crime paie » de Lunatic, condition sine qua non à la participation de Booba à « Cru ». On connaît la suite, cette requête, trop gourmande pour être réalisable, donnera lieu à un froid entre les deux rois du hardcore de la décennie 2000, et les premières piques de Rohff apparaitront dès son album suivant pour aboutir sur un clash qui les oppose aujourd’hui encore. Il s’agira en revanche du début d’une série de morceaux communs entre Rim’K et le rappeur du 92, qui se retrouveront ensuite sur « Banlieue » en 2003, « On sait l’faire » en 2005, puis « Call of bitume » en 2012. Bien que pas totalement finalisé, « Cru » sera finalement dévoilé sous un autre nom, « C’est nous la rue », sur le troisième volet des mixtapes Neochrome en 2003. – Olivier

Mission Suicide 

Paru le 15 mars 2001 | > Naître pour mourir

À sa sortie, Mission Suicide se présente avant tout comme un projet rassembleur. Tefa et Masta, duo de beatmakers de la mythique entité Kilomaître, se sont associés à Eben pour produire une compilation coup de poing, à l’image de la sulfureuse cover du CD. Forts de leur étroite collaboration sur l’album 3 X plus efficace des 2Bal 2Neg’, les trois compositeurs vont unir leurs forces dans le but de proposer un projet aux sonorités new-yorkaises sur lequel ils décident d’organiser des featurings bien souvent inédits. C’est grâce à l’intermédiaire de Diam’s, présente sur un morceau 100% féminin aux côtés de Princesse Anies, Isis et China, que Sinik se révèlera pour la première fois à un public plus large qu’à l’accoutumée. Convaincus de son fort potentiel, Tefa et Masta lui réservent une des meilleures instrumentales de l’opus et l’opportunité de croiser le mic avec Lino et Fdy. Rien que ça. La période de sortie de Mission Suicide correspond également au début  de la collaboration entre Kilomaître, Sniper et Tandem. On les retrouve sur « Meilleurs Voeux 2 », clin d’œil au classique de Kery James, Namor, G-Kill et Gued-1 datant de 1998. De plus, Mac Tyer et Mac Gregor apparaissent en featuring avec le toulousain Dad PPDA et Busta Flex. Ensemble, ils font de « Sport de sang » un des titres phares de la compilation. Et que dire du morceau « Naître pour mourir » ? La voix pitchée de la chanteuse libanaise Fairuz sublime la prestation posée de Charly Waits, rappeur de La Clinique. S’enchaînent ensuite le couplet maitrisé de Buzz Eastwood puis celui d’un Rocé intouchable, qui sortira cette même année son premier album Top Départ. Le Beauvillésois Kazkami ponctue ce chef d’œuvre par une prestation remplie d’émotions. Dans un registre plus léger, c’est sur cette compilation que naîtra le duo parodique Gomes et Tavares, formé par Dad PPDA et Eben, qui permettra à ces deux artistes de railler sans complexe les flics ripoux. Pour conclure, de par son énergie et son caractère fédérateur, cette compilation aura toujours une place à part dans la discographie extrêmement étoffée de Tefa et Masta. – Jordi

Fonky Family – Art de Rue

Paru le 27 mars 2001 | > Filles, flics, descentes

 Après les succès de Si Dieu Veut, du EP Hors-Série volume 1 et la sortie de Mode de vie… béton style du Rat Luciano, la Fonky Family se lance dans le tant attendu deuxième album, non plus avec les grands frères de Côté Obscur mais en major, chez Small. Avec Art de Rue, il s’agit pour le groupe de confirmer leur immense talent et d’être à la hauteur de leur nouveau statut. Alors que sur le premier album, les morceaux pouvaient être longs, furieux, on ressent que les quatre MC’s se sont « professionnalisés » et ont adopté des formats plus radio-compatibles, sans adoucir leurs propos. En forme olympique, l’alchimie au micro entre Don Choa, Menzo, Luciano et Sat est redoutable (ce dernier étant force de proposition sur de nombreux tracks). Les refrains sont d’une efficacité folle, les instrus plus punchy et le disque est une constellation de hits, d’hymnes, portés en étendard par toute une génération et matraqués par Skyrock. En effet, « Art de Rue », « Imagine », « Mystère et suspense », « Nique tout », « Filles, flics, descentes », « Dans la légende » sont autant de morceaux qui font partie intégrante de la bande son d’une jeunesse bouillonnante qui entre dans l’adolescence ou l’âge adulte. La Section Nique Tout n’a pas son pareil pour narrer le quotidien de mecs de la rue (« En venant chez nous, tu te demandes où est ce que tu atterris, dans un énorme asile ou au cœur de la vraie vie »). L’authenticité du groupe, en particulier celle du Rat, emporte l’adhésion du public, l’album est rapidement disque d’or, disque de platine puis est consacré lors d’une tournée des Zéniths folle furieuse. Bien moins gentillets que Sniper, plus fougueux qu’IAM, les bad boys de Marseille représentent alors LE groupe de rap français. Néanmoins, Art de Rue avait reçu quelques avis mitigés à sa sortie, plus calibré que le précédent pour certains. Il a aussi mis en lumière des problèmes que chaque groupe a dû affronter, les batailles d’ego. Pone et Djel n’étaient plus aux manettes de la direction artistique (Luciano avait d’ailleurs réalisé un tiers des prods), Sat et Don Choa s’accordaient un morceau solo (avant de livrer leurs premiers albums respectifs), autant d’éléments qui montrent que la FF était entre deux feux. – Chafik

Karlito – Contenu sous pression

Paru le 10 avril 2001 | > La rue cause

En 2001, la Mafia K’1 Fry est déjà un véritable phénomène en passe de s’installer sur le toit du rap français. Un rap français en pleine mutation qu’elle gangrène pour le plus grand le plaisir des auditeurs, enchaînant les succès tant commerciaux que critiques – en témoigne cette rétrospective. C’est aussi l’année à laquelle Karlito, son membre le plus discret et énigmatique, passe le cap du premier album avec Contenu sous pression. La production y est sommairement assurée par DJ Sheer et Curtis mais c’est le regretté DJ Mehdi qui s’occupe du gros du travail. Le premier plan est toujours laissé à la voix et aux mots du rappeur, malgré des interludes peu orthodoxes (plus encore à l’époque) attestant toutefois du goût de Mehdi pour la musique électronique. Mais plus particulièrement, c’est sur les qualités d’écritures du secret le mieux gardé de la Mafia K’1 Fry que s’articule le disque, tant la plume est soignée et mise en avant par les performances plus modestes d’interprétation. La monotonie de cette dernière n’est pas rebutante mais ce sont donc les nuances d’écriture qui maintiennent l’intérêt. Tout est facilement intelligible mais pousse à la réflexion sur soi, sur les autres ou sur le monde. Plus impressionnants encore : la capacité d’analyse et de recul dont fait preuve l’Orlysien sur les différents thèmes abordés. Lui qui a participé à la réalisation d’œuvres majeures de la Mafia – aux côtés d’OGB et Manu Key – prend le parti, dans son coin, de délivrer son message à ceux qui l’écouteront, quitte à se fermer à une partie du grand public. C’est un message d’espoir que l’on retient au travers de toutes ses aventures très personnelles. Il laisse à tout un chacun la possibilité de s’identifier dans les hauts et les bas, même juste un peu, pour prouver que tout le monde peu s’en sortir. S’en sortir en restant soi-même. Le positionnement semblait de niche à l’époque, pourtant l’œuvre demeure d’une remarquable justesse vingt ans plus tard et le Contenu sous pression explose toujours dès les premiers mots : « J’aurais voulu être un gangster ». – Wilhelm

Oxmo Puccino – L’amour est mort

Paru le 9 mai 2001 | > Demain peut-être

La mue dure trois ans. C’est le laps de temps qu’il aura fallu à Oxmo Puccino pour se reforger, s’émanciper et se détacher des années Time Bomb. Le MC du 19ème avait signé avec Opera Puccino un des plus grands albums de cette musique, entre un rap de haute voltige et une qualité de narration hors pair, sur lequel planait l’ombre de feu (déjà) Notorious B.I.G. Alors comment vendre cette mue à un public qui patiente depuis trois ans pour recevoir sa nouvelle dose de Black Mafioso ? Avec L’amour est mort, Oxmo opère une rupture qui ne sera pas accueillie à bras ouverts par tout le monde à sa sortie. Musicalement très hétérogène, il est aussi beaucoup plus spontané dans l’écriture, Oxmo ayant lui-même confié n’en avoir écrit aucun, excepté « J’ai mal au mic », le tout ayant été élaboré et exécuté uniquement de tête, et souvent accompagné d’un goût nouveau pour la chanson. Et le tour de force aura été d’associer cette méthode de non-écriture à une noirceur textuelle très frappante à la première écoute. Et c’est peut-être pour pondérer cette noirceur générale qu’Oxmo l’a accompagnée de morceaux dispensables, voire mauvais, qui font de L’amour est mort un album définitivement trop long. Car le pessimisme dans le fond était parfois habilement camouflé par une forme plus optimiste, comme sur des morceaux comme « Mines de cristal » ou « Demain peut-être ». C’est peut-être un peu de tout cela qui a fait de L’amour est mort le mal-aimé de la discographie d’Oxmo Puccino. Car il recèle indubitablement de très grands moments, que ce soit de véritables moments de poésie, parfois détachée du ton cynique général, des collaborations restées dans la légende, notamment celle avec Dany Dan, ou tout simplement de très bons morceaux de rap. Et a posteriori, il ouvre déjà la voie à une suite de carrière loin du rap. – Xavier

La Caution – Asphalte hurlante

Paru le 15 mai 2001 | > Aquaplanning

Après des premières parties d’Assassin, des apparitions sur les mixtapes L’Antre de la folie et Un jour peut-être, et le maxi Les rues électriques, une certaine attente s’est créée autour du premier album de La Caution. On est alors en pleine effervescence autour de la scène dite « alternative », scène dont la Caution est l’un des fers-de-lance, mais qui, comme on le sait grâce au travail journalistique postérieur, n’a jamais eu d’existence réelle. Asphalte hurlante impose d’emblée son son :  gros breakbeats,  touches électroniques à l’aspect futuriste, et voix identifiables et complémentaires des deux MC. Comme dit dans “Toujours électriques”, les deux frangins ont « trouvé la formule comme Einstein ». L’amour de la multisyllabique est lui aussi poussé très loin. Une appétence qui pousse à utiliser un lexique large, et qui permet de donner une vraie originalité aux textes. La densité est parfois telle qu’il faut une attention totale pour ne pas se perdre dans le sens et se retrouver largué, comme au milieu d’une phrase de Proust. Cet amas de performances donnera naissance à quelques sons cultes, à l’image du storytelling “Aquaplanning” ou de l’apocalypse électronique d’”Almanach” et de son refrain iconique hyper-étendu. Mais la richesse qui parcourt Asphalte hurlante, qu’elle soit sonore ou textuelle, est parfois à double tranchant. Le style peut continuer d’impressionner, mais il peut aussi agacer par la sensation de trop-plein qui en résulte. Le double album qui suivra (Peines de maures / Arc-en ciel pour daltoniens) viendra corriger ce défaut, en amenant d’autres pistes, en variant les rythmes et les concepts, et sera le véritable aboutissement de ce qui a commencé à se contruire sur Asphalte hurlante. Ce premier album, malgré son côté imparfait, reste tout de même un diamant brut, et l’un des disques de rap français les plus généreux de ce XXIème siècle alors naissant. – Jérémy 

L’Hip Hopée et Hexagone 2001 : le grand rapprochement en marche

« Nique la musique de France » clamait la FF en 1998, avant que DJ Cream ne sorte une mixtape du même nom quelques mois plus tard. C’est dire le mépris mutuel apparent à la fin de la décennie 90, bien loin de la mode actuelle de vouloir proposer dans chaque album un morceau labellisé « chanson française ». S’il y eut bien quelques appels du pied ponctuels dès la fin des années 90, deux compilations rendront hommage aux grands auteurs du patrimoine de la chanson française et serviront de marqueurs : L’Hip Hopée en 2000, puis Hexagone 2001. Si la seconde se consacre uniquement au répertoire de Renaud (de l’époque où « le bleu le faisait encore gerber« ), dans les deux cas, l’exercice, pas toujours évident, est le même : rapper sur un instru hip-hop un texte de chanson française, avec tous les efforts d’adaptation que ça implique, puisque les rythmes ne sont pas les mêmes, et qu’il faut arriver à se détacher de la musicalité présente sur les versions originales. La sélection fait la part belle aux textes contestataires ou progressistes, et dans le cas de L’Hip Hopée, double album contenant également des morceaux ragga et R’n’B, ils sont issus des discographie de chanteurs tels que Léo Ferré, Jacques Brel, Georges Brassens ou Francis Cabrel. Hexagone 2001, plus rap, et globalement plus réussi, contient quelques grands moments tels que « Marche à l’ombre » repris sourire en coin par le Saïan, ou « Où est-ce que j’ai mis mon flingue » entonné par Big Red, habité par les paroles à un point tel qu’on pourrait penser qu’il est à l’origine du texte. Du côté de L’Hip Hopée, Diam’s brille avec son interprétation de « Saïd et Mohamed », sublimant le texte de Francis Cabrel, qui dès 1983 pointait le délaissement d’une partie de la population par les pouvoirs publics. Dans les deux cas, c’est un casting cinq étoiles qui s’est prêté au jeu, d’Oxmo Puccino (présent sur les deux projets) à Less Du Neuf, en passant par La Brigade, Expression Direkt, Doudou Masta ou Rohff, preuve que la place qu’occupent certains grands noms de la chanson française dans le cœur des rappeurs n’est plus un sujet tabou. – Olivier

Triptik – Microphonorama

Paru le 22 mai 2001 | > Bouge tes cheveux

Triptik a une place à part dans l’histoire du rap français. Très vite considéré comme un groupe original et ouvert d’esprit, notamment grâce à l’esprit souvent joyeux de leur musique, le trio francilien s’appuie pourtant sur un catéchisme hip-hop assez traditionnel. Un moment approché par IV My People, Triptik finit par signer un deal en édition avec Double H pour la sortie de Microphonorama. Après la sortie du remarqué « Bouge tes cheveux », avec son beat rebondi, son refrain comique et ses performances énergiques, et suite à de nombreuses apparitions en featuring, une sensation d’attente commence à se créer autour de l’album. Avec ses morceaux performances (« Le décompte » avec une Diam’s en grande forme, « Si t’aimes comme on rime »,…), son son festif (« Bouge tes cheveux »), son storytelling (« Panik ») ou ses morceaux à thèmes (« America » qui montre déjà un certain recul à propos de l’influence des USA sur le reste de l’occident, « Panam » ou « Star System »), Microphonorama coche toutes les cases nécessaires à l’élaboration de ce que l’on considérait comme un album complet à cette époque. Beaucoup de ces titres tiennent encore bien la route, la qualité des productions (basses rondes et fournies, sampling varié) et du mastering aidant, mais il faut avouer que l’album peut parfois prendre une teinte tantôt désuette, tantôt nostalgique, dépendant du parcours de l’auditeur et de la manière dont il se place. Microphonorama est un album « comme on en fait plus ». La présence (très plaisante pour les amateurs) de DJ sur onze des dix-huit titres en est un beau symbole. Reste qu’au delà de la sensibilité de l’auditeur à cette manière « à l’ancienne » d’opérer, l’entièreté des prestations du disque restent abouties, et le son global de Microphonorama est probablement l’un de ceux qui a le mieux vieilli de son époque. – Jérémy

Tandem – Ceux qui le savent m’écoutent

Paru le 3 septembre 2001 | > Le chant de l’amertume

Après deux ans d’existence, de freestyles puissants mais isolés et de réduction d’effectif (RIP La Pérestroïka avec Dontcha), les deux amis d’enfance Mac Tyer et Mac Kregor avancent en formation resserrée en cette année 2001. Leur entrée remarquée sur Mission Suicide, où ils tiennent fort la route sur « Sport de sang » aux côtés de Busta Flex et Dad PPDA, confirme l’intérêt grandissant que les joueurs qui comptent dans le game de ce début de siècle expriment pour le duo d’Aubervilliers. Pendant cette année charnière pour eux, on retrouve les deux acolytes sur toutes les grosses compiles qui comptent (Sachons Dire Non vol. 2, Cut Killer Show 2, Mission Suicide…) tandis que dans leur coin, ils préparent et sortent finalement un EP qui leur ressemble en septembre. Propre, le projet est organisé dans les règles de l’art, avec intro et outro, cinq morceaux en duo et un solo chacun. Le message envoyé au public et au microcosme du hip hop francilien est parfaitement clair. Désormais, il faudra compter avec eux et avec leur style, ce rap dense et sombre qui tranche par sa complexité et son homogénéité – il n’y a pas de titres « légers » ou « festifs » chez Tandem -, et qu’ils ramènent avec professionnalisme et sincérité, sur le devant de la scène. Ceux qui le savent m’écoutent est vraiment la carte de visite de Tandem. Le duo évolue sans complexe sur une rive encore peu exploitée du rap à la française, où la formule, de préférence dure et poétique, parfois un peu pompeuse, est travaillée pour en maximiser l’impact autant que le sens. Priorité au message donc et juste après lui, à la beauté du texte. Pour autant, la musicalité est loin d’être négligée et les deux Mac s’entourent sur cet opus du gratin des producteurs de l’époque, d’Eben à Tefa & Masta et DJ Poska. Ici la boucle de violoncelle d’ »In The Mood For Love », là des pianos revendicatifs et des caisses déterminées à se faire entendre, soutiennent efficacement les flows fournis des deux MC’s. Petit succès d’estime à sa sortie, le public grandissant du rap français ne donnera aux trente minutes de cet EP son véritable envol qu’avec la découverte de la suite : l’album, quand même quatre ans plus tard. – Sarah

Rohff – La vie avant la mort

 Paru le 24 septembre 2001 | > Le même quartier

L’année 2001 revêt une importance particulière dans la carrière de Rohff, puisqu’elle marque la sortie de son premier véritable hit, « Qui est l’exemple ? ». Ce single, écoulé à 800 000 exemplaires, représentera, plus que « TDSI », égotrip musclé qui annonçait la sortie de La vie avant la mort, un tremplin pour la carrière d’Housni. Néanmoins le grand écart entre son premier album particulièrement dur et les singles aux refrains un peu téléphonés du second (« Qui est l’exemple », « 5, 9, 1 », « Miroir miroir ») laisse perplexe les fans de la première heure. Cet état de fait a amené une partie du public rap à parfois négliger cet album qui contient pourtant quelques très grands morceaux, produits par la crème des beatmakers de l’époque. Citons pêle-mêle l’anti-flics et percutant « V » (qui se retrouvera tout bonnement censuré et disparaîtra sur les pressages suivants de l’album), l’excellent « Sensation brave » sur lequel Kery James apparaît au refrain au travers de scratchs judicieux, le freestyle racaille « Le bitume chante » avec la Mafia, ou l’outro « Darwah » toute en technique sur du Pone au sommet de son art. Et puis, titre sous-estimé et pourtant grandiose, « Le même quartier », dans la tradition des morceaux fleuves d’Housni, rappelle qu’on a affaire à un grand rappeur, authentique, et capable de parler au plus grand nombre sans forcer, au travers d’une interprétation apaisée, en totale osmose avec la production de Djimi Finger. Malgré son succès, La vie avant la mort reste un album de transition, et Rohff ne trouvera la formule hardcore-mainstream qui emportera tout sur son passage qu’à partir de son album suivant, La fierté des nôtres, trois ans plus tard. – Olivier

Chiens de Paille – 1001 Fantômes

Paru le 9 octobre | > L’encre de ma plume

Alors qu’ils avaient ébloui tout leur monde avec le sombre « Maudits soient les yeux fermés » en 1998, Sako & Hal, n’avaient laissé personne indemne avec « Comme un aimant » en 2000. Première signature du label La Cosca d’Akhenaton, rappelons-nous de la pression que devait ressentir le duo cannois, de l’attente autour de leur premier album. Et ce qui est encore plus marquant, c’est la proposition radicale concoctée par les deux compères, tant sur le fond que sur la forme. D’une exigence totale, Chiens de Paille a mis un point d’honneur à ne faire aucune concession, quitte à user l’auditeur. Le rap est strict, Sako étant omniprésent sur l’instru, ne le laissant pas respirer, s’interdisant tout silence. Le delivery est intense et le flow ne s’embarrasse pas de fioritures. L’influence, l’ambiance sont puisées du côté du QB et Hal se tourne abondament vers des samples de soul et de jazz offrant à son compère l’écrin indispensable à son écriture technique, faite de multisyllabiques. Surtout, c’est le talent de lyriciste de Sako qui saute aux oreilles. Torturé, tourmenté, Rodolphe Gagetta montre le côté obscur de la Côte d’Azur. Avec sa science de la rime, son écriture atteint des sommets (« J’ai autant de violence que de tendresse, ma vaillance n’a d’égal que ma bassesse, je suis le champ de maladresses où mes forces s’opposent comme l’ordre aux bandes calabraises »). Les moments de grâce ne manquent pas (le très cinématographique « Mille et un fantômes », « Le dos courbé », formidable fresque sur l’immigration italienne, le touchant « Un bout de route » avec Akhenaton, première collaboration d’une longue série), comme les démonstrations de rap, en compagnie de Mic Forcing et Coloquinte. Mais s’il fallait retenir un titre, comment ne pas citer « L’encre de nos plumes », exercice de style inédit, impressionnant au fur et à mesure du morceau. D’ailleurs, Joey Starr et DJ Spank ne s’y sont pas trompés en le jouant dans l’émission B.O.S.S., malgré l’opposition légendaire avec AKH et IAM. 1001 fantômes n’a bien évidemment pas été disque d’or, obtenant néanmoins un succès d’estime, devenant une pièce de référence pour les connaisseurs, en particulier la réédition qui comporte le titre « Dans mes rêves », un des plus sous-cotés de leur discographie. – Chafik

Akhenaton – Sol Invictus 

Paru le 15 octobre 2001 | > Mon texte, le savon

Fin 1990, début 2000, le rap français parle marseillais. L’ombre d’Akhenaton plane sur le game et il est difficile de passer à côté du leader d’IAM, de Marseille et sa production : en plus du carton de L’Ecole du micro d’argent, des signatures Côté Obscur (FF, 3e Œil), des compils Sad HillChroniques de MarsTaxiComme un aimantElectro Cypher, on pouvait entendre le pharaon sur les albums de Mr R, de Passi, sur les 11’30 contre les lois racistes, PC1, les 16’30 contre la censure… Tandis que les succès s’accumulent et que les critiques pleuvent, il se réfugie dans le travail. C’est dans ce contexte qu’il réalise Sol Invictus en « dépression, le moral fracassé », comme il l’avouera plus tard. D’ailleurs, le morceau « C’est ça mon frère » clôt une trilogie entamée avec « Pousse au milieu des cactus, ma rancœur » et « J’voulais dire », dans laquelle Philippe Fragione répond aux médisants qui considèrent qu’il a vampirisé le rap marseillais. L’album est de fait bien moins lumineux que Métèque et MatSol Invictus incarne la mélancolie d’un artiste qui doit composer avec les tourments qui affectent sa vie d’homme. Le présent étant imparfait, c’est dans le passé qu’il se tourne pour trouver du réconfort. Plus nostalgique que jamais, Akhenaton regarde dans le rétro, en se mettant dans la peau de son père, en se remémorant ses épopées new-yorkaises ou sa jeunesse, rappelant qu’il a été de ceux qui restent quand ça se disperse et non un vulgaire arriviste. Sentenza se veut aussi introspectif, spirituel, alambiqué parfois, à travers des exercices de style poétiques (« Sol invictus », « Mes soleils et mes lunes », « Entrer dans la légende »). « Mon texte le savon » est certainement le sommet de l’album, titre personnel, profession de foi, dans lequel Akhenaton se livre comme si c’était son dernier morceau. En plus de featurings de poids (Shurik’n, Lino, Dadoo), Chill s’est entouré sur cinq titres du collectif Napalm (Chiens de Paille, Mic Forcing, Coloquinte), avec lequel il partage une science de la rime (notons que cette école du 06 semble lui avoir donné une seconde jeunesse au niveau du flow, notamment). Très inspiré durant cette période compliquée, Akhenaton enchainera en 2002 avec un Black Album, prolongement évident de Sol Invictus, à plus d’un titre. – Chafik

Le Clash, dernier soupir de la discographie du Suprême

Une série de cinq maxis de titres d’NTM remixés par les beatmakers des labels IV My People de Kool Shen et B.O.S.S. de Joey Starr, sont sortis entre novembre 2000 et février 2001. Finalement réunis dans un volume unique en forme de double album, cet ensemble s’est vu agrémenté de deux inédits voyant apparaître Joey Starr et Kool Shen séparément, respectivement accompagnés d’Iron Sy et Salif. C’est que le groupe n’en est plus un depuis quelques mois, sans toutefois avoir officialisé sa séparation. En jouant sur une imagerie d’affrontement, et profitant d’une très large couverture dans les médias spécialisés sur plusieurs mois, la stratégie s’avère payante puisque les maxis Le Clash, BOSS Vs IV My People s’écoulent chacun à plus de 70 000 exemplaires, et leur permettent de livrer à Sony une compilation de remixes à la place d’un cinquième long format NTM dont ils sont toujours débiteurs. Mais peut-on résumer cet album à un coup marketing malin ? Finalement, est-ce que refermer la discographie en célébrant l’héritage du groupe n’est pas une belle porte de sortie ? En allant chercher des morceaux jusqu’au premier album paru en 1991 (mention spéciale à Spank et Joey côté B.O.S.S), en mettant la lumière sur des beatmakers qui le méritent et issus de leurs roasters, dans un esprit de challenge qui a toujours été le carburant du duo, ils tirent leur révérence discographique en évitant le tant redouté album de trop. Quelques extraits supportent particulièrement bien la réécoute, citons pêle-mêle le soulful remix de « Seine Saint-Denis Style » par Madizm et Sec. Undo, celui de « Tout n’est pas si facile » plus mélancolique encore que l’original et revisité par Spank et Joey Starr, ces derniers apportant également des coups de frais réussis aux classiques « L’argent pourrit les gens » et « J’appuie sur la gâchette ». Et si l’on connaît bien « Un ange dans le ciel », titre de Kool Shen dédié à Lady V sorti en 2004, on oublie parfois celui de Joey, en toute fin du volet B.O.S.S. du Clash, qui se fend avec « Vee à vie » d’un hommage touchant à Virginie Sullé, ainsi qu’au Suprême dans sa configuration initiale. – Olivier

Saian Supa Crew – X Raisons

Paru le 22 octobre 2001 | > Ils étaient une fois

Après la sortie d’un EP éponyme, après la bombe KLR, après un Planète Rap explosif autour de L’Block, la formation francilienne la plus éclectique du game revient plus prête que jamais à tout défourailler. Le lent mais certain succès du premier opus sorti deux ans plus tôt, avait fini par propulser le groupe sur le devant de toutes les scènes qui les laissaient traîner leur style bouillant et bouillonnant sur leurs planches. Ils s’étaient produits dans tous les coins, en rois de toutes les scènes, du plateau de Canal à des festivals bien établis, chauffant leur public à blanc avec des chorégraphies soignées, des improvisations de haut vol et des backs aussi intenses que les couplets qu’ils aidaient à façonner. Octobre 2001, le SSC est tellement chaud qu’il n’a non seulement plus besoin de se présenter, mais c’est à peine s’il doit encore faire ses preuves aux oreilles des novices. Le chemin qu’il s’est frayé vers une popularité de plus en plus enthousiaste est cependant à peine défriché et il faudra attendre un an avant que X Raisons reçoive du grand public la consécration du disque d’or. Pourtant quand le CD débarque dans les bacs, Seigneur, on n’était pas prêts. Les six larrons avaient pris de la bouteille (dur de croire que c’était encore possible après KLR) et nous lâchaient en pleine décontraction une bonne quinzaine de morceaux pour marquer les annales. À n’en pas débattre, X raisons est l’un des meilleurs albums que le rap français ait produit pendant ces 30 dernières années. Pour ses instrus incroyables – souvent faites maison – qui, grâce à leurs influences chamarrées, imprévisibles et leurs scratchs tant aimés, nous ont fait danser pendant des heures, comme des fous. Pour les flows intergalactiques de six grands malades qui nous ont baladés comme de naïves fillettes, de beatbox en gimmick, de légèreté en coup de massue. Pour ces interludes et impros qui ne nous permettaient même pas de reprendre notre souffle tant ils étaient eux-mêmes férocement intéressants. Pour la vivace modernité de chacune de leurs notes et pour la trouble actualité de chacun de leurs mots. En fait il y a tellement de raisons qui font de ce disque un monument de notre histoire rapologique, il ne vaut mieux pas chercher à les lister. – Sarah

Kery James – Si c’était à refaire

Paru le 23 octobre | > Si c’était à refaire

Suite à la mort violente de Las Montana, Kery James se pose des questions existentielles, décide de mettre un terme à sa carrière et se convertit à l’Islam. Si ses proches arrivent à le convaincre de continuer le rap, l’album Si c’était à refaire est celui d’un repenti qui effectue sa rédemption, celui qui marque la fin d’une époque et le début d’une nouvelle ère dans la vie d’Alix Mathurin. Le parti pris musical est sans concession : afin d’être en accord avec ses préceptes religieux, il ne sera réalisé sans aucun instrument à vent ou à cordes, seulement avec des percussions et des instruments, comme le xylophone. Kery James demeure néanmoins original, en mission, hardcore en reconnaissant ses torts, ses faiblesses, en délaissant l’egotrip, en prônant le pacifisme sur de très nombreux titres, en dressant un constat amer des banlieusards, à contre-courant du discours ambiant (« J’suis pas là pour leur dire ce qu’ils veulent entendre »). Moins moraliste que lucide, il démystifie la vie de voyou sur le brillant « 2 issues » (et son clip fédérateur qui réunit les rappeurs de Paris à Marseille). S’éloignant du chaos du ghetto français, il recherche l’harmonie (« Si je veux récolter du bien, c’est du bien qu’il faut que je sème »), en faisant preuve d’une introspection des plus profondes, tout en s’ouvrant sur les musiques du monde (en compagnie de Salif Keita, Roldan, Les Nubians) et en délivrant un message qui se veut universel (« Y’a pas d’couleur »). Il refuse d’être affilié à la Mafia K’1 Fry pour l’aspect crapuleux mais conserve les liens sacrés avec la « famille africaine » qu’il invite sur un posse cut poignant. Le disque se termine par « 28 décembre 1977 », morceau fleuve dans lequel Kery James retrace son parcours de combattant et confirme que la vie est brutale. Si c’était à refaire est le témoignage bluffant d’un rescapé de 24 ans à peine, habité par le zèle des convertis. Par la suite, Alix Mathurin continuera de graver sur disque son cheminement personnel, en proposant une formule plus brute sur Ma Vérité, en prouvant qu’il rappe encore (aux côtés de Booba ou avec Mac Tyer), en revenant dans la Mafia K’1 Fry et en affrontant ses paradoxes. Son combat continue, jusqu’à la mort. – Chafik

Less Du Neuf – Le temps d’une vie

Paru le 3 novembre 2001| > La valse des enragés

En 1995, on découvrait Less du neuf avec « J’me sens bandit » avant « Nique le monopole des grands » sorti deux ans après aux côtés de la mythique Fonky Family. En 2001, après avoir signé chez le label Dooeen Damage et participé à quelques grosses compilations (Première Classe et Hostile Hip-Hop 2), Less Du Neuf, composé des rappeurs Kimto Vasquez, Jeap12 et du beatmaker Ol’Tenzano, publie son premier album, intitulé Le temps d’une vie. Dix-huit titres intégralement produits par Ol’Tenzano (qui sortait de sa mixtape ExtraLarge) et contenant sept featurings, le premier album de Less Du Neuf est assez conséquent. Une chose qui frappe à l’écoute de ce projet, c’est l’endurance d’Ol’Tenzano : toutes les productions de l’album sont d’une efficacité rare. Aucun faux pas, le beatmaker tient la barre pendant plus d’une heure. Que ce soit les riffs de guitare électrique sur « P’tite esquive dans la cave », les ambiances funky sur « Bouffés par le système » ou « C’est ça ou rien », les effluves soul sur « Le temps d’une vie entière » ou encore l’onirisme de « La valse des enragés », Ol’Tenzano délivre une copie parfaite, très souvent magnifiée par les textes de ses deux acolytes. Hélas, si la performance d’Ol ‘Tenzano est remarquable, certains featurings présents sur le projet sont peu convaincants : l’apparition de Taïro dessert quelque peu le morceau « Je retourne ma veste », le refrain de Trade Union sur la ballade « Air du Sud » a très mal vieilli ou encore, la performance banale de La Garde (Shurik’n et Faf’ Larage) sur l’outro du projet. À l’inverse, le morceau « La valse des enragés » possède tous les ingrédients d’un classique incroyable. La prouesse de Casey et la verve si unique d’Ekoué font entrer instantanément ce morceau dans la légende. Les deux rappeurs de Less Du Neuf n’ont rien à envier à leur partenaire de joutes, notamment sur le bouleversant « Dernière Fleur » et sur le masterpiece « L’Etranger ». Au final, avec Le temps d’une vie, Less Du Neuf réussit là ou beaucoup d’autres ont échoué : fournir un LP cohérent, engagé et introspectif. Un projet témoignage également, de par son récit intimiste sur l’immigration. Une pierre angulaire essentielle dans le rap français. – Clément

Ol’Kainry – Au-delà des apparences

Paru le 9 novembre 2001 | > Frédéric

En 2001, Ol’Kainry est bien placé pour décrocher le titre de rookie de l’année. Dès le 20 février, le membre d’Agression Verbale marque le rap français avec un premier EP, sobrement intitulé En attendant, qui contient déjà quelques futurs classiques tels que « Crie mon nom », « Meurtre en 70 mesures » et le célèbre « Abattu du vécu II ». Sa façon de faire sonner les consonnes, de jouer avec les liaisons et d’appuyer certaines syllabes plutôt que d’autres, lui permet d’être immédiatement identifié par le public rap d’alors, pour ceux qui ne l’auraient pas découvert sur les projets de son label Nouvelle Donne. Son album, Au-delà des apparences, paraît quant à lui le 9 novembre, et confirme tous les talents observés jusqu’alors, à commencer par une plume plus fine qu’il n’y paraît au premier abord, parfois éclipsée par son flow à mémoire de forme. Maître dans l’art de raconter autant que de se raconter (« African princess », « Abattu du vécu II », « Frédéric »), on se délecte de ses histoires, tantôt profondes, tantôt teintées d’une dose d’humour qui ne le quittera plus (« Bobby »), souvent ponctuées par des extraits de films et toujours sur fond de street réalité à la sauce Evry-Courcouronnes. Au croisement de la fin de l’adolescence et du début de sa vie d’adulte, la question de la paternité occupe une place importante dans ses textes, que ce soit pour rassurer ses parents (« T’inquiètes pas »), évoquer sa vie de jeune papa (« African princess ») ou parler de son vécu d’enfant du divorce (« Frédéric »). À la réécoute de ces deux disques, il apparaît une forme de continuité entre certains titres qui se répondent, « 70 mesures de haine » représentant les prémices de « Qui veut » et son remix, de la même manière que « Crie mon nom » connaîtra également le sien sur son album commun avec Dany Dan en 2005. Quant à « Lady » avec Jango Jack, il pose les jalons d’une collaboration qui se traduira par trois albums communs entre 2002 et 2011. Pour finir, il conclut son album adoubé par les patrons d’alors que sont Lino, Passi, Busta Flex et Le Rat Luciano, venus l’accompagner sur le remix de « Qui veut ». Tout ça à seulement vingt-et-un ans. – Olivier

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