« De KDD à The Classics » – Entretien « 10 Bons Sons » avec Dadoo

Force est de reconnaître que Dadoo, en groupe comme en solo, aura permis de placer Toulouse de façon durable sur l’échiquier du rap français entre la fin des 90’s et le début des années 2000 (Qui n’a jamais entendu son fameux gimmick « Toulouse 31 ma couille » ?). Nous l’avons rencontré pour un retour en 10 morceaux sur son parcours, depuis ses débuts avec KDD jusqu’à ses dernières apparitions scéniques avec The Classics, en passant par sa carrière solo, et ses multiples casquettes : MC, producteur, beatmaker, réalisateur…

1 – KDD – Big Bang KDD (Opte pour le K, 1996)

Dadoo : Ce morceau est lourd de sens dans ce qu’il m’évoque. Déjà il me fait penser à la place Jean Jaurès (dans le centre-ville de Toulouse, ndlr), parce que c’est là que j’ai trouvé le refrain et le thème du morceau. Et aussi c’est le premier morceau qui m’amène à New York, c’est là-bas qu’on a tourné le clip. Ce titre me rappelle cette période et la découverte de cette ville référence.

Ce titre était joué en radio…

Dadoo : Oui, c’est le premier single de KDD en fait. La particularité, c’est que quand il est sorti, on nous taxait d’avoir pris une tendance funky qui était latente. Et en fait c’est un sample de Curtis Mayfield qui fait tout sauf du funk. Donc c’était une première approche de ce que fut la science de la musique populaire.

L’album Opte pour le K duquel est issu le morceau a-t-il bien marché ?

Dadoo : Non, notre premier album n’a pas marché. Il a été très populaire, et le groupe aussi, sûrement parce qu’on venait de Toulouse, ça sortait de l’axe Paris-Marseille. Mais quand il est sorti on n’en a pas vendu des masses.

Vous étiez jeunes.

Dadoo : Oui, ça a démarré très tôt. Le plus jeune du groupe avait 12 ans quand on a démarré, à 14 ans il sortait son premier disque, et pour ma part j’avais 18 ans.

Vous étiez plus nombreux au sein de KDD sur cet album-là que sur le suivant, Résurrection.

Dadoo : C’est un groupe qui n’a jamais cessé d’évoluer. Il s’est bonifié à chaque fois, et on a toujours gardé d’excellents relations avec ceux qui nous ont quittés. Le devoir était de vraiment servir le groupe.

2 – KDD – Ma cause (Résurrection, 1998)

Dadoo : Ce morceau s’est fait suite la rencontre avec Lindsay qui nous a rejoints sur le deuxième album. Il était dans le quartier de Bellefontaine, il travaillait ses beats tous les jours. Il avait une passion pour la musique classique, ainsi que pour les musiques de films, notamment de John Barry (à l’origine de ce sample du générique de James Bond, ndlr). Son approche quasi intégriste du Hip Hop sampling vu par un DJ qui se mettait à faire des instrus m’a énormément plu. Donc on a commencé à travailler ensemble et « Ma cause » fait partie des premiers morceaux qu’on ait fait.

Ce morceau était sorti un peu avant Résurrection, et je me rappelle être tombé dessus pour la première fois sur Skyrock dans Planète Rap, sans pouvoir identifier le groupe. J’ai fini par reconnaître ta voix, mais ça a mis du temps tant l’ambiance dégagée sur ce morceau tranchait avec le premier album. Que s’est-il passé entre ces deux albums ?

Dadoo : Déjà on a énormément réduit l’équipe, on a fait un grand nettoyage : il n’y a pas les mêmes réalisateurs, ni les mêmes ingénieurs du son… Et on a tout supervisé nous-mêmes : la réalisation, le choix des titres, etc. Le résultat c’est qu’on arrive avec un album plus singulier, mais plus dans la tendance à venir on va dire, qui annonçait ce rap de rue, de quartier.

Dès l’intro « Résurrection » on sent presque un côté revanchard…

C’est une résurrection. Ce côté revanchard est dû à l’échec commercial du premier album, même si artistiquement c’était une réussite pour nous. On s’est dit : « Et si on prenait la tendance à contre-pied ? » On a voulu raconter cette histoire qu’on a vécue, en puisant dans notre authenticité. C’est un album à l’opposé du premier, tout en restant nous totalement. C’est un album en réaction.

Dans le titre « Résurrection », les faits décrits sont-ils réels ?

Dadoo : Au niveau lyrique c’est un storytelling dans la tradition d’Eric B & Rakim, Nas, etc. Après il y a pas mal de métaphores. Ce qui nous est arrivé c’est suite à des critiques, des commentaires. Il y a eu des moments bizarres parce que nous n’étions pas habitués à être exposés et les gens non plus apparemment. Il y avait de temps en temps des conflits verbaux, ce n’est jamais allé plus loin mais c’était vachement inspirant. Cette histoire nous a permis d’utiliser de fortes métaphores.

Suite à ce morceau il y avait des rumeurs qui disaient que vous aviez vraiment été agressés…

Dadoo : C’est du spectacle, du show. Mais c’est quand même une réaction normale par rapport au titre. C’était son but aussi, d’arriver à créer une vraie émotion à partir de tout ça.

Ce deuxième album a beaucoup plus marché…

Dadoo : Complètement. Avec « Une princesse est morte », le titre avec Driver (« Une femme tue un soldat », ndlr), « L’organisation » avec la Fonky Family. Ils n’étaient pas encore très connus à l’époque et ils sont devenus des valeurs sûres dans le rap français. Et puis il y a la collaboration avec Imhotep sur « Qui sera le prochain ? »… Ah non ça c’est sur le troisième album ! Mais Résurrection c’est aussi l’album de la collaboration avec Pretty Will et Avon Marshall, qui sont deux producteurs américains avec lesquels on a travaillé jusqu’à Harlem, on a fait des featurings avec un groupe qu’ils produisaient, Group Home. Donc c’est l’album de la pénétration Hip Hop internationale.

Effectivement il y a dans cet album des interludes avec de l’espagnol, de l’anglais…

Dadoo : Voilà. D’ailleurs cet album s’est vendu partout.

C’est un peu votre classique, quand les gens mentionnent KDD, c’est souvent cet album qui revient.

Dadoo : Déjà je suis très touché par le fait qu’il soit considéré comme tel par des gens de 20 ou 25 ans qui sont de vrais passionnés de rap. Ensuite ce n’est pas quelque chose que l’on arrive à s’admettre, d’abord parce que ça a été énormément de travail, et parce qu’on n’est jamais vraiment content de ce qu’on a fait. Maintenant, savoir que 15 ans après, presque 20, il y a des morceaux qui tournent encore dans les voitures, ça me fait dire que le message reste toujours valable, et qu’on a besoin de temps en temps de se parler vraiment.

3 – KDD feat. Trait D’Union – Trafic de rimes (Opération Freestyle, 1998)

Dadoo : Superbe. Avant Jacky Brown ! (rires) (le film de Quentin Trantino, en référence au sample utilisé, ndlr) Super morceau. Déjà le fait d’avoir obtenu l’autorisation du sample c’était fabuleux. Ce morceau part d’une demande de Cut Killer, pour Opération Freestyle, d’inviter et de présenter des gens de Toulouse. On avait choisi Trait D’Union, un groupe de Bellefontaine, qui avait vraiment des lyrics et des concepts très bons. Et le souvenir qu’il nous en reste c’est ce titre.

C’était la première fois qu’on vous entendait avec un autre groupe de Toulouse. On vous a parfois fait le reproche de ne pas avoir plus collaboré avec des Toulousains.

Dadoo : Déjà on était très soucieux de bien faire. On travaillait beaucoup, on avait des objectifs à remplir en termes de production. Et on a eu aussi beaucoup de connexions avec d’autres villes : Paris, Marseille, Lyon… Donc on avait des collaborations plus nationales. Après il nous arrivait de partager le micro avec des mecs de Toulouse, mais plutôt sur du freestyle, à la radio, etc. Et puis artistiquement, personne ne nous parlait vraiment. Ce n’était pas comme aujourd’hui, il y a l’embarras du choix ! La Droogz Brigade, le label Crazy Mother Fuckers, Omerta-Muzik, Furax, Bigflo & Oli… A l’époque c’était un peu plus compliqué.

Après la sortie de cette compilation il y avait eu une tournée…

Dadoo : C’était génial. Il y avait D.Abuz System, La Cliqua, 113, je crois qu’il y avait Fabe aussi… Toute cette scène qui part en tournée c’était génial, c’était la première fois que des groupes de tous horizons, de styles différents, partageaient le même bus, les mêmes hôtels, les mêmes salles, le même public… Il s’est passé des choses fabuleuses, d’ailleurs je crois que c’est notre première rencontre avec le 113.

4 – KDD – Qui tu es ? (Une couleur plus au drapeau, 2000)

Dadoo : Aujourd’hui dans le style de flow c’est assez classique. Mais à l’époque, quand on arrive de Toulouse en rappant deux fois plus vite sur un beat dédoublé, on est les premiers à se poser des questions. « Est-ce qu’on est vraiment raisonnables d’aller aussi loin ? » Ensuite on s’est dit que si on était capable de le faire, il fallait le faire, le proposer. Et au final on a eu un super accueil. Finalement c’est le morceau qui nous apprend qu’en musique il faut innover, et que le public est très réceptif à l’innovation.

Sur Une couleur de plus au drapeau, il y a un autre morceau avec ce BPM.

Dadoo : Oui, il y a aussi « Si tu aimes ça ». « Qui tu es ? » c’est la version de Diesel de ce style, et « Si tu aimes ça » c’est celle de Lindsay.

On retrouve aussi sur cet album des morceaux qui sont plus dans la continuité de Résurrection… Il est plus diversifié.

Dadoo : Une fois qu’on a eu fini Une couleur de plus au drapeau, on s’est dit que c’était notre album le plus maîtrisé. On part de ce deuxième album dans lequel on a mis les mains dans le moteur pour essayer de créer quelque chose, pour arriver sur le troisième à une certaine maîtrise de production. Tu peux retrouver « Le geste », dans le style boom bap classique, New York dans l’esprit, mais aussi « Qui tu es ? » qui, à la base, nous est inspiré par la côte Ouest et un peu Miami : tous ces sons à la TR 808, avec des charleys dédoublées… Ce qui était les prémisses de la trap en fait, cette musique de club de Miami. En fait notre objectif c’était d’insérer à la programmation une méthode un peu new-yorkaise, c’est à dire du sample et des beats issus de breakbeat. C’était une expérience. Une couleur de plus au drapeau, c’est l’album du résultat de nos expériences.

« Qui tu es ? » est un morceau qui marche bien sur scène, tu continues à le jouer avec The Classics ?

Dadoo : On le joue parce que c’est un plaisir d’abord, et puis il y a une vraie demande. Les soirs où je n’ai pas prévu de le jouer, il y a au moins dix personnes qui viennent me demander de le faire.

Par la suite, tu bascules davantage vers ce type de sonorités…

Dadoo : Complètement. Mon album solo, c’est comme regarder à la loupe ce que j’ai amené dans KDD.

https://www.youtube.com/watch?v=aaLLs-QsUlU

5 – Dadoo & Eben – Les ripoux : Gomez et Tavarez (Mission Suicide, 2001)

Dadoo : C’est la rencontre avec Kilomaître Prod : Tefa et Masta. Ce morceau me rappelle cette période, cette équipe que je voyais au studio parisien Black Door, une référence dans le Hip Hop. Dans ce studio se croisaient Mac Tyer, Dragon Davy, Diam’s, Rohff, Sniper, alors que personne n’était encore très exposé, leurs grosses chansons n’étaient pas sorties. Il y avait une espèce de synergie : on faisait des morceaux ensemble, on venait pour bouffer, voir ce que les autres faisaient, etc. Et du coup on me demande de participer à une compilation, et le cahier des charges c’était un morceau un peu comique et original.

Sur ce morceau on te découvre une facette humoristique…

Dadoo : Qui était présente dans le premier album des KDD en fait. Sur Opte pour le K on était très inspiré par A Tribe Called Quest, Leaders Of The Newschool aussi, le premier groupe de Busta Rhymes. Donc il avait une couleur un peu « fun », et ce sont des choses qui sont revenues plus tard.

Vous aviez eu droit à un gros clip sur « Les ripoux »…

Dadoo : Oui, il y avait Pascal Elbé qui jouait un serveur, qui est super connu aujourd’hui mais qui ne l’était pas à l’époque, Elie Semoun aussi qui jouait un flic. On peut penser à une grosse production, mais c’est surtout que ces mecs-là aimaient notre musique. Ils nous ont dit oui directement quand on les a invités.

Suite à ce morceau, il y a eu le projet Gomez & Dubois, avec Faf Larage…

Dadoo : Il m’a remplacé en fait.

Tu n’étais pas partant pour le long format ?

Dadoo : Non. J’ai refusé parce que je ne voulais pas que tout le projet repose sur un style. Faire un album comique c’est pas mon métier. Qu’il y ait du comique dans un album, ça me plaît. D’avoir la possibilité de le faire, mais de faire aussi des morceaux plus sérieux, ou conceptuels, c’est plus dans mes valeurs. Je suis pour la liberté. Par contre Eben et Faf Larage l’ont très bien fait, et j’étais dans les coulisses en fait.

6 – Don Choa feat. Dadoo – Sale Sud (Vapeurs Toxiques, 2002)

Dadoo : (Il met quelques secondes reconnaître le morceau, ndlr) C’est avec Choa ça ! J’adore ce morceau en fait ! C’est sur son album à lui, Vapeurs Toxiques. C’est le début de l’influence d’Eminem dans le cerveau de tous les rappeurs français. Que ce soit les prods ou le flow, Eminem nous a mis des coups de tomawaks quand il est arrivé, et derrière on a fait des morceaux. (rires)

Avec Don Choa on a l’impression que vous avez une relation qui va au-delà du rap.

Dadoo : Lui et moi on est en mode quantique. Il est de Toulouse et il a fait sa carrière à Marseille. Moi je suis de Marseille et j’ai fait ma carrière à Toulouse. Il faisait du ragga, je faisais du rap. Il était d’Arnaud Bernard, j’étais de la Reynerie (deux quartiers de Toulouse, ndlr). Ce sont des mondes qui se sont côtoyés, et ça doit faire 25 ans qu’on se connaît, facile. Donc ce morceau-là c’était une évidence, des prolongements de discussions derrière un micro.

Vous aviez déjà posé ensemble sur « Ghetto Cocaïne » sur le troisième album des KDD, « L’organisation » sur le deuxième. Récemment on vous a revus ensemble sur un clip de Bigflo & Oli.

Dadoo : C’est ce qui est fabuleux avec les jeunes aujourd’hui. Ce qui me plaît c’est d’abord le fait que les mecs soient soucieux et respectueux de ce qui s’est passé avant, qu’ils sachent y déceler la qualité. Et ensuite dans l’exercice de ce qu’ils font, ils ont intégré des nouveaux procédés de communication hyper pertinents avec internet qui donne une liberté à la création qu’on avait un peu moins. On avait moins de perspectives d’exposition.

Pour revenir à « Sale Sud », il y a eu comme une suite, sur le deuxième album de Don Choa, intiulée Le Sud le fait mieux avec Soprano et ton frère, Billy Bats.

Dadoo : Ce qui est marrant c’est qu’à la base c’est un morceau de mon frère qu’il jouait sur scène et dans les radios, et qui a énormément plu à Choa dans le concept. Et comme dans le sud tout appartient à tous, c’est comme un étendard qu’on a voulu lever.

7 – Dadoo – France History X (France History X, 2003)

Dadoo : Ce morceau me fait penser à Diam’s en fait. Une fois que j’ai eu enregistré le morceau, je le lui ai fait écouter, et elle m’a dit : « A quel moment tu fais rentrer le chien ? » (rires) Le chien est arrivé parce qu’à un moment mon chien est arrivé dans le salon et a fait une connerie pendant que j’étais en train d’écrire. Je l’ai regardé et je me suis dit : « En fait ça peut être lui qui parle. » Ça nous a beaucoup amusés de voir comment un élément anodin peut prendre une dimension de fou à un moment.

Ce titre est plus boom bap par rapport au reste de l’album… 

Dadoo : C’est ça. Déjà il est composé par le Gang Du Lyonnais, une superbe équipe spécialisée dans le boom bap. Mais il y a deux ou trois morceaux dans ce style dans l’album : « Dad Motion Picture », « Tout casser »… Cet album est une transition entre ce que j’ai fait avec KDD et ce que j’ai pu faire en production par la suite.

Sur l’album France History X, on retrouve un autre morceau avec une touche humoristique, Sales gosses, avec encore un gros clip.

Dadoo : C’est un peu dans la continuité de « Gomez & Tavarez », de ces morceaux un peu décalés, entre message et humour, et toujours couronnés d’un clip évènement. C’est un peu une marque de fabrique.

Suite à ça, on s’est posé la question de savoir s’il y aurait un autre album des KDD. Qu’est-ce qui explique l’arrêt du groupe ?

Dadoo : On ne voulait pas faire l’album de trop, faire l’album pour faire l’album. Ça nous a autant fait de mal à nous qu’au public. Ça a été douloureux sur le moment, mais on s’est dit qu’avec le temps ça donnerait plus de puissance à ce qui était sorti avant. Les disques de KDD c’est vraiment notre carnet d’adolescence. Une fois qu’on a eu un peu grandi, qu’on a commencé à avoir des enfants pour certains, à s’installer, notre vision a progressé, et on s’est dit que c’était peut-être la fin.

Diesel est parti à New York, c’est ça ?

Dadoo : Oui, il est parti bosser d’abord à Washington, et ensuite à New York. Il compose pour tout un tas de personnes là-bas, notamment pour des créateurs de mode en ce moment, pour des défilés.

On retrouve Oxmo Puccino sur France History X. Il vous avait déjà invité sur son album L’amour est mort, et sur sa mixtape Bâtiment B. Là tu l’as invité à ton tour sur le morceau Dad & Ox.

Dadoo : C’est un ami. Dans ce monde artistique du rap il y a des gens qui ont des atomes crochus. Et avec Oxmo ça a toujours collé naturellement. On parle de tout, de sujets philosophiques, voir extraterrestres des fois. (rires)

8 – Kool Shen feat. Rohff & Dadoo – L’avenir est à nous (Dernier Round, 2005)

Dadoo : (Il reconnaît le titre dès la première sonnerie de téléphone présente dans le clip, ndlr) « L’avenir est à nous » ! Ce morceau a une histoire de fou. Quand on sort notre premier album avec KDD en 1996, on commence à essuyer des critiques par rapport au fait qu’on soit de Toulouse, de la campagne, en opposition avec Paris qui est beaucoup plus offensif, alors qu’on a l’adhésion de toute la France… La première personne qu’on rencontre et qui représente ce monde « hostile » c’est Kool Shen. Il avait adoré ce qu’on avait fait, et était venu nous le dire. On avait passé genre une nuit en studio à écouter plein de choses, il nous avait donné plein de conseils. Ça a été une véritable rencontre. Et quand il me passe ce coup de fil pour me dire « Je fais un dernier album, j’aimerais bien que tu participes.« , c’est un truc de fou, c’est comme si une boucle avait été bouclée. Et me retrouver sur l’album du mec que je pensais un peu hostile à ce qu’on faisait 10 ans auparavant c’était fabuleux.

Et ce qui est intéressant c’est que tu poses avec Kool Shen alors qu’un gros froid s’était installé avec Joey Starr à cette époque, et que tu es aussi amené à travailler avec à ce moment-là.

Dadoo : C’est là ou tu vois que NTM est un vrai groupe en fait. Dès que c’est artistique ils n’ont aucun souci. C’est un vieux couple. Donc ils vont se disputer pour des choses qui ne nous regardent pas, et ils ont la pudeur de ne pas s’étendre là-dessus. Mais dès qu’ils sont sur scène ensemble, qu’ils se retrouvent pour pratiquer de l’artistique, c’est 100% authentique. A chaque fois. Donc que je sois avec Kool Shen et Joey Starr en même temps, comme c’était artistique, il n’y avait pas de souci.

On retrouve aussi Rohff sur ce morceau.

Dadoo : Rohff je l’avais rencontré au studio Blackdoor, quand il démarrait. Il était hyper motivé et rigoureux, toujours élégant. Et je le retrouve quelques années plus tard avec Kool Shen, alors qu’il est sur le pilotage d’un gros album. D’ailleurs j’avais déjà travaillé sur des albums à lui.

A cette époque il y avait déjà cette distinction entre « rap de rue » qui correspondait à Rohff, « rap conscient » pour Kool Shen, et « entertainment » avec toi. Réunir ces trois univers sur un même morceau c’était un symbole fort.

Dadoo : C’est la force des grands comme Kool Shen. Ils ont imprimé des œuvres qui ont une certaine portée sur le coup, commerciale par exemple, et qui des années plus tard ont une autre portée, une fois qu’on a intégré les évolutions des styles. Quand il invite Rohff, qui est sur l’échiquier du rap street, lui sur celui du rap conscient, et moi sur celui de l’entertainment et second degré, il a juste désigné ce que sont aujourd’hui les trois grandes parties du rap. Tu as toute l’école Orelsan, Bigflo & Oli, certains de chez Wati B, qui peuvent se réclamer de cette école un peu second degré et entertainment. Tu as Medine ou Youssoupha qui sont plutôt dans le conscient, même avec des chansons qui peuvent avoir des formes très commerciales. Et puis tu as Kaaris ou Booba par exemple, qui représentent la rue.

9 – Joey Starr feat. Dadoo – 9.3 Déboule (Gare au Jaguarr, 2006)

Dadoo : Premier album solo d’un monstre du Hip Hop. Troisième album que je produis donc grosse responsabilité. Et ce morceau-là m’évoque un peu la liberté dans la mesure où Joey est quelqu’un qui te fait confiance parce qu’il connait tes compétences, il sait ce qu’il est venu chercher chez toi. Donc tu travailles toujours dans une détente… imprévisible ! (rires) C’est une super période dans mon apprentissage artistique parce que j’ai dû remplir des objectifs commerciaux pour la première fois, je sortais de mon cadre habituel. Je m’en battais les couilles jusqu’alors, c’était la musique d’abord. Donc pas mal de stress aussi sur les deadlines, l’organisation… Mais un vrai succès au final.

Tu réalises l’album donc, comment en est-il venu à te choisir toi ?

Dadoo : On ne se connaissait pas personnellement avant ça, on se saluait quand on se croisait, mais on n’était pas « amis ». Un peu comme pour Kool Shen qui était venu nous voir à nos débuts, Joey c’est quelqu’un qui vient aussi te voir quand il apprécie ce que tu fais. Et c’est comme ça qu’on s’est rencontré et qu’il m’a proposé de travailler avec lui. Il avait apprécié ce que j’avais pu faire depuis KDD jusqu’à mon album.

Ce qui est drôle c’est que le morceau s’appelle « 9.3 déboule », et que ton couplet est en mode « 3.1. Haute Garonne ».

Dadoo : Parce qu’à défaut de rapper avec beaucoup de Toulousains, mon rôle a plus été de dire qu’à Toulouse aussi il y avait du rap.

Oui mais c’est curieux qu’il t’ait invité à poser sur ce morceau-là en particulier.

Dadoo : C’est Joey. C’est aussi une manière de dire que le 9.3. c’est tout le monde. C’est un état d’esprit, un symbole. Oui c’est Saint Denis, mais aujourd’hui, même dans les cabinets de ministres on peut entendre des trucs comme « Cette imprimante elle est un peu 9.3. » C’est devenu un adjectif.

10 – Set&Match feat. Dadoo & Billy Bats – 10g de swag (Setautomne, 2011)

Dadoo : Avec Set & Match et mon frère Billy Bats.

On ne t’avait quasiment plus entendu depuis 2007 et l’album de Joey Starr… Pourquoi ?

Dadoo : Au nom de la liberté. J’ai fait autre chose, j’ai vécu d’autres expériences artistiques, humaines. Et puis ça faisait longtemps que j’étais sur la route. A 17 ans on était déjà dans des camions. Donc ça a été un moment d’exil.

Depuis 2010 on a pu t’apercevoir par ci, par là…

Dadoo : C’est les mecs qui sont venus me chercher en fait. Set&Match par exemple ça s’est fait par l’intermédiaire de potes qui m’ont proposé de faire ce morceau. Et c’est à ce moment-là que je commence à me reconnecter avec le rap français. J’étais parti dans d’autres musiques, j’écoutais d’autres choses.

Tu as une parenthèse punk… Non funk pardon.

Dadoo : Moi je peux te dire que c’était punk ! (rires) C’était du laboratoire…

Tu as été dans un collectif d’artistes c’est ça ?

Dadoo : J’ai participé à un collectif d’artistes qui existe toujours avec des graphistes, des vidéastes, des photographes… Il s’appelle le Saint Cyp Crew. En fait il suffit d’y habiter (le quartier de Saint Cyprien à Toulouse, ndlr), d’être sur la Rive Gauche et de faire de l’art pour en faire partie. Il n’y a pas de chef, ni de réunion. C’est un label que tu t’appropries en fonction de tes valeurs. Après j’ai fait cette expérience de rencontre avec les musiciens dans laquelle j’ai mélangé rap, rock, électro en faisant des chansons un peu hybrides. C’est des choses que j’avais envie de faire, et qui m’ont apporté énormément de savoirs techniques.

Tu t’en sers aujourd’hui ?

Dadoo : Aujourd’hui j’essaie de redéfinir mon rap, la musique qui l’accompagne, chargé de tous ces petits trésors que j’ai pu trouver dans mon cheminement.

J’ai rajouté un petit bonus parce qu’il vient tout juste de sortir :

11 – Bonus Track : Crown feat. Dadoo – Freestyle (1 Beat 5 MC’s, 2015)

Dadoo : Un freestyle tout frais ! Toujours pareil, des gens viennent me chercher, et je m’intéresse à ce qu’ils font. Crown pour moi c’est un espèce de DJ Premier dans ce qu’il est : garant d’un style classique, avec tous les codes de l’âge d’or. Et ça m’a tout de suite parlé.

C’est quasiment le seul à avoir réussi à t’enregistrer ces dernières années, avec son album Pieces To The Puzzle sorti l’an dernier, et le freestyle « Impose ton style »… Prévois-tu d’enregistrer un album ?

Dadoo : J’ai un nouveau groupe qui s’appelle The Classics avec qui je tourne. On a démarré sur cette idée d’interpréter le répertoire de KDD et mon album solo, revisités par des musiciens, mais pas n’importe lesquels : ce sont des ils ont grandi dans la culture Hip Hop et l’ont intégrée parce qu’elle a toujours été dans leur environnement. C’est quelque chose qui m’a plu quand je les ai rencontrés. Du coup ils ont une manière de déchiffrer cette musique avec leurs instruments qui m’a laissé entrevoir une évolution possible. Moi je me positionne vraiment dans la radicalité en termes de propositions. J’essaie de faire des choses singulières, je ne suis jamais dans la tendance. Quitte à avoir des explosions ! (rires) Mais avec eux, c’est comme si j’avais trouvé un nouveau terrain d’expérience, on a vraiment envie d’aller explorer le plus loin possible.

Comment le public perçoit-il ces nouvelles moutures d’anciens morceaux ?

Damien, membre des Classics : Je pense qu’il les reçoit très bien. On a un public qui est devenu exactement à l’image de ce que je peux être moi ou le batteur. On n’a pas tout à fait le même âge mais on a grandi dans la culture Hip Hop. On n’a pas fait que ça, mais c’est une culture qui est latente. Moi j’ai fait 20 ans de piano classique, on a un batteur qui a 10 ans de jazz à haut niveau. On est donc dans une culture de musique fusion, et le public qu’on rencontre est aussi un public de musique fusion, une culture des années 90. Donc aujourd’hui, dans toutes les orientations de prod qu’on peut avoir, on laisse une part belle à ce qui est classique. On essaie de mettre de vrais éléments de noblesse dans le son : vraie batterie, vrai son de piano. Des choses nobles, mais qui font partie de l’ADN du Hip Hop en définitive. Ensuite on essaie d’avoir un rapport dans lequel on peut naviguer entre plein de styles. Il y a des choses très actuelles aussi.

Dadoo : On s’est créé un vaisseau spatial.

Damien : C’est un laboratoire, mais conscient. On a un vrai drive, on expérimente pas gratuitement. On a aussi des différences musicales hyper complémentaires, et quelque chose d’humain évident. Donc pour revenir à ta question, les gens dans le public voient ça comme quelque chose d’hyper frais, tout en ayant conscience qu’on leur envoie des classiques. Comme des cadeaux : Résurrection, France History X… Les gens s’éclatent. Et à côté de ça on essaie de produire de vraies œuvres, avec des vraies histoires, de vrais sujets.

Allez-vous créer des morceaux complètement nouveaux ?

Dadoo : Il y a un EP en cours d’enregistrement qui est bien avancé maintenant. Il devrait voir le jour bientôt, mais on le joue déjà sur scène, donc on a des feed backs. C’est une évolution du rap français. Il y a le rap en français, c’est à dire faire comme les américains mais en français. Et puis il y a le rap français : il n’a pas d’âge, il n’a pas de couleur, il est français. Tant qu’il a quelque chose à dire il est valable. On est toute une génération à avoir baigné dans une certaine ouverture d’esprit. Je viens de ce Hip Hop où on était noir, blanc, portugais, chinois, peut importe. On était dans le rap. Aujourd’hui ce qu’on propose c’est une version musicale de cette expérience, de ce rap français qu’on continue à faire évoluer. C’est notre mission. Il y aura une tournée au printemps pour présenter le projet.

Damien : C’est très Hip Hop comme façon de procéder.

Un mot pour conclure ?

Dadoo : Ça fait plaisir de voir un site indépendant qui sait de quoi il parle, avec une notion de la culture. Merci au Bon Son et à tous ses lecteurs.

Photo : ArtEos ©

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