Chroniques de (Mars) juin

Chaque mois, les passionnés de la rédaction écoutent autant que faire se peut les albums, EP, singles qui sortent en pagaille. Si nous mettons un point d’honneur à toujours mettre en avant le rap marseillais, ce mois-ci a vu les sons en provenance de la cité phocéenne s’empiler au point qu’au lieu de n’en sélectionner qu’un, deux ou trois pour les 10 Bons Sons de juin qui paraîtraient début juillet, votre serviteur s’est lancé dans des Chroniques de (Mars) juin… Au programme, des habitués, des inconnus, des vétérans, des new comers et surtout des morceaux extrêmement variés montrant la grande diversité de la ville (qui au passage connaît une période bouillonnante, entre la célébration des 30 ans du 3e Œil à l’Espace Julien, l’œuvre de Banksy à Marseille, la Fonky Family à Marsatac et le concert évènement d’IAM au Vélodrome).

Le 5 juin : L’Ami Caccio feat. Brother Tom Sos – Legacy project

L’Ami Caccio charbonne depuis des mois, ou plutôt des années en fait, et en 2025, il aura sorti (pour le moment !) un EP (L’ennemi Caccio) ainsi que d’autres titres, (« 50cc » ou encore « La rime, la pure, la sale 2 »), fort d’une direction artistique sans concession qui l’a rapproché de Just Music Beats. Et quelle fut notre surprise de le voir collaborer avec un américain, mais pas n’importe lequel. Le barbu a réussi à feater avec la nouvelle signature de Griselda Records Brother Tom Sos, qu’on a pu entendre au côté de Westside Gunn ! La vie étant bien faite parfois, ce feat a été réalisé peu de temps avant que le rappeur de Buffalo ne change de dimension. Résultat : un morceau dark, confirmant que Caccio est à l’aise sur ses sonorités et fait rare, le ricain a joué le jeu, livrant un couplet conséquent et se chargeant même du refrain ! Buddah Kriss et Oliver, New-Yorkais de Marseille, ajoutent une nouvelle collab’ FR/US à leur palmarès après la connexion Benjamin Epps/Conway. Ils produisent d’ailleurs de nouveaux morceaux sur L’enfant sacré de Belle Vue Pt 2 (dont celui avec Dany Dan) ainsi que sur le projet d’Hemo (mention spéciale au titre « Le bal des grands » avec Perso). Que ce soit Caccio ou JMB, on nous dit dans l’oreillette qu’ils devraient maintenir le rythme ces prochains mois…

Le 5 juin : Moubarak – Terter

Cette publication nous permet de mettre en lumière des artistes qui n’ont pas forcément voix au chapitre quand il s’agit de ne sélectionner que dix petits morceaux chaque mois et ce pour tout un tas de raison. Cette occasion est toute trouvée donc pour évoquer Moubarak. Particulièrement mis en avant sur 13 Organisé II, signé il est vrai sur le label de Jul D’Or et de Platine, le franco-comorien est à la tête d’une belle petite discographie, avec la sortie d’un album cette année, SOLIDE. Avec « Terter », il ajoute un morceau de plus au tableau dans lequel il expose son quotidien de mec de la rue. Pour ce faire, quoi de mieux qu’un couplet unique sans refrain, plein d’authenticité et de mélancolie, à l’image de la musique du J. A charge pour lui de charbonner maintenant.

Le 6 juin : Wapi Wap – Johnny Fontane

S’il y en a bien un qui semble évoluer en marge du game et qui détonne dans cette sélection, c’est bien Wapi Wap. Old timer, celui qui se situe entre boom bap et grime, propose un rap de daron, au propos plein d’autodérision, sans négliger une technique bourrée de multisyllabiques sans en avoir l’air. Le bougre semble vivre une seconde jeunesse et fait preuve d’une productivité impressionnante avec un troisième EP en un peu plus de six mois. Sur Johnny Fontane, notre quadra trimbale sa bonhommie. S’il se la joue crooner qui expose sa bedaine sur le morceau éponyme, pas peu fier d’avoir réussi sa life, les autres titres valent aussi le détour, qu’il balance ses crottes sur les riches qui en veulent toujours plus ou qu’il fasse l’éloge de son mode de vie bordel style. Wapi fait les choses sérieusement sans se prendre au sérieux et livre un rap original, personnel, engagé, osé grâce à une interprétation et des sonorités différentes de ses congénères. C’est ça qu’on veut.

Le 13 juin : Relo feat L.o, Gino, Picrate, Allen Akino, Freddy M– J’ai passé l’âge

Relo est un habitué de nos colonnes depuis plusieurs années. Il s’était distingué à l’été 2023 par un album de haute facture qui avait reçu un succès d’estime ô combien mérité. Depuis, le golgoth s’était fait rare. Le voilà de retour avec le troisième volet d’Argoésie et son art de rue. Le rappeur du 13ème arrondissement confirme dans ce six titres toutes les qualités dont il a fait preuve dans Dieu merci. Maîtrisant l’’art de l’intro, réussissant de plus en plus à mettre de l’émotion dans ses morceaux, capable aussi de faire dans l’egotrip (ne serait-ce qu’avec son slogan « Marseille comme tu ne l’entends plus »), Relo livre un très bel EP. Très difficile de choisir un seul morceau à chroniquer, même si les titres « Esclave qui sait lire » et « Amertume » font mouche. Mais puisque cette sélection fait la part belle aux rappeurs marseillais et que Relo en est devenu un de ses meilleurs représentants, mettons à l’honneur le casting qu’il a réuni dans « J’ai passé l’âge », énième posse cut de cet amoureux de cet exercice de style. Gino livre un couplet très costaud, avec de sacrées phases (on aimerait d’ailleurs un EP de sa part ou un 13 au carré 2), Picrate et L.o montrent que Carpe Diem était un groupe solide avec de la gamberge, Allen Akino rappelle qu’il rappait avant de chanter, Relo balance punch sur punch tandis que Freddy M est une découverte pour nous. Le morceau est bien sur placé en dernière piste et illustre que nous avons affaire à un pur projet de rap sans concession (les références feront plaisir à ceux qui savent). Dernière chose, le R nous promet que le prochain album sera un mix entre Si Dieu Veut et Temps Mort ; qu’il ressente une certaine pression parce qu’on a hâte d’écouter ça !

Le 13 juin : Hermano Salvatore – Le hip-hop sur un piano voix

Sur la scène marseillaise, Hermano Salvatore fait figure de lyriciste et s’est toujours distingué par sa plume, de ses débuts avec Grande Instance, à son RC Espoir contre Louvar, de son parcours au sein de Tous Salopards à ses derniers EP sortis en solo. Dans son nouveau morceau, à l’image d’une Diam’s, d’un Kery James, il propose un piano voix dans lequel il se confie. Celui qui est tombé dans le rap au début des années 2000 dresse un constat amer et lucide du game et en profite pour faire montre de ses qualités, multipliant les reverses et les phases bien senties (« Artiste en chien, soit tu fais du rap de niche soit tu donnes la patte »). Si ses talents d’écriture ne font plus de doute (vous verrez avec Clair Obscur, son nouvel EP 10 titres), on peut s’étonner de ne pas le voir avec une audience plus grande. Peut-être que la musique du bonhomme est (trop ?) cérébrale, mais si Scylla, Youssef Swatt’s, par exemple, ont réussi à percer leur plafond de verre, souhaitons à Hermano d’en faire de même.

Le 13 juin : Achim – Douk Saga

Ceux qui nous suivent savent que nous apprécions particulièrement la proposition musicale d’Achim. Estampillé « Next Gen » par beaucoup, le rappeur du 16ème arrondissement mène sa barque depuis 2015 et sort son quatorzième projet (oui-oui). Sur les huit titres de Jeunes N***** sans contours, il fait étalage de toute sa palette, que ce soit en terme de sonorités, de flows, de thèmes, en étant toujours très technique, avec une maturité, une mélancolie certaine, fruit sûrement d’un vécu riche (pour ne pas dire mouvementé). L’intro « Douk Saga » est terriblement efficace et nous plonge dans l’univers d’Achim, mix entre cloud, 2 step, boom bap, entre egotrip, nostalgie et références pointues. Le Marseillais a aussi cette particularité d’être tout autant écouté à domicile qu’à l’échelle nationale et aura droit à la scène de la Boule Noire le 1er novembre. Une trajectoire qui évoque d’une certaine manière celle de Stony Stone.

Le 16 juin : Weare feat Moudjad– Cancel Culture

Weare ? Oui, Weare. Un nom qui n’évoque pas grand-chose pour le quidam et même pour l’observateur de ce foutu rap. Mais le timbre de voix, les intonations, font penser à quelqu’un. Au bout d’une écoute ou deux, on comprend qu’il s’agit de Samm de Coloquinte, groupe qu’il formait avec Le A, qui s’était distingué au début des années 2000 au sein de L’École du 06, qui avait tant influencé Akhenaton (puis plus tard L’Entourage), en compagnie de Chiens de Paille et de Mic Forcing. Ce passionné qui est aux manettes du Camouflage Studio depuis deux décennies revient en force sous le patronyme de Weare donc (et entièrement cagoulé). Les titres s’accumulent depuis 2024 et notamment ces derniers mois avec un titre tous les dix jours environ ! Dans son nouveau morceau, le W vient gifler (pour ne pas dire autre chose…) la concu’ avec son rap sévèrement burné. Sur une prod à laquelle il est difficile de résister, les phases testostéronées se suivent et le zin montre que 25 ans après s’être fait remarquer par AKH, sa technique est toujours sûre. Pour ne rien gâcher, Moudjad, inconnu au bataillon livre un couplet de qualité. Avec « Cancel Culture », Weare montre qu’on ne peut pas déboulonner son rap.

Le 20 juin : Kofs feat. Le Rat Luciano – Niquer la fête

Bien qu’il fasse partie des têtes d’affiche du rap marseillais, la musique de Kofs n’a jamais eu la cote au sein de notre rédaction. Il aura fallu attendre son sixième album pour que nous chroniquions un de ses morceaux et le parti pris de « Mon école » ne pouvait que plaire aux amoureux de rap. Un peu à la manière de La Fouine et du titre « Rap Français » en 2009, Foued Nabba rend hommage aux artistes des années 2000 pour la plupart qu’ils l’ont forgé dans « Mon école », mais en en allant plus loin dans le concept. En effet, il en a profité pour croiser le mic sur chaque track avec un MC différent et le casting montre à quel point le phocéen a pu se bousiller au rap des années 2000 (Sinik, Kery James, Youssoupha, Alkpote). S’il a déjà featé avec Sopra et Alonz’, qu’il n’a peut-être pas (encore) osé solliciter Akhenaton, il s’est accordé une seule collab’ avec un Marseillais, Le Rat Luciano qui aura tant influencé (notamment bon nombre de rappeurs de cette sélection !). Le rappeur d’Air Bel met du respect sur le nom de son aîné, le laissant ouvrir le morceau et allant droit au but (« Est-ce que tu vois c’est qui Zidane dans le foot ? Ben dans le rap Luciano c’est pareil ! »). Ce dernier glisse sur la prod et montre qu’il a encore la grinta comme Alcaraz. Le volume 2 de Mon École devrait arriver et on imagine bien des feats avec R.E.D.K., Keny Arkana, Seth Gueko, Médine, Lino, Ol’Kainry, Rim’k, notamment.

Le 20 juin : Secro Star feat. Kalash L’Afro – En paix dans ma guerre

J’entends déjà dire : « Secro Star n’est pas de la planète Mars ! ». C’est vrai, mais Kalash L’Afro oui ! Et cette collab’ montre le rayonnement, l’influence du rap marseillais, pas seulement durant l’âge d’or des nineties et depuis la seconde moitié des années 2010, mais aussi dans les années 2000, pourtant très compliquées du fait de la crise du disque. Durant cette traversée du désert, le rappeur de Berreta a marqué de son empreinte les Bouches-du-Rhône, certes, mais aussi et surtout la France entière. Alors que Secro Star réunissait un casting des plus impressionnants pour son nouveau projet Main Card célébrant le boom bap (Ice Crimi, Ol’kainry, Jeff Le Nerf, Mr Kayz, entre autres), il se tournait également vers Kalash L’Afro pour kicker. Dans cette nouvelle collab’ Paris/Marseille, le rappeur du 95 montre à quel point son rap est solide : rimes riches, punchs, placements, c’est très propre. Kalash quant à lui livre un couplet incisif, confirmant que son retour est très sérieux et que la suite s’annonce tranchante. Le reste du projet mérite amplement qu’on s’y penche !

Le 27 juin : Kyzi – South Park

Alors lui, nous étions passés à côté. Mais il faut dire que Kyzi émerge depuis moins de deux ans et semble fournir à présent un travail de plus en plus consistant. Le mois dernier, il avait été à l’origine du posse cut « Marseille Légendaire », en compagnie de Drime, 100Blaze, Fahar, Kalash L’Afro (et Bengous) annonciateur ce 27 juin du EP Technologie. La proposition musicale de Kyzi a ceci d’intéressante qu’elle diffère du reste de la scène phocéenne puisque l’électro, l’influence de la techno, est réelle dans les prods, les rythmiques. Si nous avions hésité à mettre l’intro de la galette, nous avons finalement opté pour le titre « South Park », rentre dedans comme il faut, permettant de distinguer les qualités du bonhomme qui ne tortille pas du cul quand il s’agit de rapper, qui a l’air d’avoir un certain humour, d’être influencé d’une certaine manière par Seth Gueko ce qui ne gâche rien. A suivre donc.

Mais aussi :

Moubarak qui sort un nouveau morceau « Message », L’Antidote Lafamille et ses freestyles efficaces, Mehdi Miklo et son « Avis de passage » qui passe bien, Kemmler toujours en mode player, Metah et le 10 titres Ill’ Deux, sans parler d’Alonzo qui raconte que des michtos lui courent après et L’Algerino qui se pointe pour faire le tube de l’été…

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