2005, une année où le rap français marche sur un fil tendu entre continuité et transition. D’un côté, les poids lourds confirment : Rohff va au delà de ses limites, Booba pratique sa première Autopsie, et Diam’s prépare son raz-de-marée (Dans ma bulle arrive l’année d’après, mais les prémices sont là). De l’autre, la scène indé se fait entendre plus fort que jamais : TTC franchit les barrières rap / électro, Chiens de Paille, La Caution ou encore Médine affûtent leur plume, tandis qu’un certain Sinik arrive dans le paysage rap français les deux pieds en avant. Et puis, il y a la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré et les émeutes de 2005 qui éclatent en écho à ce drame. Et le rap, plus que jamais, reste la bande-son brute d’une société en tension.
Médine – Jihad, le plus grand combat est contre soi-même

Paru le 10 janvier 2005 | > Enfant du destin : Petit Cheval
La puissance du port de Havre a désormais le représentant qu’elle mérite. Tout en barbe, Médine revient, à peine un an après son récit du 11ème jour (brillamment chroniqué par Costa dans les 20 disques de 2004) , toujours sans concession dans cet album Jihad, le plus grand combat est contre soi-même. Celui qui a su orienter la boussole du rap français vers le nord-ouest de la carte, ne change pas sa formule. Des productions martiales de Proof, l’énergie et la voix éraillée de Médine (« c’est pas un chat que j’ai dans la gorge mais un tigre enragé » comme il dit sur le morceau « Médine »), et sur le fond, un cours de géopolitique post 11 septembre et de théologie, sans qu’aucun des thèmes abordés ne deviennent barbants (sans mauvais jeu de mots) ou moralisateurs. Médine continue à rouler avec ses proches, Aboubakr et le duo Ness & Cité sont sur la tracklist, des artistes venus du 7-6 et membre du collectif La Boussole. Mais sa notoriété grandissante lui permet d’avoir deux autres featurings sur le projet, et non des moindres : Lino sur le belliciste « Poussière de guerre » et le rappeur marseillais Soprano qui chante déjà sur « Anéanti ». Pour revenir sur l’album, beaucoup de morceaux seraient à retenir sur les quinze titres qui le compose, en voici deux : Médine continue sa saga « Enfant du destin » avec l’excellent chapitre « Petit Cheval » qui montre encore une fois sa compétence et son talent en storytelling, tout comme « Du Panshir à Harlem » où Médine raconte les assassinats du commandant Massoud et de Malcolm X avec des changements de prods selon qu’il aborde l’un ou l’autre de ces 2 personnages historiques, ce qui permet de souligner encore au passage l’extraordinaire travail effectué par Proof sur les instrumentales de cet album. Jihad, le plus grand combat est contre soi-même a évidemment défrayé la chronique ne serait-ce que par son titre et par l’imagerie de celui qui le porte. Dans un pays profondément raciste et islamophobe, Médine choisi de continuer à enfoncer la plume là où ça fait mal et c’est tout à son honneur. – Rémi
Sinik – La main sur le cœur

Paru le 25 janvier 2005 | > Une époque formidable
Souvent les premiers albums sont un premier jet pour un artiste, une carte de visite qui leur permet de se présenter au public, de leur faire découvrir leur univers et leur identité musicale. Pas pour Sinik. Le rappeur du 91 réalise un coup de maître dès sa première sortie sous le format album avec une démonstration de rimes sur seize titres, sans compter le morceau caché, qui va très vite devenir un succès critique (il est élu révélation hip-hop de l’année 2005 et son album sera nommé aux Victoires de la musique 2006 même si on sait ce que ça vaut) doublé d’un énorme succès commercial (250 000 exemplaires vendus dès la première année). L’album commence d’ailleurs avec le morceau « Une époque formidable », véritable CV où Sinik résume sa vie sans artifices de manière chronologique, mélangeant colère et nostalgie, on découvre ainsi un rappeur qui vit et interprète à merveille ce qu’il raconte. La main sur le coeur, qui reste pour beaucoup le meilleur album de la discographie du rappeur des Ulis, lui permet d’aborder les thèmes qui lui sont chers, son quartier (« Viens »), son entourage (« Même Sang »), son passage en taule (« D.3.32 ») et de manière générale cet album est une sorte d’autobiographie tant Sinik se livre, et de manière presque impudique parfois, sur plusieurs morceaux. On retrouve seulement trois invités, Diam’s évidemment, Zoxea et Seyve pour un refrain chantée sur le morceau « Rêves et cauchemars » par cette artiste R’n’B comme seules les années 2000 ont pu nous offrir. Alors même si Sinik n’était pas totalement inconnu du public rap quand cet album sort, puisqu’il était notamment apparu sur le mythique « Panam Hall Star » en 2003 sur une invitation du groupe Sniper à venir représenter le 9-1 avec sa collègue Diam’s, nul doute que cet album, La main sur le coeur, l’a placé sur des bases solides pour la carrière qu’on lui connaîtra ensuite. – Rémi
Tandem – C’est toujours pour ceux qui savent

Paru le 14 février 2005 | > 93 Hardcore
A plusieurs égards Tandem peut paraître comme le chaînon manquant entre NTM pour le côté porte-étendard du 93 et Lunatic pour la noirceur et la violence des images, avec comme point commun avec ces duos légendaires une carrière discographique de groupe somme toute assez courte, un état de fait particulièrement vrai pour le binôme d’Aubervilliers. En effet, leurs apparitions discographiques en duo débutent en 1996 sur la deuxième mixtape du regretté Dontcha Flex, pour se conclure en 2005 avec leur premier et seul album à ce jour, C’est toujours pour ceux qui savent, titre donné en référence à leur unique EP Ceux qui le savent m’écoutent paru en 2001. En comparaison à ce premier projet, si les textes du LP se placent dans des tonalités toujours aussi sombres et pessimistes, l’écriture se veut plus fluide et riche en rimes, un souci dans la forme qui se retrouve également dans le choix des productions et quelques refrains. L’alchimie entre l’urgence dans le débit de Mac Kregor et la rudesse tu timbre de Mac Tyer atteint des sommets sur ce disque, et malgré une forme plus digeste, l’écriture est toujours aussi profonde et recherchée. En découlent des morceaux à placer au panthéon du rap français, à commencer par l’hymne brutal et son clip choc « 93 Hardcore », la trilogie / pièce de théâtre brillamment mise en image « Un jour comme un autre » / « Frères ennemis » / « Le jugement » (et son casting XXL, cf l’encart dédié), mais aussi le mélancolique « J’ai trop de coeur », ou l’outro « Vécu de poissard », sorte de « Demain c’est loin » à la sauce 2005. A de rares exceptions près, l’intemporalité des productions (signées par le duo Tefa / Masta, Elio, mais aussi les proches Tyran et Jo Le Balafré) et des thèmes abordés, font que l’album se réécoute aujourd’hui sans forcer. Pour toutes ces raisons, mais aussi pour l’impact qu’il aura eu sur toute une génération d’auditeurs, C’est toujours pour ceux qui savent peut être considéré sans difficulté comme un classique du rap français. – Olivier
Illicite Projet

Paru le 18 mars 2005 | > Bâtiment C part. II
Si le label Odessa Music est jeune, le duo de beatmakers Medeline (Hannibal et Puzo), en charge des instrumentales de l’album, a déjà travaillé avec la majorité des invités, tous plus prestigieux les uns que les autres, dans les mois qui ont précédé la sortie de l’album (« Mon son » de Booba ou « Dead » des Neg’Marrons pour ne citer qu’eux). Ces placements expliquent que des noms aussi bankables que Diam’s, 113, Ministère Ämer ou Psy4 De La Rime aient accepté de livrer des inédits. De fait, très peu de combinaisons inédites sont à relever sur le projet, mais plutôt des titres solos de rappeurs ou de groupes, aux identités fortes et aux univers bien établis, le défi pour Medeline étant de proposer des écrins adaptés à chaque participant. Parmi la liste des privilégiés à avoir pu bénéficier de la science des synthés et du mélange de compo et de sample du duo de producteurs, certains titres sortent du lot, on pense notamment à l’inquiétant « Besoin d’ennemis » de Noyau Dur, au magistral « Je ne crois plus en l’illicite » de Kery James, au percutant « L’original » de Disiz ou à « Bâtiment C part. II », dernier duo en date de Booba et Nessbeal. En groupe, en solo ou pour des combinaisons, viennent également poser Cid Youssef, Copola et Gaye Cissoko, membres de Rédemption, et signés sur label Odessa Music. Ambitieux quant à la portée de leur projet, ledit label n’a pas regardé à la dépense : des photos de la pochette aux clips en passant par le documentaire DVD qui accompagnait le projet, Odessa Music a fait appel à des pointures du cinéma pour proposer une communication léchée à l’Illicite Projet, enregistré et mixé dans différents prestigieux studios de l’île de France, Toulouse et Marseille. En dépit des importants moyens déployés, de la qualité globale du disque et de premières de couverture dans la presse spécialisée, la compilation est un peu tombée dans l’oubli avec le temps, à tort. – Olivier
Keny Arkana – L’esquisse

Paru le 5 avril 2005 | > Faut qu’on s’en sorte
Dans le documentaire « Je rap donc je suis » diffusé en 1999 sur Arte, Namor animait un atelier d’écriture à la Friche Belle de Mai dans lequel une jeune Keny se distinguait par une envie de rapper son mode de vie béton style. Après quelques apparitions ici et là, on retrouve cette minote devenue Keny Arkana en 2005 incarner une nouvelle donne dans le rap marseillais. En effet, sa proposition est quelque peu inédite. Rare femme dans le game phocéen, le fond et la forme de son rap détonnent. Les textes sont d’une grande densité, Keny ayant une rage de dire qu’on découvre tout au long de ses dix-sept titres, une conscience politique supérieure à la moyenne, qui lorgne du côté de l’anticapitalisme, voire de l’altermondialisme et qui illustre à quel point elle prétend faire du rap en prenant position (a contrario d’une partie de la scène locale et nationale). Son regard sur le système scolaire, sur la société et sur le rap est aiguisé. Elle puise dans son vécu cabossé l’inspiration au point de faire une musique très personnelle, très mature aussi, sans être larmoyante. Conformément aux normes marseillaises, la mélancolie est présente en filigrane sur plus d’un titre et la vingtenaire du centre-ville montre un profond attachement à sa cité. Keny sait faire du rap engagé, mais enjoué aussi, en n’hésitant pas à chantonner sur tel refrain ou à frôler avec le reggae ; elle sait être fédératrice en réalisant le posse cut « De l’Opéra à La Plaine » (deux autres volets suivront) et a collaboré avec presque autant de beatmakers qu’il y a de tracks sur la tape. L’Esquisse aura tellement marqué les esprits qu’elle lui permettra de signer chez Because, et Keny Arkana se retrouvera parmi les talents à suivre sur la compilation Hostile 2006. Le missile est lancé ! – Chafik
La Fouine – Bourré au son

Paru le 25 avril 2005 | > Marche ou crève
C’est après un parcours remarqué dans Max de 109, un radio crochet diffusé sur Skyrock et réalisé en collaboration avec Pepsi et Small, puis une signature chez Sony / BMG dans la foulée, que La Fouine sort Bourré au son, son premier album. Après deux volets de ses mixtapes Planète Trappes parus en totale indépendance, c’est donc une grosse machine qui s’occupe de produire et promotionner son album et ses singles radio compatibles « Autobiographie » et « Unité ». La comparaison avec Snoop Dogg, entretenue par ses soins, tient de sa silhouette longiligne, de son blaze animalier, de son look, mais aussi des influences west coast de son rap, très présentes sur ses projets précédents, encore perceptibles sur une poignée de morceaux de ce premier album, « Fouiny Flow » en premier lieu. Le reste des instrus, produites en grande partie par Marc et Clément d’Animalsons, lorgnent globalement sur ce qui se fait Outre Atlantique à cette époque. Malgré ses qualités de chant, il n’hésite pas à inviter des chanteurs et chanteuses à venir l’épauler sur des refrains, il peut ainsi compter sur Zaho, Elijiah, Shaheen, J-Mi Sissoko, ou encore Cheb Tarik sur l’efficace crossover raï / rap « Marche ou crève ». Pour ce qui est des collaborations rap, elles se résument à un featuring faisant honneur au 78, à savoir le titre « Symphonie », posse cut réunissant La Fouine, son frère Canardo, le duo L’Skadrille et les jeunes Chabodo et Jazz Malone. Sur ce premier album, on peut déjà constater le grand écart entre morceaux fédérateurs et propos outrageux, rap et chant, sourire insolent et profondeur dans les textes. De fait, la plupart des ingrédients qui caractériseront son art tout au long de sa discographie sont présents, et les quelques maladresses constatées dans la diction et l’écriture se trouveront gommées sur l’excellent Aller Retour, son deuxième opus, qui paraîtra deux ans plus tard. – Olivier
Chiens de Paille – Tribute

Paru le 1er juin 2005 | > L’encre de nos plumes
Après des apparitions remarquées sur différentes compilations à la fin des années 1990 et leur premier album 1001 Fantômes considéré par beaucoup comme un classique, Sincèrement, le second LP du groupe Chiens de Paille n’a pas rencontré son public en 2004. Sako & Hal sont de retour en 2005 avec un Street-CD intitulé Tribute, mixé par DJ Kheops. Si ce format était très commun à cette époque, les Cannois ont innové pour la sortie du projet qui s’est retrouvé certes dans des bacs mais surtout chez les buralistes, fait assez inédit. La tape comporte des anciens morceaux, notamment les meilleurs (ceux de Taxi, de Comme un Aimant, mais aussi le sous-coté et non moins impressionnant « Le chant des sirènes »), ce qui en fait une sorte de best-of, mais pas seulement. Le binôme livre aussi des inédits de haute volée, dans lesquels l’écriture technique de Sako est toujours d’une grande profondeur tandis que les boucles de Hal sont particulièrement inspirées : que ce soit l’émouvant « J’ai plus le temps », le torturé « Seul », le diptyque « Hier matin » – « Ce matin » avec Akhenaton ou encore le storytelling « 18/12/97 » sur leur rencontre épique avec le leader d’IAM. Mais comment ne pas évoquer le remix du déjà flamboyant « L’encre de nos plumes », en compagnie d’Oxmo Puccino (qui ne respecte pas d’ailleurs totalement l’exercice de style), de Veust Lyricist et surtout d’A.K.H. qui livre un couplet spectaculaire, faisant admirer toute sa science de la rime. Dans le même temps, Chiens de Paille en profite pour multiplier les passes décisives et accorde une place de choix aux proches du 06 (Veust, Masar, mais pas Coloquinte malheureusement) et du 13, de La Cosca en particulier (Akhenaton, Psy4, Freeman, K-Rhyme le Roi, Faf Larage). En définitive, ce Tribute montre toutes les qualités de Sako & Hal et on ne peut s’empêcher de penser qu’en le sortant entre 1001 Fantômes et Sincèrement, il aurait permis à ce dernier de connaitre un meilleur sort. – Chafik
Ali – Chaos & Harmonie

Paru le 6 juin 2005 | > Génération Scarface
Le 25 octobre 2000, le duo Lunatic marquait l’histoire du rap français avec Mauvais Œil. Dans la foulée, Booba lançait sa carrière solo en publiant Temps Mort, consolidant ainsi son statut d’artiste incontournable et se hissant au sommet. Il faudra attendre 2005 pour qu’Ali, plus discret, revienne en solo avec Chaos et Harmonie, publié sous le label 45 Scientific. Dès les premières notes, l’album dévoile un Ali apaisé et profondément spirituel, comme en témoigne son entrée sur « Génération Scarface » : « Le crime est un piège, mon Dieu m’a fait lâcher l’appât ». Les productions organiques de Géraldo et Fred le Magicien offrent un écrin idéal à cette introspection, mêlant sonorités lumineuses et ambiances pieuses. Certains titres sont toutefois très denses et Ali fait preuve de plus de technique qu’à l’accoutumé, alliant cette fois la forme au fond qui l’a toujours caractérisé. Tout au long de l’opus, Il explore également son identité et nous fait réfléchir sur la constante dualité entre le bien et mal dans notre société. Concernant les collaborations, « Préviens les autres » avec Hi-Fi se distingue par sa lucidité, tandis que « L’impasse », en featuring avec Escobar Macson, juxtapose la froideur d’Ali au rap viscéral du MC du 93. Sur « Sang-froid », Wallen surprend en posant un couplet chanté aux côtés de Keydj, apportant une touche poignante au morceau. Enfin, alors que beaucoup nourrissaient encore l’espoir d’un second album de Lunatic, Chaos et Harmonie est venu sceller la rupture artistique entre ses deux membres, révélant des trajectoires désormais opposées mais d’une richesse rare, offrant aux passionnés de rap deux visions radicales mais puissamment complémentaires. – Jordi
Seth Gueko – Barillet Plein

Paru le 14 juin 2005 | > Patate de forain
Quelques apparitions sur d’obscures compilations et un EP en forme de carte de visite, c’est tout ce que l’on pouvait connaître de Seth Gueko à l’orée de la sortie, en 2005, de Barillet Plein, premier long format ambitieux pour le rappeur de Saint-Ouen-L’Aumône. Sur Mains Sales, l’EP précédemment nommé, Seth Gueko faisait l’étalage d’un sens de la rime affûté, un style agressif, appuyé, presque craché à l’oreille de l’auditeur, ainsi qu’une imagerie et une culture « beauf-franchouillardes » déjà implicitement présentes, par exemple dans le sample de la bande originale d’Amélie Poulain sur « Crimino ». Barillet Plein se situe dans la pure continuité de Mains Sales, avec une véritable palanquée d’invités en bonus. D’Alibi Montana à Flynt en passant par Sinik, Nakk, Mokless, Freko, Sidi Omar, Alpha 5.20 sans oublier tous les affiliés à Neochrome, Barillet Plein est dans la pure tradition du format mixtape qui avait court dans le milieu des années 2000, et dont Neochrome s’est fait l’un des parangons. Généreux tant en quantité que dans l’exutoire de violence qui en ressort, Barillet Plein enchaîne les combinaisons déroutantes et fait s’abattre une pluie d’injure sur, pêle-mêle, l’UMP, la police, la famille Le Pen. Encore un peu brut, Seth Gueko n’a pas encore totalement trouvé le style que l’on sentira déjà beaucoup plus affirmé sur Patate de forain. Pour autant, la mixtape fait très fort dans son registre, et on sent une réelle émulation dans le défilé de featurings de grande qualité s’en donnant pour la plupart à cœur joie pour redoubler de rap agressif et incisif. On ne le redira jamais assez, mais Barillet Plein, comme bien d’autres mixtapes traitées dans nos rétrospectives, est un exemple prototypique d’une certaine idée de comment faire du rap dont il faut continuer de porter la mémoire. – Xavier
Weedy – 24 heures d’un M.C. yégri

Paru le 1er août 2005 | > Si
24 heures d’un M.C. Yégri est le premier album solo de Weedy, d’abord membre du groupe Expression Direkt. Iconique, sa pochette sur laquelle figure une Fiat Panda annonce la couleur : on va suivre les aventures de Weedy dans un véritable conte underground. Une continuité temporelle parcourt l’album, notamment appuyé par de courts interludes, parfois comiques, qui viennent cimenter l’ensemble. L’histoire s’écrit d’abord au sens large, avec des thèmes de fond, mais plus on avance, et plus l’on rentre dans un compte-à-rebours. On a cependant plutôt à faire à un long monologue intérieur où l’on suit le personnage dans ses pensées, ses états d’âmes et ses réflexions, plus qu’à une histoire à proprement parler. Les thèmes sont très variés. Weedy traite de réflexions sociales, de galères d’argent, du rap indépendant, de sa ville, de la jeunesse, de parentalité ou encore de vie nocturne. On sent la volonté de faire un album complet. L’écriture est d’ailleurs appliquée et Weedy nous balade avec toutes sortes de flows. Il est capable de sortir de son ton naturel, parfois criard, pour adoucir sa voix, et d’être rebondi comme plus direct et incisif. Sur « Quand vient la nuit » il s’essaye même au fast-flow, signe de sa polyvalence. Pour l’accompagner, de nombreuses voix s’élèvent, notamment sur la deuxième partie, ce qui apporte un vrai plus sur le plan narratif. On relève notamment la présence, évidente, d’Express D sur « Si » où ils jouent avec de nombreuses hypothèses. D’autres performances font également plaisir, à l’image de celles d’Atis ou de Specta. Le bilan est plus mitigé au niveau de la production. Certaines sont encore très efficaces, comme « Seen », « La rue » ou le très funky « Rap N Biz », d’autres paraissent aujourd’hui plus laborieuses, notamment dans leur volonté de s’extraire du boom-bap pour aller chercher des synthétiseurs plus électroniques (« Force et audace » ou « Le songe d’une nuit d’été » qui reprend de manière froide Erik Satie). On retiendra quelques morceaux marquants avec « Seen », « Si, « Rap N Biz » ou bien « Freestyle radio ». 24 heures d’un M.C. yégri est un album qui devient de plus en plus prenant au fil de son écoute, comme un film qui entraînerait proprement le spectateur dans sa narration. Sa distribution confidentielle ne lui aura malheureusement pas permis de connaître un grand succès, mais c’est un album qui mérite assurément d’être redécouvert. – Jérémy

L’ambitieuse trilogie de Tandem
En voilà un format hybride qui reflète parfaitement son époque. Un objet à deux faces : de l’audio d’un côté (CD), de l’image de l’autre (DVD). En 2005, Tandem sort son premier et unique album studio, le bien nommé C’est toujours pour ceux qui savent, en écho à leur EP Ceux qui le savent m’écoutent, sorti quatre ans plus tôt. Mais la même année paraît aussi un autre EP, La Trilogie, dont les trois morceaux figurent également sur l’album studio. Trois parties, donc, qui racontent l’histoire de Mac Tyer, incarnant ici un jeune de cité au passé sulfureux, repassant devant la justice pour des faits de tentative d’homicide — la victime étant jouée par Mac Kregor. Trois segments mis en scène en décors réels : dans une cellule, dans un appartement puis en extérieur, et enfin dans une cour d’assises. Le premier, « Un jour comme un autre », est un solo de Mac Tyer sur une boucle signée Tefa, avec Booba en voisin de cellule. Le second, « Frères Ennemis« , met en scène la confrontation entre les deux membres du duo, sur une prod d’Eben. Enfin, « Le Jugement », dernier acte, nous plonge dans le procès, avec Diam’s en juge, Faf Larage en procureur, Kazkami en OPJ, Kery James en avocat de la défense, Lino en témoin, Tunisiano en témoin “clef”, et Sylvain Wiltord… en figurant. Le tout accompagné de violons tragiques signés Jo le Balafré, pour souligner les enjeux et accentuer l’effet dramatique. Un peu cheap quand on le revoit vingt ans plus tard, mais ô combien novateur. Imaginez faire un court métrage qui raconte une histoire en trois parties, incarnés, rappés et joués par le fleuron du rap de cette époque-là. Et le diffuser en boucle sur les chaines dédiées. Probablement l’apogée du storytelling. – Clément
Lino – Paradis assassiné

Paru le 12 septembre 2005 | > Macadam philosophie
Paradis assassiné commence par un contrepied, puisque le titre éponyme qu’on pourrait imaginer issu de ce disque, est en réalité paru sur le deuxième album d’Ärsenik en 2002, et c’est un court extrait de ce morceau qui ouvre l’album de Lino, comme une transition entre sa discographie de groupe et la lancement de son parcours en solo. Sur l’exercice de l’interview qui fait directement suite à ces quelques secondes, Lino évoque son parcours et ses influences dans un exercice d’auto – questions / réponses de très haute volée. Ce morceau introspectif au même titre que « 95, rue Borsalino », annonce un disque forcément plus personnel que ce qu’a pu délivrer Lino avec Ärsenik. D’une durée de 70 minutes, avec plus d’un tiers des morceaux dépassant les cinq minutes, Paradis assassiné est un disque aussi généreux que dense, qui le rend difficile à chroniquer en quelques centaines de mots. Aux moments d’introspection réussis, il faut ajouter de tonitruants égotrips (« 100 rounds », « Armes de première catégorie » avec Calbo et Booba), des morceaux à gimmicks / répétition sous forme de modèles du genre (« Stress » et « Macadam philosophie », brillamment produits par Skread), un titre à destination des dancefloors (« Braque les spots » avec Jango Jack), un triple storytelling à glacer le sang (« Là où les angles pleurent »), ou encore le mi-prêche / mi-prière « Paradis Airlines », aussi magistral qu’intemporel. En fin de disque, deux posse cuts – « Tant que la foule braille » et « A part ça… tout va bien » – se font suite et viennent présenter son collectif Ghetto Star / 95 Nektar, Lino introduisant le premier, et terminant le second, comme pour souligner son statut de figure de proue de cette équipe de jeunes gâchettes. Ce ne sont pas moins de neuf beatmakers différents qui s’occupent des quinze instrumentales pour un rendu qui supporte bien l’épreuve du temps dans son ensemble, mais manque peut-être d’une direction artistique claire. La sombre poésie d’un niveau jamais égalé du membre d’Ärsenik confère néanmoins du liant à un ensemble qui ne comporte aucun déchet, à défaut de constituer un véritable classique du rap français. – Olivier
Psy4 de la Rime – Enfants de la lune

Paru le 27 septembre 2005 | > Comme une bouteille à la mer
Deuxième opus du groupe Psy4 de la Rime, Enfants de la Lune, c’est, comme on dit dans le jargon – expression désuète d’ailleurs – l’album de la confirmation. Sorti en 2005, il incarne cette fusion entre mélancolie et espoir, rage et résilience, propre aux gamins des quartiers qui jonglent entre rêves de grandeur et réalités implacables. Dès l’intro, le ton est donné : quelques notes synthétiques de violons, et les trois rappeurs marseillais livrent un couplet unique à trois voix, comme une fausse suite à « Jamais j’oublierai », dernier morceau du précédent opus. La thématique du signal de détresse est d’emblée annoncée et servira de fil conducteur à cet album, bien plus introspectif et mélancolique que Block Party. La Psykatra avait déjà prouvé sa capacité à parler à cœur ouvert, mais elle accentue encore le trait sur cet opus avec des titres comme « Le monde est… » et son hommage à Starmania, le morceau éponyme « Enfants de la Lune » avec Ana Torroja au refrain (chanteuse du groupe Mecano, dont est issu le sample de la track), ou encore l’immense « Comme une bouteille à la mer », où la plume de Soprano brille d’une sincérité poignante. Les prods, principalement signées Sya Styles, créent une atmosphère à la fois immersive et cinématographique, bien qu’irrémédiablement datée. Avec cet album (disque d’or en seulement deux mois), Psy4 de la Rime affine son identité et ancre son empreinte dans le paysage rap. C’est une fresque, un témoignage. Il capte l’état d’esprit d’une génération, ces enfants de la lune qui avancent dans l’ombre, qui vivent un peu trop la nuit, à la recherche de leur place. Vingt ans plus tard, ce disque résonne toujours, preuve que Psy4 savait parler à l’âme, bien au-delà du rap. – Clément
La Caution – Peine de Maures / Arc-en-ciel pour daltoniens

Paru le 17 octobre 2005 | > Chômage, voitures, nuits blanches…
En 2005, les frangins de Noisy-Le-Sec Nikkfurie et Hi-Tekk sont déjà des éléments reconnus de la scène rap indé, forts du succès d’Asphalte Hurlante (2001, voir notre chronique) et de collaborations fructueuses au sein de ce courant dit « alternatif ». Cadavre Exquis, sorti sous la bannière de L’Armée des Douze (avec TTC), est par exemple un must-have de cette bouillonnante mouvance. Pour qui y prête attention, La Caution se distingue pourtant au sein de cette scène essentiellement parisienne qui expérimente les sonorités, souvent électroniques, casse les codes, et qui est souvent, de manière injuste, qualifiée de bizarre par une partie du public rap. Tout autant pour sa musique, que pour les sujets qu’elle traite, souvent moins revendicatifs, plus egotrippiques. La Caution joue des thèmes familiers des formats plus classiques de la précédente décennie rap français, piano-violon en moins. Le public non averti retiendra bien sûr « Thé à la Menthe » sans forcément chercher plus loin. Un ovni musical, incroyablement jouissif qui dynamite le film Ocean’s Twelve à coups de nah-nah. Sous une plume brute dans l’honnêteté, fine dans le style, c’est pourtant bien la banlieue, l’immigration, l’oisiveté, une construction d’identité entre Maroc et France qui figurent au synopsis de cet opus. Le drapeau tricolore et les voisins qui te crachent à la gueule en prime. Des sujets qui continuent de parsemer ce double CD, avec en toile de fond une ville omniprésente, un urbanisme crasse qui pompe ton oxygène, contamine les horizons. La métropole en cancer qui bouffe tout sur son passage. « Chômage, voiture, nuits blanches » en est un aveu tout autant qu’un contrepied. Avec 31 pistes, il est difficile de cantonner Peine de Maures / Arc-en-ciel à une seule idée directrice, tant cet album est polymorphe. On passe d’écho à Asphalte Hurlante (« Revolver »), aux samples funk (« Ligne de Mire »), caisses claires et basses grasses , façon El-P ou Dabrye qui présagent la future collaboration avec dDamage. Sans oublier le grandiloquent « Arc-en-ciel pour Daltoniens » et ses puissantes rimes antinomiques, qui comme un uppercut, viennent moucheter ton menton et te retourner l’encéphale. – Maxime
Alibi Montana & LIM – Rue

Le 24 octobre 2005 | > Ça devient chaud
Rue porte bien son nom. En effet, Alibi Montana et LIM ont décliné sur ce disque la vie de rue sous tous ses aspects, avec une description à hauteur d’homme, au plus proche du terrain. Business illicite, règlements de compte, haine du système et de la maréchaussée, passage par la case prison, code de l’honneur, déclaration d’amour au(x) ghetto(s)… Les deux rappeurs ont su cristalliser comme peu de leurs confrères ce genre de rap collé au bitume et si caractéristique du milieu des années 2000. Les passe-passes, le respect des thématiques, la construction des morceaux et quelques trouvailles (comme sampler le générique de l’émission « Faites entrer l’accusé » sur « Ça devient chaud »), permettent d’éviter à l’album de se placer comme un énième disque chantant la rue jusqu’à plus soif. La réunion d’Alibi Montana, alors à son prime, et LIM, en pleine montée en puissance, va au-delà du simple duo de rappeurs, elle symbolise aussi la connexion 92 – 93 (cf. la pochette), et appelle plus globalement à la solidarité entre les ghettos. Paru moins d’un mois avant ce que l’on appelle aujourd’hui « les émeutes de 2005 », qui ont touché l’ensemble du territoire français pendant trois semaines suite aux décès de Zyed et Bouna, ce disque fédérateur a vite pris une résonnance particulière. Avec une tournée cumulant des dizaines de dates et des ventes s’élevant à plus de 60 000 exemplaires, Rue peut être considéré comme véritable succès pour une sortie produite et distribuée en totale indépendance, pilotée par les labels Tous Illicites et Menace Records. Rarement cité parmi les albums communs les plus importants de l’histoire du rap français, il a pourtant su toucher le cœur des auditeurs à sa sortie et supporte beaucoup mieux l’épreuve du temps que de nombreux disques dans le même registre. Alibi et LIM se réuniront de nouveau pour un Rue 2 en 2013, qui n’aura évidemment pas le même impact, comme souvent avec les suites. – Olivier
Mac Tyer & Jo Le Balafré – Patrimoine du Ghetto

Paru le 30 octobre 2005 | > Patrimoine du ghetto
Alors que le groupe Tandem s’était distingué en 2001 avec leur EP Ceux qui le savent m’écoutent qui avait marqué le rap français tant l’écriture du duo dionysien était recherchée, à vif, il a fallu attendre 2005 pour qu’ils reviennent sur le devant de la scène avec leur premier album C’est toujours pour ceux qui savent et donc la compilation Patrimoine du Ghetto réalisée par Mac Tyer accompagné de Jo Le Balafré. Avec le Street CD, il s’agit-là du format emblématique des années 2000 et celui-ci permet d’offrir un aperçu de l’époque. Si Mac Tyer s’offre trois morceaux, il n’oublie pas Mac Kregor qui a droit à un solo (mais on remarque que les deux lascars ne croisent pas le mic ensemble). Quant au casting, on a droit à du très lourd, des têtes d’affiche, des rookies, des pionniers, des inconnus et plusieurs partis pris montrent à quel point la direction artistique est de haute qualité. L’intro du projet a été confiée à Booba, comme pour confirmer qu’il était un maître en la matière (notamment depuis Temps Mort et surtout « Tallac » sur Panthéon), tandis qu’Akhenaton se charge de l’outro, soit la 19ème piste (lui dont les albums solos comportent toujours 19 morceaux). Lino est toujours aussi tranchant, Ekoué a répondu à l’appel (ce qui n’est une mince affaire tant le boug ne se mélange que très peu). Sans dire que Tunisiano et 113 ont fourni des titres quelconques, nous retenons davantage ceux de Nessbeal et Kazkami qui atteignent des sommets. Le sel des compilations se trouve dans les combinaisons inédites proposées et Patrimoine de Ghetto en offre de savoureuses : « Ultimate Fighting » avec Kamas, Sao et surtout la révélation Despo Rutti, « On vit comme on peut » avec des couplets remarqués de Sefyu et 16ar, mais celle qui retient toutes les attentions est la collaboration entre Mac Tyer et Kery James pour une passe d’armes mémorable. Patrimoine du Ghetto incarne donc l’époque (c’est LA compilation de 2005, au nez et à la barde d’Illicite Projet), marque la fin de Tandem, et le début des carrières solos pour Mac Tyer et Mac Kregor. – Chafik
Ol’Kainry & Dany Dan

Paru le 4 octobre 2005 | > Crie mon nom (remix)
Un an avant la sortie du premier solo de Dany Dan, et un an après celle du deuxième opus d’Ol’Kainry, paraissait ce disque collaboratif qui aura marqué son temps. Au sommet de leur art, les deux rappeurs s’y donnaient rendez-vous pour donner une leçon de rap au reste de leur génération. D’emblée, la complémentarité des styles séduit, entre le flow balancé et la finesse mâtinée de vulgarité de Dan, et le timbre raboteux d’Ol’Kainry, toujours délicieusement cru. Le binôme régale l’auditeur de couplets en styles libres. Les punchlines drôlatiques pleuvent, le ton est parfois graveleux ou direct, paradoxalement toujours avec une certaine finesse dans la tournure. C’est du bon gras pour les gourmets. Tout du long, ça rappe fort, très fort, avec peu de retombées dans les performances. C’est sur les morceaux les plus directs que l’on ressent le plus le plaisir qui a été pris derrière le micro, à l’image de deux titres devenus cultes, « Crie mon nom » (un titre repris d’un solo d’Ol’Kainry, qui donne aussi lieu à un remix avec Sefyu, Alibi et Nubi en conclusion de l’album) et « Putneg ». A côté de cela, on retrouve également un nombre importants de morceaux avec des exercices thématiques, comme « Devant Dieu », le rétrospectif « Débrouillard » ou encore « Afrikain », où les deux protagonistes se montrent appliqués. Deux aspects gâchent légèrement la fête. Certains refrains ne sont pas toujours à la hauteur, à l’instar de celui de « Obligé » ou de celui, trop squelettique de « Ma définition » ; et certaines productions ont parfois vieilli, notamment dans les sonorités de claviers. Mais le niveau de rap est suffisamment élevé pour que cela compense tout. Devenu culte avec le temps, ce Ol’Kainry & Dany Dan premier du nom fait partie des tout meilleurs de leur discographie respective. Et c’est un fait rare pour un album commun. – Jérémy
Saïan Supa Crew – Hold Up

Paru le 28 octobre 2005 | > Rouge sang
Les projets du Saïan Supa Crew ont toujours été hauts en couleur, à l’image de leurs pochettes. En effet, elles ont toutes été réalisées par Mode 2, légende internationale du graffiti, qui s’était déjà distingué dans l’artwork en en réalisant de nombreuses, de Rapattitude à Dee Nasty, des NTM aux Neg’ Marrons, en passant par Cut Killer ou le soundtrack du Battle Of The Year. Or, Hold Up ne bénéficie pas de ses talents et la surprise peut décevoir l’amateur de belles covers. Alors qu’il avait un rythme de sortie important depuis 1998, en enchaînant singles, maxi, EP, albums, le collectif SSC s’est fait rare durant la période 2002-2005, même si ses membres ont été actifs en solo ou en duo, que ce soit Sir Samuel, OFX ou encore Explicit Samouraï. Après avoir tant marqué les esprits avec KLR, X Raisons et leur style détonnant, inclassable, le Saïan allait forcément être scruté avec leur nouvel album. Au menu, toujours des sonorités qui vont dans tous les sens, des flows surprenants, il est vrai que les bougres soignent la forme comme peu, tandis que les morceaux sont aussi bien légers que conscients : un à la gloire des popotins (« Feceps »), un sur la colonisation (« Rouge Sang »), un sur les femmes charnues (« Originales »), un sur Jacques Chirac (« Jacko »), avec un humour certain et du beatbox, à l’image des interludes. Le groupe a néanmoins voulu innover dans les featurings en conviant la chanteuse Camille, l’Allemand Patrice et la superstar Will.i.am, pour des tentatives d’ouverture pas vraiment mémorables. Au final, l’album est bon, mais sans être marquant. Contrairement aux précédents, couronnés de succès d’estime et commercial, de tournées, d’une victoire de la musique, de singles en boucle à la radio et rentrés dans les foyers, Hold up déçoit quelque peu, l’auditeur ne retrouvant pas l’alchimie entre les membres du groupe qui ont alors privilégié leur carrière solo, mettant fin ainsi à l’aventure Saïan Supa Crew, qui aura toutefois laissé son empreinte sur le rap français. – Chafik
Youssoupha – Eternel recommencement

Paru le 7 novembre 2005 | > Toubab
« Street CD » écrit en gros sur le bas d’une pochette où l’on voit Youss braqué de tous les côtés, casquette vissée sur les yeux comme pour ignorer la menace qui l’entoure alors qu’il porte un t-shirt à l’effigie de Tommie Smith et John Carlos. On est donc prévenu, ceci n’est pas un album, c’est un cri de protestation, de résistance qui compte bien s’exprimer, à travers la précarité revendiquée de l’artiste et du format choisi. Pourtant, le niveau déjà haut et la qualité homogène des morceaux ne sonnent pas vraiment comme un coup d’essai avant un potentiel album déballage. Youssoupha a – déjà – beaucoup de choses à dire, et le dit – déjà – bien. Écriture fine et rimes affûtées, références à tous les carrefours et flow incisif, Youssoupha donne l’impression d’arriver dans le game avec un costume franchement bien ajusté. Certes le rookie rappe plus ou moins confidentiellement dans son coin depuis le début des années 2000 et a eu le temps de peaufiner la technique, mais à n’en pas douter, Éternel recommencement est un vrai coup de pied dans la fourmilière. A l’instar d’un Sinik ou du Duo de Tandem qui pètent tout de l’autre côté de l’ile de France, ce « Street-DVD » finit de démontrer une chose : les petits nouveaux qui débarquent sur scène en ce début de millénaire ne balbutient pas. Youssoupha est déjà en pleine maîtrise du genre. A travers ces 10 titres qui feront date, il innove sur le format (un DVD qui déroule son histoire autant qu’il ne partage sa musique), s’approprie des flows traditionnels et y ajoute un peu d’inattendu et il explore des beats exotiques, parfois tirés de la variet’ sans complexe. De l’egotrip au freestyle de 6 minutes, du droit de réponse à la Reine du Rap Game au feat avec les copains méritants, du morceau caché au titre introspectif, Éternel Recommencement est clairement un portfolio, une belle librairie de savoir faire, à l’intention d’un public curieux… et de maisons de prod gourmandes. La signature immédiate chez Hostile permettra au Lyriciste Bantou de rapidement déployer ses ailes de géant, elles qui ne l’avaient pourtant jamais empêché de marcher. – Sarah
Rohff – Au-delà de mes limites

Paru le 28 novembre 2005 | > La puissance
C’est la fin de l’année, le temps est lugubre, le feu des banlieues d’île de France s’éteint peu à peu alors que la Floride boit la tasse. Et au cœur de ces vents mauvais qui balaient la planète, une tornade immatriculée 94 revient sans ménagement, encore bien décidée à tout casser. Fort du succès du double album sorti l’année précédente, Rohff reprend la formule – du nombre de titres au producteur – et balance 2h30 de son rap si reconnaissable. Couplets denses et refrains percutants, prods entêtantes et punchlines en cascades, le tout dans cette ambiance freestyle enregistré d’une traite, sans reprise et sans chichi, mais toujours offert sur un mixage au poil. Sur les deux CD et les 31 titres qui composent le double album, la postérité sera moins enthousiaste que pour La Fierté des Nôtres et gardera surtout les sons clipés pour situer l’objet dans la discographie du Vitriot. « En mode » et « La puissance », en boucle sur MTV avant même sa sortie, tirent le CD vers le grand public et joueront surement un rôle dans les 270 000 ventes et la consécration Platine. Pourtant, « Le cauchemar du rap français », « Toujours » ou « Trop dangereux » – entre tant d’autres – ont su trouver un public qui a aimé y retrouver toutes les contradictions de Rohff. Ce fameux mélange de violence et de musicalité, d’harmonieux coups de couteaux dans des boucles très US, tantôt discrètes, parfait arrière-plan pour les logorrhées d’Housni, tantôt capiteuses et grisantes sur lesquelles le flow de ROH2F glisse toujours impeccablement. Également parsemé de feats qui auraient pu séduire mais qui se retrouvent vraiment au second plan, et de morceaux fleuves dont Houss a le secret, ce double album tient la promesse d’un nouvel exercice de style voué à démontrer le haut niveau atteint par le Seine et Marnais. Enfin, on ne peut évoquer Au-delà de mes limites sans mentionner la pochette inoubliable du double CD, où Rohff, tout puissant, a quitté les Champs Elysées et se trouve désormais assis sur la France enchaînée. Planté là en véritable maître du jeu, Jonathan Mannion ne pouvait viser plus juste pour illustrer la maîtrise de l’egotrip dont Rohff reste, après cet opus, une des lames les plus aiguisées. – Sarah
Noyau Dur

Paru le 19 décembre | > On ne sera jamais pareil
En 2005, Ärsenik, Jacky et Ben-J des Neg’Marrons et Pit Baccardi se connaissent bien et ont l’habitude de rapper ensemble au sein du Secteur Ä depuis quelques années déjà. Un premier son sous la bannière « Noyau Dur » en 2000 sur Secteur Ä All Star (« Le public respecte »), un second sur l’album Les liens sacrés des Neg’Marrons en 2003, puis encore un autre sur la compilation Illicite Projet… De quoi remotiver le label Première Classe qui peine à sortir le troisième volet de ses compilations (qui ne verra fnalement pas le jour), à produire un disque en guise de dernier tour de piste. Les cinq membres du groupe, qui n’ont plus rien à prouver dans le rap francophone du milieu des années 2000, se retrouvent donc en studio, et en semblent ravis, portés par une émulation et une énergie qui se ressentent à l’écoute des morceaux. Pas d’envois de pistes à distance pour ce long format, mais plutôt de longues sessions studio à écouter et sélectionner des instrus, proposer des thèmes et performer en cabine. Leur renommée leur permet d’avoir accès à la crème des beatmakers du moment (neuf au total !), et c’est ainsi qu’ils peuvent profiter de productions signées Skread, Medeline, Yvan, Djimi Finger ou Spike Miller pour ne citer qu’eux. L’expérience, les moyens mis à disposition et l’enthousiasme général ont permis à l’équipe de délivrer des morceaux ragga / hip-hop efficaces et maîtrisés, dans les différents registres qu’on leur connaissait déjà, allant du sombre à l’énergique, en passant par le fédérateur ou le dansant. « Viens », premier single imparable, permettra au Noyau Dur un joli démarrage et de tourner dans une trentaine de villes. D’autres morceaux auraient pu prétendre au titre de deuxième single, mais incapables de se mettre d’accord quant à son choix, les cinq membres du Noyau Dur mettront un terme à l’exploitation de l’album, qui constituera la dernière pièce à l’édifice des labels Première Classe et Secteur Ä. – Olivier
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