20 ans après : le film Get Rich Or Die Tryin’ I Entretien avec Sindanu Kasongo

En 2005, Ziad et Bouna meurent électrocutés, les émeutes des banlieues éclatent, l’état d’urgence est décrété, Dailymotion est créée, la TNT aussi, le professeur Choron casse sa pipe, Liverpool et le Milan AC s’affrontent lors d’une finale légendaire, Ronaldinho remporte le ballon d’or, le rap US est en pleine effervescence, le rap français n’est pas en reste et au cinéma, les sorties sont de qualité avec notamment Batman Begins, Sin City, Danny the Dog, Coach Carter, mais aussi Rize, Hustle and Flow et donc Get Rich or Die Tryin’. Dans ce biopic, nous suivons une partie de la vie de Curtis Jackson, alias 50 Cent qui joue son propre rôle, de l’adolescent orphelin qui se met à dealer au jeune rappeur qui tente de s’en sortir mais va être rattrapé par la réalité. Aux manettes, Jim Sheridan, entre autres réalisateur de Au nom du père, quant au casting, il fut constitué de seconds rôles, qu’on a pu croiser dans Dead President, Big Mama, Hustle and Flow, pour Terence Howard, dans Predator, Sister Act, Menace II Society pour Bill Duke, dans la série OZ pour Adewale Akinnuoye-Agbaje, Colors, Cliffangher, Rasta Rocket, Ali, pour Leon Robinson. Si précédemment, nous avions échangé avec DJ Flexta et le Boug Arknow autour du film Belly, il nous a semblé évident de reprendre contact avec Sindanu Kasongo, après notre discussion sur Menace II Society. En effet, le responsable des programmes de BET France a par le passé interviewé à plusieurs reprises 50 Cent et se trouve être un passionné de cinéma, soit l’homme de la situation pour une review du film Get Rich or Die Tryin.

Pour commencer, est-ce que tu te rappelles quand as-tu entendu parler de 50 Cent pour la première fois ?

Sindanu Kasongo : La première fois que j’ai entendu parler de 50 Cent, c’était avec (il réfléchit) avec le fameux morceau « How to rob », produit par un des hitmen de Diddy, Didot je pense. J’avais beaucoup aimé. Après, je sais qu’il était chez Columbia, il avait fait quelques titres qui n’étaient pas fous. A l’époque, je lisais le magazine XXL et ils avaient fait un photo shoot avec lui. Pour moi, c’était un rappeur new-yorkais parmi tant d’autres.

Qu’est-ce que tu t’es dit quand il a été signé par Eminem ?

Sindanu Kasongo : Déjà, quand il s’est fait tirer dessus, c’était un gros truc. Et surtout, les sorties de ses mixtapes étaient énormes ! J’avais des cousins qui me les envoyaient. Son côté rappé / chanté, le fait de poser sur des faces B, c’était assez original. A l’époque, je travaillais pour le magazine RER avec Sadik Asken, qui maintenant est réalisateur et fait beaucoup de choses, d’ailleurs big up à lui ! Il était à ce moment-là encore battle rappeur. Donc tu vois le profil super rap français à fond ! Il était parti à New-York en 2002 pour suivre un DJ qui est mort en 2003 d’ailleurs, DJ LAM.C, paix à son âme. A son retour, il était comme un fou ! Il me dit : « Il y a un mec qui s’appelle 50 cent (en français), tout le monde en parle là-bas, il rappe et il chante aussi, c’est une grosse caillera ». Là, je me suis dit si un mec comme Asken est à fond sur lui, ça doit être quelque chose… Comme je t’ai dit je lisais XXL qui a fait la couverture où tu as Dre, Eminem et lui au milieu et là j’ai compris, que ça allait être quelque chose d’énorme.

Eminem avait justement bénéficié de cette stratégie de sortir deux-trois albums qui ont vraiment cartonné avant d’avoir droit au film 8 Mile et Fifty a suivi à peu près la même, en ayant droit au sien après les succès des albums Get Rich or Die Tryin’ et The Massacre.

Sindanu Kasongo : Même si je ne suis pas spécialiste de cinéma, je trouve qu’8 Mile est très bien. Ils ont pris un gros réalisateur (NDLR : Curtis Hanson, qui a notamment fait L.A. Confidential), avec au casting Kim Basinger, Mekhi Phifer, les battles aussi étaient vraiment bons et Eminem a pris le temps de se lancer là-dedans. Fifty, pour moi, a davantage eu une démarche de hustler : je viens de signer, je prends tout ce qu’il y a à prendre !

A l’époque, il avait sorti son album, après il y a eu celui du G-Unit, de The Game, puis son deuxième album. Entre temps il a sorti le jeu vidéo, des boissons, il y avait des baskets aussi, des tee-shirts… Le film est rentré pour moi dans ce cycle. Tu sens que c’est un gars qui a mangé des pierres toute sa vie, qui a eu une opportunité et qui y va à fond.

Passons au film à proprement parlé : de quoi te rappelles-tu en premier lieu ?

Sindanu Kasongo : La fusillade ! A l’époque – je parle vraiment comme un vieux mais je le suis (sourires) – à l’époque donc on avait juste les magazines et son témoignage. Aujourd’hui, après une fusillade, tu as des photos, des vidéos. Avec le film, c’était la première fois qu’on voyait cette fameuse fusillade et j’avais trouvé ça fou ! C’est très américain, très hollywoodien de banaliser la violence… Mais un gars qui se fait tirer dessus comme ça, neuf balles à bout portant (il appuie sur chaque syllabe), dont une au visage et qui en sort encore plus fort, c’est incroyable ! Juste cette scène-là est très impressionnante ! Ce n’est pas de la fiction, c’était la réalité.

Ils se sont aussi inspirés de la réalité avec le personnage de Dangerous qui représente d’une certaine manière Ja Rule.

Sindanu Kasongo : C’est 50 Cent ! Il n’a aucun remords, aucune pitié et je trouve presque qu’il a été gentil, même si c’est petit de sa part. Je pense que c’était pour ne pas avoir de procès en diffamation. J’aime bien aussi la relation avec son ex-femme, la manière dont c’est présenté. Adebisi, Majestic dans le film, son rôle n’est pas fou mais il le joue bien.

Le film montre l’absence de réelle mixité entre Noirs et Blancs à South Jamaica ainsi que les liens entre les mondes de la drogue et du rap

Sindanu Kasongo : Clairement. Déjà Fifty était réellement un dealer, ce n’est pas une légende urbaine. Il y a très longtemps, j’avais interviewé son DJ, DJ Whoo Kid qui me disait que son surnom était Boubou, qu’il était connu pour taper les dealers adverses et taper ses vendeurs qui ne faisaient pas du bon boulot. Quand Fifty a été signé chez Jay Master Jay de RUN-DMC, c’était une manière pour lui de blanchir son argent. Donc cet aspect n’a pas été exagéré dans le film. Tu vois je te parlais de Jam Master Jay, il avait son studio à Hollis Queens, à côté de South Side Jamaica Queens et il s’est fait assassiner dans son studio. Parce que les deux univers étaient mélangés, le problème était là. Aux États-Unis, les dealers blanchissent leur argent au barber shop, à l’épicerie et au studio. Je te dirai en France, c’est plus ou moins la même chose.

Parmi les points faibles, tu parlais de sa relation avec son ex-femme, je trouve ça dommageable qu’ils aient voulu adoucir le film avec ce personnage féminin, sans parler du côté prison, de la rédemption, du fils qui ferait changer, j’ai du mal à y croire vu à quel point 50 Cent est sans foi ni loi.

Sindanu Kasongo (Il réfléchit) : Pour le coup, Fifty a toujours été discret sur ses relations avec ses compagnes et souvent ça se passe bien en fait. Son côté brutal, sauvage et sans pitié, il le réserve vraiment aux rappeurs. (sourire) Si ça se passe très mal avec son fils qui a une vingtaine d’années, il remet une pension alimentaire à son ex-femme parce qu’il part du principe qu’elle était avec lui quand il n’avait rien et qu’ils ont eu un enfant. Il a été avec la chanteuse Ciara, tout le monde savait qu’ils étaient en couple et il n’en a jamais parlé. Pour moi, ce côté lover, gentil, ça ne me surprend pas trop.

Et qu’est-ce que tu as pensé de sa performance d’acteur ?

Sindanu Kasongo : Catastrophique. Ça fait du 11 ou 12/20. Au début de notre entretien, tu m’as parlé de 8 Mile et inconsciemment je compare et Eminem a vraiment bien joué. Pourtant, lui aussi joue sa vie mais curieusement, on y croit vraiment plus.

A choisir, je préfère 8 Mile qui est davantage un film rap que Get Rich or Die Tryin’ où le gangstérisme a une plus grande place. Après c’était sa vie aussi.

Sindanu Kasongo : Clairement. Autant musicalement, je préfère Fifty à Eminem, mais tu vois qu’Eminem est plus un bosseur, c’est un besogneux. J’avais lu qu’il ne voulait évidemment pas faire le film, parce que lui veut juste rapper, être en studio et c’est tout. On lui a un peu tordu le bras pour le faire et il a mis certaines conditions pour que ce soit un bon film tandis que Fifty, tu sens que c’est plutôt le hustler qui a fait le film. Ça se sent, même s’il s’est appliqué, qu’il y a de gros acteurs, une grosse promo. Parce que ça aurait pu être un très bon film en dépit des côtés sur la vie de la rue, en allant dans le fond. Pour moi, c’est un clip d’une heure trente.

On parle du biopic sur Fifty, sur Eminem, il y a eu celui de NWA en 2015 ; si tu devais faire un classement entre ceux-là et d’autres, à quoi ressemblerait-il ?

Sindanu Kasongo : (Il réfléchit) Je me rends compte que j’ai beaucoup de mal avec les fictions autour du rap et le film qui tient le plus la route, c’est vraiment 8 Mile. NWA : Straight Outta Compton, c’est l’histoire racontée par Dr Dre et Ice Cube, même si c’est très bien fait. Les acteurs ont vraiment fait du bon boulot, c’est très bien filmé, on rentre très bien dedans… Je le mettrai en deuxième. Après les films basés sur des rappeurs… (Il réfléchit) Notorious n’est pas bon malheureusement, je n’ai pas vu le film sur Tupac mais apparemment c’est une catastrophe. Je suis plus fan de documentaires autour de la vie de rappeurs.

Il devrait pourtant y avoir de plus en plus de biopics sur des rappeurs, étant donné que ces films marchent malgré tout plutôt bien auprès d’un certain public.

Sindanu Kasongo :Il faudrait qu’ils soient très bien faits, bien écrits, qu’il y ait un excellent réalisateur, de très bons acteurs. Qui mériterait un film ? (Il réfléchit) Ils ont tous eu des vies extraordinaires… Un biopic sur Nas ce serait bien, mais je sais que ce ne sera pas bien fait. Ah, celui sur Roxanne Shanté sur Netflix était très bien ! Dans le meilleur des mondes, il en faudrait un sur Jay-Z. Ou alors, prendre un rappeur moins connu, moins exposé pour que ça permette de faire un bon truc, genre Scarface. On découvrirait ainsi Houston dans les années 1980.

Je pensais que tu allais me dire Snoop.

Sindanu Kasongo : Le fan en moi veut un docu, pas un film.

Pour en revenir à Get Rich’, tu peux dire un mot sur la bande originale et le G-Unit qui a clairement été mis en avant ?

Sindanu Kasongo : C’est l’époque où 50 Cent est en pleine patate et tout ce qu’il sort marche. Il avait même essayé de faire un truc avec Olivia… Je pense qu’il n’était pas encore en guerre avec The Game. J’avais lu l’interview de Jimmy Iovine, le boss d’Interscope qui disait que si Fifty et The Game ne s’étaient pas séparés, ils auraient pu être les Beatles du rap. En terme de qualité je ne sais pas, mais en terme d’efficacité oui, clairement et cette B.O. le montrait bien.

Abordons la suite de la carrière de 50 Cent : dans les années 2000, pour toi, quelle est sa principale influence sur le game aux US, que ce soit dans le bon comme dans le mauvais ? Même si au passage son influence en France est aussi réelle, via Booba, via le morceau « J’t’emmerde » de MC Jean Gab’1.

Sindanu Kasongo : Après la mort de Tupac et Biggie, le rap américain était un peu timoré. Il a repris du jus avec les DMX, les Jay-Z, Dipset, mais le côté battle était mis un peu de côté et quand Fifty est arrivé, déjà ça a remis New-York au top. Mais surtout, 50 Cent est un peu un des derniers super héros du rap. C’est vraiment l’histoire incroyable, c’est le Comte de Monte Cristo ! Donné pour mort, il revient, il se venge et tout le monde va payer. (rires) Il était signé à New-York, personne n’a voulu de lui donc il est entré en guerre contre sa propre ville et surtout Ja Rule. Tu as plein de gens aux États-Unis dont le directeur des programmes Ibroh d’Hot 97 qui dit qu’à cause de 50 Cent, New-York s’est séparé. Ça se tient. C’est vrai qu’il a amené beaucoup de négativité.

Il a vraiment joué le rôle de super méchant ! Même en dehors du rap, il a dû donner une mauvaise image de cette musique.

Sindanu Kasongo : Exactement. Il était en clash avec tout le monde ! Ça ne s’arrêtait jamais… Il faisait des morceaux, des mixtapes, il ne lâchait rien, les gens devaient choisir leur camp. Tu as des gens comme Jay-Z un peu malins, dès qu’il a vu que 50’ était chaud, ils ont fait une tournée ensemble, ils ont d’ailleurs fait leur deal Reebok plus ou moins en même temps. Mais musicalement, il a ramené une énergie. Signer un gars du South comme Young Buck, à l’époque ça ne se faisait pas trop : les mecs prenaient leurs potes et les faisaient rapper. D-12 d’Eminem par exemple, ce ne sont pas de bons rappeurs, à part Proof. En plus pour moi, Young Buck, c’était le meilleur rappeur du G-Unit après The Game. Après, il a ramené M.O.P., puis Mobb Deep, une chanteuse aussi même si ça n’a pas marché… (Il réfléchit) Pour moi, il y 30 % de négatif mais 70 % de positif.

50 Cent, c’est la plus grande success story, le plus grand storytelling du rap US ?

Sindanu Kasongo : (Il réfléchit) Même s’il y a quand même Jay-Z, qui fait des gros deals avec LVMH, etc, Fifty est dans la culture populaire. Surtout sa success story ne s’arrête pas, étant donné ce qu’il est en train de faire dans la télévision, c’est quand même incroyable !

Il y a eu le biopic Get Rich sur lui, on pourrait même en faire un autre sur la période 2005-2025.

Sindanu Kasongo : C’est fou ! Dans le rap, il a fait manger au moins quinze personnes. Même si The Game le déteste, c’est grâce à Fifty s’il est là aujourd’hui, ce qui n’est pas rien ! Et qu’on aime ou pas, Game a une sacrée carrière. 50 Cent a reproduit ça dans la télévision ! L’acteur principal de Power, Omari Hardwick, c’était un petit acteur comme il y en a des centaines à Hollywood et là, c’est vraiment devenu quelqu’un avec Fifty. Il a pris aussi Method Man, Mary J. Blige, Lil Durk, il a pris Kendrick Lamar il l’a fait jouer un craked. (rires) C’est ça qui est fou ! Même si ce n’est pas The Wire ou les Sopranos en terme d’écriture, il y a quand même quelque chose dans cette série. Il fait bosser des scénaristes, des réalisateurs. C’est Curtis Jackson qui fait tout ça donc oui, la success story est folle.

https://youtu.be/g9PBhyTHhRE

Les États-Unis, c’est un monde à part : Trump a été réélu, les Américains ont déjà mis à la tête du pays un ancien acteur avec Reegan, Schwarzenegger a été gouverneur de Californie… D’après toi Fifty pourrait avoir un destin politique, à New-York par exemple ?

Sindanu Kasongo : Vu son casier judiciaire et vu sa vie, je ne pense pas qu’il puisse obtenir un mandat. Je compare avec Jay-Z et on s’est souvent demandé s’il pouvait devenir maire de New-York… Certes, aux États-Unis, on prône la rédemption, mais les gars ont passé 80 % de leur discographie à dire qu’ils vendaient de la drogue et même si dans le rap on trouve ça « cool », dans le vrai monde, vendre de la drogue ce n’est pas bien. (rires)

En parallèle à notre interview, on réalise aussi avec la rédaction une sélection commentée de 10 morceaux emblématiques de la carrière de 50 Cent ; toi tu mettrais lesquels en priorité ?

Sindanu Kasongo : (Il réfléchit) Dans The Massacre, il y a « In my hood » que j’adore et que je mets en un, « God give me style » qui est pas mal. « I’ll Still Kill » avec DJ Khalil. Sur Get Rich or die tryin, je dirai « What Up Gangsta », classique ! « If I can’t », classique ! « U Not like Me », classique ! Dans les sons un peu plus récents, le feat avec Chris Brown « I’m the men ». Des débuts, je dirai « How to rob » quand même ainsi que « Ghetto Qur’an » qui est incroyable ! L’album Get Rich or die tryin, je ne me le suis pas vraiment pris. Il y a plein de sons que j’avais trouvé moyens, même si je sais que c’est un blasphème pour certains. (sourire). Pour moi, ce n’est pas un classique. C’est avec The Massacre que je me suis dit : « Ah ouai, c’est vraiment quelqu’un ce gars ! » En plus, dans The Massacre, il a ce truc cinématographique puisque chaque clip était accompagné d’un clip, ce qui ne se faisait pas à l’époque. Enfin, sauf dans la musique congolaise avec les cassettes VHS. (rires)

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