Vingt ans après : 2004 en 20 disques de rap français

Drôle d’année que cette année 2004, qui s’ouvrit sur un meurtrier tremblement de terre au Maroc et s’acheva dans un raz-de-marée apocalyptique dans l’Océan Indien. Si la France échappe aux catastrophes climatiques, elle n’en reste pas moins balayée par des vents aussi mauvais qu’imprévisibles. Après une vague rouge lors des élections régionales de mars, Jacques Chirac organise un remaniement ministériel qui voit Sarkozy, alors au début de sa campagne pour la présidence de l’UMP, revenir aux Finances. Le désir d’alternance, de nouveauté, de fraîcheur des Français ne viendra donc pas de la vie politique… Heureusement, la scène musicale du pays est en pleine effervescence. Et même si les top singles et albums sont encore trustés par la Star Ac’ ou Sardou, les Enfoirés ou Les Choristes, les challengers venus des scènes hip-hop de tout le pays, se positionnent, sortent de leurs embuscades et se font de plus en plus largement entendre, se hissent désormais aux troisième, quatrième, cinquième places des ventes et maximisent les rotations radios.

L’enthousiasme fou et l’ambition débordante des rappeurs des quatre coins de l’Hexagone déferlent sur les ondes, sortent du giron des radios spécialisées. De toute la banlieue parisienne, par exemple, on a pris acte des succès fulgurants des deux-trois années précédentes. Ça y est, le rap paye. Et si c’est encore parfois vu comme une prise de risque pour les maisons de disques, les ventes plus qu’honorables des projets indépendants sont maintenant là pour rassurer tout le monde. Seule absente notable de ce bouillonnement national : la planète Mars. La cité phocéenne sera pourtant bien à l’honneur, mais grâce à Plus belle la vie, lancé cette année-là, les rappeurs du coin étant restés sous leurs couettes. En 2004, la France continue sa lente mutation, un brin douloureuse. Sa jeunesse est en mouvement, a plongé dans le 21ème siècle et le hip-hop s’est faufilé dans le créneau de l’innovation. Face au besoin de redéfinir les contours d’une société qui change, la musique, et le rap en particulier, apporte encore de nouvelles perspectives et nous vous proposons de décortiquer vingt des projets qui cette année-là ont apporté leur lot de surprises et d’espoir à ceux qui ont bien voulu les écouter. – Sarah

Nysay – L’Asphaltape

Paru le 8 janvier 2004 | > Le biz a changé

Si Salif est aujourd’hui surtout connu pour sa carrière solo, en 2004, il était avant tout membre d’un duo explosif, formé entre la prestigieuse école IV My People, et celle non moins prestigieuse du Beat De Boul, protégé à la fois de Kool Shen et de Zoxea, quand bien même il avait alors déjà un album avec un certain succès commercial et critique derrière lui. Connu donc pour leurs apparitions sur les disques estampillés IV My People, mais également des freestyles sur les compilations du label indépendant émergeant Neochrome, L’asphaltape est le premier véritable essai du groupe. Et quel essai ! Quinze titres et une heure de rap brutal imagé puant l’asphalte (évidemment), l’essence et l’acier brûlé des voitures. Loin d’être un side-kick d’accompagnement, EXS tient la dragée haute au surdoué du rap dont il est l’acolyte. Rimeurs infaillibles, les deux Boulonnais alignent les assonances qu’ils associent à un contenu loin d’être superflu et cliché. La précision des descriptions et l’imagerie résultent en un rap matériel, ce qui le rend si percutant. On ne respire pas sur toute la durée du disque, et l’instrumentalisation participe de cette atmosphère asphyxiante. Les productions, relativement simplistes et caractérisées par un BPM régulier, des mélodies peu élaborées et des batteries qui tabassent, ont parfaitement résisté aux années, et l’album s’écoute très facilement vingt ans plus tard. Et il le faut bien car le duo du Pont-de-Sèvres n’atteindra plus jamais les sommets approchés sur L’asphaltape. Salif lancera définitivement son parcours en solitaire, et même si le groupe se retrouvera quatre ans plus tard avec Si si la famille, l’étincelle ne sera plus tout à fait la même. – Xavier

Médine – 11 Septembre, récit du 11ème jour

Paru le 24 janvier 2004 | > 11 septembre

« Tu comprends rien, tant mieux car moi non plus » rappait Medine dans l’outro de l’album, et il n’y a pas de meilleure manière de décrire cette période d’incompréhension que nous vivons depuis le début du XXIe siècle. Récit d’un ordre du monde bouleversé en 2001 et d’un Etat américain devenu colosse aux pieds d’argile, 11 Septembre, récit du 11e jour de Médine dresse un état des lieux en 2004 de ce qu’est le monde et ses souffrances. L’Islam et sa stigmatisation dont les musulmans sont victimes tissent la trame d’un album duquel, vingt ans après, il n’est peut-être pas nécessaire de changer une ligne. Quelle tristesse ! Produit par le label indépendant Din Records, 11 Septembre sera un véritable succès d’estime à défaut d’être un succès commercial. Trop confidentiel, trop politique pour passer en radio. Ce projet est celui d’un rappeur d’une vingtaine d’années, originaire du Havre, musulman revendiqué et qui joue déjà la provocation pour alimenter le débat. Tout ce qui donnera du grain à moudre à l’extrême droite dans les années qui suivront est déjà présent. Il est difficile de croire qu’un album comme celui-ci soit un premier album de jeunesse tant on y retrouve les fondements de la carrière de Médine : le premier titre de la série « Enfant du destin », le collectif La Boussole, le message de paix dissimulé derrière des phrases chocs et du storytelling incroyable. Cela montre que vingt ans plus tard, même si Médine est devenu un père de famille et que ces autres albums ont abordé d’autres thèmes, le rappeur havrais a su rester fidèle aux valeurs qu’il avait posées dans ce premier projet. Pour nous qui avons grandi et parfois découvert le rap français avec un album comme celui-ci, il aura eu la vertu de nous apprendre à lire entre les lignes, et ce n’est pas rien par les temps qui courent ! – Costa

Ol’Kainry – Les chemins de la dignité

Paru le 16 mars 2004 I > De Park Hill à 91 Pise

Rookie de l’année en 2001, Ol’Kainry est de retour en 2004 pour son second opus. Après avoir raconté sa vie entière dans son premier effort, il fallait se renouveler et avoir des choses à dire dans son sophomore album, souvent considéré comme celui de la « maturité » (à 24 ans donc pour Ol’Kainry). Dans Les chemins de la dignité, le leader de Nouvelle Donne a surtout confirmé son statut de rappeur inclassable et tout-terrain. L’intro en crescendo se veut épique. L’album comporte son lot de déflagrations sonores, réalisées en partie par Dave Daivery à l’image des très punchy « Pourquoi tu flippes ? », « Rap Game » (avec un Soprano très inspiré) et « Scène de bâtard » illustrant la cinéphilie d’Ol’, qui acquiert rapidement le statut de classique. S’il se distingue par un rap énergique au flow très proche de ce qui se fait de mieux Outre-Atlantique, Freddy possède une écriture peut-être sous-estimée, qui brille dans les morceaux introspectifs. Autant Ol’Kainry gonfle les pecs et expose biceps et tatouage comme sur la pochette, autant il arrive à fendre l’armure au travers de titres touchants, voire impudiques : sur le morceau éponyme, mais surtout sur « Entends mes regrets » dans lequel le rappeur du 91 fait son mea culpa, sur « Les hommes se cachent pour pleurer » où il reconnait différentes faiblesses ou « S’il était né » qui aborde l’épineux sujet de l’avortement. En dépit de tous ces moments de bravoure, la particularité de l’album est le featuring avec Raekwon, qui plus est pour une vraie collaboration dans laquelle le membre du Wu Tang s’est clairement pris au jeu avec le frenchie (au point qu’ils feront même quelques dates ensemble en Europe). L’album est aussi le témoin de son temps avec quelques tendances qui semblent quelque peu désuètes depuis : des refrains chantés par des voix féminines, des storytellings (dans lesquels Ol’ excelle) et des morceaux cachés en fin de piste. A l’heure du bilan, Les chemins de la dignité est un album bien solide, meilleur que le précédent, confirmant qu’Ol’Kainry est un bête de rappeur. – Chafik

Rim’K – L’enfant du pays

Paru le 22 mars 2004 | > Rachid System

Rim’K dispose d’un CV en groupe assez impressionnant en 2004, accumulant succès critique et commercial. Pour beaucoup, il est le meilleur rappeur du 113, d’ailleurs son morceau « Tonton du bled » aura marqué bien plus que le public rap français et il semble logique qu’il soit le premier à avoir l’opportunité de faire un album solo. Mais après un parcours en compagnie de Mokobé, A.P. et Dj Mehdi, certains ont pu se demander s’il était capable de tenir la distance sur quinze titres, s’il avait assez de choses à raconter, sans lasser l’auditoire. Dès le titre de l’album, la pochette, l’intro et surtout l’apparition de Cheb Khaled, légende du raï algérien, devenu hit maker en France, le décor est planté : Karim Brahmi se plonge dans son identité algérienne, pour nous parler de son quotidien de Vitriot. Certes, le membre de la Mafia K’1 Fry continue de narrer son vécu de poissard, qui flirte avec l’illicite, abuse de la fumette, est opposé à l’Etat, en représentant son 94. Mais surtout, davantage que Yazid ou Freeman, Rim’K met en avant son côté maghrébin, musulman aussi, avec une particularité, une innovation majeure, l’utilisation très régulière de mots arabes dans ses textes (bien mis en confiance par le succès de « Tonton du bled »). Le morceau « Dans la tête d’un jeune beur » aurait pu être le titre de l’album tant Rim’K nous invite dans son monde, lui qui est si fier de ses origines (mais sans être anti-français). L’enfant du pays constitue ainsi un complément de choix au travail de Yamina Benguigui puisque Rim’K nous livre les mémoires d’un fils d’immigré. Les samples tout comme certains featurings (Khaled donc, Chaba Zahounia et la Mafia K’1Fry) sont d’une grande cohérence. Porté par le tube « Rachid System », l’album sera disque d’or et confirmera la tendance des collaborations avec des artistes du Maghreb. Si Rim’K n’est pas le rappeur le plus doué de sa génération, s’il n’est pas technique comme Salif, pas engagé comme Ekoué, pas lyriciste comme Oxmo, il semble le plus complet et sera omniprésent les années, pour ne pas dire les décennies, suivantes. – Chafik

Oxmo Puccino – Le cactus de Sibérie

Le 13 avril 2004 | > Le cactus de Sibérie

Après le succès critique d’Opéra Puccino et la relative incompréhension qui aura entouré la sortie de L’amour est mort, Oxmo Puccino embrayait en 2004 sur son troisième album. Ça s’ouvre très fort sur le poétique titre éponyme, un de ses classiques, porté par sa douce mélodie de guitare et ses phases cultes (« Tellement les pieds sur terre que j’ai pris racine« ). L’album continue tout aussi fort avec l’anti-tube « On danse pas » puis par le vrai tube du disque « Black Desperado », à l’époque bombardé sur Skyrock et à la télévision. On se laisse tranquillement porter entre toutes les ambiances, du plus sombre « La nuit m’appelle » jusqu’à l’ovniesque « Arrivé sur terre » en passant par le porteur d’espoir « Toucher l’horizon ». Partout, l’écriture est fine et parvient à être poétique tout en restant simple. Les thèmes sont tantôt légers, tantôt profonds voir durs, et l’humour peut surgir partout, de l’auto-dérision de « Mes fans » au refrain de « Black Desperado » où il se place en super-héros sauveur du rap. Oxmo rappe, et il rappe bien, on peut presque dire qu’il maîtrise ici mieux son débit que sur ses précédents opus. Il est capable de ralentir la cadence et de se faire plus posé, d’exploiter une attitude de vieux crooner (« Mon pèze » ou « Laisse-moi flirter ») mais aussi de livrer des flows survoltés où ses schémas de rimes complexes brillent. On sent bien qu’après le très libre L’amour est mort (évoqué dans l’article sur 2001), Oxmo a quelque peu ajusté sa formule et a su tirer le meilleur de ses différentes facettes. Cela se ressent notamment dans les refrains où sans forcément plonger dans le chant pur, il n’hésite pas à étirer ses syllabes sans complexe tout en restant très rap et cadencé. Peu de choses ont vieilli sur Le cactus de Sibérie, si ce n’est un ou deux titres avec des productions légèrement en dessous ou des manières de faire plus datées (on pense notamment à « Nous aurions pu »). Porté par certains des plus grands titres de la carrière d’Oxmo, Le cactus de Sibérie frôle malgré tout la perfection et permet de définitivement poser Oxmo comme l’un des pontes du rap français. – Jérémy

Kool Shen – Dernier round

Paru le 19 avril 2004 | > Dernier round

Annoncé comme le dernier disque de Kool Shen, Dernier round est avant tout son premier en solo. C’est un vrai changement pour le Séquano-Dyonisien, qui depuis 1991 compte pas moins de quatre albums en binôme avec Joey Starr, ainsi qu’une flopée de projets avec son collectif IV My People. De fait, ses tracks en solo avant ça se comptent sur les doigts d’une main, parmi eux « Touche pas à ma musique » ou encore « That’s my people »: « c’est le dernier round et [il] a beaucoup plus taffé que sur son premier opus« . A l’image de son rôle au sein du Suprême, le disque semble avoir été le fruit d’une longue réflexion et de nombreuses heures passées en studio. Kool Shen n’a rien laissé au hasard quant à la partie instrumentale (grâce à des productions maison sur mesure de Madizm & Sec.Undo), les couplets sont bien rappés, et le rendu est équilibré quant aux thématiques abordées, entre regard pessimiste sur le monde qui nous entoure (« Oh no », « C’est mal barré », « Y suffit d’un rien », « Les médias »), morceaux plus personnels (« Qui suis-je », « Un ange dans le ciel », « On a enfoncé des portes », « Quand j’prends le mic »), rouleaux-compresseurs calibrés pour la scène (« On a enfoncé les portes », « Le retour du babtou », « Two shouts »), et deux feats rap que sont « Change » avec Zoxea, et l’excellent « Dernier round » avec Oxmo Puccino, pinnacle de l’album, qui vient clôturer l’ensemble. Bruno Lopes ne s’y est d’ailleurs pas trompé, et, chose relativement rare dans le rap, il a choisi un morceau en featuring pour nommer son album. Si le disque ne surprend pas vraiment, et manque parfois de spontanéité, le poignant « Un ange dans le ciel », à la mémoire Lady V, révèle un Kool Shen à fleur de peau qui touchera la France entière, et donnera par la même un coup de boost aux ventes de Dernier round. A défaut de mettre un terme à la discographie de Kool Shen, qui sortira deux albums après celui-ci, cet album préfigure la fin de IV My People en 2005. Cet album aura également été l’occasion d’une tournée d’adieux grandiose, immortalisée par une sortie CD et DVD, agrémentée d’un single inédit fameux, « L’avenir est à nous », en feat. avec Rohff et Dadoo. – Olivier

ALIBI MONTANA ET MENACE RECORDS

Encore peu connu sur la fin des années 1990 et le début des années 2000, malgré sa première sortie T’as ma parole en 1999 (et pour cause, il purge une peine de prison de trois ans et demi), c’est véritablement en 2004 qu’Alibi Montana émerge sur la scène rap, avec 1260 Jours, en référence aux jours de prison purgés par le rappeur de la Courneuve. Mais si le nom de scène de Nikarson St-Germain est depuis passé à la postérité pour tous les auditeurs de rap des années 2000, c’est moins le cas de celui de Bayes Lebli, patron (ou co-patron) de Menace Records, l’un des labels légendaires de l’underground de cette période. Et étendard d’une certaine idée du rap, dont on retrouve tous les éléments sur 1260 Jours : quotidien de la vie en prison, vie de rue, haine de la police, critique des majors et des grosses radios. Une ligne éditoriale dont on voit déjà les bribes dans les disques du label, parus dans l’attente de la sortie de son fer de lance : les compilations Police en 2001, Interdit en Radio en 2003 (deux parmi une ribambelle d’autres plus mineures), ou l’album D. Terminé d’Expression Direkt en 2002, et préfigurent les futurs seconds couteaux du label, tels que Larsen ou feu Samat. Avec 1260Jours, Alibi ne génère pas seulement le premier gros succès du label indépendant. Il entame également un run d’ultra-productivité jusqu’à la fin de la décennie. On retrouve déjà les compères de la Cité des 4000 Zone et Kheimer, avec qui il fera Le Block en 2006, et même le petit frère Alino, sur « Bienvenue à la Courneuve ». Et ceci parmi une belle palette d’invités issus des quatre coins de la grande couronne, qui démontre le côté très fédérateur d’Alibi, qui sur l’ensemble de ses disques futurs, invitera un pourcentage important du rap francilien. Et un an plus tard, sur ce même label, sortait Rue, l’album commun avec LIM, dont il sera question dans notre prochain dossier. – Xavier

Booba – Panthéon

Paru le 11 mai 2004 | > Tallac

Panthéon a une position un peu difficile au sein de la discographie de Booba, parce qu’il se place entre ses deux plus grands classiques de l’ère pré-streaming (et pré-ratpis), Temps Mort et Ouest Side. Si ce disque l’a révélé au grand public (merci « N°10 »), il n’a pas défiguré le game de la même manière que les deux disques pré-cités, son influence est moins évidente, la direction artistique moins claire, et l’Ourson cherche ses marques pour son premier opus en major, sans le 45 Scientific. Ça n’en fait bien évidemment pas un mauvais disque de rap, c’est même le haut du panier en 2004, avec des chiffres de vente honorables, et un statut iconique auprès du public qui a découvert Booba avec cet album. Les métaphores venues d’une autre planète et le phrasé racailleux à l’extrême sont toujours au rendez-vous, mais comparativement à l’époque « 45 Scientific », le son change et se veut parfois plus ouvert, avec un sample accessible sur « Mon son », des nappes imparables sur « N°10 », ou un refrain chanté sur l’outro « Avant de partir » façon « Destinée ». Il attire également l’attention au travers de quelques références à ses confrères rappeurs et rappeuses (MC Jean Gab’1, Joey Starr, Roll-K, Princess Aniès, Nelly…) ou en poussant un peu plus loin le curseur de la provocation comme sur « Baby ». Disons-le, quelques morceaux moyennement inspirés viennent ponctuer l’ensemble (« R.A.P », « Alter ego », « Pazalaza pour sazamuzer »), mais Panthéon possède aussi quelques grands classiques du Météore comme « La faucheuse », « Bâtiment C » ou l’intro « Tallac », qui se place souvent dans les tops du genre. Surtout, ce disque ouvre l’ère post-Lunatic (la séparation a eu lieu en 2003), et le début d’une success story en solo qu’il commence à s’auto-prophétiser dans ce disque, dans lequel la démesure commence à poindre (une tendance qui se confirmera franchement dans les albums suivants), portée par l’ambition de régner seul sur le rap français. – Olivier

La Rumeur – Regain de tension

Paru le 13 mai 2004 | > P.O.R.C.

En 2002 le premier long format de La Rumeur voit le jour. L’ombre sur la mesure permet rapidement au groupe de devenir une référence sur la scène rap nationale. Cette même année, Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l’Intérieur, envoie Hamé devant les tribunaux pour une affaire qui durera près d’une décennie. Il l’accuse de diffamation envers le corps policer suite à un article intitulé « Insécurité sous la plume d’un barbare » dans lequel le Perpignanais affirmait : « Les rapports du ministère de l’Intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces l’ordre sans que les assassins ne soient inquiétés. » C’est dans ce climat électrique que Regain de Tension prend forme et voit le jour deux ans plus tard. Le sentiment de rage, de révolte contre les inégalités et l’injustice du procès prédomine tout au long du projet comme en témoigne le morceau « P.O.R.C ». De plus, le groupe qui arbore fièrement une posture militante depuis ses débuts, continue de dénoncer le racisme et le colonialisme. Les promesses d’insertion sociale sont quant à elles raillées et décriées. Skyrock en prend aussi pour son grade à plusieurs reprises. Le bonus track « Nous sommes les premiers sur… » lui est même dédié. La Rumeur accuse Bouneau et consorts de formater le rap, de travestir le hip-hop et ce avec le consentement de ses principaux acteurs. Ékoué s’était déjà élevé contre ces agissements, ce qui lui avait valu une plainte, finalement classée sans suite, pour incitation au meurtre. Côté mélodies, l’album Regain de tension est entièrement produit par Soul G. Exit les samples de jazz harmonieux de L’ombre sur la mesure, le beatmaker se concentre sur des sonorités plus brutes et électroniques, permettant ainsi aux rappeurs de faire briller leur phrasé. Serge Teyssot-Gay, guitariste de Noir Désir et Zone Libre est lui présent sur « Paris nous nourrit, Paris nous affame » qui figure comme l’un des meilleurs titres de l’opus. Si le premier album de La Rumeur avait marqué les esprits, Regain de tension est venu lui confirmer la singularité d’un groupe engagé, à la verve indomptée depuis plus d’une vingtaine d’années. – Jordi

Zoxea – Dans la lumière

Paru le 1er juin | > King de Boulogne

Si son premier disque est sorti chez Warner / IV My People et a été réalisé par Kool Shen, c’est dans une relative indépendance que Zoxea choisit de produire son deuxième effort solo, sur son propre label KDB Zik, avec un deal de distribution chez Universal et une réalisation en collaboration avec son frère Melopheelo. Durant les cinq années qui séparent ces deux disques, Zoxea semble avoir gagné en sérieux et en sérénité. Sur un écrin sonore très éclectique, passant des grandes tendances US à des balades mélodieuses, le membre des Sages Poètes s’essaie à de nouvelles thématiques, parmi lesquelles la spiritualité, qu’il choisit de mettre particulièrement en avant avec des titres comme « Tout est écrit » ou l’excellent outro « Une fois que c’est terminé ». Il laisse une place importante au chant, s’essaie lui-même à l’exercice avec une certaine aisance (c’est particulièrement vrai sur « Reste calme »), quand il n’invite pas des chanteurs et chanteuses à exécuter les refrains, là encore dans des registres et des tonalités très différents. Sur ce nouvel opus, il ralentit globalement son débit pour un rendu moins freestyle que ses précédentes livraisons, même si quelques performances rap viennent rappeler qu’il est le papa de quelques rappeurs déjà bien exposés en 2004, « King de Boulogne » en tête, ainsi que ses feats avec le rookie de l’année Sinik, Nysay et Kool Shen. De fait, « King de Boulogne » (dont la contraction KDB donnera le nom à son label) connaîtra une version « King 2004 » sous la forme d’un posse cut au casting cinq étoiles, qui rentrera dans la légende sans malheureusement figurer au tracklisting du disque. Cette pochette, pour le moins surprenante, ne survivra pas à la réédition de l’album, qui bénéficiera d’un autre visuel, qui servira aussi plus tard pour les plateformes de streaming. Dans la lumière n’aura pas l’impact, les rotations, ni les ventes d’A mon tour d’briller, mais il contient des morceaux de haute volée qui légitiment largement sa présence dans cette rétrospective. – Olivier

Dany Dan – Flashback Mixtape, 2001 : cette année-là…

Paru le 10 juin 2004 | > Album photo

Au tournant des années 2000, Dany Dan ouvre sa structure Disques Durs avec quelques acolytes, et sort les deux premières mixtapes Special Dany Dan en 2003 et 2004, sortes de best of de ses apparitions passées. Toujours en 2004, il consacre la Flashback Mixtape 2001 à des titres enregistrés au cours de l’année indiquée. Le concept peut paraître surprenant mais il faut se rendre compte que ce projet est le premier disque solo de Dany Dan constitué (à l’exception de deux morceaux qu’il laisse à des proches) d’inédits, treize au total. Son style intemporel fait que le décalage entre l’enregistrement et la sortie des titres ne se ressent pas trop, à l’exception de quelques instrus. En 2001 comme en 2004, Dan est déjà un senseï de la rime, sa nonchalance savamment dosée, ses talents de storyteller et les formulations folles qui font sa signature sont déjà connus du public, mais sautent une nouvelle fois aux oreilles. Et même si cette mixtape a le charme des street CD, on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’auraient donné des versions mises au propre de morceaux comme « Le périph », ou l’inachevé « Porcelaine ». « Les hommes préfèrent les grosses… » ou « Album photo », se sont même hissés au rang de classiques du Boulonnais. Dany Dan donne lui-même les coulisses du projet au travers de sept interludes, faites d’un va-et-vient entre l’animatrice d’une émission de radio qui l’attend désespérément, et une conversation entre Dan et DJ Saber bloqués dans les bouchons. Ce retard en voiture résonne avec celui de la sortie du projet, et l’agacement de la journaliste peut être à l’image du public qui s’impatiente. Mais pour Dany, l’amour de la musique et de la création passeront toujours avant la stratégie, et il faudra attendre quatre ans de plus avant d’avoir droit à son premier véritable album solo, Poétiquement correct. – Olivier

Sinik – En attendant l’album

Paru le 15 juin 2004 | > 32 mesures de haine

C’est un classique parmi les classiques. Sûrement le « street album » – terme qui atteint d’ailleurs l’apogée de sa hype avec ce CD – le plus légitimement côté de l’histoire. Depuis Mission Suicide et surtout depuis les échos des battles de Dégaine Ton Style, les connaisseurs des quatre coins de l’Ile de France surveillent Sinik comme le lait sur le feu, scrutant ses performances comme autant de preuves de leur nez creux. En 2004, soutenu par la jeune structure 6-0-9 qui le fait grandir depuis son dernier maxi, Sinik est prêt pour se lancer. En témoigne la maturité de certains morceaux, qu’on retrouvera d’ailleurs sur La Main sur le Coeur. Mais les aléas de la vie n’offrent pas encore à l’Ulissien et ses producteurs toutes les conditions pour répondre aux exigences d’un véritable album. Sûr pourtant de quelques bons morceaux, Sinik s’associe à Neochrome pour balancer 17 titres « test » sur un format plus souple, donner l’eau à la bouche et promettre un album qui n’est encore qu’un vague dessein. Jeté comme un os à ronger chez tous les disquaires sympathisants d’Ile de France, le fameux street CD sort juste avant le BAC. Et pour autant qu’on s’en souvienne, personne ne fut déçu. Sinik envoie, avec une puissance volontairement débridée, un alignement de freestyles oscillant entre la rage brute et la rime maîtrisée, qui avait tout pour combler toutes les attentes. Sans gros nom derrière les prods (à l’exception de Zoxea sur un feat) et en l’absence de tête d’affiche générationnelle pour l’accompagner, l’intégralité du disque repose sur le charisme, le talent, le style unique de S-I-N-I-K, dont la plume acérée et les punchlines lourdes épousent la mélancolie. On comprend alors rapidement qu’il a seulement levé le couvercle de la boîte de pandore, offrant au 91 et au rap français un nouvel équilibriste de choix. Au succès d’estime remporté par ses deux premiers maxis, suit un vrai succès commercial. Pour un disque pressé en indé, toucher 40 000 ventes relevait de la gageure, et cette reconnaissance des bacs ouvre à Sinik le chemin de la signature. Il ne faudra finalement patienter qu’une petite année pour pouvoir mettre la main sur ce fameux album, et finir de constater tout le potentiel de l’Essonnien. – Sarah

Veust – Coup de théâtre

Paru le 21 juin 2004 I > D’abord je veux dire

S’il sort son premier album en 2004, Veust n’est pas un inconnu du public averti. Originaire des Alpes Maritimes, membre de Mic Forcing avec Masar, il forme le collectif Napalm en compagnie de Chiens de Paille et Coloquinte, qui intègre La Cosca en 2000. Cette école du 06 a autant été mise en avant par A.K.H. qu’elle ne l’a influencé avec sa technique, à base de multisyllabiques, inspirée par le Queens. Si son compère Masar s’expatrie à New-York, Veust poursuit son chemin, participe à la tournée Revoir un Printemps, mais ne sort aucun projet solo, ne semblant pas être la priorité du label, au profit des Psy4 de la Rime et de Sako et Hal qui sortent justement leur second album Sincèrement en 2004. Le golgoth à la voix rauque décide alors de se lancer en indépendant et crée D’en Bas Fondation sur lequel sort donc Coup de Théâtre. Au programme, de l’egotrip musclé, de l’attitude, de la rime travaillée et des punchlines en pagaille. Le style de Veust est en décalage avec une partie du rap français des années 2000, même s’il représente la vie de quartier comme tant d’autres. Il en profite d’ailleurs pour mettre en avant ses proches du 06 à travers les feats (trois posse cut avec son entourage, notamment Zeyef présent au mic et à la prod) tout en étant encore connecté avec La Cosca via le pool de beatmakers d’Al Khemya (Dj Ralph, Akos, Hal et Akhenaton lui-même). Au milieu de morceaux rentre-dedans, « Ginger » surprend quelque peu. Pas habitué des storytellings, Veust s’aventure brillamment dans cet exercice de style qui retrace sombrement la trajectoire d’une femme ravagée par la vie, pour une efficacité redoutable. L’album comporte néanmoins quelques limites : sa pochette approximative (quoique d’inspiration No Limit), l’absence de clip, de Masar, Sako ou Akhenaton en invités, mais surtout Coup de théâtre est introuvable sur les plateformes ou sur Youtube alors qu’il permet d’entendre un Veust en forme, étaler le style percutant de l’école du 06. – Chafik

Grems – Algèbre

Paru le 18 juin 2004 | > Cercueil

Après deux albums au sein du groupe Hustla, Algèbre fut le premier album solo de Grems, mais aussi l’un des jalons d’une certaine scène underground de ces années-là. Au-delà de l’aventure collective qu’il représente en négatif (qui se matérialisera l’année suivante sur Olympe Mountain), Algèbre est surtout la première carte de visite de Grems. Il y a là la volonté de montrer son univers, avec son flow labyrinthique et ses enchaînements de rimes sans fin, ses variations de débit, son humour qui coule partout, des interludes jusqu’aux morceaux les plus dramatiques (« Cercueil » ou « Issu du divorce »). Plusieurs exercices de style parcourent l’album mais Grems ne fuit pas pour autant les morceaux à thèmes ou les titres plus conceptuels sans jamais se relâcher sur le plan du style. Car au final, ce qui constituait d’ores et déjà son identité se tient avant tout dans sa manière de faire qui déteint  sur tout, et déjà ici un peu, dans le choix des productions. Si Grems sera plus tard fameux pour son choix de productions qui touche à toutes sortes de musiques électroniques, il est ici un poil plus sage. Plusieurs titres sont boom-bap mais on a déjà aussi les prémisses de son goût pour l’électro, et certaines productions sonnent même presque expérimentales comme celle de « Subutex ». Quelques tentatives ont plus vieilli que le reste, ce qui est normal au vu des prises de risque qui ont été faites, mais on prend encore un vrai plaisir à parcourir cet album, et surtout, on reste impressionné par le fait qu’une grande partie du personnage est déjà là en 2004, ce qui nous rappelle la grande cohérence de la carrière de Grems. – Jérémy

2004 : DIN RECORDS MET LE HAVRE SUR LA CARTE

Exister dans le rap français en-dehors des circuits classiques est difficile, mais cela l’est encore plus lorsque l’on vient d’une ville de taille moyenne. Pourtant, en 2004, un collectif originaire du Havre arrive dans la cour des grands grâce à une volonté de fer et une organisation calibrée sous le nom de Din Records. Si le label havrais s’était constitué quelques années auparavant sous le leadership de Sals’a et Proof, c’est bel et bien cette année 2004 qui la fera passer dans une autre dimension. Quatre grands projets voient le jour : le DVD Le prix de l’indépendance, un documentaire en autoproduction réalisé par Alexis Delahaye sur le label, l’album de Médine 11 Septembre, récit du 11ème jour, l’album Matière grise de Bouchées doubles (Brav et Tiers Monde) et le troisième album du collectif La Boussole Le savoir est une arme. Rétrospectivement, on peut affirmer que le label Din Records a montré qu’il était possible de réussir en indépendance dans le rap français, et ce malgré les barrières qui pouvaient se dresser. L’existence du label sur le temps long s’explique par le travail acharné, conjugué à la passion et à la fidélité à des valeurs qui l’ont fondé. Triomphe d’une amitié qui semble avoir été plus forte que les égos des uns et des autres, Din Records a su résister aux bourrasques médiatiques grâce à un public fidèle et acquis à la démarche. Si les membres s’étaient donnés pour objectif d’apporter une élévation des consciences et de faire que leurs auditeurs sortent grandis de l’écoute des différents projets, on peut dire qu’il est rempli. Alors que vingt ans plus tard, l’ordre bourgeois tend à faire du multiculturalisme un problème fondamental de la société française, Din Records a depuis longtemps montré que les origines ethniques de chacun n’ont aucune importance : des valeurs communes et un groupe soudé permettent de réaliser de grandes choses. Pourvu que le message continue d’être porté à l’avenir et que leurs voix soient encore là longtemps pour le rapper !  – Costa

Rohff – La fierté des nôtres

Paru le 21 juin 2004 | > 94

C’était presque évident, à y repenser, que le premier double CD de rap français en solo, c’est Rohff qui allait le sortir! En 2003 lorsqu’on le retrouve dans les bacs avec ce nouvel album, cette fois tamponné Hostile et paré des meilleurs atours de la signature major, il n’avait pas vraiment eu le temps de nous manquer.  Hyperactif, et loin de se reposer sur les lauriers de la bombe « Qui est l’exemple ? », il s’était fait remarquer sur la Cerise (Mafia K’1 Fry) et sur un petit maxi, comme sur les fauteuils des NRJ Musics Awards. Deux mois avant La Fierté, Ikbal aidé de DJ Mosko, avait même sorti 10 ans d’avance, une mixtape qui condensait les meilleurs couplets et freestyles du Vitriot. Mais Housni avait toujours tellement de choses à dire qu’il allait bien lui falloir deux galettes pour tout faire tenir. Ultra denses, les deux CD portent leurs lots de classiques, au premier rang desquels “Le son qui tue” sur le premier disque (on a envie de dire Face A), et le fameux « 94 » sur le deuxième. Emblématiques de cette sortie, ces deux morceaux résument bien tout le talent de Roh2f et la richesse de l’opus. Capable de signer, en feat avec le très jeune Natty, un single qui fait bouger la France entière, il kicke sans état d’âme ni arrière-pensée radio un véritable porte-drapeau, estampillé Val de Marne, qui embrase les cœurs de ‘Vitry à Garges-Sarcelles’. Bien sûr d’autres titres emportent un franc succès (« Ça fait plaisir » – avec Intouchable, « Zone internationale »…) permettant ainsi à Rohff de s’asseoir sur les respectables sièges des Victoires de la Musique l’année suivante. Mais c’est d’abord un Rohff amoureux du risque et de l’envolée inspirée, de la rime percutante et de la punchline affutée qu’on adore entendre sur ces trente titres. Et c’est toute une scène musicale qui s’en trouve encore bousculée, cette fois par les prods ricaines de Rotem et des boucles grandiloquentes de Sayd des Mureaux. Sur la ligne de bilan, on ne peut qu’être impressionné face aux 300 000 ventes et au disque de platine ramassé pour ce qui paraissait un pari hallucinant, même au regard de la popularité montante du genre à l’époque. – Sarah 

Raï’n’B Fever

Paru le 21 juin 2004 | > Mon bled

En plein Euro, et alors que Les Bleus sont en passe de se faire éliminer en quarts, Kore et Skalp sortent un projet vraiment inédit presque capable de faire oublier à l’Hexagone ses revers sportifs. Vingt ans plus tard, malgré un titre éloquent et le caractère ultra festif de l’album, Raï’n’b Fever reste un objet inclassable. Hip-hop? Raï ? Pop ? En fait, les influences qui le composent sont aussi variées que les voix qui s’y posent. La simplicité du beat, court, direct et tapageur qu’on retrouve sur la plupart des morceaux ne peut en effet cacher l’impressionnant travail d’intégration de rythmes et de sonorités pour une fois proprement placées au cœur de la musicalité, sur toute la durée de l’opus. Quand la zurna épouse les cordes de guitares frôlées par un chaud zephyr, quand les derboukas se font l’écho de couvertures de synthé saturées, que les youyous répondent à un rap maîtrisé mêlant harmonieusement l’arabe au français, et quand toutes ces voix de « chanteuses R’n’B des refrains » se retrouvent à mener les morceaux, l’oreille, interloquée, ne peut qu’être ravie. Homogène en surface, la compile offre un bel éventail du genre qu’elle veut présenter. Des grosses patates (« Un gaou à Oran », « Mon bled ») surfent sur les boucles connues de succès passés, tandis que des story-tellings mémorables (« Just married ») sont échafaudés minutieusement autour de bar-Mitzah-beat implacables. Quelques ovnis comme « Rai’N’B Fever », « Vraie soirée disco » ou « Reggae Raï Fever », sont de petites prouesses de mélange des genres, contribuant à faire de cet ovni un vrai blockbuster. Franchement bankable pour l’époque, l’album cartonne dès sa sortie. Car caler le 113, Rohff et Magic System sur le même CD, sans compter les apparitions d’Omar et Fred – alors au top de leur époque Canal – c’était presque la garantie du disque d’or, évidemment glané en chemin. Un pari gagné donc, pour Kore et Skalp qui nous ont couverts, cet été-là, du vent sucré d’un Maghreb chargé de fête, d’amour et d’insouciance; qui ont su encapsuler, pour toujours, l’ambiance moite d’une boîte de station balnéaire, quand le thermomètre indique toujours 30 après le dîner, que les regards se croisent, que le soleil fait de la résistance, refuse de tomber dans la Méditerranée. – Sarah

Sang d’encre – Haut débit

Paru le 3 août 2004 | > Ghetto guet-apens

En 2004, le mythique label 45 Scientific est à la recherche d’un second souffle suite à la perte de Booba. Il reste malgré tout du beau monde pour porter l’étendard, des anciens Hifi et Ali aux nouveaux arrivés Escobar Macson et Lalcko. Après une première compilation qui mettait uniquement en avant les artistes du cru, 45 Scientific choisit cette fois de convoquer des gros noms extérieurs au label tels que Dany Dan ou Le Bavar de La Rumeur. On se retrouve donc avec un mélange de générations et d’artistes qui rend l’ensemble alléchant. Derrière les machines, les grands Fred Dudouet et Geraldo assurent la production et livrent un travail solide, souvent dans une veine  new-yorkaise, mais en tentant parfois des expériences plus électroniques (comme ça a pu être le cas sur Rien à perdre, rien à prouver ou sur Temps Mort) à l’image du morceau « Immigrants » d’Al Peco ou de « Reconstruire » de Moussa. Les artistes défilent tour à tour sur dix-neuf titres (dont seulement deux featurings) et chacun a tout le loisir de développer son univers. Les plus anciens assurent : Le Bavar envoie un morceau bien hardcore avec un flow survolté, Hifi ou Ill brillent encore et toujours par leur technique ; mais certains jeunes rappeurs alors peu connus leur tiennent la dragée haute. On pense notamment à Lalcko, avec son écriture profonde et son refrain choc ; à Escobar Macson qui pose un de ses classiques avec « Ghetto guet-apens » et se présente déjà avec un style hyper mature ; ou encore à Al Peco qui imposait lui aussi un phrasé et des thématiques bien définies. Sang d’encre – Haut débit se fait parfois un peu inégale mais sa production est intemporelle et ses sommets sont tellement hauts qu’elle restera comme une compilation qui a marqué l’histoire du rap français et participé à lancer quelques beaux noms. – Jérémy

TTC – Bâtards sensibles

Paru le 25 octobre 2004 | > Bâtards sensibles

Deux années se sont écoulées depuis la parution du premier album du groupe, marqué par son clin d’œil à René Magritte, Ceci n’est pas un disque. Depuis, les membres de TTC ont sillonné les scènes, multipliant les apparitions, que ce soit en solo ou en collectif. On les retrouve aux côtés d’ATK, de Fuzati, ou encore du côté de la production avec l’excellent maxi de Para One, Ciel Ether / Con Citoyen / Crazy. La joyeuse équipe se retrouve en studio pour enregistrer leur second opus, qui deviendra leur plus grand succès. D’une durée de 48 minutes, compact, et arborant de nombreux morceaux aux accents électroniques marqués (des nuances déjà perçues deux ans auparavant, mais qui prennent une nouvelle dimension avec ce disque), Bâtards Sensibles se présente comme un véritable OVNI dans le paysage musical français. Les morceaux, à la fois burlesques et crus, demeurent en mémoire, même si le disque, en apparence décérébré, se consomme comme un magazine de charme (en secret). Cependant, dès que l’euphorie s’installe, que la lune illumine le ciel et que le club déborde d’alcool, d’hormones et de transpiration, le disque prend une toute autre envergure. Avec une volonté d’innovation sur plusieurs aspects, notamment au niveau des instrumentales électroniques très hybrides (où l’on peut déceler des influences de grime, de ghetto tech, ou encore de Miami bass music), des tentatives de fusion des genres (comme l’électro et le crunk dans « Rap Jeu »), ainsi que l’ingéniosité et le je-m’en-foutisme global de l’album, Bâtards Sensibles se positionne comme un précurseur du rap alternatif, tel qu’on aimait le définir à l’époque, sans savoir où le classer. À ce sujet, nous vous recommandons à nouveau l’excellent documentaire sur cette scène : « Un jour peut-être, une autre histoire du rap français ». Vingt ans plus tard, Bâtards Sensibles incarne la folie de cette époque et la volonté d’expérimenter de nouvelles choses pour insuffler un renouveau dans un paysage rap qui commençait à manquer d’air. – Clément

Dicidens – HLM Rezidants

Paru le 2 novembre 2004 | > Tu peux pas test

Etrange objet que cet HLM Réziants. Enregistré intégralement entre 1999 et 2000, des problèmes de distribution ne lui permettent pas d’être publié avant cette année 2004. Ce laps de temps représente un décalage important en termes de sonorités avec ses sorties contemporaines. Les gros singles de l’album sont ainsi connus depuis plus de cinq ans : « Les gosses », « Criminogène » ou encore « De larmes et de sang » avec Lunatic. Lorsqu’il sort en 2004, HLM Rézidants paraît quelque peu hors du temps. Le rap est sombre, mélodieux, avec des samples de musique classique, très en vogue à la fin des années 1990, mais sur lesquelles les sonorités plus synthétiques ont peu à peu pris le pas. Les textes sont crus mais très soignés, et le trio est très complémentaire, chaque membre imposant une empreinte vocale et stylistique. Si Nessbeal sera le seul à obtenir un certain succès en solo par la suite, ce scénario est loin d’être une évidence sur l’ensemble de cet album, tant les trois compères se complètent et affichent un niveau similaire. Cette sensation de décalage temporel explique sans doute autant le petit succès acquis par l’album à sa sortie (environ 12 000 exemplaires vendus, alors que le téléchargement illégal n’a pas encore foudroyé l’industrie), que le fait qu’il ait acquis un statut de classique 20 ans après. Et ce d’autant plus qu’il demeure l’unique trace discographique d’un groupe avec une certaine aura dans le paysage du rap français. Si Nessbeal, Zesau et Koryaz se retrouveront à l’occasion, à deux ou trois, sur certains projets çà et là, ils resteront, en tant que groupe, une étoile filante intemporelle. – Xavier  

Klub des Loosers – Vive la vie

Paru le 15 novembre 2004 | > Baise les gens

Le Klub des Loosers a commencé à faire parler de lui au début des années 2000, via la mixtape L’Antre de la Folie, réunissant une grande part de ce qui a été appelé le rap « alternatif ». Composé du rappeur Fuzati (nom inspiré par Dino Buzzati, auteur dont le thème fétiche est l’absurdité de la vie humaine) et de DJ Orgasmic, le groupe fait figure d’ovni au milieu de La Rumeur, Nisay, Dicidens, Psy4 de la Rime et autres Sniper. « Les gens qui disent que le Klub des Loosers ce n’est même pas du rap » obtiennent confirmation sur le maxi « Baise les gens » sorti en 2003 et annonciateur de l’album. Ce morceau dévoile le mépris revendiqué par Fuzati, loup solitaire sur la scène rap, qui endosse le costume visiblement taillé sur mesure du misanthrope et du fossoyeur (tout en se targuant de citer Kool Keith et de déplorer à demi-mot la mort du hip-hop français). Sur Vive la vie (appréciez son titre plein de cynisme), le rappeur masqué fait la démonstration de l’insoutenable futilité de l’être et de ses vaines tentatives de nouer des relations sociales, voire amoureuses, via notamment les interludes pleins d’humour noir (foutue Anne-Charlotte !). Sur « Sous le signe du V », Fuzati met sur la carte du rap français sa ville Versailles et en dresse un constat sans concession (sorte de cité dortoir pour une ancienne bourgeoisie de province, dont l’ennui est le point commun avec n’importe quel banlieusard) ; encore faut-il réussir à l’écouter. En effet, qui oserait dire que sa voix n’est pas insupportable, que son absence de flow n’est pas rédhibitoire ? Le plus drôle, c’est que Fuzati semble en avoir joué, poussant la provoc’ jusqu’à rendre son album indigeste sur la forme, amenant par la même une saveur aigre, en accord avec l’acidité du propos. Le concept est en tout cas respecté de A à Z et la portée de l’album se trouve peut-être dans l’influence que Fuzati, looser horrible, semble avoir eu sur Orelsan et son personnage de perdant magnifique. – Chafik

Street Lourd Hall Stars

Paru le 16 novembre 2004 | > En mode

Le nouveau millénaire a marqué une évolution esthétique du rap français dont la Mafia K1’Fry a largement été moteur. Alors que les compilations fleurissent et marquent l’époque, il est normal que les trublions du Val de Marne ajoutent leur pierre à l’édifice et ce sera fait avec Street Lourd Hall Star, menée par DJ Mosko, Teddy Corona et Mista Flo – eux-mêmes à la tête du label Street Lourd. Et si l’équipe est tentaculaire, le disque prouve qu’elle n’est pas sectaire. Les rappeurs et les combinaisons (« symboliques ») s’enchaînent. D’où qu’ils viennent, quels que soient leur âge, leur genre ou leur notoriété, la seule condition qu’impose la maison est de tout découper derrière le micro. Et « tout », en l’occurrence, c’est des instrumentales assez simples qui laissent aux protagonistes le loisir et la responsabilité de s’imposer. Les boîtes à rythmes sont toujours au rendez-vous, le jeu est peut-être plus robotique que par le passé mais certainement pas moins percutant. En revanche, les samples se sont vu être majoritairement remplacés par des synthés secs, bruts. S’ils sont typiques du rap français du milieu des années 2000, le temps leur confère un charme que les avancées numériques de la fin de la décennie perdront complètement. Alors que le très grand public se détourne du rap, ses acteurs prennent le maquis et consolident leur propre public. Chaque morceau sent encore le bitume arpenté pour rejoindre la cabine. Malgré une ouverture au monde évidente, la tête de proue ne pouvait être personne d’autre que Rohff. Tout d’abord numériquement, puisqu’il est surreprésenté dans la tracklist et, pour tout dire, personne ne s’en plaindra. Mais, surtout, parce qu’il est au sommet de ce qui sera probablement le plus grand run de l’histoire de cette musique. Alors qu’il sort un double album sans commune mesure la même année, il offre au premier volet de Street Lourd plusieurs classiques et tire tous ceux qui l’approchent vers le haut – au point où Kamelancien y posera ses meilleurs couplets. – Wilhelm

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