Okis et son rêve de rouilleur | Chronique

Si vous êtes plutôt assidus de nos sélections mensuelles, vous avez sûrement entrevu ici et là le nom d’Okis. Le natif de Lyon a distillé tout au long de l’exercice 2022 – 2023 deux EPs, et enfin un album, sorti aujourd’hui.

D’abord, retour en janvier 2022, date à laquelle Okis a publié son premier EP, intitulé Ok , composé de huit morceaux, dont les productions sont pour la plupart des faces B. Bien que le projet possède les qualités et les faiblesses de ces fameuses premières fois, force est de constater que d’entrée de jeu, le rappeur de la cité des Gones sait y faire. Même s’il vous faudra écouter à deux fois certaines rimes pour comprendre les références 100% autochtones, et avoir parfois une certaine connaissance du football (et plus particulièrement de notre très chère Ligue 1), Okis réussit en huit titres à dépeindre déjà un univers cohérent, fait de bières tièdes, de cendriers pleins et de questionnements pertinents.

« Je rappe pour moi, j’quémande pas d’oreille, j’demande pas d’pourboire. Des fois j’écris des gens, un tas d’poèmes, de l’eau, des joints, ou j’fais pas d’beaux rêves »

Il a d’ailleurs sorti un clip pour « Tour De Magie », qui aux côtés de « Beaux Rêves » et « Pelo 2 Ville », se hisse comme deux moments phares de l’EP.

Il y a un an (à quelques jours près), le Croix-Roussien sort son second EP, Rappeur de Lyon. Un titre qui confirme ce qu’on avait palpé à l’écoute du premier projet : Okis est lyonnais et fier de l’être, et son amour pour sa ville est une thématique centrale de son rap.

L’EP est plus court que le précédent et ne compte que quatre morceaux qui, en revanche, semblent beaucoup plus aboutis que ses prédécesseurs. Côté production, on reste sur des BPM assez lents, des samples de jazz, de soul qui puent la poussière des années 70, des instrumentales qu’on pourrait qualifier de boom-bap, même si le terme ne veut plus dire grand-chose depuis quelques années (le débat est similaire pour le lo-fi). Il y a tout de même des productions plus modernes, un peu plus « trap », qui laissent entrevoir d’autres possibilités pour Okis, d’autres placements et schémas de rimes. L’argot reste un élément principal dans le lexique du rappeur et on retrouve une nouvelle fois ici et là de jolis clins d’œil au ballon rond, des thématiques qui deviennent peu à peu inhérentes à l’univers qu’Okis nous fait découvrir. Si le premier avait un peu l’allure d’exercices et de recherches, ce second opus tend plus vers la démonstration technique, un peu à la manière d’un karatéka pratiquant ses katas. Et si je voulais rester moi aussi dans la thématique footballistique, si Ok était une journée de détection, Rappeur de Lyon serait quant à lui les premiers jours dans un centre de formation.

« C’te vie d’mouille fait de la peine, mais je sais que j’vais pas plaquer mon taff pour des rivières, des écorces, des montagnes. Mes gars, c’est mon fort, c’est mon tout. J’viens d’un endroit où rapper mieux qu’les autres, c’est pas forcément ouf. »

Nous voici maintenant le vendredi 3 novembre 2023, date à laquelle le « debut album » (comme disent les ricains) d’Okis sort. Depuis un an, le gars a fait son bonhomme de chemin qui l’a emmené à croiser la route de Mani Deïz, l’un des plus grands producteurs français du territoire (même s’il semblerait qu’il préfère la balle orange). Qui dit Mani Deïz dit sampling de grand malade, productions aux petits oignons, qu’elles soient classiques (85-90 BPM, samples inconnus au bataillon diggés en Ukraine), plus modernes (BPM plus lents, 808 des familles et consorts, compositions plus « minimalistes ») ou encore abstraites (vous n’avez qu’à écouter son magnifique projet The Symphony Of Dr. Olson). Et si cela ne vous suffit pas, cherchez sur notre site, cela fait dix ans qu’on vous en parle.

Bref, revenons à nos grattons. L’album s’intitule Rêve d’un rouilleur (rouiller signifie s’ennuyer) et compte 17 morceaux, dont deux très bons featurings en la présence de Limsa (d’Aulnay) et du vétéran Casus Belli, le tout entièrement produit par Mani Deïz. Vous allez me dire, un album fleuve de 17 morceaux, c’est quand même assez long, et je vous répondrai que vu la longueur du Rhône, c’est pas déconnant. Plus sérieusement, on ne voit pas le temps passer à l’écoute de cet album. Entre les productions qui épousent parfaitement les textes d’Okis, les morceaux bien plus profonds et intimes (« Demain à l’aube », « Tinkiet », « La meuf du snack ») qui manquaient peut-être aux précédents opus, et les moments de grâce parsemés dans l’album (en tête de gondole « Roi des banaveurs », « J’arrive », « Textile » ou encore « Control »), il y a de quoi dicav’, un peu, passionnément, à la folie.

« J’suis sur la corde raide, j’fais pas d’poisson, j’roule du poison. Rien à branler d’les dépasser, j’adoucis l’pét’ dans l’café froid, dans l’Atlas. »

Rempli d’humilité et de sincérité, Okis réussit parfaitement l’exercice souvent difficile du premier album.
Avec beaucoup de justesse et de précision, le Lyonnais – je commence à être à court (s/o Olivier) de synonymes – parvient à nous transporter, de traboules en traboules, de dédales en dédales, dans ses errances les plus profondes, dans son quotidien fait de tacos et de rediff sur OL Play (anciennement OL TV), le tout, entre songes et rouille. Si Lyon a fortement participé à la décentralisation du rap français, il est fort à parier qu’en 2023, Okis en est un de ses lieutenants les plus fidèles.

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