Après le désert annuel que nous avons traversé tant bien que mal, c’est enfin l’heure de la rentrée scolaire, cinématographique ou encore musicale. A l’inverse des derniers mois, pléthore de morceaux sont sortis et il fut assez difficile de n’en choisir que dix.
Le 1er septembre : Sako feat. DJ Djel – « L’œil et le bras »
Parce que le flot d’informations dramatiques est continu, que Nahel, Hedi, succèdent à Zyed & Bouna, à Malik Oussekine et que « (…) les rapports du Ministère de l’Intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu’aucun des assassins n’ait été inquiété ». Parce que l’inflation concerne les produits alimentaires, l’énergie, les assurances, les crédits, et à peu près tout ce qui s’achète, Sako vient nous rappeler que « vivre en France ça coûte un bras, s’en plaindre ça coûte un œil » et que le rap est conscient par définition. Par la même, des puzzles de mots et de pensées nous viennent à l’esprit : on se souvient que « dès le premier biberon on nous enseigne à courber l’échine, à devenir du carburant de la machine », « que se lever pour 1200 c’est insultant », que les pourboires servent pour manger, que « la France est un pays de flics, à tous les coins de rue y en a 100 », que « chaque contrôle de police peut nous rapprocher d’un feat avec Tupac », que le dernier flic que j’ai vu avait plus de vice que le dealer de ma rue, qu’il vaut mieux courir plus vite que les balles. Bref, on se demande « qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu » et ce morceau nous a rappelé que « la sédition est la solution ». En 2023, c’est toujours « nous contre eux ». – Chafik
Le 11 septembre : Freeze Corleone – « Jour de plus » (prod. Hoodstar)
Après un long premier album comportant de nombreux featurings, puis une avalanche de collaborations pendant trois ans, Freeze Corleone a livré le mois dernier un disque plus court, composé uniquement de titres solos. A cette première nouveauté, il faut ajouter des incartades hors des sentiers de la drill, son terrain de prédilection depuis la fin des années 10 (s/o le Flem). Mais si ces changements démontrent que Freeze est capable de briller sur n’importe quel support, ils n’ont pas foncièrement changé l’ADN du rap de Chen Zen, puisque les références restent fidèles à son univers, les mélodies globalement lugubres, et les polémiques téléphonées. Dans cet ensemble, « Jour de plus », en fin de projet, avec un beat 2-step et une texture sonore plus lumineuse, offre un rendu enlevé et inspiré, constituant à la fois un OVNI et un des sommets de L’Attaque des Clones. – Olivier
Le 13 septembre : Jeune LC – « Réalité » (prod. Mehdi El Attar)
La musique de Jeune LC a parfois l’air d’un long tunnel où tous les titres se connecteraient les uns avec les autres. Le concept est clair, Jeune LC rappe sa réalité, son territoire, bien ancré autour des grands boulevards parisiens, le tout avec un lexique bien identifiable. Mais comme sur ce titre, il parvient toujours à trouver de nouveaux angles, de nouvelles images impactantes (« J’mets mes mains en garde dès que la cloche a sonné« ), ou à toucher, pour de courts instants quelque chose de quasi-métaphysique (« La réalité te rattrape comme quand tu rêves de ce que t’as oublié« ). Tout se mélange comme dans un flux de conscience, souvenirs de connaissances passées, images du présent et projections dans le futur. – Jérémy
Le 15 septembre : Ormaz – « Totti » (prod. Woosbad)
Il y a des noms qui reviennent très souvent dans nos colonnes et ce mois-ci le choix devait se faire entre Ormaz et Okis. Et vu que ce dernier va sortir son premier album qui sera très probablement présent dans nos lignes mensuelles, cette fois-ci on s’attarde sur Ormaz. L’ancien membre du Panama Bande poursuit sa livraison sporadique de singles, toujours mis en image par Arthur LVZ mais cette fois ci produit par Woosbad, qu’on avait déjà derrière les machines pour les deux pépites « Dans l’viseur » et « Réflexe » en 2021. Cette fois-ci c’est sur un petit sample de cuivre qu’Ormaz découpe tranquillement même si on pourrait lui reprocher de tourner un peu en rond… Mais de un, avec un titre comme ça il était très important de mentionner ce morceau et de deux, c’est toujours l’occasion de réclamer encore et toujours un projet (EP, mixtape ou album, peu importe mais allons-y). – Clément
Le 21 septembre : Mairo & JeanJass – « Coiffure afro »
JeanJass a coiffé sa casquette de producteur pour accompagner Mairo. Le ton posé du rappeur suisse colle parfaitement au beat et rend le titre bien laid-back. Pourtant Mairo est loin de faire preuve de fainéantise, c’est juste que tout semble facile pour lui, et malgré l’amas d’assonances et d’allitérations, la diction reste parfaite. Les rimes s’enfilent comme des perles bien soutenues par des adlibs etouffés. Le texte ressemble à un long flux de pensées où se brassent des souvenirs, des avertissements et quelques phases sur ce foutu rap. On sent une belle alchimie entre Mairo et JeanJass, et il se trouve que l’EP dont est issu ce titre a motivé le rappeur-producteur belge à reprendre ce rôle de producteur pour d’autres rimeurs affûtés… – Jérémy
Le 27 septembre : H Jeune Crack & Hologram Lo’ feat. Infinit’ – « Joue-la comme »
L’un des rappeurs les plus en vue du moment (H Jeune Crack) croise le fer avec l’un des meilleurs kickeurs de ces dernières années (Infinit’) sur une prod’ d’Hologram Lo (notamment producteur d’1995). Voilà qui a de quoi faire des étincelles. Les deux rappeurs enchaînent les huit mesures en posant comme d’autenthiques maîtres, sûrs de leur force. Les débits sont tranquilles, les intonations apaisées, certes, mais on sent que H Jeune Crack et Infinit’ prennent un malin plaisir à multiplier les punchlines marrantes, l’air de rien, sur un ton pince-sans-rire. Les échanges constants entre les deux hommes, que ce soit par des références internes entre les couplets, ou par ce refrain final partagé, démontrent qu’ils ont pris cette collaboration bien au sérieux. – Jérémy
Le 28 septembre : Jewel Usain feat. Prince Waly – « Eleanor » (prod. Béesau)
Plutot discret depuis son premier opus Mode Difficile en 2021, Jewel Usain a choisi ce mois de septembre 2023 pour faire son retour. Accompagné du toujours excellent Prince Waly, le rappeur d’Argenteuil se met en quête d’Eleanor, la fameuse Mustang du film 60 secondes chrono. Appuyé par un clip à la mise en scène splendide et avec une instrumentale nerveuse et entêtante qui pourrait parfois nous rappeler « No Tellin » de Drake, les deux acolytes délivrent une prestation remarquable. Un magnifique morceau qui se place comme un de mes coups de coeur de l’année 2023. Il ne nous reste plus qu’à patienter jusqu’à l’album. – Clément
Le 29 septembre : Dajoan – « Laisse » (prod. Brother Lion)
Anciennement membre du label Sonatine aux côtés de Fayçal, VII et 2FCH, Dajoan sortait son premier album Cachés(s) au fond du paysage en 2006. Après un EP en collaboration avec le groupe barcelonais Herida Abierta et quelques singles, il semble sur le point de sortir un nouveau long format. « Laisse » en est en effet le premier extrait. Fidèle à son habitude, il rappe avec poésie et sincérité un texte profond sur une production captivante de Brother Lion. Le clip en noir et blanc nous entraîne lui dans les rues de Bordeaux. Il est l’oeuvre de Söze, vidéaste actif au sein de la belle endormie depuis plusieurs années. Affaire à suivre. – Jordi
Le 29 septembre : Ikaz Boi – « J’savais » feat. La Fève
Le beatmaker Ikaz Boi que les plus vifs d’entre vous connaissent pour son travail pour Damso, Ateyaba ou encore 13 Block, a sorti le quatrième opus de sa série d’album intitulée Brutal. Toujours dans la lignée de ses prédécesseurs, le projet accueille plusieurs rappeurs en la personne de Laylow, Stavo, ou encore La Fève (pour ne citer qu’eux). Ce dernier en profite pour proposer un petit banger, soutenu par une prod’ totalement ébouriffante, coproduite avec Kosei. – Clément
Le 29 septembre : Médine – « Paratonnerre » (prod. Kaø & Redzol)
« J’peux pas être homophobe« , « j’peux pas être antisémite« … « Paratonnerre » débute comme une justification, un texte écrit non pas pour susciter des réactions, comme ça a pu être le cas chez lui par le passé, mais au contraire en réaction aux attaques qu’il a subies à la fin de l’été, de la part de la fachosphère et d’une nuée d’opportunistes. La suite du morceau dévoile un texte à mi-chemin entre dénonciation d’un contexte nauséabond et profession de foi, avec la force et le sens de la formule qu’on lui connait, qui n’est pas sans rappeler d’autres morceaux de la riche discographie du rappeur, « Démineur » (2015) en premier lieu. Dans cet ensemble, surgissent ici et là quelques phases montrant que l’affaire aura bien secoué le rappeur du Havre. « Il y a pas de dolipranes pour mes jolis drames, mon arnica c’est l’harmonica de señor Ennio Morricone« . – Olivier