En 1993, le chômage dépassait les 10 %, Makomé était tué d’une balle en pleine tête dans un commissariat du 18ème (Kassovitz s’en est d’ailleurs inspiré dans La Haine), Limoges et l’OM devenaient champions d’Europe pour la première fois dans l’histoire du sport français, Bérégovoy atteignait le nirvana, Johnny fêtait ses 50 ans trois soirs de suite au Parc des Princes, quant à Kostadinov, il brisait les rêves d’Amérique des Bleus. Selon votre âge, vous étiez surement allés voir au cinéma Les Visiteurs, Rasta Rockett, Jurassic Park, Menace II Society, L’Impasse, Métisse ou Il était une fois dans le Bronx. Niveau rap, les States sont à la croisée des chemins avec une nouvelle génération (Wu, Tupac, Snoop, TCQ, Black Moon, ONYX, Naughty By Nature) qui cohabite avec l’ancienne école (Big Daddy Kane, Geto Boys, Ice Cube, Run DMC) avant de la remplacer. En France par contre, l’industrie n’est pas aussi avancée, la production de disques s’étoffe petit à petit. Retour donc trente ans en arrière avec non pas comme à notre habitude vingt, mais dix disques sortis en 1993, le jeune rap français étant en train d’écrire les premières pages d’une histoire sans fin.
Et pour accompagner cette rétrospective, nous vous proposons également un mix d’une heure et quinze morceaux parus en 1993. (Oui, le single « Nouveau Western » de MC Solaar est paru cette année-là, à la fin du mois de décembre.)
Assassin – Le futur que nous réserve-t-il ? (Volumes 1 et 2)
Parus en février et mars 1993 | > Au centre des polémiques
On peut considérer que ce rassemblement de deux EP fait office de premier album pour Assassin, groupe pionnier du rap français. Rejoints peu de temps auparavant par Doctor L, Rockin’ Squat, Solo et DJ Clyde trouvent ici pleinement leur son. L’influence Bomb Squad est omniprésente à la production, et Squat semble très influencé par Chuck D de Public Enemy. Comme en témoigne cette introduction rentre-dedans, bourrée de scratchs et de samples vocaux, on a affaire à un album sans concession. La production assume son côté cadencé, industriel voir bruitiste, fruit du travail d’un Doctor L en feu, et les scratchs de DJ Clyde disséminés un peu partout viennent ajouter une belle surcouche à l’ensemble. Les éléments sonores se superposent et se percutent. On pourrait croire qu’une telle juxtaposition sonne datée, et c’est vrai d’une certaine manière car l’on ne produit plus comme cela, mais Le futur que nous réserve-t-il est loin d’avoir mal vieilli sur ce plan. Ces instrumentaux survoltés offrent un parfait carcan à Rockin’ Squat et Solo (bien moins présent que son compère) qui ont bien des choses à dire. Les thèmes sont toujours précis (l’éducation, l’écologie, les médias, l’indépendance, etc.), malheureusement l’écriture se fait parfois trop didactique, à l’image de l’introduction de « A qui l’histoire ? Le système scolaire » qui démarre tout simplement par « Aujourd’hui, nous allons parler du système éducationnel« . Il y a toujours cette volonté de bien s’expliquer qui mène parfois à des phrases surécrites voir redondantes. Malgré tout, sur bien des sujets, les propos tenus sont encore actuels, preuve que le propos était parfois très pertinent. Les flows peuvent parfois sonner répétitifs, avec ce débit mitraillette, heureusement on trouve quelques moments d’aération, à l’image d’ « Au centre des polémiques ». Comme bon nombre d’albums de cette époque, Le futur, que nous réserve-t-il ? a pris de l’âge sur plusieurs aspects mais reste malgré tout un essentiel du rap français de cette époque grâce aux quelques éléments intemporels qui le composent. – Jérémy
Daddy Nuttea – Paris Kingston Paris
Paru le 1er mars 1993 | > Paris by Nuttee
Qui a dit « Nuttea c’est pas du rap ? » Clairement, ce n’est pas la définition attendue de ce qui ferait un album de rap, dans le respect des règles du genre (admettant que « le genre » en question ait jamais respecté des règles, au passage). D’ailleurs, l’album ne prétend pas en être du tout. Préférant s’inscrire dans la grande famille du reggae, il offre cependant, à l’image de son auteur, une couleur plus métissée qu’il n’y paraît. En ce début des années 90 et au milieu de la profusion artistique qui ébranle un milieu hip hop en pleine explosion, le style de Nuttea s’impose en douceur, dans la périphérie. Bercé par les rythmes vibrants et langoureux des indes de l’ouest, l’album de Nuttea (Daddy, à l’époque) nous transporte dans un monde où les soucis font mine de s’envoler au soleil. Mais le jeune Parisien est clairement influencé par les effluves du rap balbutiant -quoique survolté- qui sortent au même moment des caves de l’île de France, comme elles se répandent avec la même avidité sur la très américanisée Jamaïque. Au détour de certains morceaux, on le découvre ainsi tâter lui-même le flow, caresser un boom bap camouflé sous le beat insulaire. Avec des jeux de placement, des gimmicks sophistiqués, une diction hyper efficace et des rimes assez chaloupées, il nous surprend avec une aisance incontestable, s’illustrant sans faire de manières, là où on ne savait pas qu’on pouvait l’attendre, y compris dans l’exercice de l’egotrip, pourtant peu courant dans le ragga. Sans être l’album de cette décennie, Paris Kingston Paris est un aller-retour entre deux mondes qui s’entremêlent plus qu’on ne pourrait d’abord le penser. Son univers poreux en a fait un pont discret, mais solide, entre des genres musicaux qui se regardaient, se copiaient, se draguaient et s’associaient, avec l’ultime ambition de donner de nouvelles couleurs à la sacro-sainte « variété française ». Nuttea n’en finira d’ailleurs pas de titiller le monde du rap et d’en être un parent proche. D’être, en somme, un acteur -révéré- du mélange des genres, si cher, quoi qu’on en dise, aux auditeurs de notre pays. – Sarah
Suprême NTM – J’appuie sur la gâchette
Paru le 15 mars 1993 | > J’appuie sur la gâchette
17 titres, presque 52 minutes et peu de différence depuis 1991. Dès les premières minutes, on sent qu’on est toujours dans la veine des premières pistes d’Authentik. Le boom bap sur trois beats continue de façonner un débit beaucoup trop homogène. Les textes à rallonge sont peut être même encore plus denses, pas vraiment adaptés au nombre de pieds disponibles par phase, et les backs, pourtant bien sentis, ajoutent à la lourdeur du discours. Le tout engendre inévitablement des décalages sur le beat, éreinte les scratch surpuissants, bref, fleure bon la coupe mulet et le blouson en jean. A la même époque pourtant, d’autres sont beaucoup plus avancés déjà. Le style est plus maîtrisé du côté de Marseille, la complainte est moins lancinante, moins répétitive et plutôt ultra violente dans d’autres départements d’Ile de France. Pourtant, doucement mais sûrement, le Neuf-Trois affirme sa signature. Le duo Shen/Starr est maintenant bien rodé, chacun endosse un rôle bien déterminé, qui déjà, lui colle à la peau. Le phrasé trop épais et les rimes tirées par les cheveux de Bruno Lopes canalisent la bestialité primaire que Didier Morville prend déjà un malin plaisir à déchainer, de sa voix éraillée à des gimmicks sauvages dont ils ponctuent la plupart des morceaux. Les enchaînements et les passes fonctionnent de mieux en mieux, chacun connaît ses forces, capitalise sur celles de l’autre. Si, comme pour le précédent, la majorité de l’album est tombé dans un oubli relatif – et il serait difficile d’en vouloir, même aux fans, qui se régaleront des progrès hallucinant du duo en l’espace des deux ans qui séparent J’appuie sur la gâchette de Paris sous les bombes – certains titres ont tout de même laissé une trace dans l’histoire du rap Francais. Le morceau éponyme en tête, bien sûr, mais aussi le mythique « Police » et son illustre Pujol, et enfin, la deuxième partie de « C’est clair », qui, quelque part, dessine, en fin d’album, une certaine évolution et, en définitive, appelle la suite. A la croisée des chemins entre les 80’s bénies, joviales, révolutionnaires et les 90’s désinvoltes, bravaches et tapageuses, ce second opus, en formation réduite aux deux leaders de NTM, fait figure de témoin. Pas vraiment bon mais franchement pas mauvais, il nous plonge, à la réécoute, dans une jeunesse dont la rage et l’envie d’en découdre coule d’une bouche miséreuse et suppliante, prête a tout pour chuchoter à une oreille enfin à l’écoute. – Sarah
Jimmy Jay – Les Cool Sessions
Paru 13 avril 1993 | > La rue
En 1993, la discographie du rap francophone n’en est qu’à ses tout débuts, et le mot « beatmaker » ne désigne pas encore les faiseurs d’instrus. « Créature mi-homme mi-sampler » (sic) pour MC Solaar et le 501 Posse, Jimmy Jay a déjà quelques faits d’armes notables à son actif, en premier lieu son travail sur Qui sème le vent récolte le tempo, et une notoriété dans le milieu qui lui permet de réunir le casting conséquent que l’on retrouve sur la compilation. La liste des invités regroupe des proches (Sléo, Ménélik, MC Solaar), des artistes raggamuffin (Mikey Mosman, Général Murphy, MC Janick), quelques MC’s expérimentés (Sens Unik, Lucien, GMB), et quelques noms inconnus qui viennent signer là leurs premières apparitions discographiques (Les Sages Poètes de la Rue, Démocrate D, Moda & Dan). Ce premier volet des Cool Sessions constitue bien sûr une belle exposition pour tout ce beau monde, mais il permet surtout de faire briller les talents de chacun grâce aux conditions exceptionnelles dans lesquelles il a été enregistré, entre les machines du Jimmy Studio, le soutien de Solaar qui introduit chaque participant au travers d’une interlude, et le mastering réalisé à New York par le prestigieux label Masterdisk. Le livret, particulièrement soigné, consacre une page à chaque artiste ou groupe, contenant un petit texte de Solaar, et une photo dans des tonalités sombres et classieuses par Philippe Bordas. Une belle manière de mettre en lumière cette scène prometteuse, prête à marquer de son empreinte le rap francophone des années 90. – Olivier
EJM & Etat 2 Choc – La Rue et le Biz
Paru le 26 avril 1993 | > Jack
EJM est déjà un old timer en 1993, à l’image des Little MC ou de Timide Et Sans Complexe. A une époque où il n’y avait que du rap américain, il fait partie des pionniers à rapper en français en 1985, à l’instar de Lionel D. Venant de Vitry, il aura parcouru la banlieue parisienne, rappant là où il pouvait. Il s’est notamment fait remarquer dans le Deenastyle et surtout sur Rapattitude, première compilation de l’histoire, avec son titre « Élément dangereux », marquant le public, avec son gimmick accrocheur et la structure du morceau. Jean-Michel Emilien se distingue donc par un style brut, direct, qui a su parler à toute une jeunesse. Lorsque sort La Rue et le Biz, EJM a déjà une expérience en maison de disque, a sorti aussi le maxi Je veux du cash ; son premier album était donc attendu. S’il continue dans le rap de rue en compagnie d’État De Choc, il va surtout expérimenter les sonorités jazzy sur cet opus. EJM ne s’arrête pas là et se permet d’aller vers le rock sur « Rapn’Roll » (comme en 1995 avec le groupe No One Is Innocent), vers le gangsta rap sur « Gangstaa ». Parfois, il délaisse le rap classique pour tendre vers le spoken word (« Jazz »), l’egotrip pour le storytelling (« Jack »). Les flows semblent un poil trop mécaniques (ils sonnent tellement début 1990’s), mais retenons surtout que ce disque a surement donné envie à rapper à tout un tas d’adolescents. On imagine très bien les futurs Mafia K’1 Fry et Express D valider son rap hardcore, les jeunes Sages Po’ s’être pris la vibe jazzy, Oxmo le cinéphile s’inspirer de ses films pour aveugles, l’adulescent Doc Gyneco glousser sur « Nympho » et l’inclassable Casey capter le délire rock. Notre renégat s’est entouré de Xavier de Nauw pour la pochette, autrement dit le Fifou de l’époque (à moins que Fifou ne soit le X2N de notre époque ?), responsable de pochettes d’albums emblématiques (de Lionel D à Passi, de Démocrate D à Ma 6T va cracker, en passant par Fabe, Cut killer, Arsenal records, 2Bal2Neg’, Ministère A.M.E.R., les tapes Bombattak, jusqu’à Mauvais Œil). La Rue et le Biz, un album bien plus important qu’il n’y parait. – Chafik
LA FIN DE RAPLINE
Si en 1993, à la télévision, Tout Le Sport, Taratata et C’est Pas Sorcier étaient créées, on ne pouvait plus voir l’émission RapLine. Lancée en juillet 1990 sur M6, qui était la chaine musicale, elle était animée par Olivier Cachin, alors à la tête du magazine L’Affiche, lui aussi consacré au rap. Si comme H.I.P H.O.P. de Sydney nous avions droit à une hebdomadaire, il ne fallait pas espérer de créneau en journée ou en prime time, la diffusion se faisait en deuxième ou troisième partie de soirée, le samedi puis le vendredi ; d’une heure, nous sommes passés à 26 minutes la dernière année, comme pour annoncer une fin irrémédiable. S’il s’agissait d’un programme à l’organisation classique (interviews d’artistes, clips diffusés, lives), l’émission a surtout permis à toute une génération de jeunes artistes – des pionniers – de bénéficier de leur tout premier clip. La liste des invités qui en ont profité est impressionnante : d’IAM à Sleo, d’NTM à Sens Unik, en passant par Lionel D, Dee Nasty, Destroy Man, Jhony Go, MC Solaar, Daddy Yod, Démocrate D, Les Little, EJM, Assassin, Ministère A.M.E.R., Ideal J, Soon E MC, Moda & Dan, entre autres ! L’émission se distinguait avec des spéciales rap français, raggamuffin ou lors d’évènements, comme lors de ce concert à Saint Denis réunissant NTM et IAM, en compagnie de Public Enemy pour la 100ème ou avec Redman pour son concert avec Das EFX et Alliance Ethnik à La Cigale. Trois ans et plus de 150 émissions plus tard, c’en était déjà fini en ce 10 septembre 1993, au moment où le rap, français et américain, allait pourtant prendre son envol. – Chafik
Jhonygo – Réalités
Paru le 29 juin 1993 | > Change tes pompes
Considéré comme la première personne à avoir rappé en français avec son compère Destroy Man, Jhonygo est un des grands précurseurs du mouvement hip-hop en France. Passé par le mouvement Black Panther et par la musique rock, il découvre le rap au début des années 80 et fréquente le fameux terrain vague de la Chapelle. Réalités est son premier et dernier véritable album. Ayant eu des conflits avec sa maison de disque, ce n’est pas exactement l’album qu’il aurait désiré sortir. En effet, plusieurs morceaux présents ici ont été écrits et enregistrés bien plus tôt. Un titre comme « Fugitif » a par exemple été écrit en 1988. Jhonygo aurait désiré pouvoir enregistrer des chansons plus récentes pour les mettre sur le disque tout en en évucant d’autres. En effet, bien des choses se sont passées dans le rap entre la fin des années 80 et 1993. C’est sans doute une des raisons qui explique pourquoi l’album sonne parfois si daté, à l’image de « Champion » et son rap particulièrement désuet où il rime pour rimer. Parmis ces vieux titres, on retrouve tout de même quelques morceaux old-school sympathiques comme le portrait bien croqué de « Galère » ou « Change tes pompes », titre traitant des copycats avec un angle amusant. Parmi les morceaux plus récents, on retrouve des choses plus audacieuses comme le maladroit « Toutes les filles » qui séduit tout de même par ses accents reggae et son côté proto-Doc Gynéco ou le spoken-word soulful d’ « Appelle-moi » qui fait son effet. Mais dans l’ensemble, l’écriture est souvent naïve et surchargée, le flow sonne régulièrement daté. Il y a tout de même de quoi regretter qu’il n’ait jamais réellement pu enregistrer l’album qu’il aurait voulu car une vraie identité se cache derrière le personnage. Réalités restera comme une curieuse pièce de musée qui nous donne un aperçu de ce qu’était le rap old school en France et de ce vers quoi aurait pu aller Jhonygo avec un peu plus de liberté. – Jérémy
Guru feat. MC Solaar – Le Bien, Le Mal
Paru le 18 mai 1993 | > Le Bien, Le Mal
Une collaboration sur l’oeuvre d’un artiste américain se fait une place dans cette sélection. Une apparition sur un album, et une déclinaison en format 2 titres et maxi . Et pourtant la participation de MC Solaar sur le premier opus des Jazzmataz de Guru est une pièce majeure dans la galerie d’honneur du rap français. Avant NTM et Nas, avant IAM et la sphère Wu-Tang, c’est bien Claude MC qui signe un premier succès avec une pointure du rap outre-Atlantique. Guru n’est rien de moins que la moitié de Gangstarr. Avec DJ Premier il forment peut-être (sans aucun doute) le duo le plus emblématique du Hip-Hop. Oui, avec deux grands H. Solaar, lui, est déjà reconnu en France bien-sûr, (Qui sème le vent, récolte le tempo explose en 1991) . Dans le même temps, des cartons en Europe de l’Est ou en Afrique, annoncent un phénomène qui dépasse le cadre hexagonal. Et quand De La Soul fait l’Olympia en 1991, c’est Solaar qui gère la première partie. 30 ans plus tard il apparait presque comme une évidence que Solaar ait collaboré avec Guru. La démarche du Bostonien de naissance, est une ode à la musicalité pas étrangère à l’univers de Solaar. Jazzmataz sur lequel apparait « Le Bien, Le Mal », est, comme son nom l’indique, un subtil mélange d’essence rap et de parfum jazz. Sans renier son univers, Guru et ses collaborateurs puisent une inspiration dans une musique qui fait vibrer les (contre)basses, suinter les cuivres, avec un soupçon de swing. Le swing. Une quête pour le flow de MC Solaar. Et comme il l’affirme lui-même en interview : la langue de Molière se prête aussi bien au rap que celle que Shakespeare. Le résultat avec « Le Bien, Le Mal », en est une brillante démonstration. Avec la dualité en trame de fond, français et anglais s’entremêlent, s’opposent, fusionnent, sur une instru co-produite par Jimmy Jay. Le morceau placera un peu plus notre pays sur la carte du rap mondial. Et annoncera de nouvelles collaborations France-USA, dont celles-citées plus haut dans cet article. Y compris pour Guru qui réitérera l’expérience francophone avec brio dès le volume 2 des Jazzmatazz (« Lifesaver » feat. Baybe & Lucien). – Maxime
Bande Originale de Métisse
Paru le 18 août 1993 | > La peur du métissage
Au même titre que le film La Haine n’aurait pas existé sans Métisse, la B.O. et les musiques inspirées des aventures d’Hubert, Vince et Saïd n’auraient pas vu le jour sans ce premier soundtrack. Si l’ensemble est globalement assez éclectique (Michel Petrucciani, Les Maîtres Tambours du Burundi, John Coltrane…), il possède tout de même plusieurs morceaux de rap français, de la part de groupes pas spécialement connus du grand public, révélant déjà une certaine connaissance de la scène de la part de Mathieu Kassovitz. On y retrouve en effet l’énervé et alarmiste « Putain de planète » de Timide Et Sans Complexe, le rap / raggae « Je ne vois que moi » des Little et Daddy Yod, ou encore le matérialiste et jazzy « Je veux du cash » d’EJM. Mais surtout, Assassin ouvre le bal du disque avec « La peur du métissage », un inédit inspiré, présent au générique, et qui vient s’ajouter à la liste des bons morceaux délivrés par l’Académie Mythique en 1993 (cf les deux volets des Futur que nous réserve-t-il ?). À noter qu’Assassin remettra le couvert avec Kassovitz deux ans plus tard en plaçant « L’Etat assassine » dans les musiques inspirées de La Haine. Si le film ne reflète pas encore le potentiel du grand réalisateur en devenir Mathieu Kassovitz, la qualité des morceaux, rap ou pas, font de ce disque une compilation aisément écoutable aujourd’hui, et sans doute la première B.O. contenant du rap francophone. – Olivier
Soon E Mc – Atout… Point de vue.
Paru le 16 novembre 1993 | > 500 one for all
Soon E MC, une étoile filante dans l’histoire du rap français ? Un EP et deux albums, tous sortis entre 1992 et 1996, dont Atout… Point de Vue. en 1993. Quelques maxis éparpillés au milieu. Le meilleur de Soon E MC aurait donc duré le temps d’une olympiade. Mais le MC de Villeneuve Saint Georges commence à bourlinguer dans le frétillant rap francilien depuis le milieu des années 80. Dans le sillage de son pote MC Solaar, et de Jimmy Jay, il porte l’étendard du 501 posse (prononcez « 500 Uno » ou « 500 One »). Le collectif compte certaines des voix les plus familières du rap français des années 90 : Solaar donc, mais aussi Menelik, Lee Ricks (la moitié de Mellowman), Sees (prod / DJ), Bambi Cruz, Strike D… Si le son et le rap de 501 est parfois décrié car trop propre, ou trop « groove » pour certains (dont Kool Shen qui les critique ouvertement), on ne peut nier l’impact du crew et de la touche Jimmy Jay sur le rap français. Leur style est sans doute plus accessible et permet de toucher un public plus large. Pour le meilleur et pour le pire. C’est dans ce contexte qu’éclot Atout… Point de vue. Grâce à Solaar notamment, Soon E MC a fait le tour des scènes, stations de radio, plateaux télé. Se faisant la main sur le tas, il sort son premier album studio en 1993. Trente ans plus tard, le tout sonne comme un diamant qu’on n’aurait pas fini de polir. Les instrumentales dont on devine un certain nombre jouées en studio, sont d’une qualité rare. Le rap lui, est très marqué par l’époque, voire la décennie 80. Soon E MC joue avec les mots, les manipule, au point qu’on se demande parfois si la musicalité des vers n’en prendrait pas un coup. On aimerait que quelques phases profitent d’un enregistrement supplémentaire pour peaufiner les enchainements au micro. Et puis au détour de l’album on se dit qu’il en va ainsi, qu’Atout… Point de vue. est un vestige de son ère. La perfection est parfois l’ennemi du bien, et on n’aimerait pas le morceau collectif « 500 One For All » autrement que servi brut. La force de ce posse cut à l’instru si chère à Brand Nubian suffit à faire de cet album un classique. – Maxime
IAM – Ombre est Lumière
Paru le 23 novembre 1993 | > Attentat II
Et si Ombre est Lumière était le meilleur album d’IAM ? Une réponse positive signifierait que L’Ecole du Micro d’Argent ne serait donc pas le plus grand album de rap français. La question peut sembler provocatrice pour les teenagers tombés amoureux de cette musique dans la seconde moitié des années 90, tant L’Ecole fait partie du patrimoine de chacun (et nous en faisons partie !). Contrairement à d’autres skeuds chroniqués dans ce dossier, ce ne fut pas un effort de se replonger dans le premier double album de l’histoire du rap (US compris) et ses 39 morceaux, vieux de trente ans. Quel plaisir d’entendre nos quinquas durant leur vingtaine ! Akhenaton etl Shurik’N s’éclatent au mic et ceux qui ne les connaitraient qu’à partir de L’Ecole n’en croiraient pas leurs oreilles. L’auditeur qui au plus tard n’est pas né au début des années 80 (vous l’avez ?), pour qui IAM est un groupe sérieux, conscient, risque de se rendre compte que ces lascars ont été jeunes et qu’ils sont drôles comme pas deux. Mais moqueurs aussi, piquants (« Attentat II » – qui n’aurait pas influencé une scène dans le film La Haine d’ailleurs ?), grossiers (« Contrat de conscience » »), voire violents (« Les je veux être ») ! Témoins de leur temps (« J’aurai pu croire »), ils répondent aux haters (« Reste underground »), rappent sur la vie de rue (« L’Aimant »), représentent fièrement leur ville (« Le Feu »), enchainent les storytellings inspirés (« Sachet blanc »), les hymnes (« Le Shit Squad »), les morceaux touchants (« Une Femme seule »), mystiques (« Cosmos »), à la cool (« Le repos c’est la santé »), sans parler du « Mia » (morceau le plus populaire de l’histoire du rap ?)… Les prods vont dans tous les sens, les musiques world et orientales notamment, l’ambiance lorgne du côté de l’Egypte, de l’Asie, quant aux interludes, extraits de films et scratches, ils portent le sceau des Phocéens. Ombre est Lumière est donc léger, drôle, instinctif, marseillais, spirituel, enragé, ouvert, plus que leur album suivant. Surtout, il pose les bases de L’Ecole et de tant de projets sortis durant l’âge d’or du rap marseillais. Pour toutes ces raisons, Ombre est Lumière représente au mieux IAM qui jamais plus n’arrivera à condenser, à assumer toutes leurs facettes sur disque, comme en cette année 1993. Ne venez plus me dire qu’il n’y a pas match entre L’Ecole du Micro d’Argent et Ombre est Lumière. – Chafik
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