Vingt ans après : 2003 en 20 disques de rap français

2003, soit trois ans de forfait Millenium pour les petits chanceux qui avaient sauté sur l’occasion. L’Internet déferle sur la France mais YouTube et Facebook ne sont encore que dans les têtes de leurs créateurs. Google commence à se faire un nom, et on peut désormais taper son rappeur préféré dans la « barre de recherche » pour atterrir sur des Skyblogs ou des pages MySpace capables de vous renseigner (ou à défaut de faire de bonnes blagues). Ça n’a l’air de rien mais d’année en année, l’industrie surpuissante du disque prend de bons coups de canif, tandis que le rap, genre underground par excellence, rampe vers de plus en plus de lumière et atteint toujours plus d’adeptes. Les majors ont eu beau comprendre que le rap allait rapporter, le genre n’est pas docile, c’est son ADN. Il ne restera pas enfermé dans les tours alors que ce nouveau terrain de jeu s’ouvre. Pour l’heure, faire un disque et trouver sa place dans les bacs reste la norme, avec ou sans major, alors voici une sélection de 20 objets qui ont traversé le temps et défié les téléchargements Torrent pour garder leurs places sur nos étagères. – Sarah

Hifi – Rien à perdre rien à prouver

Paru le 4 février | > Rien à perdre rien à prouver

Ex-membre de Time Bomb et des X-Men, Hifi est l’auteur de plusieurs couplets cultes du rap français. C’est quelques années après cette aventure qu’il sort son premier album sur le label 45 Scientific. Un album majoritairement produit par Geraldo et Hifi lui-même et sur lequel on retrouve également Fred le magicien. Ils construisent là un carcan avec des beats puissants, des samples poisseux (le piano inquiétant de « Mon son est ghetto », le piano-violon du titre éponyme) mais aussi des tentatives plus électroniques (« Je suis » ou « Mr l’agent » qui mélange un sample de guitare électrique avec des pulsations angoissantes en arrière-plan). L’écriture d’Hifi est hyper-technique : ses rimes s’entremêlent sans qu’on sache d’où elles partent et où elles finissent (à l’image du début de « Tout c’que les négros veulent »). Il est à la fois cru et direct tout en utilisant beaucoup de comparaisons et métaphores. Rien à perdre rien à prouver parle de la rue sous toutes ses déclinaisons, de ses codifications internes (« Le code de la rue » avec Ali et Nasme, deux des trois featurings de l’album), de la place des policiers (« Mr. L’agent » avec son angle d’attaque original), des soirées ghetto (« Tu fais quoi ce soir ») ou des relations hommes / femmes (« Rates Ghettos »). Il y a donc à la fois une unité totale dans les productions (de par le peu de producteurs impliqués), les thématiques (du fait de l’axe central), les refrains (rappés sans concession), et un esprit de variété puisque que l’album est fait de nombreuses variations sur tous les plans. Sans être un classique connu et reconnu de tous, Rien à perdre rien à prouver se pose tout de même comme un grand album de rap français. – Jérémy

Fat Taf

Paru le 18 février 2003 | > Rap sauvage

« Un concept original, un nouveau projet qui vient faire mal, produit par Ludo concepteur musical, avec des MC’s dangereux sur l’instrumental » entonne Jacky en intro de Fat Taf. A vrai dire, le concept n’est pas des plus novateurs en 2003, année durant laquelle les compilations rap français sont encore légion. En revanche, le fait de ne retrouver qu’un seul beatmaker, Ludo donc, proche du Secteur Ä et inconnu jusque-là, demeure un vrai gage de confiance de la part du label Hostile sur lequel sortira le disque. Le casting, 100% francilien, regroupe des noms déjà bien établis (Oxmo Puccino, Lino, Rohff, Pit Baccardi), des figures alors en passe de devenir incontournables (Diam’s, Ol’Kainry, Kamnouze, MC Jean Gab’1), et logiquement quelques jeunes formations affiliées ou proches du Secteur Ä telles que Futuristiq, Tandem, L’Skadrille et le Ghetto Star (Kazkami, T.Killa). Parmi les performances des uns et des autres, certaines sortent du lot et tapent toujours aussi fort aujourd’hui. Dans cette catégorie, citons le classique « Rap sauvage » de Tandem, « Où je vais » de Diam’s, ou encore « A bout portant » de Rohff, hardcore à souhait, préfigurant le mood de La fierté des nôtres qui sortira en 2004. A bien y regarder, l’originalité du projet tient peut-être au fait de placer tout ce beau monde au même niveau, avec la même chance de briller pour chacun des participants grâce aux instrumentales de Ludo, qui aura su proposer du sur-mesure à tous ses invités, groupes ou artistes solo. Le producteur profitera des retombées du projet pour remettre le couvert en 2007 avec Fat Taf 2, qui contiendra lui aussi son lot de pépites et d’invités talentueux. – Olivier

Kohndo – Tout est écrit

Paru le 28 février 2003 | > La partition

« Dans mon turf j’assure le biz, dix ans que je rap, tu sais pourquoi j’arrive phat. » En 2003, Kohndo possède effectivement déjà une bonne décennie de pratique du rap à son compteur. Pour autant, ce n’est que cette année-là qu’il se décide enfin à sortir son premier album. Fort de son parcours avec La Cliqua et Le Coup D’Etat Phonique, et de quelques saillies en solo, notamment sur ses propres maxis, le rappeur francilien a peaufiné son art et sait désormais la direction qu’il veut donner à son rap. La cohérence musicale de l’ensemble saute aux oreilles dès la première écoute. Les instrumentales (signées Yvon, Stix, Jee2Tuluz et lui-même sur « La partition ») vont piocher dans la musique noire dans son ensemble, de la soul au jazz, en passant par le reggae. Ce n’est peut-être pas anachronique en 2003, mais ce type de sonorités aux influences « Native Tong » ne fait plus partie des grandes tendances du rap français d’alors. En revanche, il permet à Tout est écrit de résister à l’épreuve du temps, et à Kohndo de délivrer un album « signature ». Empreint de positivité et simple en apparence, le rap de Doc Odnock transpire la passion, l’expérience et l’authenticité. Quelques morceaux sortent du lot tels que « La partition » « J’arrive phat » ou « Loin des halls »  et compensent les quelques longueurs de ce premier album, qui était à un featuring (Specko sur « La partition ») d’être un disque solo sans aucun invité. Tout est écrit pose les bases de ce qui constitue l’essence du rap de Kohndo, encore aujourd’hui, et pour cela, il occupe une place particulière dans le cœur de son public. « Plane, parce que le monde est comme une symphonie, ne tient qu’à toi d’en faire une mélo bourrée d’harmonie. » – Olivier

L’Skadrille – Extazik

Paru le 1er mars 2003 | > Le fabuleux destin

C’est, pour beaucoup d’amateurs qui suivaient assidûment le rap français ces années-là, l’une des plus belles références en termes de mixtape. La délicieuse Extazik, concoctée par 13Or, 16Ar et DJ Roc-J, illustre assez bien l’esprit de débrouille du rap indé en 2003, cette détermination à exister coûte que coûte et à fournir de la qualité malgré les moyens du bord. A l’époque, 13 & 16 se retrouvent dans un drôle d’entre-deux après cette décevante expérience au sein du label Première Classe, et sans nouvelle signature en maison de disques. Non seulement ces 25 titres compilés permettent au duo plus connu sous le nom de L’Skadrille d’avoir une actualité côté disque, en parallèle de leur Indépendance Tour avec Sinik et Tandem, mais il propose un savoureux mélange d’inédits (« Le fabuleux destin »), de remix (« Princes de l’Afrique »), de classiques (« Eté 2001 ») et d’apparitions sur divers projets, le tout parfaitement enchaîné par la magie de Roc-J. L’inspiration visuelle et sonore participe également au mythe de cette mixtape. La Cité de Dieu, film brésilien sorti la même année et dont le succès atteint jusqu’à l’Hexagone et ses quartiers, est repris sur la pochette et sert de lien entre plusieurs morceaux avec des extraits vocaux soigneusement choisis. Plus qu’une bonne idée, elle sert de D.A. à un projet qui ne dit pas son ambition. Le succès prendra de court le groupe, et sera tel que le disque sera repressé plusieurs fois, et même réédité avec des titres supplémentaires. – Antoine

Dadoo – France History X – Part 1

Paru le 14 avril 2003 | > France History X

Dadoo est partout au tournant des années 2000, et c’est peu dire, trois ans après l’ultime album des KDD, que son premier disque est attendu. Ce coup-ci, Diesel et Lindsay Barret ne sont plus aux machines, place à Akos et Dadoo lui-même sur les trois quarts du disque, pour un rendu musical paradoxalement pas si homogène. Compositions façons balades (parfois sirupeuses), gros samples de soul et sonorités rap US du sud se côtoient, et habillent un rap beaucoup moins linéaire que ce que Dad PPDA avait pu proposer auparavant. En effet, il utilise sa voix dans de nouveaux registres, en fonction des besoins de l’interprétation. De quoi dérouter les auditeurs de la première heure, ce qui n’empêchera pas à France History X de trouver son public, notamment grâce au single « Sales gosses » (et son fameux clip) qui bénéficiera des faveurs des grosses radios et de la télévision. Si « Sale Sud » était à l’origine un duo Dadoo / Don Choa sur le solo de ce dernier en 2002, les cinq interludes « Sale Sud part. 2 » constituent une succession de solos signés de lui-même et les proches tels que son frère Billy Bats, Falgas… et Don Choa. Un choix de titre pas anodin, puisque le dirty south (« sale sud » en anglais) constitue l’influence dominante de ce disque. Malgré cette évolution, une chose est restée intacte chez Dadoo, à savoir ce goût et cette faculté à raconter des histoires, scènes de vie, portraits ou storytellings (mention au poignant « Main tendue »), à la première comme à la troisième personne, sans jamais lasser l’auditeur. « Making Off », qui conclut l’album, est issu de Taxi 3, O.S.T. sur laquelle il est intervenu en tant que coach vocal la même année. Quant à « Lâchez les fauves », il marque le début d’une relation artistique avec Joey Starr, qui se poursuivra jusqu’à la sortie en 2007 de Gare au jaguar, dont il supervisera la réalisation, avant d’explorer de nouveaux genres musicaux et de s’éloigner progressivement des projecteurs les années suivantes. – Olivier

Kamnouze – Entends mes images

Paru le 14 avril 2003 | > J’accuse ces mots

« En 99 premier solo dans les bacs, aujourd’hui assiste au come-back ! » peut-on entendre en conclusion de l’intro d’Entends mes images. C’est qu’il s’en est passé des choses pour Kamnouze depuis la sortie de La technique du globule noir, son premier album, en 1999. Une signature chez Nouvelle Donne, des collaborations à la pelle, un album commun avec Ol’Kainry et Jango Jack, qui sera l’occasion d’une tournée internationale… Initialement parti pour réaliser un album plein de samples, aux influences new-yorkaises, comme le laissait penser le maxi annonciateur Bloodsport en 2001, ses expériences récentes le poussent finalement à diversifier sa proposition. C’est ainsi qu’on retrouve, comme un contrepoids à la mélancolie et à l’introspection inhérentes au rap de Kamnouze, des titres configurés pour la scène (mention à l’excellent « 4×4 » avec le complice Prince D’Arabee), des balades assumées (« Memories ») et des sonorités actuelles dans le contexte de la sortie de l’album en 2003 (« À travers les temps », « United fire » avec Canibus). Malgré de franches réussites, l’album pêche un peu par sa longueur (19 titres), sachant que Kamnouze possède cette faculté à rapper au kilomètre, et ne pas compter les mesures quand sa plume le démange. Passé cet état de fait, à son échelle, Entends mes images comporte probablement les plus grands classiques de Kamnouze (hors albums de Factor X), tels que « J’accuse ces mots », « Bloodsport », ou « Promise » avec Diam’s, et mérite amplement sa place dans ce dossier. – Olivier

ATK - Oxygène

ATK, EN DIRECT DU STUDIO OXYGENE

En 2003, ATK a mangé son pain blanc. Du groupe tentaculaire du début des années 1990, des deux albums réalisés en comité beaucoup plus restreint à sept à la fin du siècle, puis des compilations menées aux côtés de camarades de région parisienne (Prestige 1998 et Section Est en particulier), il ne reste pas grand-chose. Ou plutôt, il en reste, si l’on prend cette expression au pied de la lettre. Dans l’incapacité de retrouver la dynamique collective qui a porté les jeunes gai-lurons dans leur première décennie d’existence, encore loin d’imaginer que quatre ans plus tard sortira Silence Radio, le crew heptagonal se rabattra sur ce qui existe pour continuer d’exister en tant que groupe. Constitués essentiellement de chutes de studio et de morceaux oubliés datant de l’entièreté de la décennie précédente, les deux premiers volets d’Oxygène sortis en 2003 illustrent à merveille, s’il était encore nécessaire, la frénésie créative caractérisant cette période pour ATK. En particulier, ces disques confirment la prédisposition toute particulière du groupe pour l’art du freestyle, une discipline dans laquelle ils ont écumé les micros ouverts de l’est parisien. Ces qualités s’expriment tout spécialement sur les samples de musique classique qui sont une caractéristique forte de la musique d’ATK. C’est notamment le cas avec « Une place au premier rang », morceau phare de la série des Oxygène, qui reprend tout simplement le célèbre « Pavane » de Gabriel Fauré. Le troisième volet sortira l’année suivante, avec cette fois des morceaux plus contemporains, de qualité moindre pour beaucoup. Mais hormis Silence Radio, ces trois volets seront tout ce que les fans du groupe auront à se mettre sous la dent pendant une longue période. Il faudra en effet attendre la reformation du groupe à la fin des années 2010 pour que la série se poursuive, avec des morceaux s’étalant sur toute la période d’activité du groupe. – Xavier

Mafia K’1 Fry – La Cerise sur le Ghetto

Paru le 28 avril 2003 | > Pour ceux

En 2003, les projecteurs se braquent sur la Mafia K1 Fry, d’autant plus après les succès énormes de Rohff et du 113. D’autant plus après le monument immédiat que fut « Pour Ceux », tant pour la musique que pour le clip. Peut-être d’ailleurs qu’en un sens, ce morceau aura fait un peu d’ombre au disque qui le portait et qui nous intéresse : La Cerise sur le Ghetto. Forts de leurs freestyles ravageurs, les membres parviennent à mélanger leur spontanéité et leur complicité évidente sur des thèmes définis (et quelques freestyles) dans un disque alors aussi frais que cohérent. Nombre oblige, aucune personnalité ne se distingue, pas de temps pour découvrir les affects des uns ou des autres, c’est les qualités de rappeurs qui prennent le dessus. On en connait forcément une partie, que l’on soit un auditeur du grand public ou un habitué des loustics du 94, que l’on soit en 2003 ou en 2023. Les têtes familières nous mettent plus facilement en contact avec les connaissances plus timides. Évidemment, Rohff marche sur l’eau à chaque apparition, mais c’est véritablement tous les membres qui délivrent un travail d’orfèvre. L’esprit de compétition (saine) tire tout le monde vers le haut. Les EP précédents du collectif avaient une influence new-yorkaise assez évidente mais le premier véritable album de la Mafia Africaine pue indéniablement le rap français des années 2000, pour le meilleur comme pour le pire. Autant le clarifier, le pire consiste essentiellement en quelques synthés vieillissants et un refrain dispensable (sur « Official »), en somme un tribut acceptable pour un disque de 70 minutes. Les attentes derrière un tel album sont forcément grandes et les risques d’embuches sont multipliés par le nombre de participants, mais Manu Key et Karlito, principaux architectes de déjà biens des disques, semblent toujours incapables d’échouer. – Wilhelm

Diam’s – Brut de femme

Paru le 23 mai 2003 | > Mon répertoire

Brut de femme, ou le meilleur titre d’album qui fût, pour dire, en trois mots, tout de ce que Diam’s est, offre, promet à la sortie du disque. Cet album, c’est une plongée dans l’univers de ce que le rap a pu produire de plus abouti à cette époque. De la technique, de la musicalité, de la rime, dans ce qui se faisait de mieux. De l’engagement, de la sincérité, de la personnalité, comme on en voyait rarement. De l’ambiance, du style, de la danse, comme on n’osait pas en faire. Ce que d’autres tentaient, avec talent, en groupe, protégés par le nombre, les écuries, Diam’s le fait seule, avec toute la force de son tempérament et de sa voix « de femme » – parce qu’on ne peut pas faire comme si ce n’était qu’un détail. Dans un monde d’hommes, elle a déjà une jolie place. On la connaît, la reconnaît, on salue son travail, son audace, sa gentillesse et sa simplicité. Elle impressionne mais ne fait pas encore trop d’ombre. Or, du haut de son mètre 60 elle a agrégé autour elle, depuis quatre ans et le petit succès d’estime de Premier Mandat, un entourage solide, mêlé de pointures du métier et de rookies prometteurs. De Tefa a Sinik, de Kennedy à Diesel, ils sont déjà – ou toujours – là, l’entourent, la soutiennent mais la laissent montrer la voie. Parce que Mélanie sait où elle va (qui veut lui enseigner son art ?). Elle s’entoure de ceux qui sauront la guider dans les méandres de ce showbiz qu’elle connaît sans encore complètement en comprendre les lois. Depuis un moment déjà les titres sont prêts. Elle le sait, cette reprise survoltée du classique lascif de Sinatra que lui propose Trist’s, elle va faire danser toute la France avec. Et en effet, ce single incroyable, décalé et taillé pour les soirées de l’été qui arrive, propulse Diam’s sur les dancefloors de 2003. Entrée sans frapper dans la cours des grands, elle vend son second album fait d’un grand cœur et d’une âme à vif, à plus de 180 000 exemplaires. L’année suivante elle lèvera la victoire de la musique du meilleur album hip-hop, célébrant ainsi l’entrée fracassante et définitive de tout un répertoire dans le monde d’après. – Sarah

Sniper – Gravé dans la roche

Paru le 19 mai 2003 | > Sans repères

S.N.I.P.E.R, en 2003, c’est une fusée déjà bien loin de sa rampe de lancement. Appréciés, attendus, acclamés, les trois jeunes ambitieux du 95 reviennent seulement deux ans après la bombe Du rire aux larmes avec un album qui, sans aucun doute, ressemble au premier. Bien sûr, les personnalités s’affirment, les styles s’affinent, la musicalité et les harmonies sonnent plus abouties ça et là, mais dans l’ensemble, entre les thèmes et la construction de la tracklist, on est sur un schéma bien rodé au succès du premier opus. Pourtant, si Du rire aux larmes trainait son bon sac de futurs classiques teintés de polémiques, Gravé dans la roche fait péter les compteurs. Il y a d’abord le titre éponyme, morceau de destruction massive qui tournera en radio comme jamais et hante encore certaines (très) bonnes soirées. Mais c’est aussi derrière les missiles « Sans (re)père », « Pourquoi », « Jeteur de pierres », que l’album se fraye un chemin vers la postérité. Entre vie quotidienne et débats de fond, amené avec fragilité et humilité, Tunisiano, Aketo et Blacko confiment leur respectabilité. Ajoutons là dessus l’énorme « Paname Hall Star » qui rassemble tout le gratin du rap francilien pour clôturer un seize titres bien réussi et il était évident que cet album monterait tout pépère sur l’étagère des classiques des 2000’s. – Sarah

Ikbal & Kore & Skalp – Talents Fâchés

Paru le 30 juin 2003 | > Black Desperados

Sans prendre trop de risque, on peut situer un âge d’or des compilations de rap français quelque part entre la deuxième moitié des années 1990 et la première moitié de la décennie qui a suivi. La qualité des disques était au rendez-vous, les rappeurs de premier rang ne rechignaient pas à l’exercice et, il faut bien le reconnaitre, les succès commerciaux et d’estime avaient de quoi les motiver. Lorsque le petit frère d’un des rappeurs les plus importants du moment décide de faire produire sa compilation, aux côtés des DJs Kore et Skalp, on peut imaginer que les invités ne se font pas prier. On ne s’étonne donc pas tellement de voir les pontes du 94 côtoyer d’autres têtes d’affiche. Mais Ikbal met également un point d’honneur à dénicher des pépites et leur laisser des morceaux entiers pour performer et prouver leur légitimité. L’histoire lui donnera vite raison puisque nombre des MCs les moins plébiscités en 2003 tinrent un rôle de premier plan dans le paysage rap français du reste de la décennie, à des échelles différentes – vous avez peut-être entendu parler de Sefyu ou La Fouine. Si la direction artistique très rue était annoncée par le titre et que l’accent sur le kickage semble logique, on sent un véritable amour du rap dans sa globalité. En témoignent les scratches (tant français qu’américains, exemplairement sur l’intro), l’éclectisme dans la production ou le remix de « Made You Look » sur lequel Mac Tyer croise le micro avec Nas, alors que l’instru originale est un peu pimpée avec une touche très française dans les percussions. La voix d’Ikbal accompagne chacune des 30 plages du premier volume de ses mixtapes signatures en tant qu’host. Il fait donc le choix de ne revêtir sa casquette de rappeur que le temps d’un unique morceau, une démarche assez modeste et respectable de la part d’un rappeur qui lancera sa propre carrière dans les années qui suivent. – Wilhelm

IAM – Revoir un printemps

Paru le 16 septembre 2003 | > Mental de Viêt Cong

Après six ans d’absence, IAM revient avec Revoir un printemps. Comment réussir son retour après L‘Ecole du Micro d’Argent, classique parmi les classiques, meilleur album de l’histoire du rap français pour beaucoup ? Défi impossible ? Entre temps, les membres du groupe ont tous sortis de brillants solos et une nouvelle génération s’est imposée. L’attente était forcément immense et nul doute que les Marseillais devaient ressentir une fébrilité certaine. Mais le challenge a été relevé. Les moments de bravoure ne manquent pas, les textes, le point de vue sont toujours justes, qu’ils évoquent les classes populaires, l’ennui, les tensions sociales, la géopolitique ou les héros du quotidien. Akhenaton délivre des couplets magistraux sur « Second souffle », sur « Visages dans la foule » (le switch d’instru est ravageur), Shurik’n rime sévèrement sur « Tiens » (quelle prod !), est poignant sur « Lâches ». Côté featuring, ils ont réussi à convier Beyoncé mais surtout Redman et son acolyte du Wu, Method Man, sur « Noble Art » ! Les productions rejouées par l’orchestre de Sofia amènent une solennité inédite, les scratches de Kheops sont légion, et une édition du CD dispose d’une pochette thermo-tactile en lien avec le titre. Malgré un certain succès commercial, inhérent à la stature du groupe, Revoir un printemps comporte néanmoins son lot d’imperfections. L’album semble franchir la limite entre dense et surchargé (80 minutes…), les couplets font souvent 24 mesures, les refrains sont longs et des titres sont dispensables. Surtout c’est son process qui a changé et ne permet pas de retrouver la magie des disques précédents : Imothep n’est aux manettes que sur deux titres et le duo Akhenaton / Shurik’n doit partager le micro avec Freeman. Cette irruption n’est naturelle ni pour le groupe ni pour le public. Pourtant, il serait bien injuste de stigmatiser le Free’ qui réalise des fulgurances, sur « Mental de Viet Cong » ou « Arme de distraction massive » surtout. Le DVD Au cœur d’IAM, Genèse d’un album, est peut-être le complément idéal pour apprécier à sa juste valeur Revoir un printemps, avec ses qualités et ses défauts. – Chafik 

Freko Ding’ – Mangeur de pierres

Paru le 23 septembre 2003 | > C’est grave

En 2003, Freko Ding, l’un des membres les plus iconiques d’ATK sort son premier EP. Il y fait parler un riche vécu, n’hésitant pas à aborder son passé (et son présent) de galérien, sa santé mentale – thème jusque-là peu abordé dans le rap français – ou bien son alcoolisme. Freko exploite son côté anti-héros et développe sur le fait qu’il ne veut pas être un exemple (cf le titre éponyme), ses faits de gloire étant d’avoir pris une balle dans le ventre, fait de la prison ou d’avoir trop forcé sur la bouteille. Il travaille ces thématiques tout en restant très rue (il le dira plus tard, la rue c’est sa mère) et sans jamais sombrer dans la volonté parfois exagérée de creuser la bizarrerie comme ça a pu être le cas dans le rap dit « alternatif ». Il y a un vrai côté Bukoswki chez Freko : il puise dans son vécu, en rit, en fait de la poésie glauque. Côté rap, on retrouve là toute sa qualité au micro. Sa voix est hyper porteuse et il n’hésite pas à la moduler dans tous les sens, prolongeant ou non ses intonations pour retomber sur ses pattes et créer la surprise. C’est rauque, c’est virevoltant, ça pourrait presque agacer sur un long format tant l’énergie déployée est puissante, mais ça fonctionne parfaitement sur un format court. Les productions, elles, sonnent parfois un peu datées, mais c’est curieusement les expérimentations les plus rock (« C’est grave », « Balle de l’inconnu ») qui ont le mieux vieilli. Porté par une force d’âme hors du commun, et malgré quelques petits défauts, Freko Ding’ a livré là un EP d’une excellente facture, respirant la sincérité et portant bien toute l’originalité du personnage. – Jérémy

Mala – Ma zone

Paru en septembre 2003 | > Bientôt

Ma zone a tout de la mixtape spontanée, enregistrée à domicile au gré des visites des uns et des autres. Réalisée chez Mala, à la cité du Pont-de-Sèvres, ce sont aussi bien des rappeurs totalement inconnus du grand public que des légendes du rap français made in Boulogne qui se succèdent derrière le micro. De fait, alors que le Beat De Boul n’existe plus en tant que collectif depuis déjà trois ans, et que les uns et les autres volent de leurs propres ailes dans différents labels ou collectifs, Mala peut se targuer d’avoir réuni son groupe Malekal Morte, Dany Dan, Booba, Cens Nino et LIM des Mo’Vez Lang, Sir Doum’s, Nysay et Djé sur un même projet. Ma zone porte bien son nom, ce sont les affinités et l’entourage qui priment, aucun calcul. L’ensemble est hétérogène compte tenu des différences de niveau entre tous les participants, et constitue un joyeux fourre-tout où se côtoient des inédits de Mala, des noms très confidentiels sur le premier tiers du disque (mention à Prisco Zbeul), un freestyle du 92i lors d’un concert à Toulouse, une impro de L.I.M, la réponse de B2O à MC Jean Gab’1, un remix de « Jusqu’ici tout va bien », La Fouine et son « Autobiographie », ou une performance coup de poing d’Exs et Salif. Mala, par ses apparitions, ses ambiances ici et là, et son rôle de fédérateur de la scène boulonnaise, donne du liant à l’ensemble, et dévoile, notamment sur l’outro « Bientôt » son envie de passer à la vitesse supérieure que ce soit en solo ou en groupe. Malheureusement, il n’y aura pas d’album pour la Malekal, et il faudra attendre cinq années supplémentaires avant d’avoir droit à l’audacieux et avant-gardiste Himalaya. Il n’empêche qu’au même titre que le pape, le duc ou le king de Boulogne, Mala mériterait amplement un titre de noblesse qui le rattacherait à sa ville. Mais en a-t-il vraiment besoin ? – Olivier

MC JEAN GAB’1, L’HOMME PAR QUI ARRIVE LE SCANDALE

En 2003, le morceau de l’année est réalisé par un ancien braqueur, qui n’avait que faire du rap. MC Jean Gab’1, qu’on avait pu apercevoir dans le clip « Affaires de famille » d’Ärsenik, entendre sur les Liaisons dangereuses de Doc Gyneco et sur Première Classe 1, sort à 36 ans son premier album Ma vie, très largement autobiographique. Si les récits de sa jeunesse tumultueuse peuvent être touchants par moments, on ne peut pas dire que la forme, la technique, soient mémorables, le titi parisien préférant miser sur sa gouaille. Ça ne rappe donc pas très bien et JP 12 prête main-forte dans l’écriture des textes. Mais un titre a éclipsé tout le reste. Dans « J’t’emmerde », Charles M’Bous clashe une partie du rap français, Cut Killer, Dj Abdel, Rockin’ Squat, NTM, Lord Kossity, Lady Laistee, La Brigade, Pierpoljak, Kery James, Booba, Pit Baccardi, Saïan Supa Crew, Ärsenik, Sully Sefil, Fonky Family, Matt Houston et Sheryo. Gab’1 s’attaque d’ailleurs moins à l’artiste qu’à l’humain, le tout sans trop de rimes. Si certaines phases prêtent à sourire, quoique très limites (Sully Sefil et la passoire), d’autres sont assez consternantes (sur Lord Ko’, sur Lady Laistee surtout). L’humour est quasiment absent (en dépit de quelques imitations), le Parisien voulant balancer les dossiers et discréditer ceux qu’ils considèrent comme des imposteurs. Tandis qu’en graffiti le toy relevait de l’ours mal léché, que le rap français avait déjà vu des attaques à mics armés (« Des durs, des boss, des dombis » de Fabe), que le film 8 Mile avait popularisé les battles, MC Jean Gab’1 avait franchi le Rubicon, à coup de violence et de haine gratuites, de médisance, voire d’aigreur, afin de foutre un coup de pied dans la fourmilière, de remettre l’église au centre du village ou de faire le buzz, c’est selon. Si certains rappeurs ont répliqué, notamment sur Reality Mag, l’ère des clashs allait commencer, consacrant une certaine américanisation du rap français, la fin du hip-hop et la désuétude de la devise « Peace, unity, love & havin’ fun ». Quant à Gab’1, il tentera d’exploiter encore le filon en 2010 avec son nouvel album intitulé Seul… Je t’emmerde, ainsi qu’en 2012 avec un nouveau titre polémique, le tout sans succès. – Chafik

Svinkels – Bons pour l’asile

Paru le 23 septembre 2023 | > Happy hour

Le rap français est plus conservateur qu’il en a l’air et il n’a pas toujours été bienvenu d’être original. Les Svinkels en savent quelque chose, eux qui ont trainé leurs dickies dans le rap français, au mieux dans l’indifférence, au pire dans un certain mépris. Trop décalés, Gerard Baste, Nikus Pokus et Mr Xavier ont été classés dans le rap alternatif, appellation fourre-tout pour qualifier ce nouveau courant différent de la norme, tant dans la forme que sur le fond. Les Beastie Boys français rockent la place avec Bons pour l’asile dans lequel le second degré, l’autodérision, leur art de jouir, leur côté soiffard, dénotent forcément à côté des Mafia K’1 Fry, Nysay ou Diam’s. Leur association de gens pas très normals forme un cocktail pétillant. Ce n’est jamais dans la tendance et ça va dans toutes les directions. On croise un faux Richard Gotainer sur l’électro-rital « Le svink c’est chic », des hardeux sur un son de metalleux sur « Hard amat’ », des serial killers sur « Le corbeau », des pochtrons sur « Série noire », « Le plancher m’appelle », « Happy hour » (sur tout le disque en vrai). Le name dropping de nos iconoclastes est improbable (de Hervé Villard à Lance Armstrong) et les prods tendent souvent vers le rock, bien loin du son mobbdeepien du rap français classique. Pourtant, bien mal inspirés seraient ceux qui discréditeraient nos joyeux lurons en considérant leur musique comme du rap chelou, voire du rap de blancs… Le groupe maitrise ses classiques (de Mos Def à DMX, de Manu Key à la FF), multiplie les jeux de mots, les concepts (« Ça ne sert à rien », « Vite fait mal fait »), n’omet ni les professions de foi au hip-hop (« Ma musique »), ni les storytellings (« Série Noire »), ou les morceaux anti FN (comme Mr R et son Sachons dire non 3), le tout accompagnés par Dj Pone et ses scratches endiablés. Levons nos verres à ces beaufs, faisant du slip hop, qui ont cherché à décoincer le rap français. – Chafik

Le Cercle de la Haine

Paru le 30 septembre | > Crise d’adolescence

Pour être tout à fait honnête, la version CD du Cercle de la Haine, réunissant Le K-Fear, Fredo et Doc. K de la Brigade, a connu une première sortie (et une première pochette) en 2001. Cependant, l’album accompagne une œuvre plus complexe, qui ne sortira dans sa forme finale qu’en 2003. Les morceaux qui composent la B.O. suivent une narration élaborée pour un film du même nom, autoproclamé « Le premier film hip-hop indépendant en France », dans lequel les trois rappeurs sont aussi acteurs et co-scénaristes. Une réédition d’un genre particulier, puisque les scènes jouées dans le film (dans un style parfois amateur) sont entrecoupées des clips de morceaux du disque et d’interventions de grands noms du rap autour du thème de l’engrenage de la violence. Ce projet sort à peu près au même moment que le deuxième album de La Brigade, mais se situe davantage dans la continuité du premier. Certains auditeurs nostalgiques du Testament et déçus par les sonorités modernes proposés sur le deuxième opus du collectif auront vite fait de se rabattre sur Le Cercle de la Haine. L’ensemble propose un discours engagé, prônant l’unité face aux guerres des quartiers, avec un rap tout en maîtrise, qui transpire l’expérience, la multisyllabique et la complicité. Cette formation réduite donne plus de place aux trois MC’s, et leur permet de montrer encore davantage l’étendue de leurs talents. « Nous on reste plus qu’audibles (à trois), dans le sillon de la Gad’ le plus possible, si tu reconnais pas dans les textes, tu reconnais juste au sigle. » (Fredo sur « Faut que tout ça change ») Cette double sortie d’un album / DVD en indépendant aura demandé aux trois acolytes un travail colossal via leur structure Les voix du Maât, ce qui explique le retard de la sortie du projet dans sa forme complète. – Olivier

Cinquième Kolonne – Derrière nos feuilles blanches

Paru le 10 octobre 2003 | > Le chant de Kali

Composé de trois rappeurs, d’un DJ et d’un producteur, Cinquième Kolonne, groupe originaire de Saint-Etienne, sortait en 2003 son premier album. Hors du grand axe Paris-Marseille, encore prégnant à l’époque, les Stéphanois ont su développer leur univers dans une esthétique 100% hip-hop. Les productions de Defré Baccara (et de Piloophaz, assumant cinq productions, et Fléow présent sur deux titres) y sont très boom-bap et d’aspect brut avec un choix de samples assez restreints, tirant souvent vers la mélancolie, notamment via la guitare sèche. DJ O’Legg ponctue le tout de scratchs, présents un peu partout dans l’album, dynamisant bien l’ensemble. Niveau rap, Arom est présent sur deux titres et c’est Piloophaz et Fisto qui portent l’ensemble, le premier étant très rentre-dedans, le second un poil plus aérien. Les flows sont précis, puissants, peut-être un peu scolaires, ce qui peut rendre l’écoute de ce 20 titres ardue. L’état d’esprit est hyper-indépendant, le groupe développant son intransigeance au long du disque (« J’peux pas faire autrement que chier sur ce putain de mouvement » lâchent-ils sur le survolté « Fatalité »). En terme de couleur d’émotion, on navigue clairement dans le sombre et le mélancolique tout du long. Ça vire parfois au tragique tant il semble ne pas y avoir de porte de sortie mais le tout est tellement bien conté, tellement finement décrit qu’on se laisse facilement emporter, du sentiment d’oppression de « Stress » à l’amour sous toutes ses formes dans le très poétique « Chant de Kali ». Le côté globalement monolithique de Derrière nos feuilles blanches le rend très compact et homogène, ce qui peut le rendre lassant pour certains, mais c’est son absolutisme qui a participé à en faire un de ces paradoxaux classiques confidentiels. – Jérémy

Disiz La Peste – Jeu de société

Paru le 21 octobre 2003 | > Nébuleuse 

Après un premier album qui manquait d’authenticité, de cohérence, mais porté par le single « J’pète les plombs », Disiz la Peste est de retour avec Jeu de Société. Marqué par les débats qui ont secoué la France en ce début de XXIe siècle, il offre un aperçu des fractures, aberrations et joyeusetés qui traversent le pays, notamment dans le titre éponyme, la pochette et le livret. En parallèle, Sérigne M’Baye, en quête d’identité relative à son métissage, explore son histoire avec pudeur et nous plonge dans son monde. Toujours sincère mais maladroit, il se distingue par une ambivalence : D.I.S.I.Z. est capable du (très) bon comme du moins bon. Quand il est inspiré, il est indéniablement très fort ! Dès l’intro, il vise juste : propos, allitérations, assonances, Disiz expose sa gamberge de mec de cité et de bête de rappeur à coups de phases marquantes (« Rien à foutre de Tony Montana, j’préfère Amélie Poulain » ; « Les vrais gars font de vraies choses »). La force de l’album réside dans le grand nombre de morceaux légers (« J’suis gueze »), caustiques (« Déjà vu », « Oh le ouf », l’interlude avec Dieudonné) et touchants (« Système D »), qui rendent Disiz attachant. Le sommet de l’album est le titre « Nébuleuse », inspiré de son histoire personnelle, qui restera comme une des plus belles chansons d’amour qu’un rappeur ait produit. Contrairement au précédent, JM Dee n’est plus seul à la direction musicale (et n’est plus sur la pochette), Disiz ayant eu envie de poser sur d’autres types d’instrus. On croise d’ailleurs du beau monde, avec notamment Medeline, Gang du Lyonnais, Akhenaton, 20Syl, DJ Mehdi et Komplex. Mais Serigne a la fâcheuse tendance d’être relou, à l’image de la deuxième partie de l’album où les titres naïfs, moralisateurs voire forcés se succèdent, s’enfermant dans le costume du rappeur qui souhaite à tout prix bien paraître aux yeux de tous. Jeu de société est un disque moins consensuel que le précédent, plus risqué avec une proposition plus affirmée, sans single Skyrock-compatible, mais avec des limites. – Chafik

Ness & Cité – Havre de guerre

Paru le 1er novembre 2003 | > Hors de portée

En 2001, la sortie de Ghetto Moudjahidin fait l’effet d’une bombesur la scène rap francophone. À l’époque où les maisons de disques snobent tout bonnement  les groupes de province, il devient dorénavant impossible d’ignorer le talent de Ness & Cité, fer de lance du rap havrais. Une tournée éprouvante et deux années plus tard, voilà que le duo originaire du quartier Mont-Gaillard publie un nouvel album frappé naturellement du sceau de Din Records. Fruit d’un travail acharné et de nuits de sommeil écourtées, Havre de guerre est sans nul doute l’un des meilleurs projets de Proof en tant que beatmaker. En plus des productions et de sa voix, il se charge également du mix des morceaux ce qui laisse libre court à sa créativité et sensibilité. L’énergie et l’ambiance qui se dégagent tout au long du disque est brut et poignante. Le discours est lui pieux, sincère et censé. La complémentarité entre un Sals’a tranchant, insaisissable et un Proof plus paisible mais à la verve toute aussi percutante est flagrante sur des morceaux comme « Hors de portée », « Music Hall » ou « Havre de guerre ». « Ennemis rapprochés » vient quant à lui faire écho au morceau « Dique-sa » de Ghetto Moudjahidin de par son écriture. Nouveau storystelling poignant, il vient mettre en garde la jeunesse contre les dangers des trafics dans les quartiers. En plus des collaborations qui semblent évidentes avec Bouchées Doubles et les membres de La Boussole, Ness & Cité entreprit de traverser l’Atlantique pour enregistrer et clipper le titre « International » dans le Queens avec Royal Flush et Infamous Mobb. Évidemment en toute indépendance. Si Havre de guerre est le dernier album de la discographie de Ness & Cité, ses membres peuvent être fiers d’avoir réussi à créer une véritable entité, solide, unique, militante, au discours exemplaire et inspirant pour toute une jeunesse. « Ils ne savent pas pourquoi on dit « havre de guerre », c’est la guerre pour nous, tous les jours, au quotidien. C’est la guerre contre nous-mêmes, combattre ses défauts, avec les parents, avec nos frères, avec nos soeurs, avec l’entourage. C’est ça la guerre frère ». – Jordi

Nysay – Starting Blocks

Paru en 2003 | > Hematome

Entre 2004 et 2008, Nysay a abreuvé le public de son gangsta rap à la sauce boulonnaise, avec L’Asphaltape (2004), Au pied du mur (2006), puis l’album Si si la famille (2008), trois disques majeurs, à mettre dans le très haut du panier du rap de rue des années 2000. On oublie souvent Starting Blocks, leur premier street CD, qui accompagne le lancement de leur label indépendant en 2003, dans un contexte assez confidentiel. Les titres du duo ne représentent qu’un tiers des 27 que comporte le disque, qui voient défiler derrière le micro quelques noms établis du Pont de Sèvres (Mo’Vez Lang, Zoxea), de l’écurie Néochrome (Diomay, Nakk) et toute une flopée d’artistes peu ou pas connus du public rap d’alors (H.10 Streekt, Derka, Têtes Chercheuses…). Starting Blocks contient cependant déjà quelques-uns des morceaux qui feront la renommée du duo formé par EXS et Cash (aka Salif, aka Fon) sur l’Asphaltape l’année d’après tels qu’ « On vit l’époque », « Le ghetto brûle », « Que se passe-t-il ? ». En cela, la tape se place en marqueur du retour de Nysay, après la parenthèse solo de Salif chez IV My People entre 1999 et 2001, et dans une veine beaucoup plus sombre et désabusée que ce qu’avaient pu proposer les deux rappeurs, au sortir de l’adolescence, au sein des collectifs C2laballe puis Beat De Boul à la fin des années 90. Starting Blocks, dans son ensemble, donne le ton de ce que va être le rap de Nysay dans les années 2000 : indépendant, hardcore, ténébreux, sans aucune concession, qui se démarque par les qualités de rimeurs des deux acolytes. La légende est en marche. – Olivier

Carré rouge – Le Rappel… 

Paru le 14 novembre 2003 | > Faits divers

Si Stone Black, Manolo et Jazzy Jazz ont écumé l’underground marseillais depuis 1996, Carré Rouge explose aux oreilles du grand public sur Taxi. Leur nom s’est retrouvé aussi sur la tracklist d’autres B.O. de films (Zonzon), d’autres compils (L’Odyssée martienneHip Hop Vibes), soit le parcours classique avant la sortie du premier album De la part de l’ombre en 2001, qui ne bénéficie pas de la lumière de la nébuleuse Côté Obscur / La Cosca, le groupe traçant son propre sillon, en indépendant. En 2003 sort donc Le Rappel…, dans lequel la complémentarité des trois rappeurs est toujours aussi tangible, notamment au niveau de leurs voix. Au programme, ces hommes de terrain nous narrent leur vie infecte, une génération Scarface, pleine de faits divers. Le shootstar envoie du rap de rue, contestataire, technique, en phase avec l’époque, marquée par le 21 avril 2002 ou Sarkozy au ministère de l’Intérieur. En plus des titres phares du groupe sortis précédemment, ce qui en fait une sorte de best of (même s’il manque le titre paru sur Sad Street), on appréciera « Faits divers » et sa prod martiale, « Plein de » et son refrain taillé pour la scène, le message de « Peut-être », les scratches réalisés d’une main de maitre par DJ Soon. Les couplets de Stone Black se distinguent le plus souvent, son écriture fluide, son delivery, étant d’une terrible efficacité. Bien qu’autoproduit, on peut regretter qu’aucun morceau de l’album n’ait été mis en image (le groupe ne dispose d’ailleurs d’aucun clip…). Le disque n’aura pas les retombées escomptées et le trio se fera de plus en plus rare par la suite, au point que sa trajectoire illustre d’une certaine manière le rap marseillais des années 2000. Mis à part les Psy4 et IAM, les Phocéens auront eu bien du mal à traverser cette décennie. Pourtant, à l’image de Puissance Nord ou de Berreta, Carré Rouge bénéficie aujourd’hui encore d’une renommée certaine à Marseille, les générations suivantes ayant grandi avec leur son, de L’Ami Caccio à Jul, de Relo à Soso Maness. – Chafik

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