Alors que nous étions plongés dans notre léthargie estivale – à siroter un rhum arrangé banane-ananas-mangue-passion, les pieds dans le sable sous un cagnard écrasant, ou bien un fond de bière tiède sur un banc de parc dans la grisaille (à vous de choisir votre camp) -, les sorties de rap US se sont multipliées, dont beaucoup (vraiment beaucoup) de grande qualité. Retour donc sur un été remarquable, en 20 Bons Sons cette fois-ci.
Tyler, the creator – Stop playing with me
Dans ce riche mois de juillet, personne n’attendait l’arrivée surprise de Tyler qui est venu talonner ses idoles, Pharell Williams et les Clipse. Après le travaillé CHROMAKOPIA, il livrait, avec DON’T TAP THE GLASS, un disque plus direct et instinctif. On y retrouve une bonne partie de ses influences, et notamment, sur ce titre, son amour de la performance rap pure. Dans ce clip à l’esthétique 80’s, il fait parler son charisme dans de longs plans fixes. Le flow est énergique et la production hyper puissante, notamment lorsque les sub-bass se déchaînent sur le refrain. On aime le Tyler chef d’orchestre, plus raffiné, mais il faut avouer qu’à l’instar de Kendrick sur GNX, cela fait du bien de l’entendre revenir avec des propositions frontales. – Jérémy
Larry June & Cardo – Meet me on Harbor
Avec cette association entre Larry June et Cardo, on est en terrain connu. Les production aériennes et aqueuses de Cardo, parsemées d’éléments funk, collent parfaitement au flow lymphatique de Larry June. Ces deux-là tiennent une formule dont ils ne veulent pas se départir, et c’est tant mieux, car en creusant leur sillon, ils font toujours de belles trouvailles, à l’image du refrain de « Meet me on Harbor », où les répétitions se croisent parfaitement avec les élans chill de la production. Comme souvent, sur ce nouvel album, il est délicat de départager les morceaux tant tout apparaît comme un bloc monolithique, mais Larry June semble parfaitement assumer son aspect sisyphien. Il a fait de son côté éphémère une philosophie, comme si la vie n’était qu’une longue ride à trente à l’heure. – Jérémy
Freddie Gibbs & The Alchemist – A Thousand Moutains
5 ans après, Freddie Gibbs et son inévitable compère Alchemist remettent le couvert pour donner une suite à Alfredo, album au combien important dans la discographie du rappeur originaire de l’Indiana. Cette fois ci on a le droit à 4 morceaux de plus et le nombre d’invités est un peu plus mince : JID, Anderson Paak et Larry June sont de la partie pour notre plus grand plaisir. Même si les morceaux de grandes qualités de manquent pas tout au long de ces 47 minutes, j’ai choisi de mettre en avant le morceau « A Thousand Mountains » (et sa flute entêtante) magnifiquement mis en image par Nick Walker à qui les deux lurons ont confié la réalisation visuelle de l’album. – Clément
Knucks – Cut Knuckles (prod. emil, Beat Butcha, Venna & Swindle)
Dis donc ça faisait pas mal de temps qu’on avait pas parlé de Knucks dans nos colonnes. Très discret en 2025 (on peut le retrouver aux côtés de Sainté sur l’EP 3 titres Summertime de SL sorti en juin), le rappeur du label NODAYSOFF a profité de ses derniers mois pour peaufiner la suite. Et quelle est-elle ? L’album A Fine African Man prévu pour cette année. En attendant, savourons ce petit bonbon à l’instru’ superbement groovy où Knucks ballade son flow avec le flegme qu’on lui connait. Il manquait un morceau UK à savourer aux bords de la piscine. – Clément
Estee Nack & V Don feat. Ty Da Dale – Colder
Un peu plus de deux ans après le premier volet, Estee Nack et Vdon remettent le couvert avec BRAP 2 (pour Born Rewards And Penalties). Particulièrement actif cette année, en ayant produit ce qui est sans doute le meilleur des 500 albums sortis par Boldy James cette année, le deuxième volet de Catch me if you can avec Willie the Kid et un EP avec la Black Soprano Family, Vdon montre qu’il en a encore sous la semelle. Ce d’autant qu’Estee Nack, sa voix cassée, sa diction irrégulière et son style globalement peu académique proposent au beatmaker un terrain de jeu différent des rappeurs précédemment cités. Et la sauce prend toujours, le duo proposant encore un album consistant, dans la parfaite lignée du premier opus. On vous aurait bien mis le clip de « Lakota Dream Catcher », mais il était sorti en juin, alors voilà celui de « Colder », un petit 2 minutes avec le trop rare Ty Da Dale en invité. – Xavier
Curren$y – 355 Spiders (prod. Harry Fraud)
Les qualificatifs manquent pour évoquer la carrière de Curren$y. Le Louisianais est en pilote automatique total depuis plusieurs années, mais dans un créneau qui convient totalement à cet état de fait. Avec 7/30, il ne se fatigue même plus à chercher des titres à ses sorties, puisque c’est tout simplement la date de publication de l’album. Pas de beatmaker attitré cette fois (même si l’on retrouve forcément les fidèles Trauma Tone et Harry Fraud sur une bonne partie des tracks). Et quelle surprise ! C’est évidemment un morceau produit par le dernier nommé qu’on va vous donner comme amuse-bouche. Sur « 355 Spiders », le génial newyorkais est allé nous chercher une boucle de trompette qui retourne le crâne, associée à une batterie lancinante à ne pas mettre entre toutes les oreilles. – Xavier
Smoke DZA feat. Kai Ca$h – In That Order (prod. Marcelus Airlinez)
Quelques semaines après sa Barcelona Tape dont on vous parlait déjà, Smoke DZA continue son tour d’Europe en hommage à la Dream Team américaine de basket des JO de Barcelone en 1992. En effet annoncé sur instagram accompagnée d’images de la rencontre entre les Etats-Unis et l’Allemagne de ces JO, On my way to Berlin est encore un opus solide pour le rappeur d’Harlem, avec son traditionnel cortège d’invités et de beatmakers de tous horizons. On vous met ce « In That Order » avec le très bon Kai Ca$h (que l’on ne connaissait pas) et surtout cette instrumentale d’outre-tombe de Marcelus Airlinez. – Xavier
Joey Bada$$ – Dark Aura (prod. Chuck Strangers & Moo Latte)
L’un des rois de New York (n’en déplaise à Abel Ferrara) a sorti son quatrième album studio, l’année de ses 30 ans. Et le casting est de qualité, puisqu’on retrouve Westside Gunn, A$ap Ferg, Rome Streetz, CJ Fly, Ab-Soul, Rapsody ou encore Ty Dolla $ign. 11 titres, produit par là aussi une tripotée de producteurs (on retrouve évidemment ce bon vieux Statik Selektah), qui oscillent entre morceau très rap et tentatives claires de morceaux plus mainstream, pour plaire au plus grand monde et pour parfaire la formule que Joey semble adopter depuis quelques temps déjà. Quoi qu’il en soit le projet possède des qualités indéniables même si personellement certaines tracks me laissent de marbre. En tout cas, le morceau qui ouvre l’album me régale, avec cerise sur le gâteau une prod’ de Chuck Strangers. – Clément
Westside Gunn – Blow Hendry feat. MIKE (prod. Myles)
Le bon vieux pistolet de la rive ouest a profité de la fin du mois d’aout pour sortir son sixième album studio, intitulé Heels Have Eyes 2, la suite directe de son EP du même nom sorti plus tôt dans l’année (en avril pour être précis). Bien entendu vous aurez droit à des « ayooo », des « brrrrrrrr », « grrrrr », « rrah, rrah, rrah » et des « popopopopopo », cette fois ci accompagné d’une belle brochette de featurings : Skyzoo, MIKE, Stove God Cooks ou encore son éternel acolyte Benny The Butcher. Côté producteurs, on retrouve Cee Gee, Myles, Conductor Williams ou encore Denny Laflare pour délivrer des pépites boombap bien poussiéreuses bien griseldesque mais aussi quelques ambiances plus jazzy et moins macabres, ce qui rend forcement l’ensemble plus digeste. Si le morceau de presque introduction « Heel Cena » est un véritable banger, le featuring inattendu avec MIKE est un des moments intemporels du projet. Aaaaah… ces rappeurs aficionados de catch, qu’est ce qu’ils peuvent être doux quand ils veulent. – Clément
Juicy J & Endea Owens feat. Black Thought – Please, stop the violence in hip-hop
Si on m’avait dit qu’en 2025 la légende Juicy J ferait un album commun avec Logic (le rappeur préféré de notre rédacteur Wilhelm) et sortirait deux albums en août, dont un de jazz, j’aurais sûrement répondu qu’il fallait arrêter le chanvre et le 51. Mais force est de constater que l’album en collaboration avec la compositrice et instrumentiste Endea Owens, épaulée par Cory Henry, est une grande réussite. Un bonbon aux sonorités feutrées de saxophones, de piano, de guitares et de violoncelles, avec un goût de reviens-y prononcé. On retrouve même l’incroyable Black Thought sur le morceau sélectionné ici. Un pur moment de grâce et de communion musicale. – Clément
Young Nudy – GOAT (prod. COUPE)
Young Nudy est en train de se construire une solide discographie, et avec PARADISE, il démontre à nouveau qu’il est un des rappeurs les plus constants d’Atlanta. C’est toujours un plaisir d’entendre son flow et de constater la qualité de ses choix de production. Sur ce titre, il a choisi une instrumentale vrombissante de COUPE pour dérouler ses gimmicks et ses lyrics menaçants. Il y rappe fusil en l’air dans un égotrip où il ne cesse de provoquer ses ennemis d’une voix rentrée qu’il appuie par des adlibs à tout va. De quoi satisfaire tous les amateurs originels de trap. – Jérémy
Earl Sweatshirt – TOURMALINE (prod. Theravada)
Après le décomposé SICK! et VOIR DIRE, album transitionnel sur lequel The Alchemist assurait la production, Earl vient de livrer un album qui poursuit parfaitement son narratif intimiste. Sur « TOURMALINE », on l’entend même étonnement libéré, poussant la chansonnette d’un air nonchalant, et rappant avec plus d’impact que d’ordinaire. Heureux marié, père d’un premier enfant, Earl commence à voir le bout du tunnel et nous le conte avec une écriture toujours aussi imagée. L’auteur de I Don’t like shit I don’t go outside se révèlerait donc être un homme heureux ? Rare sont les rappeurs dont on suit avec autant d’intérêt le parcours de vie. – Jérémy
Evidence – Different phases (prod. Beat Butcha & Coop the Truth)
Evidence semble suivre sa propre voie depuis bien des années, détaché du game, tout en étant soutenu par l’écurie Rhymesayers. Sur ce Unlearning volume 2, on dénote bien peu de featurings, et c’est tant mieux. Même les productions signées par d’autres semblent sortir de ses machines. Comme sur ce titre, son univers lyrical reste toujours simple mais prenant, à la fois très personnel et ouvert à l’identification pour l’auditeur. Son flow lent et précis et ses productions stone font toujours des merveilles. Il est rarement impressionnant à la première écoute, mais il est toujours difficile de sortir de son univers une fois l’album égrainé. – Jérémy
Sameer Ahmad & Blu – The Big Picture (prod. Lo_Eye)
Le beatmaker du collectif Spice Programmers, Lo_Eye, a réussi la prouesse de réunir deux des plus belles plumes de leurs pays respectifs : le Montpelliérain Sameer Ahmad et l’Angeleno Blu. Joli riff de basse, petit piano cristallin, deux gros couplets et quelques cuts signés Skeez’Up : voilà la recette d’un banger estival réussi. À noter que Lo_Eye produit ses morceaux sur son téléphone grâce à l’excellente application Koala Sampler – preuve qu’il ne faut parfois que du talent et de la créativité pour faire de la bonne musique. – Clément
Clipse & Pharrell Williams feat. John Legend & Voices of Fire – The Birds Don’t Sing
Choisir l’introduction d’un album dans nos colonnes peut parfois sembler un peu fainéant alors qu’il y a tout un tas de raison légitimes de le faire. C’est le cas avec « The Birds Don’t Sing », qui ouvre Let God Sort ‘Em Out, le tant attendu premier album des Clipse depuis X années (et premier bon album depuis Y années… on peut le dire ?). Revenant sur la perte de leurs parents dans deux couplets poignants, introspectifs et intimes, le morceau ouvre parfaitement un album qui prouve, si besoin était, que l’âge n’est pas une raison pour se mettre à mal rapper, ni une raison pour devenir chiant. On vous met aussi le Tiny Desk, sorti dans la foulée, car nous sommes généreux. – Wilhelm
Raekwon feat. Nas – The Omerta (prod. Nottz)
Il faut croire que l’été 2025 était celui des rappeurs d’un âge avancé, d’une autre époque… des vieux ! Ce bon vieux Raekwon est du voyage, bien décidé à montrer qu’il en a toujours sous la pédale – sans doute plus que sur son précédent album d’ailleurs. Malgré quelques morceaux en dessous, The Emperor’s New Clothes est un très bon disque et on prend un plaisir monstre à retrouver une légende en grande forme. On retiendra notamment « The Omerta » pour le couplet fracassant de Nas. – Wilhelm
Ghostface Killah feat. Method Man – You Ma Friend (prod. Ray Ray Scavo III)
Pour le dernier morceau du deuxième volet de Supreme Clientele, Ghostface Killah est épaulé par son ami de longue date, et aussi l’un des meilleurs rappeurs que la grosse pomme ait porté, Method Man. Les deux comparses parviennent à transformer un petit piano pas désagréable mais terriblement cliché en une véritable ode à l’amitié. S’ils ne semblent pas spécialement s’adresser l’un à l’autre, le symbole est fort et les deux sorties du Chef et du vrai Tony Starks séparées d’à peine quelques semaines, sous la houlette du label de Nas, Mass Appeal, ne font que renforcer le sentiment. – Wilhelm
DJ Premier & Roc Marciano – Execution Style
À la suite d’une rencontre dans l’aile Armani du supermarché que fréquentent les deux monuments, le projet d’un disque commun est amorcé. D’abord dans des tons classiques de Primo, Roc Marciano semble faire pencher la balance vers son univers dans l’ultime morceau, « Execution Style ». Les percussions, plus dégagées, laissent le storytelling de Marci prendre toute la place qu’il mérite et nous trainer dans un New-York de film noir dont on ne manquerait les histoires pour rien au monde. – Wilhelm
Babyface Ray feat. JMSN – Don’t Misuse Me (prod. 4amjuno & Okay Jones)
Si la fournée de l’année passée, The Kid That Did, était un peu en dessous des albums précédents de Babyface Ray, Codein Cowboy redresse largement la barre. Le rappeur de Detroit y poursuit ses pérégrinations habituelles, en explorant cette fois un univers sonores qui tend vers le R&B sans sortir de Détroit. Les aficionados trouveront ce qu’ils ont pu aimer depuis toutes ces années, mais nous avons choisi de garder « Don’t Misuse Me » qui est à ce titre particulièrement réussi. Le couplet unique et le refrain répétitif du rappeur se mélangent parfaitement aux ponts/refrains/ambiances de JMSN – avec le M avant le S, il faut donc lire Jameson et pas Jasmine, vous vous étiez peut-être pas trompé mais nous pas du tout. – Wilhelm
Sada Baby – Newport 500s (prod. Traxx FDR)
Surprenante forme pour Sada Baby qui sortait son quatrième disque de l’année en juillet, THE GREEN TAPE DX. Derrière une évidente référence au catch de la fin des années 90 et du début du siècle et la pire cover de sa carrière, le diable de Détroit nous abreuve de très bons morceaux. Sur « Newport 500s » il se défoule presque sans jamais se reposer, parfaitement conscient qu’on adore quand il monte en intensité sur des samples soul/funky. Il se laisse même aller à la chansonnette en fin de morceau et mâche le travail aux enquêteurs de la brigade des samples (ou aux curieux), répétant 12 fois où trouver le morceau utilisé. – Wilhelm