25 ans après : Belly | Disscussion avec DJ Flexta & Le Boug Arknow (Paroles Véritables)

Voilà plusieurs mois que nous n’arrivions pas à trouver un créneau avec Arknow et DJ Flexta de Paroles Véritables pour parler cinéma, et la sortie du morceau « Belly » de Prince Waly & Dinos nous a mis le pied à l’étrier pour aborder le premier long métrage de Hype Williams, sorti en 1998, avec Nas et DMX en rôles principaux. L’occasion pour nous de revenir sur ce film iconique, le passé de clippeur du réalisateur, la carrière de Nas, de DMX, sur le doublage de la version française, la fin des années 1990, la scène d’intro, les hood movies, les rappeurs au cinéma, notamment. Autant dire que la discussion a été bien plus longue que prévue avec ces deux amoureux de la culture.

Pour commencer, j’aimerai savoir quand est-ce que vous avez découvert le film Belly : à sa sortie, durant l’âge d’or des hood movies ? Ou un peu plus tard ?

DJ Flexta : Dès sa sortie en France, en cassette vidéo, en 1998 et ça ne nous rajeunit pas. (Sourire) On en avait entendu parler parce qu’on avait vu le trailer et on s’était dit : « Wouaw, c’est quoi ce truc de ouf ?! Avec Nas en plus ! ». Belly arrive l’année où DMX sort deux albums : on se disait : « Il est partout et en plus il fait un film ! ». C’était plutôt rare à l’époque les rappeurs qui tournaient au cinéma.

Arknow : Moi j’ai dû refaire mon éducation parce qu’à la sortie du film j’avais neuf ans. C’est en rentrant au lycée que j’ai écouté des classiques, à regarder des clips via Canal Satellite à l’époque. Quand internet arrive à la maison, c’est là que je vois le film. On m’en avait parlé, je l’ai cherché et je l’ai trouvé.

Tu parlais de clips que tu regardais, le réalisateur Hype Williams vient de là et a clippé pour peut-être tout le rap US, de Biggie à Tupac, de Busta Rhymes à Puff Daddy, en passant par le Wu, LL Cool J, Missy Elliot, Outkast, TCQ, Mase, Mary J, Warren G, MOP, et j’en passe. Quel(s) clip(s) vous a le plus marqué ?

Arknow : Missy Elliot avec « She’s a bitch ». C’est trop ! Jusqu’à aujourd’hui, le clip est incroyable. Je rajouterai aussi « All N My Grill ». Quand je pense à Hype Williams, je pense d’abord à ces clips-là, après me viennent en tête ceux pour Busta, pour Mase. Mais la connexion Hype Williams / Missy Elliott, c’est pour moi la plus légendaire.

Aussi vrai que Missy et Timbaland vont de pair, Missy et Hype Williams vont ensemble, avec une sacrée audace. L’association Nas / DMX se fait en 1998 à un moment particulier dans leur carrière respective : alors que Nas a sorti son classique Illmatic en 1994…

Arknow (coupant la parole) : Attention à ce que tu vas dire ! (Rires)

Les problèmes vont arriver… Après son premier album classique, il sort It was written, un très bon album …

Arknow (coupant encore la parole) : Non, non, non ! Je ne comprends pas comment ça peut être discutable. It was written est un grand classique ! On oublie souvent qu’à sa sortie, tout le monde l’écoute : Pac, BIG, Jay Z, tout le monde ! Tout le rap game l’écoute et même le grand public. C’est l’album de Nas qui a le plus vendu ! Il est rentré chez tout le monde. Dans le débat Illmatic versus It was written, longtemps je disais le premier mais aujourd’hui en 2024, je dis It was written.

Je vais reprendre en disant qu’après ses premiers albums, Nas sort The Firm, qui est en dessous. De l’autre côté, on a DMX qui sort deux projets en 1998, qui se placent à la première place aux Billboard. Pour moi, c’est clairement DMX le personnage principal du film.

DJ Flexta : Clairement. Disons que le hasard fait bien les choses. Même s’il n’y a pas vraiment de hasard parce que pour ce film-là, ce n’est pas DMX qui devait jouer aux côtés de Nas. Jay-Z était pressenti ainsi que Tyrin Turner qui jouait Caine dans Menace II Society (lire notre interview sur ce film avec Sindanu Kassongo ici).

Arknwo : C’est lui qui joue d’ailleurs le mec avec la permanente et les bananes dans Belly !

Vous avez découvert le film en version originale ou en version française ?

DJ Flexta : Malheureusement en version française. (Rires)

En dépit d’un beau casting, on ne peut pas dire que le doublage soit à la hauteur.

Arknow : En effet, il y a un casting de ouf pour le doublage mais ça n’a pas rendu les choses aussi belles que ça devait. C‘est comme quand on parle de The Firm, tu as un casting de fou mais l’album n’a pas convaincu tant que ça. Mais ça n’enlève rien à la qualité du disque. Quand tu regardes le film en version originale, la différence est trop flagrante.

DJ Flexta : Avec du recul, ce n’était pas si catastrophique que ça. J’aime la démarche où les mecs se sont dit que pour un film avec des rappeurs, ils ont voulu prendre des rappeurs pour le doublage. L’intention était bonne.

Le choix de Joey Starr pour DMX et Oxmo pour Nas, ça a du sens. Dommage qu’ils n’aient pas pris deux gars qui étaient un peu plus connectés peut-être ?

DJ Flexta : Surtout des mecs plus expérimentés. On a eu la chance de recevoir Asto Montcho qui fait du doublage, qui fait la voix de Method Man dans la série Wu-Tang, et il nous expliquait que pour faire du doublage, il faut être comédien. Il faut interpréter le texte, pas juste le lire.

Le film propose un voyage dans le temps à la fin des années 1990, et dans l’espace avec le Queens, avec la mode de l’époque, les Avirex, Phat Farm, Pelle Pelle, etc.

DJ Flexta : C’est un défilé de mode ce film ! 

Arknow : L’imagerie, la maison de Tommy, les tableaux, esthétiquement c’est super bien léché !

DJ Flexta : Hype Williams est très fort dans l’iconisation. Certaines scènes sont même reprises dans d’autres films, d’autres clips, tellement elles sont mythiques. Taral Hicks, dont j’étais amoureux, une chanteuse magnifique, est utilisée à contre-emploi dans Belly, dans le sens où elle est toujours aussi belle mais elle est ghetto, malpolie, ultra sexualisée, comme quand on la voit dormir : elle est magnifique dans cette scène ! C’est là que tu vois que c’est un clippeur et qu’en terme de photographie, chaque plan devait être magnifique. C’est comme si le film était un long clip.

Quand on parle de scène iconique, on pense directement à l’introduction du film qui est mémorable. La chanson de Soul II Soul, le ralenti, la lumière…

Arknow : L’entrée dans la boite, l’attitude qu’ils ont, la lumière bleue, les yeux qui changent de couleur, la musique, le braquage, la fuite, c’est magnifique !

DJ Flexta : Tout fonctionne ! La musique qui est en contraste avec la scène : les gens dansent dans une boite sur des sons turn up, le ralenti lorsque les mecs rentrent dans la discothèque. Je vois cette scène-là comme un documentaire animalier, tu vois les lions arriver dans la savane, en bougeant lentement et en voyant leurs proies qui ne se doutent de rien. En plus, ils sont démonisés dans cette scène-là, ce ne sont même plus des êtres humains. Dès lors que tu les vois, tu comprends qu’ils vont faire un truc bizarre. Dans leur attitude, leur manière de marcher, tu sens qu’ils ne sont pas nets et qu’ils comptent faire un sale coup. Tu as le calme avant la tempête, puis l’attaque. C’est une des scènes les plus belles de ce type de film.

Arknow : On peut critiquer le film, j’accepte, mais l’intro, elle est parfaite !

Le film se distingue davantage par son aspect visuel que sur le fond. Sur la forme, le film est réussi, mais sur le scénario, même si Nas a participé à son écriture, il manque quelque chose à l’histoire.

Arknow : L’histoire est belle mais Hype Williams est juste un réalisateur de clips. Il n’a pas su mettre les ingrédients pour rendre ce film aussi bon qu’on aurait voulu qu’il soit, dans le sens où le casting est fou, l’image est folle. Mais est-ce qu’il s’y connaissait suffisamment ? Lui demander de faire un film à la hauteur des attentes, je pense que c’était un pari trop risqué pour lui.

L’époque voulait que les hood movies fonctionnaient bien au cinéma, d’autant qu’ils ne nécessitaient pas beaucoup d’investissement mais généraient beaucoup de bénéfices. Celui-là pour le coup a coûté cher et n’a rapporté que dix millions de dollars.

Arknow : Si tu donnes ce film à un Michael Mann, lui peut en faire quelque chose de sérieux. Hype Williams n’était pas encore prêt.

DJ Flexta : C’est un clippeur ! Belly manque de rebondissements. Il manque un twist dans le scénario. L’univers est planté, les personnages sont intéressants, on a des intrigues mais il ne les exploite pas assez. Le seul twist, c’est la rédemption de DMX, mais ce n’est pas assez puissant. Il manque un traître ou un truc inattendu. C’est d’ailleurs le cas de beaucoup de hood movies de l’époque. Retranscrire une réalité difficile ne suffit pas à faire un bon film. C’est comme si Hype Williams avait pris ce qu’il sait faire, avait pris ses films préférés, avait fait un mélange de tout ça et il a sorti ce film-là. Tout au long de Belly, tu sens l’influence de Scarface, sur plein de scènes, c’est limite du copier-coller.

La rédemption des personnages, notamment celle de DMX est peut-être l’aspect le mieux réussi dans le scénario, avec Nas qui cherche à s’en sortir, qui est le plus posé des deux, mais est rattrapé par la vie de rue et doit tuer pour survivre tandis que DMX doit tuer le révérend et au final il l’épargne pour rentrer dans le rang.

DJ Flexta : Oui mais c’est mal amené. Cette rédemption de DMX est trop soudaine. Il manque peut-être une scène ou deux pour que ça soit plus progressif, plus crédible. Tu ne peux pas passer du démon qu’il était au gars qui veut se ranger.

Je trouve par contre que le retour en Afrique souhaité par Nas est un peu too much. Il existe une sorte de fantasme aux États-Unis sur ce Back to Africa. J’ai du mal à imaginer des New Yorkais au Liberia ou au Ghana.

Arknow : Personnellement, j’ai trouvé cette scène crédible. Quand je suis allé à New York et que je parlais avec les mecs de là-bas, il y en a beaucoup qui ont cet objectif de s’installer en Sierra Leone, au Liberia, au Ghana, tous les pays anglophones en vrai. Parce qu’ils sont dans un pays où la police tue plus qu’Ebola. On leur dit qu’ils sont Afro-Américains et qu’en Afrique, ils sont chez eux. Il existe cette peur de l’inconnue dans le sens où beaucoup en parlent mais peu le font. Après quand tu regardes lorsqu’il y a des évènements, des festivals au Nigeria, au Ghana, il y a beaucoup d’Américains qui y vont. Dans To Pimp a Butterfly de Kendrick, il fait un morceau qui s’appelle « Momma » où il parle de ça, de rentrer à la maison.

DJ Flexta : Si on recontextualise, à la fin des années 1990, effectivement c’était un peu un fantasme. On était dans le New York de Rudolph Giuliani qui les fait terriblement souffrir. Beaucoup d’Américains idéalisent l’Afrique. On en est revenu aujourd’hui mais c’est vrai que dans le film c’est un peu abusé même si c’était un objectif pour beaucoup. Ils étaient nombreux à aller sur l’Île de Gorée, pour renouer avec leur histoire.

Pour revenir sur Nas et DMX, lequel a fait la meilleure performance d’acteur pour vous ?

Arknow : DMX. Sans discussion. C’est celui qu’on remarque le plus en tout cas.

DJ Flexta : On pourrait dire DMX, mais pour moi, DMX fait du DMX dans le film. Je n’ai pas l’impression qu’il joue un rôle : il est autant le mec exubérant, qui crie, qui fait des trucs de ouf, que le mec hyper sensible, qui pleure en concert. On se souvient tous de Jay-Z quand il raconte la première fois où il voit DMX sur scène, il aboie, il chante, il saute, il pleure, il chante, il crie. Moi je trouve que celui qui est le plus intéressant dans son jeu, qui est plus dans la subtilité, c’est Nas. Peut-être qu’il a plus compris l’enjeu, son personnage semble plus sincère.

C’est son blaze dans le film d’ailleurs.

DJ Flexta : Tu vas bien plus avoir tendance à t’identifier à Nas. Sauf quand il est avec Taral Hicks, il n’y a aucun moment où j’ai envie d’être DMX. (Sourire)

Nas et DMX ont collaboré sur disque, vous retenez un feat entre les deux ?

DJ Flexta : Il y a « The Grand Finale », le morceau de la B.O. Je me rappelle la prod nous rendait fou ! Ce titre avait fait monter la hype autour du film. On ne se demandait pas à l’époque si un tel allait feater avec un tel parce qu’il y avait des collabs dans tous les sens. C’était un posse cut de plus.

Arknow : Il n’y a pas de feat entre eux qui m’ait plus marqué que ça. Le morceau « Life is what you make it » dans I am… est bien mais ce n’est pas comme s’ils avaient fait une collab classique ou dans un album inoubliable. Si tu me demandais de faire un top des collabs que DMX a fait avec des rappeurs, je ne mettrais pas Nas. Je mettrais plutôt un Cameron sur Grand Champ avec le morceau « We Go Hard » qu’un morceau avec Nas. La collaboration dans le film est déjà iconique, je ne vais pas leur en demander plus en vérité.

Pour vous, quelle est la postérité du film : film culte ? Très bon film ? Décevant ?

Arknow : Pour moi, ce n’est pas un chef d’œuvre, mais l’initiative est classique. Prendre deux rappeurs qui ont le vent en poupe à ce moment-là, et rappelons que DMX a sorti deux albums cette année-là, que Nas sort de It was written, The Firm et prépare I am… qui est super attendu… Les faire jouer dans un film, avec aussi Method man, Power du Wu Tang, Tara Hicks, T-Boz des TLC, AZ aussi. Quand même le casting est costaud !

Sean Paul également !

Arknow : Mister Vegas aussi ! Le casting est fou. Tu ajoutes que Hype Williams qui n’a laissé aucun détail au hasard, au niveau de l’image que ce soit à New York, dans la boite, la baraque de DMX, en Jamaïque dans le sound system, dans la demeure du Don Dada. Esthétiquement, c’est beau à regarder ! Après au niveau de la mise en scène, de la réalisation, c’est là que le bât blesse. Mais l’initiative reste à saluer, une initiative qui n’a pas été réitérée. Il y a eu des petites tentatives, mais pas à cette échelle-là.

DJ Flexta : Pour moi, il est iconique. Ce qui ne veut pas dire que ce soit un grand film. L’initiative, le casting, tout est bien. On a une certaine d’indulgence parce qu’on sait d’où ça vient, on sait que le tournage était compliqué. On respecte le travail d’Hype Williams dans les clips mais son travail au cinéma n’est pas à la même hauteur. Le film est malgré cela iconique, pour l’aspect visuel, le casting. J’ai quand même un regret puisqu’on aurait pu avoir Nas et Jay-Z ensemble dans ce film avant leur beef. Mais en 1997, quand le film est réalisé, Jay Z n’est pas encore Jay-Z. en réalité, je ne pense pas que ça aurait fonctionné avec Jay-Z, le rôle allait bien plus à DMX.

Arknow : Jay-Z est grand rappeur, mais en terme d’acteur, on la vu dans State Property, ce n’était pas ça. Je dis ça de Jay-Z mais Nas non plus en terme d’acting ce n’est pas non plus une bête de cinéma.

Peut-être une dernière question, Nas et DMX, vous les classez à quel niveau ? Nas Top 5 ? DMX Top 20 ? Top 30 ?

Arknow : Nas Top 5 facilement. DMX, peut-être… (Il réfléchit) Je ne pourrai pas te dire mais Top, combien je ne sais pas mais Top c’est sûr ! Par sa carrière, ce qu’il représente, l’imagerie, sa particularité, un mec qui peut être super vénère et super émotif, une discographie super qualitative, des clips, une manière de bouger, de se saper, le mouvement Ruff Ryders… Légendaire DMX !

On n’a rien dit sur la B.O. !

DJ Flexta : La B.O. en tant que telle je n’en ai pas de grand souvenir. A part « The Grand Finale », je n’ai pas de son qui ressort.

Arknow : Pareil pour moi.

Belly clôt la décennie d’âge d’or des Hood Movies, lesquels vous retenez particulièrement ?

Arnow : Boyz n the Hood, premier. C’est le premier que j’ai vu et c’est peut-être celui qui sert de fer de lance pour la suite, d’autant quand on sait qu’il y a Boyz n the Hood avant Menace II Society et qu’il y a beaucoup de similitudes. Je dirai Boyz n the Hood en un, New Jack City en deux et Paid in Full en trois.

DJ Flexta : (Il réfléchit). Boyz n the Hood par rapport à son impact, à son message surtout. On pourrait dire Menace II Society parce qu’il est iconique, mais il y a beaucoup de trop de violence pour rien, même si c’est une réalité, mais il n’y a pas d’espoir, alors que Boyz n the hood, il y a une mentale, un espoir, un idéal. New Jack City parce que le film est impressionnant, notamment en terme de cruauté et Nino Brown est un des meilleurs méchants, avec une cruauté intelligente, organisationnelle. Tu sens que le mec est prêt à tout. Et je dirai Fresh en troisième position parce qu’à l’époque où je l’ai vu j’étais petit et voir ce jeune manipuler tout son monde, c’était super intéressant. J’aurai une mention spéciale pour Meteor Man et Players Club, pour d’autres raisons. (rires) Juste avant de conclure je voudrai rajouter quelque chose : les rappeurs n’ont rien à faire dans les films.

Arknow : Carrément ?!

DJ Flexta : Je m’explique : leur personnage de rap est déjà de l’acting. Surtout aux États-Unis, on a du mal à faire la distinction entre le rappeur et le personnage du film. Beaucoup ont eu du mal avec ça, je pense à Cameron notamment qui s’est fait tirer dessus à Washington DC parce que les gens pensaient que c’était Rico de Paid in Full. Cameron n’a pas voulu continuer dans l’acting, a même refusé un film avec Tom Hanks parce qu’il devait jouer un rôle de médecin et il ne s’y voyait pas. C’est comme si le public du rap n’arrivait pas à faire cette distinction. Je ne vois qu’Ice Cube qui a réussi. Même dans Fast and Furious, je n’arrive pas à voir autre chose que Ludacris.

Arknow : A contrario de Cameron, j’ai envie de prendre l’exemple de Tupac. Le rôle de Bishop qu’il joue dans Juice, c’est ça qui fait la star qu’il est à New York. Sur scène, les gars étaient en admiration devant Bishop plus que devant Tupac. Tu as de très bons rappeurs, qui écrivent très bien, exemple Ice Cube : lorsqu’il joue dans Boyz n the Hood, c’est-à-dire que c’est le nom du premier morceau que sort Eazy E avant N.W.A., produit par Dre et écrit par Ice Cube. La performance cinématographique d’Ice Cube sur Boyz n the Hood n’est pas incroyable mais c’est ce qu’il fallait. Peut-être que s’il avait été super bon, ça aurait effacé d’autres personnages ou le film aurait été différent, donc aller jusqu’à dire que les rappeurs n’ont rien à faire dans les films, je trouve ça un peu méchant.

DJ Flexta : Shock value tu connais. (rires) Le truc c’est que je trouve qu’on retient le rappeur et que le rappeur ne s’efface jamais au profit du personnage du film. Dans XXX avec Ice Cube, c’était ridicule, je me disais : « Ice Cube, qu’est-ce que tu fais là ? ».

Arknow : A décharge pour eux, beaucoup de spectateurs vont voir ces films parce que ce sont des rappeurs à l’affiche.

C’est pour cette raison qu’on les appelle, parce qu’ils amènent une valeur ajoutée au casting, comme les rappeurs qu’on appelle dans certains festivals pas forcément portés sur le rap.

Arknow : Je pense qu’ils sont à leur place. C’est comme le débat sur Drake : est-ce qu’il est hip-hop ou pas ? Moi je pense qu’il est avec nous, c’est un mec de la culture. Mais, Drake, quand tu l’appelles en featuring, il ne vient pas pour kicker. Certains disent que Drake n’est pas un rappeur comme les autres, je peux comprendre le message mais c’est à nous de leur montrer notre manière de voir les choses : le gars fait des albums qui sont vendus par millions, le plus gros vendeur avec Taylor Swift, mais dans ses projets, il met des sons qui s’appellent « Wu Tang Forever », qui fait des morceaux comme « Diplomatic Immunity », qui met des extraits de l’intro de Life After Death, c’est totalement la culture ! Comment tu peux refuser un mec comme ça ? Par contre, qu’on le mette dans la liste des mecs qui ont fait des albums classiques dans le rap, ça je ne peux pas l’accepter. (rires) Il a sa place avec nous comme les rappeurs ont leur place dans les films. Tupac dans Juice c’est classique, Cameron dans Paid in full c’est classique, Ice T dans New Jack City c’est classique, Ice Cube dans Boyz n the Hood c’est classique.

DJ Flexta : Les films sont classiques, aucun problème. Mais le rappeur ne disparaît jamais au profit du personnage et quand ça arrive, ça fait une performance de ouf. La première fois que je vois Paid in full, je me demande si c’est vraiment Cameron ! C’est dire à quel point il a fait une performance de ouf ! Mais des fois, ce n’est même pas la faute des rappeurs ; des réalisateurs se disent : « Il nous faut un noir, autant prendre un mec connu et prendre un rappeur pour faire le noir de service ». Il n’y a pas de rôle de composition, pas besoin qu’il se dépasse… C’est souvent le même type de rôle qu’ils ont. Là où un gars comme Common, tu te demandes des fois s’il n’est pas plus acteur que rappeur maintenant, parce qu’il s’abandonne vraiment à des rôles divers et variés. Là où Ice Cube dans XXX, ce n’est pas passé. (Sourire)

Arknow : Peut-être que ce n’est pas passé dans XXX, mais dans Friday, c’est incroyable, ce film est un classique aussi ! Peut-être que ce genre de film aide aussi, mais les gars ont leur place.

En vrai, c’est comme Hype Williams : un clippeur de talent, mais pas un grand réalisateur et sa place n’est peut-être pas au cinéma, contrairement à d’autres réalisateurs de clips, qui ont réussi à faire de bons voire de très bons films. Je pense à Michel Gondry, qui a fait « Le Mia » mais aussi Eternal Sunshine of the Spotless Mind ou Soyez Sympas Rembobinez, à Spike Jonze, qui a fait « Drop » de The Pharcyde mais aussi Her, à Florent Emilio Siri qui a fait « Bad Boys de Marseille », « La Saga », « L’empire du côté obscur » mais aussi L’ennemi intime. Rappeur, acteur, clippeur, réalisateur, sont des métiers différents et tout le monde n’y arrive pas forcément dans ces différents mondes.

DJ Flexta : Bien sûr, d’autant quand tu as une image très marquée.

Arknow : On dit les rappeurs mais les rappeuses aussi ! Je trouve même que certaines rappeuses ont plus leur place que des rappeurs. Quand tu prends une Queen Latifa, c’est dangereux ! Sa performance dans Le Prix à payer, c’est classique. On n’en parle pas assez en France, parce que tu cherches le film en français aujourd’hui, tu ne le trouves pas. Tu peux le trouver en cassette mais qui a un magnétoscope ?

En fait, je pense que le rap et le cinéma sont deux univers qui se rejoignent. Ce n’est pas comme le sport et le rap où les rappeurs voudraient être des sportifs et des sportifs voudraient être des rappeurs. L’alliance rap et cinéma arrive à donner des classiques, des succès commerciaux. Regarde Ludacris et Fast & Furious, à part dans le premier, dans tous les autres il est là. Tu as même Bow Wow dans Tokyo Drift. Le public rap va voir le rappeur au cinéma et le spectateur lambda va voir un acteur venant du monde du rap.

DJ Flexta : Ce sera l’objet d’un autre débat dans Paroles Véritables dans Polémiques ! (Rires) On a des invités qui peuvent s’y prêter, ça peut être un bon thème.

D’ailleurs, vous avec déjà reçu Sam’s qui a joué dans tout un tas de films. Je ne vais pas parler de reconversion mais son jeu est plutôt dans la subtilité, il ne fait pas tâche et n’étant pas une méga star du rap, s’il est au casting de plusieurs productions, c’est justement parce qu’il fait le boulot en tant qu’acteur.

Arknow : Il fait plus que le boulot. Les gens ne parlent pas assez de Sam’s et ne se rendent pas compte de ce qu’il est en train d’entreprendre, que ce soit dans le cinéma, dans Validé. Il continue toujours de rapper et il rappe, il kicke, très sérieusement. Le film Marchand de sable, on n’en pas assez parlé ! Les membres de la communauté noire n’en ont pas parlé, déjà de la thématique abordée dans le film mais aussi de son jeu d’acteur. Dans ces films, je ne vois pas Sam’s le rappeur, mais le Sam’s que je connais. Il ne surjoue pas.

DJ Flexta : Le statement que j’ai fait s’applique plus aux rappeurs américains et à quelques rappeurs français mais pas tous. Sam’s est vraiment un ovni. En terme de rap, il est très chaud depuis toujours et en terme d’acting, on ne se rend pas compte de la palette technique qu’il a. Au début, on l’a cantonné à certains rôles et très vite, je pense que les réalisateurs se sont rendu compte que le mec avait plus à offrir. Il est allé dans des rôles où on ne l’attendait pas : il a déjà joué un rôle un flic. Il peut être hyper sensible, fort, il arrive à tout jouer. Il est aussi bon rappeur qu’acteur.

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