Brut de femme, juste du Diam’s

Paris, un moment vers fin mai 2003.

Tchx tchx tchx… J’enfonce les écouteurs dans le fond de mes oreilles pour entendre mieux. Le bruit des rails est toujours à contre-temps, c’est perturbant. C’est une nouvelle cassette. Je l’avais enregistrée à droite à gauche, patiemment, ces dernières semaines. Et puis sur les bons conseils d’un ami, j’ai tout effacé et tout ré-enregistré.

C’est bientôt la fin de l’année et Karim m’a encore fait le coup de la trouvaille. « Tout ce qu’il faut pour réviser ton bac français héhé« . Ça sentait la blague mais faut reconnaître que Sniper avait tapé un coup fort. Tout Paris sur un titre, ça envoyait.

« Mais attends, 91, la meuf, tu suis ?« 

Ouais Diam’s. Il m’a prise pour une novice ce con. Elle est partout depuis quatre ans. Il débarque ou quoi.

« Gravé dans la roche ? Haha, non, chez mon cousin. Tu copies, tu rends, ok ? Bon anniversaire. Me remercie pas, ça va.« 

15 titres. Oh. J’ai fourré la galette argentée et anonyme dans mon sac et je suis rentrée écouter ça.

Une petite intro au piano? 30 secondes de calme avant la tempête, oui. Vite, mais pas trop, les graves se font plus profonds, le rythme ralenti. Contre toute superstition, l’obus va tomber dans un trou déjà bien creusé.

Bien sûr que c’est pas nouveau. Elle n’est pas nouvelle. On l’a vue venir depuis un moment. Un album quatre ans plus tôt d’ailleurs. Je me rappelle avoir voulu voter pour elle toute ma vie après un track mémorable de son Premier Mandat.

Depuis, des apparitions dans tous les sens, sur toutes les compiles, et des feats avec toute la ceinture francilienne. Cut Killer Show. Inévitable. Mission Suicide. Tout-terrain. Et dernièrement encore, Sachons dire non, Talents Fâchés… Appelée à être le quota sensibilité. À moins que ce ne soit la caution hardcore, plutôt. Enfin, elle a enfilé tous les costumes, en vrai caméléon. Le freestyle en bandoulière depuis ces trois minutes lives chez Kemar, sa voix s’est posée avant ou après celle de presque tous mes kickeurs préférés. Elle m’a même fait vraiment découvrir Cabrel, clamant sur l’Hip Hopée, et peut-être mieux que lui, que de toute façon personne ne t’aide si tu t’appelles Saïd ou Mohamed.

Cette fois, elle est seule, et « Incassables » a à peine démarré, je sais qu’elle a déjà gagné. Elle va m’embarquer.

La puissance se déverse instantanément. Débridée, la rime frappe, le flow déroule un message qui heurte, confronte, raconte. Hey ! Mais je sais ça. Je vis ça. Elle fait rimer nos expériences. Pas vraiment celles qu’on entend partout. C’est être une fille, une jeune femme, cette fois c’est pareil… mais différent à la fois. Sur la chaîne hifi je l’écoute vivre au quotidien cette chape de prudence que je porte si souvent, pour ne pas attirer, attiser, risquer. Ses mots claquent, ne laissent aucun répit, agressent comme un troupeau de pitbulls qui ne lâchera pas le steak de la revendication pour une caresse.

Je me suis dit que putain c’est fou d’être aussi douée.

Les doigts prêts sur les deux touches qui permettent à la magie de s’opérer, j’ai patiemment transféré tout le CD sur ma cassette. Play / Rec, ça demande un peu de dextérité. Mais ça vaut le coup. Si peu d’efforts en vérité. Et je peux trimballer partout cette musique que le RER s’amuse à brouiller. La punition du vol, en somme. Je me repens de mon forfait quand je ne saisis qu’une rime sur deux.

J’ai pensé à passer au baladeur CD, bien sûr. Mon frère est certainement plus malin. Et plus riche. Depuis qu’on a l’ADSL, je sais même pas ce que ça veut dire, il a carrément trouvé le moyen de récupérer de la musique sur internet qu’il grave sur des CD vierges. Tous les potes se pointent à la maison pour récupérer la BO partielle de 8 miles, baissant la tête en demandant en douce s’il « fait aussi » la Star Ac’.

Les aller-retours à la Fnac des Ternes c’est juste pour remplir la tour Verbatim désormais. Il passe moins de temps au deuxième étage avec moi. On grandit j’imagine. Mais à ce rythme là, le rez-de-chaussée de maman va devenir une cave de recel.

En réalité, tout ça a peu d’importance. Assis sur ton strapontin défoncé, CD ou cassette, t’entends toujours aussi mal. Le problème c’est les écouteurs sûrement.

Ce matin, quand mon « A » arrive aux Halles, je reconnais la voix de Nina Simone qui s’éteint en susurrant que son bébé était trop bon pour elle. Elle nous avait quittés quelques semaines plus tôt. Ma mère était si triste.

Je me retiens d’enfoncer la touche fwd. Le respect.

Mais j’ai ma pépite qui arrive après.

Merde ca sonne. Tirée brutalement de mes pensées, je descends machinalement. Je passe sur le quai d’en face. Mon RER B arrive dans moins de deux minutes. J’ai dans les mains mes fiches de littérature, pour la conscience. Mais je profite pleinement de ce moment de silence approximatif pour monter le son. « Qui veut m’enseigner mon art ? » Ces petits mots susurrés au micro me donnent des frissons. J’ai copié goulument le deuxième titre de la tracklist, en plein à la place d’un vieux Jean Ferrat – presque pas de remords.

Cette énumération enjouée et acharnée parle à mon cœur. J’accepte le défi dès les premiers noms balancés. Entre deux rimes, bien sûr que 2 Bal et Solo je connais… Attend qui ? Ah oui, L’Skadrille, je l’ai. Tandem, easy, je prends. La FF par ellipse, références aux compiles des grands, tout se mélange, s’emboite, se répond, se toise. Hey, moi aussi ma plus grosse référence ça reste les Nique Ta Mère ! Cette meuf, c’est moi avec du talent en fait. Ce son, c’est comme une battle improbable où Driver se ferait déclasser par un témoin du hip-hop encore plus fourré partout que lui !

À la fin, j’ai simplement envie d’aller écouter un album de chaque pour voir ce que j’ai raté, pour mieux me remémorer, pour me faire simplement du bien. Tata-tata-tata-taaa, la prod de Sayd des Mureaux me colle au cortex, j’ai même pas vu les portes se refermer à Sait Michel.

D’habitude, je n’ose pas enregistrer tout le CD d’un coup. J’espace toujours un peu, pour donner le change. Façon compile. Je fais semblant d’en oublier un peu, je mets la fin sur la face B. Mais cette fois, les enchaînements sont si parfaits… Je n’ai pas eu le cœur à couper. 

« Cruelle a vie » démarre alors que le RER négocie mal le virage. Les rails crissent et gâchent les premières notes de guitare, si discrètes dans ce studio dont on n’a pas effacé les bruits parasites. Une façon de montrer que la vie avance, que le monde tourne, que la musique fait son chemin dans le désordre, finit par s’imposer.

La voix de Diam’s s’est apaisée, son discours un peu moins. Je suis passée en mode balade nostalgique et quand je descends à Luxembourg, une certaine mélancolie étreint mon petit cœur adolescent. C’est ma troisième, peut-être quatrième écoute, mais je sens une frustration triste monter avec moi la rue Soufflot. Les cours commencent à 8h, ça ne me laisse que dix minutes pour arriver en classe et laisser ma nouvelle idole m’attendre injustement dans mon baladeur.

Je hâte le pas. Dix minutes en fait, ça fait court pour monter jusqu’à ma salle de latin… Clairement, je suis pas en avance. Ça tombe bien, la bombe « DJ » vient de débarquer dans la mousse des écouteurs que j’ai fini par caler dans mon tympan interne. Je pourrais jurer avoir senti la chaleur du sample de « Quien Sera » se glisser le long du vieux fil noir qui relie le boîtier dans ma poche à mes oreilles. Je souris malgré moi en pensant que ma mère adore cette chanson. Je l’ai reconnue direct malgré les bidouillages – on dit « remix ». Mon vague à l’âme s’envole et je cours un peu dans la pente de la rue St Jacques. L’énergie du désespoir ravivée par un storytelling de boîte de nuit. Qui dit mieux ?

J’arrive in extremis, me cale au milieu de la rangée du fond – je suis pas folle. Pas vraiment disposée à partager ma dernière (in)compréhension de Tite-Live avec le public peu conciliant qui s’étalent sur quatre rangées serrées devant un bureau austère qui les domine depuis une estrade maussade.

J’ai machinalement enroulé le fil autour du baladeur cassette, en le regardant tendrement. Pour un peu je lui murmurais « à tout à l’heure » en caressant ses boutons. Mon premier amant, au fond.

La journée passe, de vexations en fous rires, de solitude en courgettes à l’eau. Oubliée ma cassette gisant au fond de mon sac trop remplis, je perds la tête dans les méandres de tableaux noirs peints d’abréviations opaques.

Libre aux alentours de 15h, j’envisage de rentrer à pied. Il faudra traverser Paris, j’en ai bien pour une heure et demie. Quelles révisions ? Quelle chance!

J’ai farfouillé dans mon sac avec la hâte d’un mort de faim. Je sais que faute de place, la suite est sur l’autre face, alors je tourne fébrilement la cassette, ferme l’étui, lance la bande.

« Diam’s ou comment faire du rap d’enfoiré sans testostérone ! » Ce cri, refrain au « Madame qui ? » me fait rire et me donne une force qui m’étonne moi-même. La plume du grand Lino – oui, Lino ! – c’est dire le calibre de la nana – a offert à Diam’s une superbe déclaration. Féminité revendiquée au fond des écouteurs, j’avance vite, presque en rythme, je bouge la tête sans pudeur, seule dans ma bulle, ignorant les jeunes et les ados qui pullulent dans le quartier et qui bloquent les trottoirs. Légers, mes pieds se posent instinctivement sur le pavé, mon ventre est contracté, mes épaules bien en place, tout mon corps suit un mouvement bien rôdé, celui de la danse discrète en milieu inapproprié. Car impossible de se tenir. De se retenir. La prod de Djimi Finger est pensée pour empêcher tout immobilisme. « Juste du Diam’s » à ce moment précis dans mon corps, ça veut simplement dire que le rap doit être aussi agréablement bousculé que moi.

À peine arrivée au niveau du Do-Mac du boulevard, « 1980 » m’envoie la bastos du premier tiers d’album. « Trop, c’est trop, c’est trop, c’est trop » asséné comme une réalité. Giflée en pleine face, j’entends la génération du dessus, puis la mienne, crier, déverser son amertume, sa lassitude d’être obligé de « prouver, de pleurer en silence », de rentrer dans un moule qui craque de partout. Je serre les dents entre les phases brutales, les violons plaintifs et les coups de burin de Maître et Tefa. Au-delà des mots, la force du flow, la violence de l’instru renforce mon cocon. Je vois la Seine qui coule devant moi, comme un fait exprès alors que la question se pose désormais du chemin à prendre.

C’est un peu comme ça que fonctionne cet album. Un fleuve un peu tumultueux qui vous attire par une eau bleu mais cache des carcasses de vélos. Une claque, une caresse, un courant irrésistible qui vous enveloppe subtilement, pour mieux vous enfermer dans la vague et en quelques rouleaux, vous submerger d’émotions, de sensations, de fureur et de plaisirs. Je longe bientôt les quais me disant que moi aussi « j’aimerais pouvoir enfin trouver mon chemin« , mais qu’après tout, j’ai bien le temps.

Contrairement à Mélanie, l’interdit a trouvé très peu d’écho chez moi. Je ne traîne pas, je ne fume pas, je ne bois pas, je fais mes devoirs. Je ne fais pas de vagues. Ce n’est pas la tentation de l’illicite qui me pousse à écouter tant de cette musique de rebelles.

C’est. Cette. Caisse. Qu’on entend justement si bien dans « Où je vais » – T t – T t- T t – TTT.  Tape té, tape té, tape té, té té té – recommence. Le « boom-bap », on dit.

C’est le bruit que fait mon cœur quand il bat. C’est le bruit que fait le RER quand il roule. C’est le bruit que fait la ville quand elle s’arrête et repart au carrefour.

À la fin du morceau la boucle me tient la main encore une bonne minute, je la sens de mon bide à mes tempes, dans mes jambes et sous mes pieds.

J’ai chaud soudain. Le soleil tape et dans le brouhaha des quais de Seine, la voix de Diam’s me raconte coup sur coup des histoires d’amour et de douleurs. Comme si l’un n’allait jamais sans l’autre finalement. Je pense vaguement à mon dernier chagrin. Pas de quoi appeler les pompiers.

Devant le palais de justice, c’est ironique, je réalise la prouesse de l’artiste. Rapper avec autant de sincérité sur des sujets si graves, si durs, toujours sur le bon temps, toujours avec la bonne rime, sans maladresse dans l’interprétation. C’est plus qu’un exploit, c’est du génie.

« Détends-toi. C’est pas la première meuf qui rappe. »

J’ai pas dit ça. C’est pas une histoire d’être une meuf, en plus. Ou si, peut-être. Mais peu importe, artistiquement, il y a un truc. Que ce soit dans le fond ou la forme, elle a quelque chose en plus. Difficile d’exprimer « quoi » pour l’instant.

Elle semble si loin la dégaine de garçon manqué et la voix androgyne qui l’ont sortie de l’ombre il y a seulement quoi, cinq ? Sept ans? Le timbre rauque s’est fait féminin et sensuel quand il ne tire pas volontairement la corde du stéréotype hystérique. Elle gêne autant pour ce qu’elle dit que pour ce qu’elle est, cette Mélanie. Elle met la France du rap à l’amende depuis qu’elle a décidé de se lancer, sans plus craindre de clamer ce qu’elle est, alors c’est si pratique de la réduire à une « meuf ». Une petite blanche de pavillon en quête de distraction. Vraiment ?

C’est si frustrant, j’ai tant de mal à l’articuler. A expliquer comment sa mise à nu nous déshabille aussi. La pudeur et la bienséance sont restées cachées dans les petites lignes des crédits que j’imagine en fin de livret. Brut de femme. Quel coup de génie ! C’était tellement le meilleur titre possible pour dire en trois mots tout ce que cet album envoyait. Du rap, brut, brutal, impossible à contenir. Une femme, brute, impudente, libertaire. Un diamant, brut, caillou précieux aux milliers de facettes, éblouissant et si solide, joyau indispensable pour que le disque se révèle sur la platine.

Je me demande encore pourquoi je n’arrivais pas à convaincre les autres que c’était l’album de la décennie.

« On est en 2003, soeur, il reste sept ans avant de crier au classique. »

 Faites un effort les gars, ouvrez vos oreilles.

“Moi j’ouvre les yeux et je vois une jolie bombe sur la pochette”

Et voilà.

Bouffon.

J’ai bouclé ma dernière annale de bac blanc en devoir maison. Je suis blasée comme jamais. Si je fumais, j’allumerais sûrement une clope en m’adossant à ma fenêtre pour regarder le pavé de la cour avec des yeux vides. Mais je vais plutôt fermer ma porte et allumer ma chaîne. J’ai glissé ma cassette. Huitième écoute au moins. Je suis accroc.

J’ai mal enregistré et on entend un petit bout de la fin de « Get Busy », que j’avais récupéré à la radio il n’y a pas longtemps. J’arrive à deviner une bribe de la voix de Sean Paul, mais vite, c’est celle de China qui m’embarque dans l’univers que je veux rejoindre. Je ferme les yeux, un sourire arrive sur ma bouche, ma tête se balance, mon corps ondule doucement. Ça y est, je suis partie, je suis avec elles, dans cette villa avec vue sur la mer, « là-bas ». Pas besoin de savoir où c’est, le flow de Mel, le groove de « sa chanteuse R&B du refrain » et les touches aiguës du synthé de Pone m’y conduisent sans détour. Je suis chez moi dans ce nul part ensoleillé.

Mais derrière, les ressorts artificiels de la prod de Diesel me sortent de ma torpeur. Je reconnais la référence à ce bon vieux Bill Withers malgré mon anglais encore approximatif. Le refrain bien géré de Laure Milan ne sauve pas vraiment le titre. Bizarrement je le trouve trop « commercial ». La signature Hostile, la major déguisée, peut-être?

Ca y est, nique sa mère, je suis une puriste.

Je ne saurais pas dire, ça dénote. Même « DJ », impeccablement taillée pour les dancefloors, est une prestation ultra technique et parfaitement calibrée. On dirait que sur « Amore », elle se repose. Elle est épuisée après les épreuves du cœur qu’elle nous a partagées, sans doute. Point trop n’en fallait. Le public aussi est fragile.

Je sors de ma chambre et trouve mon frère en train de mater Friends à la télé. Il se marre tout seul. Le « câble » a changé sa vie. Je voudrais aller m’asseoir à côté de lui et rire aussi mais j’ai faim, j’ai froid, j’ai la flemme. Ma solitude me convient mieux. Du coup, je retourne réviser. Pour la villa de maman.

La tête sur le bord de mon oreiller, je me cale pour pouvoir faire tenir au moins un des deux écouteurs dans une oreille trop tendue. L’installation est un peu bancale, mais je ne peux pas approcher plus la chaîne hifi du lit. Je n’utilise pas le walkman le soir sinon ca nique les piles trop vite.

La lettre au père. « Daddy » me perce le cœur dans l’obscurité de ma chambre. Une chanson de rap qui fait pleurer, c’est pour de vrai ? Combien ont parlé à leur père? De leur père? Toujours ailleurs, toujours parti, jamais là. Et de leur mère aussi. Leur roc, leur seul repère. Tous l’ont fait. Tous nous ont fait serrer les poings et nous coller les uns aux autres pour former, tous unis, une carapace bien étanche face à l’absence. Alors comment les mots de Diam’s peuvent-ils être à ce point meilleurs ? Pourquoi sonnent-ils si vrais, si forts, si simples à la fois, qu’en les écoutant on abandonne paradoxalement et le courage et le désespoir tandis qu’on laisse grandir la rage et la foi ? Pourquoi cette femme me touche autant ? Sans compter les placements, les variations, les rimes, les jeux sur la prod et le saxo d’Yvan… Cette musique est une évidence. Ce message n’a pas besoin des sanglots longs de violons.

Songeuse, je ne m’occupe pas de sécher les larmes qui mouillent discrètement la taie de mon oreiller et je laisse la bande filer alors que je sais que la piste suivante n’est pas du genre apaisant avant de dormir.

Mais « Parce que » reste un de mes morceaux bannière, je l’écoute comme on mange un morceau de chocolat après le repas. Pour relever le goût de tout le reste. L’anaphore posée sur cette instru inquiétante est hypnotique. Le BPM faussement rapide donne la réplique au battement du sang qui s’agite dans mes veines: Diesel a bien bossé. Ce refrain est délicieusement implacable et laisse toute la place aux phases aiguisées du Diamant qui monte en puissance au fur et à mesure du morceau. Décidément, que de démons, Mélanie.

J’éteins.

Depuis un mois maintenant, je me réveille avec « Suzy ». Je crois que je l’avais déjà entendu avant l’album, je ne sais plus où. Incapable de me lasser, je connais le morceau par coeur, moi qui n’ose jamais, même dans l’intimité de ma chambre, je pose avec Diam’s, je m’amuse même à rapper plus fort qu’elle, y compris sur les placements les plus rapides, les plus techniques. En plein battle avec moi-même, je me défie dans mon petit miroir à coup d’enchaînements travaillés dernièrement plus que mes textes de francais. Ah ! Ce retour isolation d’épaule droite sur l’accélération de 20Syl, tu l’as pas vu venir !

Cheh.

Ce sont encore les quatre minutes quinze de Suzy qui m’accompagnent avant de rentrer dans la salle des quatre heures d’épreuves de ce putain de bac. Peu importe qui gagne, quoi qu’il arrive, la coupe est pour moi, j’ai, à peu près, fait le nécessaire pour remporter le tournoi.

Karim est finalement venu récupérer sa galette lui-même, je n’avais pas eu le temps de repasser la lui rendre. Il ne m’en veut pas, il est habitué à mes prolongations. Il range le CD dans un boîtier qui en contient déjà au moins trois autres.

« Alors?« 

Je ne cache pas ma joie, répond d’un large sourire, faute de savoir par où commencer.

« Ouais, le français c’est ton truc, c’était sûr t’allais cartonner. »

Ah… Karim.

« C’est bien ma fille. »

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