Manu Key, l’interview « 10 Bons Sons »

C’est dans les locaux d’Hors Cadres, le label fondé par Rocé, que le rendez-vous était fixé. Endroit idéal pour se réunir par temps de COVID, et pour parler rap français avec notre hôte donc, et notre invité Manu Key. Une heure et demie de discussion autour de la carrière du pilier de la Mafia K’1 Fry, facilitée par sa mémoire vive et son envie de se replonger patiemment dans ses souvenirs de studio, de tournage de clip et de concerts mémorables. Retour en musique sur une carrière riche d’étapes clefs, de succès mais aussi de rencontres humaines décisives. Avec, évidemment, une belle pensée pour DJ Mehdi, artiste, ami et ciment très important du duo, devenu le voisin éternel qui repose à quelques centaines de mètres du local.

Photo : Tcho Antidote

Different Teep – « R.A.S 1 » (La rime urbaine, 1997)

Manu Key : « R.A.S » ! Ca c’est La rime urbaine

Exact. Premier projet officiel pour toi, en groupe. A ce moment-là tu as commencé le rap depuis déjà un bon moment. Tu te rappelles de ton premier texte ?

Ouais, premier texte, l’idée est venue, comme je dis dans le livre, d’un ami qui m’a prêté une cassette de Renaud Séchan. Je ne savais pas écrire en fait. J’écoutais les trucs de Nova à l’époque qui étaient tard dans la nuit, et puis grâce à mes grands frères je récupérais des cassettes. Quand j’ai voulu écrire un texte, je ne savais pas comment faire. L’idée vient d’un jeune qui s’appelle Cyril Renaud, qui était en primaire avec moi. Il me refile une cassette de Renaud et me dit « Écoute, tu vas voir, c’est bien« . Moi, au début je m’en foutais, puis j’écoute à la maison et j’ai apprécié parce qu’il avait une façon d’écrire qui ressemblait au rap, qui rimait, il faisait des paragraphes et tout.

Tu te souviens d’un morceau marquant en particulier ?

« Marche à l’ombre », « Viens chez moi j’habite chez une copine ». Ca m’a vraiment plu donc j’ai recopié les textes sur un cahier, tous les textes de Renaud de cet album. Au fur et à mesure ça m’a donné des idées, mon premier texte s’appelait « Stop la violence ». J’avais un peu récupéré la façon d’écrire à la Renaud sur les quatre temps, sur les deux temps, c’est comme ça aussi que j’ai appris les beats par minute, savoir hiérarchiser un texte avec un début, un milieu et une fin.

Tu as encore des traces de ce titre ?

Non, je l’avais juste rappé une après-midi à la MJC d’Orly.

Tu t’en souviens ?

Même pas, nan, nan. « Stop la violence ! Stop la violence ! » ça faisait comme ça au refrain, mais je m’en rappelle plus du tout.

Est-ce que tu te souviens du premier morceau que tu as posé et enregistré ?

Ouais, je m’en rappelle. Il s’appelait « Fier d’être noir » le morceau. C’était en studio, dans les années 94-95.

Il est sorti ?

Non, j’avais la maquette seulement. Il est jamais sorti.

Tu l’as la maquette ?

Je pense pas non, après c‘est Mehdi qui avait ça.

A cette époque tu es déjà Manu Key ?

Non, à l’époque je suis Manu Key Funk. Parce que j’aimais bien la funk.

Tu graffais ?

Non, pas du tout.

Tu racontes la formation de Different Teep dans ton livre. En 1996 sort votre premier EP La route est longue, et l’année suivante arrive votre premier album La rime urbaine. « R.A.S » est un des morceaux importants, et également l’un des premiers chapitres de ta biographie.

Ouais, bien sûr. Parce que ce morceau a une anecdote en plus : je me promène à Châtelet comme tout jeune de mon âge à l’époque, et j’ai un contrôle de police. J’ai une toute vieille carte d’identité, marron, je l’avais pliée en quatre. Donc ils font un appel pour voir si je suis recherché et hop j’ai une fiche de recherche. J’avais pas fait mon recensement donc ils me convoquent le lendemain à Porte des Lilas où je dois faire absolument mes trois jours de service (NDLR : service militaire). A partir de là j’ai eu peur, j’ai des potes à moi qui ressortaient de l’armée… Voilà, je voulais pas les faire. Pour esquiver le service, j’ai trouvé toutes sortes d’astuces : j’ai mis un grand jean, j’ai mis des pompes qui allaient pas avec et tout… Arrivé là-bas, j’ai dit « Quand même je vais pas faire trop le fou pour pas finir en asile » donc j’ai fait ce qu’il fallait et après j’ai reçu un courrier comme quoi j’étais réformé au service.

Est-ce que ce morceau représente aussi plus globalement ton rapport à l’autorité ?

Ouais, bien sûr. Je voulais pas du tout aller là-bas. Pour moi c’était du temps perdu, je verrais plus ma famille pendant un an… A l’époque, on emmenait directement les gens en Allemagne ou à Strasbourg, c’était vraiment loin. Je sentais que ça allait me tomber dessus. Je voulais absolument pas y aller. 

Tu subissais des contrôles de police fréquents dans ton quartier ?

Non, pas dans le quartier, juste dans les transports. 

Sur ce morceau, on retrouve Kery James qui pose un de ses premiers textes. 

Ouais, il a treize ou quatorze ans. C’est l’un de ses premiers textes. Il parlait déjà de l’engagement, de la vie sociale, de l’armée… Il pensait déjà à ça, c’est pour ça qu’il fait le refrain là-dessus. 

Il fera le service militaire ?

Non, non, il le fera pas.

Je ne reviens pas sur les choix de blases du groupe et de tes deux acolytes car ils sont expliqués dans le livre. Toi, tu feras ensuite carrière solo. Pourquoi est-ce que Mista Flo et Lil’Jahson ne se sont jamais lancés ? 

J’avais demandé la permission de Lil’Jahson. Moi j’étais sur la continuité, j’avais plein de titres enregistrés chez Mehdi. On devait faire la suite de La rime urbaine et Mista Flo a été incarcéré à ce moment-là. Donc il prend… La sentence c’est 27 mois de prison. Et donc j’allais pas rester 27 mois sans rien faire quoi. J’avais des textes, et puis je demande si je pourrais faire un album solo en attendant et ils m’ont dit « Ouais, y’a pas de soucis« .

Et Lil’Jahson ne voulait pas continuer en solo ?

Non, non, moi je l’ai invité, il avait pas de prétention de faire d’album. Il voulait attendre, il a dit « On en refera un autre plus tard » et moi je lui avais dit « Attention ça va vite ! » Et c’est dommage parce qu’on avait eu un bon accueil avec La rime urbaine, on aurait voulu faire un deuxième D. Teep.

Il y a eu des maquettes pour ce deuxième album de groupe ?

Ouais, il y a eu des maquettes de faites. Par exemple, quand on sort le premier maxi La route est longue, il y avait plus de maquettes que ça et on voulait les garder justement pour La rime urbaine ou pour plus tard mais finalement ça s’est pas fait.

Et quand Mista Flo sort de prison, il ne se lance pas dans une carrière solo ?

Non, il ne se lance pas parce que c’est fini. Il y avait beaucoup de trucs qui sortaient donc il a été invité un petit peu partout. Il pose sur Manuscrit, après il arrive sur Street Lourd… Mais pas de carrière solo parce qu’à la base c’est moi qui écrivais tout pour Mista en fait. Après il y a eu l’album Mafia qui est arrivé…

Aujourd’hui, vous êtes encore en contact tous les trois ?

Bien sûr, ouais ! Tout le temps en contact. Justement on doit faire un inédit pour la sortie du livre. Je ferai un morceau en solo et puis un morceau avec les D.Teep. On met ça en place doucement. 

Revenons un peu sur « R.A.S » et l’enregistrement de La rime urbaine. Tu te souviens des conditions de l’époque ?

C’était assez nouveau, c’était assez bien parce qu’on sortait d’une longue période où on enregistrait encore dans l’armoire à Mehdi, sur un quatre pistes, et là on avait enfin les moyens de découvrir un vrai studio. C’était le studio Black Door avec Jeff Dominguez aux manettes, et on était contents parce qu’il y avait une console, il y avait un studio, il y avait de l’espace, voilà les conditions c’était « tout pour y arriver ». C’était l’été en plus donc voilà c’était assez bien.

Tu te souviens du temps d’écriture dont vous aviez besoin ?

« R.A.S » c’est assez vite parce qu’à l’époque j’écrivais beaucoup à la maison donc quand j’arrivais en studio j’étais pratiquement calé. Je m’entrainais (NDLR : chez lui ou chez Mehdi) sur des faces B et surtout le texte en acapella, j’essayais de me le remémorer dans la tête. Quand j’arrivais en studio j’étais assez carré là-dessus donc on a pris à peu près deux heures pour écrire et poser.

Et la conceptualisation de tout l’album, ça représente combien de temps ?

Quelques mois quand même. Sur La rime urbaine on va dire que ça c’est fait en deux étapes. On n’a pas écrit à Paris, on a écrit une partie en Bretagne, on a conceptualisé les sons avec Mehdi puis on est revenus à Paris pour le finaliser. En tout c’est une durée de quatre mois sur l’album.

Est-ce que tu te rappelles des attentes que vous aviez pour la sortie et des retours que vous avez eus ?

On était en avance en fait à cette époque-là. Je me rappelle que Jean-Pierre Seck avait un magazine, je crois qu’il travaillait à l’Affiche, et c’est ce qu’il nous disait lui parce qu’on avait beaucoup de thématiques dans cet album et ça se faisait pas encore. A l’époque on était vraiment dans l’egotrip. Les gens ont commencé à écouter et puis ne comprenaient pas tellement, on parlait de ci, on parlait de ça… C’est petit à petit que les gens ont découvert qu’il y avait un groupe avec des thématiques, ce qui est arrivé aux Etats-Unis après. On cherchait à écrire en profondeur.

Sur cet album, fait exceptionnel, il y a un titre solo d’un artiste qui ne fait pas partie du groupe. Je parle évidemment de Rocé, ici présent. Est-ce que c’est le premier titre de sa carrière ? Et pourquoi avoir inclus un titre solo d’un autre artiste sur cet album de groupe ?

Ouais, exactement. Nous on était du secteur MJC d’Orly, je passe à la MJC de Thiais, et j’allais chez lui des fois écouter des prods. Un jour, il me fait écouter une instru, et il me balance le texte qu’il a fait, puis je trouve ça trop mortel, quoi ! En fait ça allait bien avec les thématiques de notre album. Le texte qu’il fait, il ressortait bien parce qu’il parlait du respect et des valeurs, et moi j’aimais bien ce sens, amener ça à la jeunesse. J’en parle à Mehdi. Il avait la maquette de ce morceau, je le fais écouter à Mehdi et il dit « Ah ouais c’est mortel ! J’ai une zik qui pourrait bien coller avec« . A partir de là, on la fait écouter à Rocé, puis je demande aux autres si ça les dérange pas qu’il soit dans l’album. Ils m’ont dit « Ah non, non, en plus c’est un bon thème« . Ça se faisait jamais à l’époque. Donc ça s’est fait comme ça. Il est venu au studio, au début un peu crispé, après on lui a dit de se mettre à l’aise, lâcher son texte comme sur la maquette, qu’on ressente l’amour du mic et puis c’est ce qu’il a fait. Tout le monde était content, je pense qu’il a eu beaucoup d’éloges sur ça et notamment sur Mehdi qui a produit son album après.

Mais pourquoi ne pas avoir sorti le titre en parallèle de Different Teep, typiquement sur un maxi hors album ?

Non, pas du tout, on n’était pas dans cette logique. Ça allait bien avec la conception de l’album, on avait un truc un peu fou, mettre des thèmes, un peu étonner les gens, on était déjà dans l’approche d’une pochette… Si tu regardes à l’intérieur de La rime urbaine, on était tous un peu à la Queensbridge, ça se faisait rarement et c’est une conception d’Armen. C’était génial parce que sur cette pochette je trouve aujourd’hui des gens qui sont morts, en prison… C’était dans la conception il y a vingt ans, et Rocé, le fait qu’il ait ce morceau, il a eu beaucoup d’éloges dans la presse spé. Mehdi lui a dit « Ce serait bien qu’on fasse un maxi » puis ça s’est enchaîné avec un album. Des fois, il faut oser.

Est-ce que vous aviez en tête l’idée d’inclure Rocé dans votre groupe ?

Non, pas spécialement. Juste montrer que dans le hip-hop il y a aussi des textes qui sont très forts. Surtout « Le respect ». Je pense que ce titre ne devait pas passer inaperçu.

Manu Key & Dany Dan – Gravé sur tes shoes (Keep it real, 1997)

Manu Key: Ouaiiis ! “Gravé sur tes shoes” ! Enorme ! C’est énorme ! C’est énorme parce qu’on l’enregistre à Ticaret dans une cave… Ce temps passé à Ticaret, ce croisement entre Sages Po, Dany Dan et moi, à écouter les mêmes sons… Des fois, on attendait en haut que les Sages Po aient fini, et ils remontaient. On se connaissait à peine. Eux, pareil, des fois on enregistrait, hop et on se croisait, on a fait connaissance là-bas. On les écoute, on voit qu’ils sont déjà sur la scène parisienne et qu’ils cartonnent. Un jour, je parle avec Dany, on a les mêmes influences, Nas, tout ça, et puis on se dit qu’on fera un morceau ensemble quand on aura le temps mais bon, enregistrer à Ticaret c’était assez cher. Finalement je dis à Mehdi de faire une musique un peu à la Mobb Deep, un BPM assez lent. On s’appelait souvent avec Dany donc je lui fais écouter le morceau par téléphone d’abord, à l’ancienne ! Il kiffe, il kiffe, il me dit « C’est quoi la voix là ?« , je lui dis « On a pris une voix de Big Red avec Daddy Mory« . Il veut écouter donc on se donne rendez-vous, je lui ramène la maquette. On a écrit chacun notre truc, c’était bien parce qu’on avait écrit à l’avance. On est arrivés dans une petite ambiance, je me rappelle c’était un mercredi. Moi, j’avais trois ou quatre potes d’Orly et lui il était venu avec un mec de Boulogne et c’est pour ça qu’on entendait des ambiances, des dédicaces, vraiment ce qui se faisait à la Queens. C’était l’une des premières fois que deux groupes de quartiers différents, où il y avait deux mecs qui émergeaient de chaque groupe, faisaient un duo ensemble. Je pense que ça s’était jamais fait dans le rap. Petit à petit, t’as entendu des Busta Flex avec ci, Kool Shen avec ça… Mais là c’était la première fois et puis c’était mortel quoi ! Directement Olivier Rosset (NDLR : fondateur du label Chronowax) a voulu faire un maxi, Cut Killer a pris le morceau et l’a remis dans sa mixtape, il tournait sur Générations. On a eu beaucoup, beaucoup de retours positifs sur ce morceau.

Tu peux revenir sur ce titre, cette passion commune pour les sneakers ?

C’était l’époque de Nike, des Cortez… grande époque ! C’était gravé sur tes shoes !

Tu te rappelles de la paire que vous portiez au moment de l’enregistrement ?

Ah… Comme ça ? Franchement je m’en rappelle pas ! Moi je suis toujours soit Nike soit Adidas. Pour lui je pense que c’était des Air Force, très ciblé Air Force années 90s, Air Force de New-York City quoi !

« C’était l’une des premières fois que deux groupes de quartiers différents, où y’avait deux mecs qui émergeaient de chaque groupe, faisaient un duo ensemble. Je pense que ça s’était jamais fait dans le rap. » A propos de « Gravé sur tes shoes »

La fusion Manu Key / Dany Dan se passe donc à Ticaret. Mais est-ce que les affinités concernaient tout le monde, est-ce que c’était plus globalement une fusion Sages Po / Different Teep ?

Bien sûr ! C’est une couleur musicale où on se retrouve. Mehdi apprécie l’ambiance soul de Melopheelo et Zoxea, comment ils composent. L’affinité est venue comme ça. J’aimais bien ce qu’ils faisaient les Sages Po. Après on enregistre le maxi La route est longue version blanche, en indé, on enregistre chez les Sages Po. Mehdi a discuté, eux il avaient du matos, nous on n’avait pas de lieu où enregistrer, où mixer… Quand Melopheelo sort le maxi (NDLR : Qu’Est-Ce Qui Fait Marcher Les Sages ? en 1995), il demande à Mehdi de faire un remix. En contrepartie, Mehdi ne voulait pas demander de sous. Il a dit « Ouais ça serait bien qu’en contrepartie vous nous laissez votre studio pour qu’on puisse enregistrer notre maxi. » Le deal a été fait comme ça et ça nous a encore plus rapprochés.

Cette affinité donnera naissance à une deuxième combinaison Manu Key / Dany Dan sur « Mon pote et moi », mais pas de titre réunissant les deux groupes au complet.

Non, parce qu’après nous on a continué, eux ils ont continué.. Voilà quoi, le truc c’était vraiment Dany Dan et moi, on était vraiment en connexion et puis musicalement c’était Mehdi avec Melopheelo et Zoxea.

T’es nostalgique de cette époque ?

Ouais, énormément ! Toutes les expériences, toutes les épreuves, c’est ce qui nous a aidés à avancer, comment on a construit les disques… Au début, on partait les yeux fermés. Tout ce qu’on voulait c’est faire de la musique. On enregistrait dans un quatre pistes dans la chambre à Mehdi. La première fois qu’on enregistre des vraies maquettes, on est content. La première fois où on voit une vraie console, dans un vrai studio, on est encore plus contents. Se professionnaliser, c’était l’idée. A chaque étape.

Ces rencontres se font et ces amitiés se créent en studio pour la plupart. As-tu des souvenirs de rencontres à d’autres occasions, en concert ou sur des playgrounds ?

Les rendez-vous, souvent c’était l’Elysée Montmartre, donc rendez-vous à Pigalle pour manger un frites-guez c’était surtout ça aussi. Ticaret aussi était une plaque tournante des rendez-vous hip-hop à l’époque, tu voyais tous les artistes là-bas. Les autres groupes arrivaient petit à petit, soit ils commençaient à être connus, soit on les connaissait pas du tout. Après Sages Po, il y a eu aussi La Cliqua. Comme ils étaient dans le même cocon qu’Olivier Rosset ils ont sortis des trucs. On a écouté leurs sons, on a écouté leur musique, on est venus à leur concert, on savait que c’était un groupe qui tenait la route. 

Manu Key – Très peu d’amis (Les liens sacrés, 1998)

Ah mortel ! J’espère que tu sais qui a écrit ce morceau ? Il est pas loin de toi ! Et il dit rien. (rires) 

Donc ça c’est le premier projet de la Mafia K’1 Fry qui sort en 1998. Est-ce que tu te souviens des conditions d’enregistrement ?

Énorme ! Ce projet c’était… Justement on en parlait avec Mehdi à l’époque, un petit peu avant, la même période et la même ambiance, il y a le Wu-Tang qui sort 36 Chambers. Il y a une anecdote sur cet album : quand ils enregistrent l’album qui se fait très rapidement, qui se fait en moins d’un mois je crois, ils l’ont pas mixé cet album, ils l’ont juste masterisé ! Tellement qu’il sonnait ghetto et propre, c’était bien. RZA il a dit « On ne le mixe pas, on touche pas, on le laisse comme ça« . Quand Yézi L’Escroc déclare cet album ouvert, et dit “Voilà on fait l’album, j’ai un loué un studio”, j’ai eu la même idée, j’ai dit « On l’enregistre, on va le mixer, mais ça sera pas un grand mix. On fait avec l’ambiance qu’il y aura. » Et puis on se retrouve tous là-bas, tous les soirs c’était pizzas, coca, chiens dans le studio, y’avait Moha qui coiffait des gens, y’avait David Sheer qui ramenait des sons… Et on pose, on pose, on pose. Au fur et à mesure, on pose, on balance des textes. Yézi avait une particularité : on l’appelle l’Escroc parce que l’ingénieur lui demandait les sous et tout le temps il retardait, il disait « Écoute, là je récupère les bandes, je vais écouter chez moi et si le produit est bon je te ramène les sous”. Le produit est bon mais lui il voulait pas payer ! Il lui disait (NLDR: il prend une voix énervée et fait semblant de crier) « Ah putain ton son du studio il est pourri ! Je vais être obligé de tout refaire ! Tu te fous de ma gueule ? » Et le mec était là « Ah ouais, désolé… » Et finalement l’album on l’a juste masterisé, on l’a mixé à peu près. Je me rappelle on avait jamais de temps, on ne pouvait pas rester longtemps en studio et l’album est sorti comme ça. En deux semaines à peine. On avait déjà les sons, ça écrivait sur place.

Que des prods de Mehdi ?

Non il y avait une prod de Mehdi, c’est surtout David Sheer qui avait fait les prods. Il y avait une prod de Jeff aussi. L’idée c’était de se retrouver et kicker sans conception particulière. On kickait ce qu’on ressentait mais vraiment, la chose que je regrette, c’est de pas avoir pris d’images. A cette époque, on était pas encore dans l’image mais l’ambiance c’était une folie ! Je me rappelle que dans cette même période, on rencontre des meufs pas loin du studio, on les invite une fois donc elles, elles prennent goût. Elles viennent tous les jours. Puis elles ramènent d’autres meufs et puis tous les jours au lieu de rentrer chez nous on allait chez elles qui habitaient à Pigalle. Donc on dormait, on repartait au studio, ah nan c’était… 

Le studio était où ?

Il était euh… pas à Pigalle… à place de Clichy ! Il s’appelait P6.

C’est paradoxal comme titre, sur un album de groupe. Tu te souviens du choix du thème ?

Ouais parce qu’ils ont apprécié le morceau et moi aussi j’aimais bien.

C’est ton premier morceau solo ?

Ouais je pense que c’est l’un de mes premiers solos.

Manu Key feat. Kery James & Lil’Jahson – Triste point en commun (Manu Key, 1998)

Ouais, énorme ! J’attendais qu’il démarre… Ce morceau, on a mis du temps à l’enregistrer. On a mis du temps à l’enregistrer parce qu’on cherchait un thème fort. C’est moi qui ai eu l’idée de ce morceau, on avait vécu une séparation tous les trois. Quand je l’écris, on doit le poser l’après-midi, j’avais pas fini d’écrire. J’ai dit « Bon je vais finir au studio » et puis arrivé au studio le truc était énorme. Kery a écrit au studio aussi je me rappelle, et Jahson lui avait déjà écrit donc il avait posé le premier. On avait trouvé ça énorme et on s’est dit « Putain il faut vraiment assurer ! » C’était Yvan Jacquemet qui avait fait le son. Donc il pose le son, Kery pose le refrain, et là je suis embêté parce que j’avais une partie et j’avais pas l’autre partie de mon texte. C’était dur parce que plus le morceau il évoluait, plus c’était dur dans la recherche, dans l’émotion. Je ne savais pas quoi écrire et finalement on s’y est mis à trois et puis on a trouvé l’embranchement pour le finir. Franchement sur le coup je ne m’attendais pas à ce que le morceau prenne une telle ampleur ! On a mis toute l’après-midi à le faire, on est arrivés à 14 heures et on a fini vers 20 heures. D’habitude on met moins de temps mais là le morceau avait vraiment un thème important, c’était vraiment quelque chose qui nous tenait à cœur et voilà il y a de l’émotion, il y a de la punchline, il y a des sentiments qui ressortent un peu à travers tout ça.

J’avais interviewé Kery en 2016 et nous étions revenu sur ce morceau. Très ému à la réécoute de ce titre, il m’avait dit: « Là, ce qui me touche, en réécoutant, c’est de voir à quel point je dis encore les mêmes choses. Il y a beaucoup de références à Dieu, il y a toujours cette humilité envers ce que ma mère a pu faire pour moi… Après au niveau rap, il y a déjà du chant dans le refrain. C’est un thème qui a été trouvé par Manu Key qui m’a beaucoup… Voilà quoi ! S’il n’y avait pas eu Manu Key, il n’y aurait pas eu Kery James ! Il m’a beaucoup appris dans le rap, beaucoup protégé aussi dans mes débuts. Eux aussi, avec son groupe qui s’appelait le Possee Ideal, faisaient du rap engagé. Ce qui fait que moi, quand j’ai commencé à faire du rap français, j’imitais le Possee Ideal et donc je faisais déjà du rap engagé. Ils écrivaient des vraies chansons, avec un thème qui tenait du début à la fin.« 

Ouais, exactement ! Il y avait une thématique, on avait vraiment une recherche parce qu’on a découvert que les gens comme Marley Marl, comme Nas, écrivaient des thématiques vraiment profondes. Ils parlaient de quelque chose de bien précis et à travers ça ils mettaient des ingrédients pour sensibiliser les gens, avec des punchlines, il y avait vraiment une direction, une vraie stratégie. En 1993, quand je comprends ça, ma direction de l’egotrip a complètement changé. C’est là que je découvre ce style, cette façon d’écrire. C’est un pote de Mehdi qui s‘appelle Nabil, qui revient des USA avec sa petite cassette audio, une cassette de DJ Clue, il y avait le premier maxi de Nas dessus. Il me dit « Ouais ça c’est ce qui se fait aux States, il arrive avec un album bientôt. » Mehdi, quand il écoute, il fait « Wahoooo ! » Moi je comprenais pas l’anglais à cette époque et il me dit « Je vais te le traduire, c’est un truc de fou ! » et là il me balance des phases, des phases… Il me dit “C’est comme ça qu’il faut écrire, il faut éclairer les gens, il faut faire des thèmes, c’est fini de dire n’importe quoi ! Mon quartier, ma cité…” De là j’ai commencé à écrire, disons jusqu’à maintenant, tous les albums qu’on a produit ou fait, même 113 ou quoi, c’est là-dessus que j’avais le focus : trouver un thème fort et développer autour. 

Ce premier album solo sort en 1998. Est-ce que tu te souviens du temps dont tu as eu besoin pour le conceptualiser et le sortir ? Plutôt long ou plutôt rapide ?

Plutôt rapide. Une, pour une question financière déjà, c’était de l’indépendant. A l’époque il n’y avait pas de numérique, c’était des bandes enregistrées, tu pouvais faire trois sons sur une bande. La bande coûtait assez cher, 700 francs, pratiquement 150 euros maintenant. On allait récupérer les bandes dans le 16ème à chaque fois. On pouvait pas s’attarder, les studios ça coûtait cher, tout était sur le compte d’Alariana. Tous les jours j’allais au studio. J’ai dû mettre à peu près vingt jours. On pouvait pas traîner, c’est pas comme après quand on a eu plus de budget, quand c’est devenu plus professionnel, on était à un mois, un mois et demi.

Avec le recul, deux décennies plus tard, que penses-tu de ce premier effort solo ?

Aucun regret. Je trouve que c’était la bonne période, la bonne époque. Je le sentais comme ça, c’est comme ça que j’aurais dû faire. Après c’est clair qu’on peut toujours améliorer parce qu’avec du recul on peut dire « J’aurais mis çi, ça, là… » mais moi j’ai été chercher les sons qu’il me fallait, l’intro j’ai été la récupérer chez un pote,… Non, j’aurais rien changé parce que cet album c’est une fierté, je savais où j’allais, je savais comment je voulais qu’il sonne et voilà.

Manu Key – Orly Sud (Manuscrit, 2000)

Ouais, mortel ! Chaque fois, j’écoute d’abord. Je sais c’est quoi hein, mais j’écoute le son, la sonorité et je me rappelle de l’ambiance, tout ça. Curtis, produit par Curtis ! C’est un mec qui ramène une maquette chez Alariana, j’écoute le son et je trouve un truc nouveau dans le son. Ca fait exactement comme à l’époque où on est sur csons à la Mobb Deep, et lui il ramène un truc mélancolique avec une sorte d’électricité dans le son, une sorte de magie. Du coup je prends rendez-vous avec lui, il habite dans Paris. Il me propose des sons, je lui dis « Je fais un nouvel album, j’aimerais bien avoir des sons de toi« . Cet album il aurait pu finir en double album parce que chaque titre qu’il me ramène, il y a une couleur qui est vraiment dans l’air du temps, qui fait revivre mon écriture. C’est notamment lui qui a produit tout l’album Si c’était à refaire de Kery, à 90%. Et « Orly Sud » voilà c’est venu comme ça : on était Karlito et moi, il me dit « Parle d’Orly ! » Il y a une dynamique dans ce morceau, une nostalgie, une certaine énergie… C’est un truc qu’on écoute pas tous les jours, c’est ce que j’appréciais. 

Tu enregistrais réellement en solo ou tu arrivais en grosse équipe au studio ?

Tout le monde était là ! On était au Studio de la Seine, on était plus détendus. Professionnalisme encore plus. On avait une grande table de mixage, on avait le temps d’enregistrer, le temps de mixer. Je me rappelle il y avait Karlito, il y avait Dry, il y avait pas mal de monde. 

Cet album arrive rapidement après le premier…

(Il coupe) Ouais, il vient rapidement après le premier parce que j’apprends que Sony veulent me signer en co-édition avec Alariana. Quand j’apprends ça je suis aux Etats-Unis avec Mehdi. Dès que j’ai appris ça pffff… C’est la première fois, en, allez on a travaillé pendant quinze ans sans avoir vraiment d’approche de maison de disque. On appelle Alariana, on va dehors dans un petit cyber. Souheil dit ça à Mehdi au téléphone mais Mehdi me le dit pas avant. Souheil me dit « Il t’a pas dit Mehdi ? – Non, non. -Il va te dire, il va te dire ! – Mais c’est quoi ? – Tu vas voir, tu vas être content ! » Quand on raccroche, on va se balader. Mehdi me dit pas mais il m’attrape et fait « Ahhhh Manu Keeeeey ! – Qu’est-ce qu’il y a ? – Si je te le dis, tu vas devenir fou ! » Je vois pas de quoi il parle. Donc on va dans un cyber, on mange, on boit un truc dans un Starbucks et il me dit « Y’a Sony qui veut te signer !!! » Moi j’y croyais pas… Ohlala ! Il m’a dit « Vas-y on s’y met tout de suite !« J’ai gratté, j’ai gratté, et arrivé en France un mois après j’avais pas mal de pièces à poser. Notre époque elle est tellement difficile, c’est pour ça je te dis que j’ai rien à jeter, parce que tout était magique en fait ! Tout s’emboitait, même si on avait des difficultés au début. On savait pas comment faire un disque, comment le produire, comment le mixer, comment le masteriser. Tout venait petit à petit avec le step up.

La cover a été shootée aux Etats-Unis ?

Non, non, dans un parc ici. On croirait que c’est aux States hein ? Un jour j’étais sur un playground avec un pote, son frère était photographe je crois, il me dit « Mets-toi là, mets-toi comme ça« . Le soleil commençait à se coucher, c’était dans le 14ème je me rappelle. Il m’a dit « Ah, elle est mortelle ! » Je sortais des Etats-Unis donc j’avais le peau de pêche à la new-yorkaise. Le lendemain il me fait voir et je dis « P’tain mais là t’as fait la pochette là ! C’est ça ! Touche à rien c’est ça ! » J’étais assez satisfait de cet album. Tout le monde me dit sur les réseaux que c’était un gros album. J’ai réécouté il y a pas longtemps, il y avait une certaine maturité dans les textes. Sur le dernier morceau qui s’appelle « Illusion », une musique produite par Jakus, super émouvante, on dirait un peu une musique à la Ghostface et Raekwon. Je me rappelle, il y avait plus d’éléments, plus de piano, plus de trucs dans cette musique, et au fur et à mesure au niveau du mix, j’enlève, j’enlève, j’enlève tous les éléments mélancoliques et on le laisse comme ça. Je l’ai écouté il y a pas longtemps, je trouve qu’il y a deux morceaux très très forts dans cet album, c’est « Illusion » où j’étais vachement en avance sur l’écriture, et l’autre peut-être « Manuscrit », ou « Sista ». J’étais bien inspiré à cette époque-là parce que j’étais aussi dans de bonnes conditions, parce qu’on était vraiment dans une effervescence où le rap commençait à monter autour de nous, où j’avais pris conscience qu’il y avait une carte à jouer.

C’est le début des grands succès de la Mafia K’1 Fry, de 113 à Rohff notamment. Désormais tu le vis comme un travail et tu penses carrière solo ?

J’ai toujours ressenti ça professionnellement mais pas dans les mêmes conditions. Déjà, le studio c’est des lock out où le studio est bloqué de midi à… Donc on a le temps, on discute, on ramène les potes, on rigole un peu mais quand il y a le travail, c’est parti. J’écrivais chez moi, j’arrivais là-bas j’écrivais aussi. J’écoutais vraiment les sons, je recherchais, j’avais la main sur la console, j’écoutais, j’écoutais… Jeff, je me rappelle, il aimait pas trop ça qu’on touche à la console. Il disait « Pose, et après tu feras tes trucs » et c’est ce que je faisais, je posais et après j’essayais de trouver les bonnes sonorités. Franchement c’est une super époque !

Te rappelles-tu du choix du titre de ton album ?

C’est Mehdi qui l’a trouvé ! Parce qu’il a dit « Manu » et l’écriture « Script ». C’est même lui qui a fait la typo puis je l’ai gardé, j’ai donné à l’infographiste. C’était énorme ! Il était là au mastering… Non c’était quelque chose hein !

Dans ton livre, tu établis un parallèle assez marqué entre ta vie quotidienne sous la grisaille d’Orly, et les voyages ensoleillés où tu jouais au basket et chillais en Guadeloupe. Quel impact ces différents allers-retours ont eu sur ta vie perso ? Dans quel état d’esprit étais-tu quand tu rentrais à Orly ? Est-ce que tu rêvais d’une autre vie à ce moment-là ?

C’est super intéressant ce que tu dis parce que ma seule envie c’est… Les Antilles, ça m’intéressait pas. Quand j’allais là-bas, c’était vraiment pour trouver le bon air, ou voir mon père ou quand ma mère était là-bas. La seule envie que j’avais c’était de vivre aux Etats-Unis.

Tu étais plus très loin !

Ouais voilà. Un petit peu avant sa mort, Mehdi m’en parlait déjà de se poser là-bas. Lui c’était son fief, c’était son garden New-York ! Tout le temps il me parlait de ça, à chaque fois qu’il restait là-bas de toute façon j’allais le voir. Lui, c’était surtout d’aller vivre là-bas et moi j’aurais aimé être là-bas pour redécouvrir tout ce qu’on avait loupé quand on était plus petits, vraiment aller dans les studios regarder « Ah, ça se passait comme ça ? » Parce que nous on allait toujours là-bas en coup de vent. Et là, de rentrer, discuter avec les ingés… C’est toujours un objectif dans ma tête de faire un reportage là-bas, de redécouvrir un peu où je suis passé et de m’attarder : pourquoi j’allais là ? Comment ? Mon rêve à l’époque c’était de vivre aux USA et les Antilles c’était vraiment un passage comme ça, pour un peu m’extérioriser du quartier. A un moment, fallait que je m’évade, dès que j’ai eu mes premières avances, c’est là où j’allais. J’y allais deux-trois fois par an, après j’allais aux USA, je repartais aux Antilles… C’était vraiment un échappatoire. 

En grandissant, tu as pris l’habitude de maintenir ces voyages vers la Guadeloupe ? Quels liens as-tu entretenu avec l’île et ta famille sur place ?

Ouais, toujours, Antilles – New-York, New-York – Antilles. Il y a encore deux ans j’étais aux Antilles.

Sur « Orly Sud », tu as une phase qui résonne avec l’actualité d’aujourd’hui. Tu dis vouloir « devenir riche comme Donald Trump« . A ce moment-là, pour toi, ton émancipation passe nécessairement par la richesse ?

Hmmm… Ouais, comme quoi (rires) ! Comme tout le monde hein. Qui n’a pas rêvé de ça, d’avoir de l’argent, de profiter, de faire ce que tu veux ? Mais ce qu’on avait à l’époque nous suffisait amplement. 

Manu Key & Karlito – Chienne de vie (Contenu sous pression, 2001)

Ah c’est Karlito ça ! (il chante) « Suffit d’apprendre »… Ouais, l’album de Karlito. C’est quoi le titre encore de ça ? 

Tu l’as pas ?

Ah le titre ? Nan… Produit par Curtis d’ailleurs. « Ainsi va la vie » ! « La vie est chienne » ! « Chienne de vie » !

Parmi tous les membres de la Mafia K’1 Fry, une vraie proximité s’instaure entre vous deux à cette époque et vous ferez plusieurs morceaux ensemble. 

Ouais parce que je l’ai un peu lancé quand il fait son premier maxi Kiffe kiffe mec produit par David Sheer. Quand il fait cet album avec DJ Mehdi, sur un son de Curtis, il aimait bien la sonorité, il ressemble d’ailleurs un peu à « Orly Sud », donc il m’appelle pour faire « Chienne de vie ». Celui-là je me rappelle, je l’avais écrit sur place. Le son m’inspire, le thème m’inspire.

C’est toi qui le ramène dans la Mafia ?

Non. Karlito c’est le cousin de Dry. Il arrive, il est pas en France. Il finit ses études au Congo. Il arrive en 95 à Orly. Il habite chez Dry et puis Dry nous le présente. Il lui avait fait un texte chez lui et il nous dit « Ouais il a des textes de fou ! » Karlito arrive avec son afro au Demi-Lune et nous fait un texte que personne n’a compris. Il sortait des mots… On était étonnés. Tout de suite il était démarqué par rapport à ce qu’on faisait nous. Il y avait de la poésie, c’était mortel quoi ! Après il pose sur la mixtape de Thibault De Longeville qui s’appelle Opération coup de poings, c’est de là que tout le monde a validé son entrée dans la Mafia.

Il y avait un rite pour rentrer dans la Mafia ?

Non, lui, c’était naturel. C’était le cousin à Dry, il savait écrire, il savait poser, c’était un peu nouveau pour nous. Il avait vraiment un côté mystérieux, on a dit « Lui c’est le mystère de la Mafia » et après c’est Mehdi qui a trouvé l’histoire du « secret le mieux gardé », qui a trouvé l’histoire de pas le montrer, d’appeler son album Contenu sous pression. Il y avait vraiment un concept autour de ça. 

Cet album a connu un vrai succès d’estime et est souvent reconnu comme classique par les aficionados. Pourquoi Karlito n’a jamais enchaîné derrière ?

Beaucoup de presse spécialisée ou beaucoup de presse populaire qui sont revenus vers lui et lui, il ne faisait jamais d’interview, il faisait rien donc c’est Mehdi qui reprenait la charge, il en parlait. Déjà à l’époque, il avait peur, ça arrivait trop vite, avec plein d’appels et tout. C’est Mehdi qui finalement prenait les interviews pour lui parce que Karlito les faisait pas. Et tout de suite après, je me rappelle qu’ils ont enregistré un deuxième album. Je ne sais pas ce qui est arrivé à Karlito, comme maintenant, et comme dans sa folie il a dit à Mehdi “Non, je ne le sors pas.” Alors que l’album, pffff c’était une planète encore ! L’album c’était une bombe et il a dit à Mehdi « Non, laisse tomber, je retourne dans mon ghetto, j’ai pas envie de faire du rap. » Et puis après il a disparu pendant quatre-cinq ans. On l’a revu sur quelques titres de la Mafia, on l’a revu sur quelques feats, mais l’album où ils étaient encore dans l’élan, il n’a jamais voulu le sortir parce que je pense que c’est surtout l’entourage, l’entourage qui dit « C’est pas du rap« . A l’époque il était jeune, il avait sûrement pas compris qu’il fallait faire ce qu’il aime et pas ce que les autres aiment. 

Donc là, il y a un album non sorti de Karlito produit par DJ Mehdi quelque part sur Terre…

Je pense que c’est Mehdi qui avait les bandes. Karlito je lui ai demandé déjà deux ou trois fois mais il m’a dit : « Nan, j’ai plus« . Je suis persuadé qu’il l’a, il me le dira un jour. L’album c’était une tuerie ! Juste après. Parce qu’ils en avaient enregistré tellement de titres, et je me rappelle que quand ils ont sorti l’album, ils sont retournés au studio à Mercredi 9. Tu te rappelles de ce studio Rocé ? Dans une sorte de garage ?

Rocé : Ouais, ouais.

Manu Key : Bah c’est là où ils enregistrent. Aussi dans la période de Rocé. C’était un peu un enclenchement comme ça. Karlito avait enregistré plein de titres, il retourne enregistrer et puis arrive le succès d’estime, y’avait Les Inrocks et compagnie. Karlito, disparition totale. Donc c’est Mehdi qui se met dans une position de rappeur, qui répond à toutes les interviews un peu bobo, parisiens, tout ça. Donc il y a un deuxième album qui est prêt, qui est chaud patate mais lui il veut plus. 

Il a toujours fonctionné comme ça alors, vis-à-vis de tout le monde, même avec vous.

Toujours, le mystérieux. Le mec qui veut rapper mais qui veut pas, il re-veut, il veut plus. Toujours comme ça. Lui, il faut vraiment le motiver par ce qui peut se faire après. Ce qui peut être bien pour lui après.

C’est presque un exploit ce qu’a réussi Mehdi avec ses deux albums…

Ah ouais, ouais ! Avec des conceptions différentes, des sonorités différentes, c’est un exploit.

Mafia K’1Fry – Pour ceux (La cerise sur le ghetto, 2003)

L’histoire de ce son, c’est Jakus de Jacques Cartier qui ramène ce son. Je pense qu’on enregistrait au studio dans le 15ème, à la Motte-Picquet. On était en train d’enregistrer un morceau, on n’avait pas fini, et Jakus nous fait écouter ce morceau. On laisse tout tomber, on devient fous ! Y’a Rohff qui griffonne un truc, il va poser et on lui dit « Le couplet que tu poses, il fait trop refrain« . Quand il a posé ça, on l’a calé dans le refrain, ça allait super bien et puis chaque mec a commencé à performer dessus. Ça nous a mis dans une dimension, et là on était très critiques l’un envers l’autre, des fois ça a dû reposer deux fois parce que c’était pas assez puissant… Y’avait vraiment une compétition, un challenge qui était lancé.

Vous étiez tous en studio ?

Ouais, ce jour-là on y était tous. D’ailleurs c’est l’un des morceaux où on a mis le moins de temps à poser parce qu’il était tellement inspirant, avec de l’énergie. En même temps fallait pas faire beaucoup de mesures, chacun se succédait.

Est-ce que tu es donc supporter de l’Argentine ?

Ouais, toujours, depuis toujours ! (il sourit) Mon grand-frère, je me rappelle je lui avais volé le maillot, j’étais parti à l’école avec et il voulait pas. Mon frère m’avait engueulé à l’époque “Pourquoi t’as pris le maillot ?” Argentine 82 quoi… C’était grosse époque, grosse grosse grosse époque !

La conception de cet album s’est faite dans des conditions encore meilleures ?

C’était un studio qu’on avait réservé, payé pendant un mois, on était en lock out aussi. On avait régularisé avec le mec, je me rappelle on l’avait tordu parce que la séance était à 400, on avait réussi à l’avoir à 300 je crois. Et on avait traumatisé l’ingénieur qui était là parce qu’on faisait que de se moquer de lui et finalement il a démissionné. C’était un chinois je me rappelle. Lui il enregistrait que la journée et la nuit c’était un autre, et un moment à un roulement on a dit « – Non mais c’est toi qu’on veut la nuit ! C’est toi !” (rires) – Non mais moi je peux pas ! – On a demandé au patron, on veut TOI la nuit ! – Bon, bon, je vais essayer… » Et il est venu un soir, le traumatisme. C’était pour rigoler mais on connaît les chinois, eux c’est toujours le travail droit, nous on avait un humour assez particulier. Le premier truc qu’on lui a fait comme blague, c’est qu’on entendait pas au casque. (rires) Et pendant une demi-heure « On entend riennnn ! » Il cherchait partout, on entendait grave ! La deuxième c’est que « la voix est pas bonne, tu mets trop de basse… » Le lendemain il y a le patron qui dit « Vous avez fait quoi ? Il veut plus venir, il a démissionné ! » Dans « Si tu roules… » le documentaire de la Mafia, on le filme et on raconte ça, on est en plein studio où on le traumatise d’ailleurs là.

« Fallait pas trop traîner parce que la première fois où ils viennent à Orly, on commence à tourner, au bout de cinq minutes y’a la police qui arrive. Ils ont arrêté Kourtrajmé, les keufs ils prennent la cassette, ils demandent de la détruire. Heureusement qu’on venait de commencer ! »

Avec le recul des années, que retiens-tu principalement de ce morceau : ton plus gros classique -même si c’est pas en solo-, l’un des morceaux les plus importants de l’histoire du rap français ou l’un des clips les plus marquants ?

Jusqu’à maintenant, après vingt ans, le truc tourne toujours ! Je sais que Rohff le joue sur scène, pas mal d’artistes le jouent aussi. Avec le recul, ouais, c’est l’un des plus gros morceaux qu’on ait fait avec « Hardcore ». Voilà, le clip qui va avec, complètement dingue, réalisé par Kourtrajmé. On rencontre Kourtrajmé, on leur donne le CD qui n’était même pas mixé à l’époque, ils trouvent ça complètement ouf, ils nous appellent, ils nous disent l’idée du clip, nous on devient fous parce que pour nous c’est impensable ! Ils nous disent qu’on va faire comme si c’était une journée passée dans un quartier, où il y a des motos, vous défoncez tout, vous vous tapez. A l’époque il n’y a pas encore cette image de caméscope qui va un peu partout, on leur dit « – Mais comment vous allez faire ça ? – T’inquiètes pas, c’est notre taf, on a une caméra à la main, on va vous suivre et chaque quartier doit être représenté. » C’était le mercredi, et eux nous ont dit « On fait ça samedi ! » Wahoo ! De mercredi à samedi ? Donc j’appelle un peu tout le monde, ceux qui avaient posé et je dis « On va commencer par Orly, on fera Vitry, etc.” »Et le bouche-à-oreille est venu dans les quartiers, qu’il va y avoir un clip et c’est comme ça que le truc s’est monté.

Le tournage a eu lieu en une seule journée ?

En une journée ouais. Fallait pas trop traîner parce que la première fois où ils viennent à Orly, on commence à tourner, au bout de cinq minutes y’a la police qui arrive. Ils ont arrêté Kourtrajmé, les keufs ils prennent la cassette, ils demandent de la détruire. Heureusement qu’on venait de commencer ! « – Ah OK je coupe la bande -Ah nan nan nan, tu casses ton truc ! » Dès qu’ils sont repartis « Ecoutez les gars, on a vraiment vingt minutes ! Ils sont partis, on s’y met ! » Il a repris une cassette et baaaah !

Il manquait une autorisation de tournage ?

Ouais parce qu’il y avait du monde, attroupement, des motos, des chiens… c’était surtout pour ça. 

L’idée d’habiller OGB en…

(Il coupe) Ah ça aussi c’est Kourtrajmé ! A Robespierre, le grec est connu, tout le monde va là-bas. Au début il devait être serveur et OGB il dit « Ah non mais moi je sais couper la viande ! » « Attends mais c’est lourd, attends on va te filmer ! » Et c’est parti comme ça l’idée en fait.

Est-ce que tu rappelles de la première fois où vous avez rappé ce morceau ensemble en concert ?

Ouais, c’était à Toulouse. Dans les années 2000, c’était un festival de rap. C’était assez énorme, tu n’as même pas besoin de chanter les paroles puisque c’était un hymne ! Avant qu’on se produise sur scène, on avait fait une cassette VHS, on l’avait envoyée dans toutes les MJC de France et dans tous les quartiers avant qu’il y ait Internet donc la cassette elle tournait, elle tournait… tout le monde avait vu le clip !

Le clip était aussi dispo sur un CD sampler de Groove non ?

Exact ouais, bien vu ! Il n’y avait pas Internet, pas Whatsapp, tout ça… on essayait de le diffuser, tous les magazines spé en parlaient.

Manu Key feat. Booba, 16ar, Zoxea, Oxmo Puccino & Dany Dan – Quai 54 (Prolifique volume : 1, 2004)

Hum ! Ouais, « Quai 54 » ! Sur une prod de DJ Mehdi. C’était énorme ça aussi ! Enregistré dans un petit studio pourri mais ça va il ressort bien. Incroyables les gens qu’il y a dessus, les réunir comme ça, un à un, c’était assez fantastique !

Le casting est ton idée ?

Euh ouais, trouver les gens qui connaissent un peu, qui savent en parler… C’était assez bien. Booba, il est venu le premier je me rappelle. Il avait déjà écrit. Et puis ça s’est enchaîné comme ça au fur et à mesure de la semaine. 

Donc chacun est venu séparément, il n’y a pas eu de session en commun ?

Ouais, chacun est venu séparément.

Booba était dans le basket aussi à ce moment-là ?

Non mais il connaissait quand même. Il était déjà venu au Quai 54, il connaissait l’ambiance, il savait. 

Les Sages Po on connait votre proximité. Mais pourquoi avoir invité également Oxmo Puccino et 16ar de L’Skadrille ?

Parce qu’Oxmo, son petit frère était dans le basket professionnel (NDLR: Mamoutou Diarra), et 16ar je l’avais déjà entendu kicker sur un truc qui parlait de basket.

Le clip n’était pas envisageable ?

Ouais, parce que toujours pas cette ouverture vers l’image. Il n’y avait que des grosses caméras et ça coûtait cher de clipper, il fallait des professionnels ou des gens de confiance qui peuvent te faire un clip en trois heures comme maintenant quoi… Avec un iPhone tu fais un clip maintenant. Dans les années 2000 y’avait pas ça au début, c’est dommage.

C’est à ma connaissance le premier morceau dans le rap français entièrement dédié au basket. Le basket qui est ta discipline sportive favorite. A cette époque tu joues et/ou tu coaches ?

Ouais, je suis joueur en parallèle avec la musique. Je suis joueur à l’AS Orly, je passe mon temps entre le gymnase et les studios. Voilà, c’était important de faire un morceau comme ça vu qu’il y avait la grande époque du Quai 54 et moi je voulais absolument trouver une hymne, mettre dans mon album un morceau où il y a des artistes qui posent un peu à la façon de Rucker Park. 

Tu as visé une carrière pro dans le basket ?

Non, déjà j’ai fait dix ans de football avant. Quand je me suis mis dans le basket à 16-17 ans je jouais au foot encore, puis après j’ai arrêté le foot, je me suis au basket, j’ai compris vite le jeu, toutes les valeurs qu’il véhiculait. Et à un moment vers 18-19 ans j’avais vraiment l’ambition de faire quelque chose, et après vraiment la musique a pris le dessus. Il fallait faire un choix. Une petite réflexion et puis la musique, quand j’ai commencé à voir qu’on avait l’occasion d’enregistrer des titres, je m’y suis consacré vraiment et j’ai foncé !

Tu jouais quel poste ?

Poste 1 (NDLR : autrement appelé « meneur ») parce que j’étais mince à l’époque, élancé mais mince. Et j’aimais bien Magic Johnson, c’est lui qui m’a éclairé au niveau du basketball et moi je voulais ressembler à ce joueur dans la façon de transporter le ballon, de le passer, d’articuler le jeu vers l’avant. C’est ça qui m’intéressait. 

Est-ce que tu as eu ce même rêve américain pour le basket et la NBA que pour le foot ?

Ouais, ouais, on avait le regard là-dessus et ceux qui nous influençaient en France c’était les Moustapha Sonko et aux Etats-Unis c’était la Dream Team. Mais ça m’a effleuré l’esprit comme ça, quand je jouais vraiment, j’étais vraiment passionné, je passais mon temps sur les playgrounds ou dans les gymnases mais après c’était plus le rap qui m’a vraiment porté. 

Il y avait encore moins de basket à la télévision que de nos jours. Comment faisais-tu pour suivre l’actualité et les matchs ?

Ben, euh… les cassettes ! Les cassettes VHS que les gens se passaient, les Come Fly With Me, les cassettes de Magic, The Best, tout ça… ben ça se les refilait. On avait un entraîneur à l’époque et lui il était déjà armé dans tout ce qui est Canal +, tout ça, on faisait des petites ambiances à Noël chez lui avec tous les joueurs, et c’est là que j’ai découvert le premier All-Star Game en 92. Il avait plein de cassettes, je devenais fou et j’osais pas lui demander parce que je le connaissais à peine. Quand il l’a prêté à un joueur, ah j’ai couru chez le joueur ! (rires) A l’époque, tu te rappelles, y’avait deux caméscopes où tu pouvais faire un duplicata. C’est là où il m’a fait le duplicata et comme j’avais un caméscope pourri j’ai dû l’enrayer mais j’ai dû la regarder des dizaines de fois, j’étais assez content. 

En ce moment tu passes tes diplômes d’entraîneur, est-ce que tu vis du basket ?

Ouais, c’est mon métier de tous les jours. Je suis en épreuve de finalisation d’obtention de diplôme là, ça a mis du temps parce que ça devait finir au mois de juin mais avec le Covid tout a été fermé donc ils ont reculé. Maintenant on est en présentiel et là on est sur la fin, j’espère avoir ça. Je suis salarié à temps partiel dans un club professionnel à Vanves, en National 1, en tant qu’assistant. 

Comment es-tu arrivé dans ce club ?

Par le réseau. Dès tout jeune j’étais dans le basket, je jouais à Orly mais j’allais quand même voir, par curiosité, à chaque fois qu’il y avait des potes à moi qui étaient pro à l’époque, j’allais dans leurs salles regarder comment ils s’entraînent. De là on a fait la connaissance d’un autre gars, et puis le gars on l’a revu, on a échangé. Le Quai 54, j’avais le numéro un peu de tout le monde, et je savais que ce gars-là jouait à Vanves, je lui ai dit « Vous cherchez pas un gars pour assister ? » Il m’a dit « Attends, je vais demander au président. » Hop, il m’a appelé et j’ai eu une convocation du président. C’est de là que j’ai parlé de mon projet de vouloir passer mon diplôme à haut niveau, et lui me dit « Justement, nous, si on recherche un assistant pour épauler le coach comme on vient de monter, ça serait bien. T’as de l’expérience, t’as du bagage, t’es là depuis longtemps… Ouais pourquoi pas, vas-y ! » Et c’est comme ça que l’affaire s’est faite. Comme quoi, tu vois, des fois, quand tu t’y attends pas, je suis passé d’un petit club régional dans mon quartier à de la Nationale 1 assez vite. J’étais content. Après j’ai rencontré le coach, dans l’observation, côté terrain, et puis après on s’est liés. Le plus dur c’est de se mettre à hauteur du public. J’observais, ça allait un peu vite pour moi dans les débuts parce que c’est quand même trois-quatre niveaux au-dessus. J’ai commencé, il m’a dit « Tu peux les échauffer là aujourd’hui ?« , les gars disaient « Ah ça change un peu. C’est assez nouveau, c’est pas mal, c’est dynamique. » Au fur et à mesure j’ai pu prouver mon truc et puis je me suis fait ma place. Ils m’ont signé là pour une deuxième saison donc je suis assez content. 

Entre ta fin de carrière dans le rap et cette nouvelle carrière de coach, quelle a été la vie de Manu Key ces dernières années ?

Manu Key ? Ben il se cherchait… Il a écrit un livre tout simplement pendant trois-quatre ans. Toujours dans l’expertise du basket. En attendant, j’ai écrit un livre au fur et à mesure, pièce par pièce et puis ça a mis du temps parce que c’est pas une histoire qui se raconte en deux jours. J’ai pris mon temps, j’ai raconté, et après est venue la collaboration avec Rocé pour pouvoir l’éditer.

Rocé feat. Manu Key – Magic (Gunz N’ Rocé, 2013)

Ah ! Yes, yes ! L’invitation. C’est l’époque magique ! Après le décès de Mehdi, on a voulu rendre hommage par des morceaux assez propres à lui, où il avait participé, avec pas mal de monde. Il s’est fait au fur et à mesure mais après, quand on a présenté le projet à sa mère, elle nous a dit « Non, je veux que vous laissiez mon fils reposer en paix.” »On a écouté. Rocé avait déjà écrit un truc et avait eu l’idée de m’appeler pour poser une brève apparition sur le morceau. C’est un morceau d’une grande richesse dans le texte et dans la musique. C’était en 2013.

Morceau qui boucle la boucle de votre histoire commune. Pourquoi vous le surnommiez « Magic » ?

« Magic » parce que c’était un magicien de la musique, un peu à la Quincy quoi. Quincy on l’appelle le gangster musical, et Mehdi c‘était le magicien du son.

Avec Rocé, votre relation a donc perduré en dehors du rap depuis votre première collaboration en 1996 ?

Exactement ouais ! On se suit, on s’appelle, on raconte des conneries, des blagues… On continue à s’appeler, s’apprécier, se voir de temps en temps quand on peut, on a pas mal d’amis en commun. 

Pour revenir sur ce projet hommage, à quel point a-t-il été avorté : une vague idée ou de vraies maquettes concrètes ? Plutôt des solos ou des rencontres ?

Ouais on a carrément enregistré pas mal de groupes, c’était des solos : IAM, Rockin’Squat, Disiz, Different Teep, Sages Poètes de la Rue, Rocé… Kery James qui avait fait le son « La mort qui va avec » qu’il a mis dans son album finalement (NDLR : album Dernier MC sorti en 2013) C’était cette idée de départ, de retrouver tous ceux qui avaient bossé autour de Mehdi et faire une compilation hommage. Il devait y avoir Solaar qui allait poser… C’était vraiment une bonne idée. Mais on peut pas aller à l’encontre du désir de la mère. Ces morceaux on les a toujours, ils sont toujours là. 

J’imagine que ce n’est pas quelque chose qui se négocie… même pour les dix ans de sa disparition ?

S’il n’y aura pas de son, il y aura sûrement un truc, on essaiera de faire un doc. Franchement ce serait bien. Il faut que j’en parle avec Thibault… Je ne sais pas mais il faudra faire un truc pour ses dix ans. Lui rendre hommage d’une certaine façon. 

Est-ce que vous vous réunissez chaque année pour l’anniversaire de sa disparition ?

Non, moi je vais au cimetière une fois par an au moins. J’essaye de ne pas aller à une date bien définie. Je passe par Père Lachaise à un moment où j’ai besoin de tranquillité. Je sais qu’il y en a qui vont, je sais qu’il y en a qui… après c’est propre à chacun.

Je te pose la question pour en être sûr même si je me doute de la réponse : le biopic de la Mafia K’1 Fry est toujours en stand-by ?

C’est toujours en stand-by, rien de concret. Ca parle de ci, ça parle de ça… On parle plus d’un biopic Manu Key que Mafia ! C’est une idée, j’aimerais prendre mon temps aussi là-dessus. 

D’ailleurs ce livre, comment est venue l’idée: On te l’a soufflée ? Est-ce que tu as toujours eu en tête de le faire ?

C’est venu comme ça. Du jour au lendemain. Comme je te disais, je faisais rien de spécial dans ma vie et j’ai dit « Tiens, je vais en parler, je vais écrire, je vais parler des épreuves, de la musique…« 

Tu as des attentes particulières vis-à-vis de ce livre ?

Pas d’attentes particulières mais qu’il soit bien reçu, perçu, continuer à diffuser le projet, l’histoire, l’emmener le plus loin possible et peut-être faire des conférences, en parler, véhiculer ce message qu’il y a eu un groupe qui s’appelait Mafia K’1 Fry qui a existé pendant pas mal d’années, où il y avait plein de rappeurs à l’intérieur, qu’il y a eu des rebondissements, des messages…

2013 marque tes deux dernières apparitions sur disque (Marche Arrière et Gunz n’Rocé), là tu envoies deux inédits pour fêter la sortie de ton autobiographie : est-ce qu’on peut potentiellement attendre un nouvel album de Manu Key dans les mois ou années à venir ?

(rires) Potentiellement ? Non, non. Pour deux titres là, comme on dit, on va porter le chameau sur les épaules. Mais après, je ne pense pas non.

Ça ne te manque pas ? L’envie de rapper a disparu avec le temps ?

Non, non. Pas l’envie de rapper mais j’ai surtout envie de me consacrer à autre chose. J’aime bien être focus sur une chose, une chose après l’autre. J’ai toujours ces bons moments de studio où je trouve un côté symbolique dans la musique, se retrouver en studio, c’est vraiment important. Quand je vais en studio, c’est pour une cause bien précise. La dernière fois que j’ai été en studio, j’ai attrapé le COVID ! J’ai un pote qui m’a dit « Passe au studio« , je suis passé et trois jours après j’étais cuit. Et tous les mecs qui étaient dans le studio aussi donc c’est là-bas que je l’ai choppé. 

Pour conclure cette interview, si tu devais retenir un seul couplet, titre solo ou groupe, de toute ta discographie, que choisirais-tu ?

Euh… (il réfléchit) Tu peux me mettre le titre « Manuscrit » ? J’en garde un bon souvenir. (Il écoute) Ouais, « Manuscrit » ! Je garderais cette image du son que Mehdi avait fait devant moi. Il me dit « Celui-là il t’irait bien. Vas-y, balance un petit truc » et je lui fais ce texte. Il me dit « C’est bon là, le son il est bon. Demain y’a studio, je te le ramène, je te le mets de côté. » Je garderai une super image de ça. 

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