Tour d’horizon du rap péruvien

Article traduit en castellano ici.

Précisons avant de démarrer que cet article est rédigé par un exilé habitant depuis moins d’un an au Pérou ayant mis environ 25 ans à ne toujours pas comprendre le rap en France. Alors un an pour capter, digérer une scène étrangère, c’est bien insuffisant, d’autant plus en temps de Covid, en l’absence de tout événement hip hop physique dans le pays depuis mars 2020. Il s’agit donc ici d’une sélection très loin de l’exhaustivité, mais cependant une tentative d’établir un panorama des grandes tendances de l’histoire du rap péruvien.

Le rap au Pérou a commencé bien tard, plus tard que dans la plupart des autres pays d’Amérique du Sud. Le hip-hop a débarqué ici surtout par les classes moyenne et élevée, celles qui pouvaient voyager aux Etats-Unis. Après des années d’importance donnée au break dance, le rap, à la même période que le graffiti, a fait son apparition au début des années 90. Quelques groupes de rock tels que Arena Hash ont bien fait des morceaux rappés auparavant, mais le premier groupe de rap à proprement parler, Golpeando la Calle, a été formé en 1991. Ce n’est pas si tard, certes, mais il a fallu attendre un paquet d’années avant que le mouvement se lance pour de bon. Le premier album de rap a été publié en 1998 par Droopy G. Ces deux événements seront abordés dans cet article.

Aujourd’hui le rap péruvien semble à un tournant. A l’heure où des groupes de rap très classiques, tels que Rapper School, ont déjà franchi les frontières sans vraiment exploser et tandis que les scènes rap chilienne et argentine ont déjà produit leurs stars en Amérique du Sud, au Pérou une jeune génération semble prête à tout péter dans la musique trap. Si le succès reposait uniquement sur le talent elle aurait d’ailleurs déjà explosé.

Mais ça ne suffit pas. On se rend compte du développement incroyable de l’industrie du rap en France en observant l’industrie du rap au Pérou. Ici les grandes maisons de disques sont totalement absentes du mouvement. Ici on ne parle pas de certifications chaque semaine. D’ailleurs comme le sujet n’est pas abordé, il est difficile de dire aujourd’hui si le disque d’or, fixé à 10 000 équivalents ventes dans ce pays de 32 millions d’habitants, a déjà été remis à un artiste rap péruvien. Je fais l’hypothèse que non. Dans le laps de temps où les magasins ont rouvert dans le contexte de pandémie, j’ai cherché des disques de rap locaux. J’ai fait quelques disquaires, j’ai demandé autour de moi. Je n’ai rien trouvé. Quand j’ai eu la chance de trouver un disque de rap au milieu des albums punk rock, il n’était pas péruvien et c’était les Beasties Boys… Le hip-hop, venant en général des périphéries, a pénétré les centre villes par la rue, par des événements souvent sauvages dans des parcs ou sur des places, mais il est très loin d’être institutionnalisé. Les disquaires, les boutiques, les radios, une grande partie des bars du centres de Lima ont encore tendance à ignorer la culture hip hop. Dans les musiques qu’on pourrait qualifier de contre-culturelles, le rock, développé en réaction à la dictature militaire des années 70 et imprégné aussi de la période terroriste et répressive des années 80, 90, rafle encore la mise

On se sent encore ici, pour le rap, dans une ambiance de musique de niche, où les artistes se soutiennent, où tout le monde collabore avec tout le monde et où personne n’est encore assez gros pour se faire clasher ou pour risquer de clasher. Cependant l’arrivée de la trap, dans une rap du Pérou où la scène « boom bap » reste importante, a vu poindre son lot de puristes mécontents dans le public, avec, comme en France il y a quelques années de débats agités sur la définition du « vrai rap ».

Malgré les quelques pépites de morceaux qui s’y trouvent, cet article ne doit pas être vu comme une sélection des meilleurs sons écoutés ici. Il a pour but de vous faire voyager entre les différents styles, les différentes régions et même les différents dialectes puisque le rap en quechua y sera abordé. Il vous emmènera donc aussi en province dans un pays où tout est pourtant très centralisé sur Lima et où les moyens professionnels pour faire du bon travail dans la musique sont plus rares en dehors de la capitale.

Dans cette industrie encore peu organisée, il est parfois difficile d’obtenir des informations, des biographies, des discographies. Veuillez pardonner donc le manque de données pour certains artistes et surtout ne pas blâmer le Bon Son que je remercie de me faire confiance pour ce one shot.

Golpeando La Calle – Live (1994)

Pour draguer les puristes (on est quand-même sur Le Bon Son) et faire un point d’histoire en plongeant dans les années 90, commençons par cette vidéo inécoutable. Il s’agit d’un live du premier groupe de rap péruvien,  Golpeando La Calle, tourné en 1994 à Callao, une ville populaire collé à Lima et plus grand port commercial du Pérou. Ce groupe constitué de jeunes de Callao et du quartier limitrophe, Cercado de Lima, s’est formé en 1991 à une période où le break était en plein déclin. Très présent tout au long des années 90,  il était composé de nombreux membres issus des différentes discipline du hip hop : rap, break, deejaying, graffiti…

Golpeando la Calle n’a a priori jamais sorti de disque. Durant cette période le hip-hop se passait uniquement dans la rue, lors de concerts, d’événements. Ce sont d’ailleurs deux membres du groupe, Dj Pedro et M Sony M qui, dans le but d’unir toute la communauté (c’est beau) lanceront en 1998 le proclamé « Movimiento Hip Hop Peruano ». Ce mouvement prendra forme au Parc Kennedy du quartier Miraflores de Lima qui chaque dernier vendredi du mois verra des dizaines voire des centaines de « b-boys » se réunir pour célébrer le hip hop (c’est vraiment beau).

Bon, vidéo inécoutable certes, mais qui pue le rap et sur laquelle on apprécie la performance d’un groupe qui frappera la rue (« golepeando la calle ») et Lima durant la décennie Fujimori, du nom du président autoritaire et corrompu en place au Pérou entre 1990 et 2000, et aujourd’hui en prison .

Droopy g – Cadenas invisibles (Cadenas Invisibles, 1998)

14 ans après l’album Paris City Rappin’ de Dee Nasty en France, c’est en 1998 que sort le premier album de l’histoire du rap péruvien. Droopy G, membre de Mafia Organisada, deuxième groupe de rap au Pérou après Golpeando la Calle, décide de mettre sa musique sur disque et cassette en sortant l’album Cadenas Invisibles. Le rappeur afro-péruvien du district de Surquillo à Lima a découvert le rap grâce à sa sœur qui était en couple avec un américain collectionneur de disques et de cassettes. Voyant que les artistes sur les pochettes avaient la même couleur de peau que lui, il s’est plongé dans cette culture. C’est comme ça que le rap est arrivé au Pérou, par ceux qui avaient la chance d’avoir des contacts indirects, comme lui, ou directs avec les Etats-Unis.

Après plusieurs années à écumer les concerts et événements rap, Droopy G ne voulait plus se contenter d’être écouté dans la rue mais souhaitait que sa musique pénètre les maisons. Les studios de rap étant inexistants à ce moment là, l’album a été enregistré dans un studio spécialisé rock ce qui a permis de créer les beats avec des instruments, une vraie plus value de l’album selon les mots Droopy G dans le documentaire Vida Hip Hop, historia callejera.

Considéré aujourd’hui comme l’un des principaux représentants péruviens du rap chrétien – mouvement important en Amérique du Sud puisqu’on trouve même un site internet spécialisé raperoscristianos.com – il s’est rebaptisé Isaac Shamar et en est à six albums solo.

La religion c’est peut-être donc la voie qu’il a choisi pour briser les chaînes invisibles (« cadenas invisibles ») dont il parle dans ce premier album et notamment sur le morceau du même nom. L’album résolument old school et sympathique, contient quelques bons moments mais montre surtout le chemin qu’il restait à parcourir à cette période pour le rap péruvien. Quant à la pochette du disque, elle reste toujours mieux que celles de Cappadonna.

La Raza – La pose (Demo, 1998)

Et si la thèse officielle qui dit que Droopy G a sorti le premier album de rap péruvien était fausse ? Et si cet article écrit par un petit « touriste » français foutait le merde dans livres d’histoires du rap péruvien  ? Heu… Le groupe « alternatif » La Raza, à la croisée des chemins entre rap, rock, reggae et electro a bien sorti un disque qu’il a qualifié de « démo » en 1998 et, n’apparaît pas dans la liste des premiers albums de rap au Pérou (nous ne connaissons pas le mois de sortie de l’album). Deux hypothèses pour cet oubli:

. Le rappeur et leader du groupe, Nicolas Chiesa est de nationalité argentine. Bien que le groupe ait été formé à Lima et que les musicos soient bien péruviens, ça a pu poser problème pour être classé dans le rap national.

. Le groupe est clairement dans un genre hybride… Les puristes (ceux qui font les classements) n’aimaient pas ça à l’époque.

Quoi qu’il en soit La Raza a rencontré son petit succès à la fin des années 90 mais aussi beaucoup de problèmes… Ils parlent du métissage (leur nom La Raza, signifiant littéralement la race, est un terme employé aux Etats-Unis pour désigner les latinos), font l’apologie de la marihuana et appelle à l’insurrection. En pleine décennie Fujimori, dans un pays traumatisé par des années de terrorisme d’extrême gauche (cf. le Sentier Lumineux), tout ça dérange et de nombreux concerts sont annulés. Finalement le groupe se dissout en 2000 et Nicolas Chiesa se tourne vers le reggae avant de revenir 10 ans plus tard sur scène avec une Raza 2.0 où il sera le seul membre original.

Fucking Clan, Urbano & Dominio – Fucking Clan (Perú Sonidos vol.1, 2000)

 Pour rester sur les pionniers et ne pas avoir à choisir entre trois groupes importants de cette période, Fucking Clan, Dominio et Clan Urbano, nous avons choisi ce freestyle réunissant les trois, d’ailleurs ligués dans un super collectif sous le nom aussi de Fucking Clan. Cet enregistrement, extrait de la mixtape Perú Sonidos vol.1 est une bonne illustration de l’ambiance d’une époque et a peut-être bien été enregistré au Parc Kennedy de Miraflores un de ces fameux derniers vendredis du mois…

Si on en croit cette descritpion Youtube, tout a commencé vers le début des années 2000 pour Dominio. C’est en 2001 que Fakta, Mega et Master ont formé officiellement le groupe où il y aurait pu aussi avoir un autre emcee en la personne de Mr Lyrico, très proche des membres. Lyrico avait déjà une trajectoire puisqu’il avait fait partie du groupe pionnier Mafia Organisada. Ensemble et avec d’autres, dont le groupe Clan Urbano, ils ont formé un super collectif sous la bannière du Fucking Clan. Les membres du collectif ont été rappeurs les plus productifs en termes de productions physiques dans la première partie de la décennie, en commercialisant leurs propres cassettes et CD puis en organisant leurs propres concerts.

Si vous aimez ce freestyle et cette instru jazzy vous devez écouter l’album de Dominio, Too da play qui, bien que bourré d’imperfections à cause notamment du manque de moyens, est l’un des meilleurs de cette période au Pérou, un disque qu’on pourrait qualifier de rap conscient voir de rap tranchant contenant des textes très bien écrits sur des instrus d’inspiration East Coast de DJ Zadik du Fucking Clan.  Prenez le temps d’écouter les morceaux « Welcome to Lima » et «Rumihasi » morceaux dont les instrus mélancoliques renforcent encore un peu plus le sentiment de nostalgie qu’on peut ressentir en écoutant tous groupes disparus comme semble l’être aujourd’hui Dominio.

Du collectif Fucking Clan aujourd’hui ne restent que Clan Urbano, devenu assez connu, ainsi que Mr Lyrico et Zoldia qui forment maintenant seuls le groupe Fucking Clan qui chantent ici leur amour pour l’alcool star au Pérou, le Pisco

Moraleja Clandestina – Inspiración (Mixtape mrc, fin des 2000’s)

En 2007 le site rapaleo.com,  très influent sur le développement du hip hop au Pérou, décide de faire un reportage à  Arequipa. La volonté du site est de montrer que le mouvement existe aussi en province dans un pays où tout, et pas que la musique, est très centralisé sur Lima. Cet article sur Le Bon Son a la même volonté, et même si les meilleures productions se trouvent clairement à Lima, le but est aussi de faire découvrir le rap de tout le pays. Dans ce court documentaire de Rapaelo, on fait donc la connaissance du groupe Aréquipénien Moraleja Clandestina (Moral Clandestine) composé de ETC, Doblepe, Jota et Djuanki. Voici un extrait de leur mixtape de l’époque. Et puis franchement on n’en sait pas beaucoup plus

Callao Cartel – Soy de Barrio (Mis Raíces, 2016)

Les quatre prochains artistes dont nous allons parler sont tous de Callao, la ville portuaire limitrophe de Lima. C’est aussi la ville où se trouvent les quartiers catalogués par la police péruvienne comme les plus dangereux du pays. Le rap de Callao contient de vraies particularités qui sont même décrites dans ce travail réalisé par la professeure Liuba Kogan pour la Universidad del Pacifico. Ce document décrit les différents thèmes abordés dans le rap de Callao et l’un d’entre eux est la rue comme dans ce morceau de Callao Cartel.

Il ne s’agit pas du meilleur groupe de Callao mais c’est clairement celui qui est devenu le porte-drapeau de cette ville. Kasike a commencé à la fin des années 90 au sein du duo La Bemba avant que son binôme ne parte à New York, qu’il entame un parcours solo pour finalement former en 2004 Callao Cartel. Le groupe a vu passer de nombreux membres mais semble aujourd’hui formé par Kasike, Dj Prax et  El Rebel.

Osons la comparaison douteuse entre Callao Cartel et Jul. Un Jul old school, fan de Cypress Hill et sans autotune. Au même titre que le rappeur de Marseille, ils ne cherchent pas à être des esthètes, à produire des chefs d’œuvre mais ont ce côté authentique et proche des gens. Et c’est ça qui leur a permis de rencontrer un public et de devenir un des groupes de rap les plus populaires du Pérou, loin toutefois des chiffres de Jul. Alors oui ça donne des beats assez cheap d’inspiration criolla (musique péruvienne qui est un mélange d’influence entre colons espagnols, esclaves venus d’Afrique et musique native) ou dancehall, des refrains parfois douteux, des clips super amateurs, mais ça rappe. Et il y a un côté « loco », un côté destruction, un côté rue qui va bien avec Callao. Ce clip « Soy de Barrio » en est une bonne illustration, ça rappe les rues de Callao dans les rue de Callao. Les rappeurs parlent de la dangerosité de la rue, de la possibilité de mourir à chaque instant, de la pauvreté mais aussi de la famille, l’amitié, du sentiment d’appartenance au quartier et de l’activisme des habitants. Ils racontent leur vie simplement et le clip donne l’impression de partager leur quotidien, de les accompagner pendant une journée banales dans le quartier, décrit comme le lieu ou bien et mal cohabitent.

Libertad Underground – Un mirado al cielo (Los Grillos Negros, 2013) 

Le groupe Libertad Underground, approfondit lui dans ce morceau le thème de la mort, si présente dans la ville de Callao. Le morceau, sous forme d’un story telling, parle de la douleur que provoque chez un parent la perte d’une fille assassinée. Sur un riff mélancolique de guitare électrique, à la tristesse succède la haine et le désir de vengeance, faisant entrer l’auditeur dans le cercle vicieux de la violence. Violence qui aura sûrement lieu durant la nuit, ces nuits de Callao qui invitent à la délinquance et à l’homicide comme le décrit Libertad Underground dans un autre morceau, « Noche Tetrica ». Ces deux titres sont extraits de l’album Les  Grillos Negros (Les Grillions Noirs ) sorti en 2013 par ce groupe formé  de Manher,  Meke et Coyote en 2011 et qui semble aujourd’hui inactif.

Fresh fish – Date Cuenta (LPKU Freestyle, 2017) 

Fresh Fish,  un nom presque trop téléphoné pour  un  groupe du port de Callao. Celui-ci est formé par Lios Narro, Noriega, Chalex, Pailon X, Kawsay, Zulu et Ballo (pas tous présents sur ce morceau). Il se décrivent comme un ensemble hétérogène avec des inspirations et perceptions différentes mais unis autour d’un même slogan, « estamos para trascender, no para rimer estupideces » (nous sommes là pour transcender, pas pour faire des rimes stupides).

Le morceau « Date Cuenta » a été filmé, dans le quartier Zarumilla, par le collectif LPKU qui a sorti une série de freestyles vidéo de ce type contenant des vraies pépites de l’underground liménien. Le titre est aussi sûrement un extrait d’une des mixtapes de la série Massacre produite par LPKU.

Sur instru d’inspiration New-yorkaise, les emcees de Fresh fish, impressionnent tous au micro. Ici ils rappent la vie dans le quartier où cohabitent « rappeurs et sicarios », on entend beaucoup les mots « plomo » « sangre » et « matar » avec même des images d’un enterrement dans la vidéo tout ça combiné avec des paroles et d’autres images mettant en avant humilité, fraternité, solidarité, famille et talent artistique. Toujours dans ce lieu donc où bien et mal cohabitent, séparés par une frontière bien trop fragile.

Moratti VF – 3 : 57 (2012)

A priori 3 : 57 n’est pas la durée du morceau mais l’heure à laquelle se lève ou se relève le rappeur pour commencer à zoner. Ici Moratti parle aussi de la vie dans Callao et de la tentation, même presque de l’obligation de tomber dans la délinquance pour sortir de la pauvreté. « Les circonstances méritent un acte de délinquance » selon lui. Le morceau datant d’une petite dizaine d’années pue l’underground. Le clip bien réalisé et l’instru boom bap angoissante sont en adéquation avec le texte : c’est le bordel dans l’esprit du rappeur qu’on sent à la limite de sombrer et c’est le bordel dans le clip où s’enchaînent images nocturnes et diurnes, sourires et tensions.

On voit sur Youtube le tampon de Callao Underground, collectif existant depuis 2008 et cherchant la transformation sociale des quartiers violents avec des ateliers qui ont pour but de former de nouveaux rappeurs. Possible que Moratti ait suivi ces ateliers. Il semble qu’aujourd’hui il se consacre au beatmaking sous le nom de Lacuadra60

Renata Flores Riveras – Tijeras (2018)

Elle a 19 ans, elle est d’Ayacuaho dans la partie orientale des Andes péruviennes. Elle s’est faite connaître dans le pays  en 2014 en participant à l’émission La Voz Kids, un tremplin pour enfant. Elle y interprétait « Fallin’ » d’Alicia Keys en Quechua, la langue des ces ancêtres apprise grâce à sa grand-mère dont elle était frustrée de ne pas comprendre les conversations. Un an plus tard elle reprenait « The way you make me feel » de Michael Jackson, toujours dans la langue des incas, et le monde tombait déjà amoureux d’elle comme le titrait à l’époque un reportage de la BBC.

Par la suite et après quelques autres reprises de pop mondiales, elle a commencé à composer ses propres morceaux et à se construire un univers plus proche de la trap. « Le rap est un genre agressif musicalement, je sens qu’avec lui je peux parler de thèmes sociaux et les exprimer sous une forme de protestation » dira-t-elle au site peru.info. Rythme qu’elle adoptera donc pour finalement que le New York Times la surnomme récemment « La Reine de la Trap Quechua ».

En 2018 c’est dans ce style qu’elle sortait le morceau « Tijeras » (les ciseaux), sur un beat de Kayfex, lui aussi d’Ayacuho, du nom et au rythme d’une danse ancestrale de sa région réputée très majoritairement pratiquée par les hommes (une danse montrant également d’étranges similitudes avec le hip hop qui a même donné lieu à des battles entre danseurs Tijeras et danseurs de break). Un pied de nez tout sauf anodin pour une chanson dont les paroles sont une protestation contre les féminicides et les agressions dont souffrent les femmes. Elle y incite les femmes à parler, à dénoncer, à être unies dans un pays gangréné par les violences faîtes aux femmes et où plus de 5000 d’entre elles ont disparu en 2020 dont une bonne partie pendant les longs mois de confinement Covid.

La musique est belle quand, en plus d’être un porte-voix, elle se trouve au croisement entre recherche des racines et ouverture sur le monde. On attend la suite avec impatience pour celle qui travaille dur actuellement sur son premier album Isqun tout en prenant le temps de donner quelques leçons de Quechua sur ses réseaux sociaux.

  Manan pipas qawanchu manan imatapas
Atinichu ruwayta, rimayta munani
Qhaparispanmi, tukuy runa
Manan uyarikunchu rimasqayta
Qinaspa nini: qhaparisaqmi

Extrait du morceau en quechua

  Personne ne regarde,
Je ne peux pas parler je veux parler,
Avec beaucoup de force
Personne n’entend ce que je dis
Donc je crierai 

Traducition de l’extrait en français

Norick – Meidin Perú  (Alma, Corazón & Vida, 2015)

Difficile de parler de rap péruvien sans parler du groupe Rapper School – Promoción Lunátika dont Norick est membre. Groupe phare de la scène péruvienne « rap classique », Rapper School est composé de Warrior, Norick, Street et Dj Deportado. Ils se sont formés entre 99 et 2001, peu de temps après les pionniers donc, lors des fameuses réunions  hip hop du parc Kennedy à Miraflores, non loin du quartier Surquillo, dont est originaire Norick. Ils ont grandi au rythme des freestyles, battles et open mic, sports nationaux au Pérou quand le Covid ne terrorise pas la planète. Si vous voulez entendre des scratchs en 2021 Rapper School fait la musique qu’il vous faut et globalement le rap péruvien vous contentera.

Après plusieurs albums albums en groupe, Norick sortait en 2015 le premier de ses quatre disques en solo dont le morceau « Meidin Pérú » est extrait.

Sur un rythme boom bap accompagné d’un riff de guitare, cette chanson est une véritable déclaration d’amour à son pays, ses paysages, sa cuisine, ses racines. Pas sûr que tant de patriotisme serait possible dans le rap en France mais tout dépend de quel côté de la colonisation on se trouve. Là où en France, le rap est une musique en majorité pratiquée par des artistes issus de l’immigration post coloniale, au Pérou c’est avant tout la musique des « cholos », ces métis dont les racines locales ont été en partie effacées par la colonisation espagnole. Ici donc, mettre en valeur son patrimoine, aimer sa terre, ou comme Renata Flores parler la langue ancestrale, c’est aussi une manière de militer face aux oppresseurs du passé et ceux du présent. C’est d’ailleurs pour ça que le morceau de Norick contient ces deux idées complémentaires pour lui : l’amour de son pays et la critique du gouvernement. Illustrées par cette phase extraite du morceau « Peruanos es sinónimo de progreso y no esas mier*** sentadas en el congreso » ( Péruviens est synonyme de progrès, et pas  ces mer*** assises au congrès )

 Liberato Kani – Kaykunapi (Rimay Pueblo, 2016)

Son pseudo « Liberato Kani » est un mélange de latin et de quechua signifiant « Je suis libre ». Libre de fusionner le genre musical mondialisé qu’est le rap avec la langue et la musique de ses racines. Liberato Kani rappe des textes en quechua et en castellano sur des beats comme il le dit lui même « provenant des contextes andins et amazoniens. ». Parti vivre dans la Puna (partie la plus haute des Andes) avec sa grand-mère suite à la mort de sa mère quand il avait neuf ans, c’est à elle qu’il doit l’apprentissage du Quechua.

Le emcee aujourd’hui établi à Lima, est considéré comme le pionnier du « hip hop andin » péruvien. Celui qui a découvert le rap en écoutant Eminem, sortait son premier album en 2016 Rimay  pueblo ( la voix du peuple) dont est extrait Kaykunapi. Ce qui représente une rareté, faire du rap en quechua lui ouvrit pas mal de portes et lui permit de faire des salles prestigieuses péruviennes mais aussi en Allemagne, en Espagne, à Cuba, au Chili et aux Etats-Unis. On lui souhaite donc une fin rapide de la crise sanitaire mondiale pour défendre comme il se doit sur scène son nouvel album « Pawaspay » qui vient à peine de sortir.

Nos dicen apprender ingles porque es lo que vale,

La idioma quechua dejalo a tus padres que no saben 

Extrait du morceau en espagnol

Ils nous disent d’ apprendre l’anglais Parce que c’est ce qui compte,

La langue Quechua, laisse ça à tes parents qui ne savent pas  

traduction de l’extrait en français

Strong Black – Tu vago (2020)

Loin des préoccupations linguistiques de Renata Flores ou Liberato Kani, la majorité des artistes trap péruviens prennent des pseudo à consonance anglophone.

Au Pérou la trap détonne depuis quelques années avec des groupes pionniers comme Inkas Mob débarqué en 2014. Elle est souvent vue comme un genre à part entière, à côté du rap. En fait ici, pour le résumer vulgairement, tout ce qui n’est pas du boom bap, c’est de la trap et une partie du public rap a déclaré la guerre à cette nouvelle école. La frontière étant parfois, il est vrai, bien mince entre les deux genres, une partie du public classe même parfois les artistes trap dans le raggaeton, musique qui écrase toutes les autres dans le pays et détestée par beaucoup d’acteurs rap de l’ancienne école. Alors que certains trappeurs assument complètement cette classification, Strong Black la rejette pour revendiquer un héritage clairement rap à l’image de ses débuts en groupe ou de son tout premier disque solo sorti il y a quatre ans, « Asunto Personal », dans un vibe plus classique.

L’artiste de San Juan de Miraflores , district populaire du sud de Lima, a choisi la trap pour se libérer des contraintes inhérentes au rap « orthodoxe ». Il voulait s’ouvrir le champ des possibles, se découvrir et utiliser ses super-pouvoirs, varier les flows, les musiques, les outils, tels que l’autotune qu’il utilise sur quasi chaque morceau.

Et ça fonctionne. Il kicke, il chante, il fait pleurer, rire, danser et utilise toutes ses armes de manière optimale. Il parle du quartier (« la Zona C« ), de son ambition, de sa vida loca pleine de substances toxiques mais surtout il parle d’amour. Parler d’amour dans le rap péruvien n’a jamais été une honte, quelques soit l’époque et le style. Même les rappeurs les plus hardcores le font dans un pays et même sur un continent où la musique est vue avant tout comme une expression de ce feu intérieur.

Il est le leader du mouvement « Tap$sur », un sceau difficile à définir ou à délimiter mais qui, en gros, englobe des artistes de son entourage. Il agit en totale indépendance, comme tous le rappeurs ici,  et déclare en interview « ici on n’a pas d’industrie, pas de Sony, pas de Warner, pas d’appui pour les artistes qui viennent d’en bas donc si personne ne m’appuie, j’irai chercher la réussite tout seul ».

Donc il enchaîne, il est très productif, en un an et demi il a sorti une quinzaine de clips sur sa chaîne Youtube et un mini-EP pendant le confinement Covid, tout ça après son dernier album, NGG en 2018. Parmi ces morceaux on trouve « Tu Vago » (ton glandeur) racontant l’histoire d’un glandeur promettant monts et merveilles à sa petite amie. L’histoire est basique. Mais l’interprétation est incroyable et le beat minimaliste s’efface pour accompagner la voix du rappeur qui devient l’instrument principal de la chanson. La variation entre les graves et les aigües, la manière qu’il a de pousser sa voix à l’aide d’une utilisation parfaite de l’autotune, une diction nonchalante donnant l’impression qu’il méprise certains mots ou certaines syllabes et une façon parfois inédite d’agencer les phrases (« Loco voy siguiendo el dinero pensando en que gastaríamos ») font de ce morceau une œuvre envoutante . La liberté qu’il recherchait par son changement de direction musicale, il l’atteint jusque dans sa manière d’écrire et de poser. II s’est créé un espace sans règles, sans limites qui lui permettra d’atteindre les sommets.

 Kaele Bigger – Ahora Soy Yo (2020)

Kaele Bigger est un artiste affilié « Trap$ur », du district San Juan de Miraflores avec  Strong Black donc dont il est très proche et qu’il remercie dans ce morceau de « lui avoir tendu la main ». Ils ont même sorti un EP commun, « Smoking on the Roof » en 2018, juste avant le premier ep de Kaele en 2019, « Lo Justo ».

On peut lui trouver plein de points communs avec Strong, dans sa maîtrise de l’autotune ou sa nonchalance mais Kaele a un côté bien plus hardcore. Une violence qui se retrouve d’abord dans un vocabulaire marqué par sa passion pour les putes (le nombre de fois il emploie le terme « Puta » ferait rougir Alkpote) mais aussi dans sa manière de rapper, avec un flow marqué par les changements réguliers de débit allant de la voix traînante au kickage vraiment sale.

Cette violence est la conséquence d’une attitude rejetant toute croyance et contrainte, montrant autant de rage que de résignation, attitude propre à à des artistes, dont on devine l’influence dans sa musique et son look, tels que Lil Uzi Vert, Lil Peep ou XXXtentacion, ceux à qui on a posé donc l’étiquette « Emo Rap », qu’on pourrait mettre aussi à Kaele Bigger, surtout après avoir vu cet autre clip en feat avec MNZR & Yezzy Wallace. Ce clip incroyable contient des références, des substances, des looks empruntés à l’univers du rock, et nous ramène une fois de plus à ces barrières qui tombent et permettent à Kaele, au même titre qu’un Lil Uzi Vert, d’envisager la vie de rock star, tout en excellant dans la rap.

Mais le morceau choisi c’est « Ahora soy yo ». Sorti il y a quelques mois ce morceau clippé contient un refrain chanté et un couplet rappé dont la cadence s’accélère jusqu’à perte du souffle, sur une boucle synthé mis en beat par Nayitruizj. Ce titre montre bien les différentes facettes du rappeur Liménien. Ici Kaele Bigger nargue  ceux qui n’ont pas cru en lui (« ahora soy yo el que tiene a las putas en el carro y se viste caro») tout en rappelant que d’autres lui faisait confiance comme sa mère et Strong Black. Avec ce genre de refrain archi addictif, il n’est pas à exclure que le nom d’un ses morceaux avec Strong Black et Chemc, « Rockstar », soit prémonitoire. Ce nom devait d’ailleurs être donné aussi à son nouvel album mais ce dernier, sorti sans hasard ce 14 février, s’appellera finalement Sad Boy .

 Sloowtrack – Carepalo (2020)

Encore un artiste de trap de Lima d’une vingtaine d’années. Lui vient du district de Santiago de Surco, dans un quartier de classe moyenne. Dans ce petit monde de la trap péruvienne, il connaît aussi très bien Strong Black puisque ils ont même sorti un disque ensemble, nommé Doble Impacto aux alentours de 2015. A ce moment Sloowtrack faisait partie du groupe Guerreros del Bajo. Toute cette période était synonyme de rap plus classique pour lui.

Aujurd’hui, dans un univers beaucoup moins nihiliste que ses collègues cités précédemment, Sloowtrack alterne comme eux le rap et le chant. Il écoute d’ailleurs beaucoup le rappeur américain Russ dont il a même repris le morceau Got This dans une version espagnole, ce type d’adaptation se faisant beaucoup au Pérou.

Dans une trap péruvienne où les artistes importants ont déjà pour beaucoup collaboré ensemble mais où les égos et les clashs commencer à pointer, lui explique en interview que l’industrie est trop sous-développée pour se clasher et qu’il faut unir les forces. Il regrette que les médias et le public péruvien s’intéressent plus à la scène extérieure qu’à la scène péruvienne, d’autant plus dans la « musique urbaine ». Il déplore aussi que Faraón, le Fata Bazooka local, soit devenu pour pas mal de médias internationaux le représentant de la scène trap péruvienne mais surtout une occasion de la railler. Ce Youtuber avec des morceaux comme « Oh me vengo » (« oh je viens », au sens de « je suis en train de jouir »), fait plus de vues que tous les artistes de la scène trap locale. On peut penser que Fred Musa lui aurait proposer un Planète Rap.

Bien qu’ayant commencé par le rap classique, de plus en plus Sloowtrack n’hésite pas à proposer des univers assez lointains du rap : il chante au rythme de la cumbia sur « No me dice na » et il fait partie de ces artistes trap qui n’ont pas peur de virer raggaeton sur le morceau Shh Shh (qui n’a vraiment rien à avoir avec un morceau d’Arsenik). Sa signature récente sur le label Toro Artis music Miami avec pour objectif de « rendre sa musique internationale », laisse penser qu’il naviguera de plus en plus entre les genres.

Dans ce clip sorti en décembre 2019 il se définit donc comme un Carepalo, terme plus employé au Chili ou à Cuba qu’au Pérou signifiant ne pas avoir ou ne pas montrer d’embarras, de honte ou de regret. Effectivement dans ce morceau, avec une bonne touche d’egotrip il explique ne pas être atteint par le regard des autres, par les commentaires négatifs sur sa musique, son physique, son style « gringo » ou autre. Il y chante et rappe avec un autotune proche de la saturation comme si son logiciel avait buggé au même titre que les machines dans son clip.

Janice –  Tiempo (2019)

Même si elles restent sous-représentées et sous-estimées dans une trap péruvienne souvent machistes, les femmes sont quelques-unes à avoir du talent. Parmi elles Janice. Ce morceau « Tiempo », à l’image de son univers musical, se trouve au croisement entre R&B et trap. Elle y parle d’une relation amoureuse passée, des regrets, du désir, de l’affection qui reste, de l’humeur qui varie comme le beat synthétique d’Hiro Angeles, dont le tempo changeant rajoute à cette atmosphère de confusion. Le clip est tourné dans La Casa Del Auxilio, ancien Sanatorium de Lima devenu un lieu d’expression artistique liménien mais aussi un endroit réputée pour ses nuits festives quand il n’y a pas de pandémie mondiale.

Janice fait partie de cette jeune génération qui tente. Sa musique a fait d’elle une des révélations des années passées et lui a permis en 2019 d’être bookée sur de nombreuses scènes en impressionnant lors d’un show donné à l’occasion de la finale de la Red Bull Batalla de Los Gallos. La popularité de la liménienne de même pas 25 ans ne cessent de croître. Elle ramène une couleur musicale encore rare au Pérou et la placer dans les grands espoirs de la musique du pays ne serait pas si risqué. Elle vient tout juste de sortir son nouvel album No Pueden Contra mi.

 La Prinz – F. the police (2020)

Issue d’un milieu très pauvre dans le nord de Lima, La Prinz a appris à chanter et à rapper aux côtés des nombreux artistes de son quartier. Elle se revendique donc de l’école rap de sa rue et par extension du rap de Puerto Rico très écouté dans le quartier et de manière générale très important en Amérique Latine.

Elle forme en 2010 avec Sky Sapiens le groupe Las Damas pour finalement aujourd’hui privilégier une carrière solo tout en continuant à collaborer régulièrement avec Sky comme sur ce clip avec quatre autres rappeuses Lima qui mérite toutes votre attention.

Celle qui est autrice, compositrice et interprète a sorti trois albums contenant des morceaux rappés mais aussi parfois des titres très chantés. Elle parle beaucoup de la rue, du quartier mais aussi de la place de la femme dans la société, dans le rap ou encore dans la relation de couple. Elle parle d’ailleurs à Madame Rap, dans ce qui est un des rares articles français sur le rap péruvien, de son rapport au féminisme.

Son dernier clip, réalisé suite  au meurtre par la police  de George Floyd aux Etats-Unis, parle des violences policières en pointant du doigt le fait que la police n’est jamais du côté du peuple. Sur un beat de Fx-M Black, mélangeant notamment de sons de piano et de flûte, le morceau contient des couplets rappés, où elle martèle ses reproches envers l’institution, et  un refrain addictif, très proche du reggae, comme si celle qui se fait aussi appeler Original Rudegyal, voulait prendre le temps de bien faire comprendre le message prioritaire  du morceau « Fuck the police »

PS : Pas réussi à savoir si son blaze vient de la joueuse de foot allemande Brigit Prinz alors vous étiez tous en train de vous poser la question.

Inkas Mobb feat Strong Bkack – Fuck the police (TRAPONETEAMZOOYOU, 2019)

Juste un petit bonus parce que poser dans cet article deux morceaux avec ce titre ça fait du bien par les temps qui courent. En plus on voit M’Bappé dans le clip et un des membres  d’Inkas Mobb, groupe pionnier de la trap au Pérou s’appelle Ginola (allez les bleus). Puis le morceau défonce (mais il faudra parler plus sérieusement d’Inkas Mob un jour)

« Siempre gano, me llaman M’Bappé ».

Puis tiens du coup on en profite pour vous renvoyer vers ce freestyle de Nero Lvigi, membre du groupe, parce qu’il défonce aussi et parce que, en tant que bon habitant du quartier La Victoria à Lima, il a un maillot de l’Alianza Lima dans la vidéo.  Un hommage donc au plus vieux club de foot péruvien l’année de sa première descente en deuxième division depuis 80 ans.

Django feat Cesar Vega – La Calle esta dura (En nombre del hip hop, 2019)

Django s’est fait connaître en 2006 en atteignant la finale de la Red Bull Batalla de los Gallos version Pérou alors qu’il n’avait que 17 ans et avait dû présenter une fausse carte d’identité pour participer. Commencer par un hold up, pas étonnant pour celui qui a choisi le même pseudo qu’Oswaldo Gonzales, alias Django donc, célèbre braqueur de banque liménien, et qui a même en 2019 participé à la B.O. d’un film inspiré de la vie du braqueur « Django : En el nombre del hijo »

Comme il le raconte à RPP Noticias, ce succès à la batalla lui a donné l’envie de continuer dans le rap et un an plus tard un rappeur déjà en place à Lima, Pounda Ranks, lui propose d’enregistrer un morceau, « Feeling » qui sera donc sa première participation à une chanson.

Il enchaîne ensuite, les morceaux, les disques jusqu’à avoir aujourd’hui la réputation d’être un des meilleurs « kickeurs » de la scène rap classique péruvienne. S’il vous faut une preuve, écoutez le morceau « Fuimos« , une démonstration de rap énervé en mode story telling dans la peau d’un délinquant du quartier pour qui l’histoire finira mal.

Mais nous avons choisi ce titre avec le jeune chanteur péruvien Cesar Vega parce que cet article avait besoin d’une touche de salsa, musique très populaire au Pérou. Sur une instru de Gonzalo Genek et Blazt, ce titre « La calle esta dura » parle de la dure vie  des rues de de Lima. Il sera extrait peut-être du futur EP de Django, « en el nombre du hip hop » en référence donc au nom du film cité plus haut.

JKO feat. Jacho – Not Extinguished  (Alegorias Vol.1, 2020)

Selon les dires de Isra M. Sanchez, administrateur de la page facebook « Cusco Hip Hop », les meilleurs artistes de Cusco n’ont pas d’exposition par manque d’argent et de producteurs intéressés par cette musique. En effet ici personne ne dépasse les quelques milliers de vues sur Youtube et la plupart sont même bloqués à quelques centaines. Dans l’ancienne capitale de l’empire Inca, le fort afflux de touristes du monde entier peut parfois camoufler la vie de la jeunesse locale et rendre encore plus marginale les musiques actuelles dans l’ombre du Huayno et de la musique traditionnelle inca. Pourtant ici, une partie de la jeune génération cherche à exister par le hip hop tout en l’enrichissant de la culture locale. C’est le cas de JKO et Jacho qui ont écrit ce morceau pour le disque du premier cité, Alegrias Vol.1.

Comme nous l’a dit lui même JKO sur Whatsapp, le morceau « not extinguished » parle de « la lumière qui existe en chaque être de ce monde, l’essence humaine, le calme, l’élixir de la vie  ». Dans son couplet d’ailleurs JKO parle des sommets qu’il a gravis et qui lui ont permis de trouver son âme. Ces sommets sont les grands Apus, termes utilisés par les incas pour désigner les montagnes de grande importance. Pour les andins chaque montagne a un esprit protecteur de la région. Plus grande est la montagne, plus elle est spirituellement importante. Dans la région de Cusco les Apus sont le Salkantay et l’Ausangate, deux sommets de plus de 6000 mètres de la cordillère des Andes sur lesquels JKO a fait des « pèlerinages »  qui lui ont permis de trouver « sagesse, calme et lumière intérieure ».

Un morceau donc qui aborde ce thème tellement présent dans cette région, celui de l’énergie spirituelle, du rapport à la terre mère (la Pachamama), du lien avec les ancêtres et de la recherche de l’âme. Ce n’est pas un hasard non plus si le clip a été tourné sur les hauteurs de Cusco près des ruines incas de Kallachaka.

L’instru du morceau, d’inspiration boom bap contenant une boucle au son mystique se marie bien aux propos des rappeurs. Elle a été produite par Beats by Mafia. Le titre a été enregistré dans le studio-salon de tatouage de JKO, U-22.

Baci feat. Urbano et Miguelon Mow – 3 mas (2015)

 Dans la catégorie « rap provincial sans moyen », nous partons à Iquitos, capitale de la province du Loreto au cœur de l’Amazonie Péruvienne et aussi plus grande agglomération du monde non accessible par la route. Cette région est souvent considérée comme la région oubliée du Pérou et près de 40 % de la population y vit sous le seuil de pauvreté.

Dur dur donc de trouver une scène rap locale avec des moyens et beaucoup trouveront ce son « cheap » à tout niveau. Un beat minimaliste que ta grand-mère aurait pu faire. Même le clip du morceau a été mal téléchargé sur Youtube. Pourtant en connaissance du contexte, et comme il est écrit dans la description Youtube, beaucoup d’efforts ont été mis dans cette production. Aussi les trois jeunes emcees Urbano, Baci et Miguelon rappent avec talent et honnêteté leur vie de comptoir iquiténienne. « je ne ne sais pas pourquoi mais tout me rend mal, rien ne m’anime, l’alcool soigne mes blessures » rappe Baci comme pour illustrer cette vie où l’alcool sert à éponger la tristesse. Cet état provoqué par une situation à la marge du monde où la « modernité » a débarqué avec son lot de frustrations voire de dépressions, où le pillage des ressources naturelles a apporté prospérité, puis chômage quand ces ressources ont été épuisées (notamment les arbres hévéas pour le caoutchouc). Faire la fête, danser, peindre – comme sur les murs du clip -, boire sont autant d’activités qui aident à oublier la pauvreté, l’insalubrité de certains quartiers, le manque d’avenir et l’ennui.

Negra $uerte, Ticqsy Muyun, Ele, Elsa Soulec et Farrah – La Ronda Cypher 05 chez Diáfanuz (2018)

C’est la mode des freestyles « cypher » au Pérou, qui consistent à freestyler face au micro dans un endroit clos. Celui-là, organisé par la salle de répétition Diáfanuz, réunit  plusieurs rappeuses de Lima et Callao sur le thème du féminisme. Negra $uerte, Ticqsy Muyun, Ele, Elsa Soulec et Farrah tirent à balles réelles sur le système patriarcal qu’elles dénoncent « somos las que se cancaron de este systema patriarcal » ou « Cuando las mujeres se juntan empieza la revolucion » rappent-elles avec détermination et un sourire narquois comme pour se foutre de la gueule de la société machiste péruvienne devant laquelle elles lèvent ici leur troisième doigt. Ce n’est pas seulement pour son thème que ce freestyle est présent dans cet article mais bien parce qu’elles déchirent au micro avec une mention spéciale pour la première à rapper Negra $uerte que nous allons suivre de près.

Comité Pokofló (Pedro Mo, El Dedos) & Mr Blo – 40 Veces Nomade (A la Perucho Mixtape, 2013)

Comite Pokoflo est un groupe de rap de Lima à forte connotation sociale et politique formé en 2008 par des gens qui avaient déjà auparavant un parcours dans le rap et dont certains comme Pedro Mo font même partie des pionniers du mouvement. Le groupe se revendique d’une ligne socialiste-mariateguiste (du nom de José Carlos Mariátegui, écrivain péruvien, grand intellectuel de la pensée socialiste péruvienne, ndlr), et voit la culture hip hop comme un outil de transformation de la société. Cette vision les amène à participer des ateliers de création collectifs, établir des partenariats avec le monde associatif et à beaucoup voyager dans le pays pour être au plus près de tous les terrains. Ils ont cette idée bien ancrée que le hip hop est la culture des abandonnés, des invisibles, des opprimés, comme le dit Pedro Mo dans une interview qu’il a donnée  pour La Republica à l’occasion de la sortie de son dernier album solo Ingobernable en 2019.

Entre les anciens membres et les membres actuels, chercher à citer tout le monde entrainerait un risque d’omission que nous ne prendrons pas. Ce qui est est sûr aujourd’hui c’est que Pedro Mo et El Dedos font partie du Comité et que les rencontres faîtes au fil de leur chemin les ont poussés à croiser le micro avec le français Mr Blo faisant partie du groupe de Mantes-la-Jolie, Full Delbor. Ca donne ce morceau « 40 veces nomade », ou ça parle justement de voyages, de rencontres, de mélanges de cultures sur un beat piano jazz de Teorico (peut être un sample d’Ahmad Jamal ?) sur lequel Guru se serait éclaté. Le titre est extrait de la mixtape de Mr Blo, consacrée à ses connections avec des artistes péruviens « A la perucho mixtape » sortie en 2013, avec un clip contenant de très belles images du Pérou. Perucho étant un mot familier employé comme une contraction de « Peruano » et « Cholo ».

Bonus

Terco92 – Carta para el Congreso vol.2 (2020)

Repêchage de dernière minute pour cette lettre écrite par Terco92 à destination du congrès péruvien dans un contexte politique brûlant au Pérou. Le 9 novembre dernier, Martin Vizcarra, alors très populaire Président de la République du Pérou a été destitué par le congrès pour une affaire de corruption datant de 2013, alors qu’il avait lui même fixé comme objectif le nettoyage des corrompus. Le Président du congrès Manuel Merino, initiateur de la destitution est alors devenu Président de la République temporaire comme le dicte la constitution. La peuple péruvien n’a pas accepté ce qu’il a considéré comme un coût d’état des congressistes dont la majorité est également sous le coup de soupçons de corruption et se trouvait visée directement par la politique anti-corruption de Vizcarra. Terco92 s’est fait le porte-parole de la colère exprimée par ce peuple et a écrit la suite de sa première lettre envoyée au congrès il y a déjà deux ans dans le contexte de démission du président précédent Pedro Pablo Kuczynski, lui aussi accusé de corruption (vous suivez ?).

Dans ce morceau, le jeune rappeur qui a grandi dans le quartier de Villa Salvador au sud de Lima, dénonce les ambitions de congressistes qui agissent pour leurs intérêts personnels avant de penser au bien être de la population. Il rappe dur sur une instru volontairement simpliste pour laisser entière place à un propos aussi fort que la colère que le peuple péruvien a exprimé dans tout le pays suite à la prise de pouvoir de Merino. Colère réprimée fortement par la police et causant la mort de deux jeunes liméniens, Inti et Bryan (d’autres manifestants ont été tués dans les semaines suivantes durant les manifestations contre une loi agraire).

Irving OD – Como Alan (2020)

Puisqu’on est sur ce sujet, jetez une oreille et un œil au clip d’Irving O.D. « Como Alan ». Alan pour Alan Garcia, ancien président péruvien suicidé en 2019 parce qu’il était accusé de corruption dans l’affaire Odebrecht, cette entreprise brésilienne de BRP qui a versé des centaines de millions de dollars de pots de vin à une pléthore de personnalités politiques de différents pays d’Amérique du Sud. Ce titre fait étrangement penser au morceau « Christian Estrosi » du rappeur français Infinit.

Jota (Pérou) vs Skone (Espagne) – Finale Red bull, Batalla de los Gallos (2016)

Difficile d’évoquer le rap au Pérou sans parler des tournois de clash, sport national ici, comptant de nombreuses ligues, de nombreuses réunions, sur les places, dans les parcs etc… (toujours dans un monde sans pandémie). La plus fameuse ligue de la discipline est la « Red Bull Batalla de los gallos » très réputée dans le monde du rap hispanophone et qui, pour vendre un soda au goût de médoc, donne lieu parfois, admettons-le, à de jolis spectacles. Chaque année une compétition nationale se déroule dans chacun des pays participants dont les vainqueurs participeront au tournoi final international.

Sans rentrer dans le détail des règles, il s’agit d’un clash d’improvisation sur instru en plusieurs rounds, en général devant un public nombreux et surtout un public spécifique à cette discipline, pas forcément issu du public rap. La seule finale qui a eu lieu à Lima en 2016 a battu le record d’affluence avec 25 000 spectateurs venus se réunir sur la Costa Verde de San Miguel pour supporter la star du freestyle local, Jota MC, face à l’espagnol Skone. Dans l’esprit de certains aficionados cette session restera comme la pire finale de l’histoire de la batalla du fait du comportement du public péruvien dont le manque de fair play n’a d’ailleurs pas empêché la défaite de son poulain.

D’ailleurs pour certains emcees, comme Norick, les batallas donnent globalement une mauvaise image de la culture hip hop. « Ils donnent plus de diffusions aux batallas qu’aux concerts, tu vas dans un centre commercial t’entends un son sympa, ben c’est une batalla et tu vois deux enfants qui crient, parce qu’ils ne rappent pas ils crient, n’importe quelles bêtises pour offenser pour dire « je suis meilleur que toi ». Les gens qui passent c’est ça qu’ils voient. Mais le rap c’est pas ça, en tout cas ce n’est pas que ça » regrette Norick dans le documentaire Vida Hip Hop, historia callejera,

Hommage

RaperOne Radikal People – Holy King (Amazing Grace, 2019)

Pour être honnête, l’auteur de cet article n’étant pas fan des fusion rap / reggae / ragga, RapperOne a failli ne pas être dans cette sélection. Le emcee de Callao est mort de la putain de Covid le 15 janvier dernier, quinze jours après la sortie de son dernier clip Holy King, extrait de son dernier album en date Amazing Grace. Cinq jours après la sortie du clip sa femme l’annonçait malade et la veille de son décès elle lui cherchait un lit en soins intensifs dans ce pays aux installations sanitaires déficientes où ce virus tue aussi des personnes de 41 ans, l’âge de RaperOne

Les hommages se sont multipliés pour celui qui était une icône du rap péruvien, un pionnier qui commença par rapper dans le groupe de reggae Orden Radikal avant que sa pratique croissante de la religion catholique l’incite à changer de thèmes, de style. Avec l’autre rappeur du groupe Abraham, ils quittèrent Orden Radikal pour former ensemble et avec Dj Pawn, Radikal People au début des années 2000. Ils sortirent leur premier album Dejando Huellas en 2003 et conquirent la scène hip hop péruvienne. Leur réputation en live leurs permit d’être un des seuls groupes de rap péruvien à jouir d’une renommée au delà des frontières et de jouer dans des pays comme le Chili ou la Bolivie.

Jusqu’à sa mort RaperOne n’avait jamais arrêté, peu sont les rappeurs au Pérou à avoir sorti plus de disques que lui. La particularité du groupe et surtout de RaperOne, qui rappait finalement souvent seul sur les titres de Radikal People, c’était la volonté d’être exemplaires pour la jeunesse. Comme il le disait dans le tube du dernier album « Asi soy yo », Raperone menait une vie sans sans fumer et sans boire, ce qui rend son destin encore plus cruel.

Certes, il était considéré comme une icône, mais les icônes du rap sont pauvres ici. Les rappeurs riches au Pérou ça n’existe pas. Donc si par hasard vous voulez aider sa famille rendez-vous ici.

Des artistes dont nous parlerons peut-être dans un volume 2 et qui ne sont pas forcément moins bons que ceux déjà cité : Malucci, Zone Infame, Ator Untela, Clan Urbano, Reperopithekis, Oscuro, Fortaleza, Yezzy Wallace, Jota, Kahuay et Sipas Crew, Daske,Young Eiby…

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