20 Bons Sons en avril 2020

Comme chaque début de mois, l’heure est au bilan du précédent autour de dix morceaux de rap français qui ont retenu notre attention. Ou plutôt vingt cette fois-ci, d’abord parce que le mois a été riche, ensuite parce que, confinement oblige, nous avons eu le temps d’aller chercher plus de morceaux de qualité, et que nos lecteurs sont eux aussi certainement plus disponibles pour découvrir cette double sélection.

Le 1er avril : Youssef Swatts & El Gaouli – Tellement

« J’me sens comme une fleur sans couleur, une framboise sans goût. » L’amertume dans les mots de Youssef Swatts est palpable. Cette superbe chanson d’amour déchu est issue de son nouveau projet « Poussières d’étoiles », paru le 2 avril dernier. Entièrement composé par El Gaouli, écrit de main de maître par Youssef, les aficionados auront apprécié l’évolution subtile et nécessaire d’un rap pensé et exprimé avant tout avec passion. Les quatorze nouveaux morceaux proposent une vraie réflexion sur les rapports humains, les sentiments, sur une forme d’introspection. Mais aussi et surtout quelques piques savoureuses sur le rap français actuel comme sur « N’importe quoi » ou « La bagarre ». – Antoine

Le 2 avril : Dédé Bras d’Enfant & Jacky Claquette – Pâtes au pognon (Prod. Just Music Beats)

Quand deux rappeurs marseillais, aimant les aubergines à la parmesane, le figatelli, se retrouvent à Endoume ou au Pimp Paradise, on peut s’attendre au meilleur, au pire et à bien d’autres choses encore. Muge Knight, le plus Marseillais des Marseillais, incarne Dédé Bras d’Enfant, un iconoclaste sévèrement burné, accompagné de son acolyte Gino, alias Jacky Claquette, le Joe Pesci du Vieux-Port. Capables des pires atrocités s’ils croisent Julien Cazarre ou s’ils n’obtiennent pas leurs pâtes au pognon, ils nous livrent un morceau impossible à classer, avec un super clip (signé Simon Magnagni) faisant l’éloge des films de Scorsese. Les deux compères, allergiques à Skyrock et au mauvais son, ont pour ambition de monter au 37 rue Greneta et quand Fred et Bouneau se feront zigouiller, « leur dernière vision sera un rital et un corse ». Amen. – Chafik

Le 3 avril : A2H – Angoisse (Prod. Ohleogan & A2H )

Oh le joli piano-choeur-voix que le Melunais nous a sorti en ce morose mois d’avril. Un crescendo de stress et de paranoïa d’une grande justesse, rappé avec une sincère simplicité, posé avec un flow sans fioritures, pour nous permettre de nous concentrer sur l’impact des mots. La sortie toute en envolée de violons et en tonnerre de grosses caisses est du meilleur effet pour nous laisser le cœur dans la vase et la gorge dans la houle. – Sarah

Le 4 avril – Movimiento Original feat. Specta, Vicelow & Sir Samuel – Etc (Prod. Geoenezetao)

Soyons honnête, n’importe quoi en fait, qui puisse feature la moitié du Saïan, aura une chance de finir dans ces colonnes. Sur le délicieusement envoûtant « Etc », les chiliens de Movimiento Original (présents dans notre dossier consacré au rap chilien) ont trouvé la recette pour faire une place de choix à leurs illustres invités. Si on finit par avoir un été, nul doute que ce son enflammera les honnêtes pistes de danse. – Sarah

Le 6 avril : Anton Serra & GooMar – Voix Publique

Voilà un tonton dont est très heureux de constater qu’il est toujours en pleine forme ! Accompagné de l’éternel GooMar à la prod’, le pilier de L’Animalerie revient très peu de temps après son « Ti-Ponch » sorti en début d’année. Quelques accords d’un piano qu’on croirait cassé, un beat assez nerveux, une basse bien ronflante : GooMar met à disposition sur un plateau d’argent les ustensiles nécessaires pour une jolie boucherie. Et c’est chose faite, tonton Serra cisaille, tranche, découpe, aplatit (comme Jean-Michel) et hache. Un album commun entre ces deux incroyables personnages ne serait pas de refus. « ll suffit de presque rien pour que Mimi Cracra fume du crack / Et qu’elle finisse vraiment par prendre dans l’cul toutes les plumes du rap / La connerie, c’est durable : Morandini sur CNEWS / Tout se passe dans l’rectum mais tout l’monde cherche le ténia » – Clément

Le 6 avril : Seyté – Pas à nous

Qu’il est bon et rassurant d’écouter quelqu’un comme Seyté ! Libre, son troisième projet solo, sorti le 2 avril dernier, souffle tel un vent d’air frais sur le rap francophone. Délicat, engagé, sincère. Deux ans après l’excellent La vie est belle, le MC bruxellois, dont on a déjà souvent parlé ici, enfonce le clou en matière de préservation de l’environnement, se détachant toujours un peu plus du milieu de la musique, des attentes et des chiffres.
Loin de la course aux certifications et de la mode des rééditions qui gangrène le rap, désormais installé à Madrid, Seyté tend encore un peu plus vers son épanouissement personnel, apportant quelques touches hispaniques dans sa musique. Sur « Pas à nous » et l’exquise prod sifflotante d’Itam, il détaille son cauchemar où « il y avait des rappeurs partout », égratignant gentiment la concurrence, comme pour mieux s’en éloigner. Mais on ne va pas se mentir, un titre de Tésey, c’est trop peu. On vous conseille d’apprécier les 9 titres d’une seule traite. – Antoine

Le 7 avril : Saloon – Rap hard or die trying (Prod. James Digger)

Le beatmaker James Digger a produit une compilation réunissant ses coups de cœur français et américains. Au milieu d’une sélection de treize titres rigoureusement hip-hop dans l’esprit, parmi lesquels on note notamment la présence de Gueule d’Ange et TonyToxik, la plume de l’incontournable Saloon nous a encore bien chatouillé. Quand le « 4ème singe » gratte le papier depuis Boulogne, effet papillon : les auditeurs se grattent les oreilles aux quatre coins de l’Hexagone. Une écriture si particulière, empreinte d’humour et de punchlines précises, reconnaissable parmi mille autres : « Tu peux me voir laver des carreaux, passer le balais, mais par contre je vole pas mes droits d’auteur : Gad Elmaleh » Et on ne le contredira pas « J’fais que parler à mes gars, si eux c’est des punchlines, moi c’est quoi ? Des kamea meah ! » – Antoine

Le 7 avril : Grems feat. Trankil Trankil – BTZ (Prod. BOUDi)

En mai 2019, Grems sortait le clip du morceau “Trait”, premier extrait de son futur projet Muses & Hommes. Un an tout juste plus tard, le nouvel opus du fer de lance du deepkho est désormais disponible. Parmi les vingt-et-un titres qui composent cet album, nous avons choisi de mettre en lumière « BTZ », ode à la ville de Biarritz, lieu actuel de résidence du rappeur. Grâce à un texte épuré et une production aux basses enivrantes, Grems et son comparse Trankil Trankil ont fourni un morceau entrainant qui devrait permettre aux habitants de la côte basque de s’enjailler cet été. – Jordi

Le 8 avril : Jazzy Bazz – Benny Blanco (Prod. Johnny Ola et Lomi)

Il y a deux ans, Jazzy Bazz sortait probablement l’un des meilleurs projets de l’année 2018 avec Nuit. De nombreuses productions mélodieuses flirtant souvent avec l’électro soul marquèrent l’identité de cet album travaillé et mûrement réfléchi. Le rappeur de Grande Ville vient de faire un retour fracassant avec « Benny Blanco », un egotrip ravageur sublimé par une instrumentale cinglante de Johnny Ola et Lomi, le tout mis en image par l’incontournable Dijor Smith. Le message est bel et bien passé : il faudra de nouveau compter sur Jazzy Bazz dans les mois à venir. Avec un nouvel album à la clé ? – Jordi

Le 9 avril : Ron Brice feat. CHAM – Grosse pointure

Un EP de Ron Brice est toujours une bonne nouvelle. Plume subtile, flow sans détour, boucles minimalistes et efficaces, les morceaux s’enchaînent avec précision et laissent dans les oreilles le sentiment agréable d’avoir passé la dernière demi-heure à écouter du bon son, indémodable et intemporel. Entre les huit titres très homogènes du projet, difficile de choisir celui qui finira dans ces lignes et après moult débats intérieurs, on vous propose de tendre une oreille à « Grosse pointure », l’un des deux featurings du lot, qui fonctionne à merveille et illustre parfaitement ce qui fait du Pedigrée des Grands une petite pépite dans ces sorties d’avril. – Sarah

Le 10 avril : ZEK – #ÇaPartEnLuxxxe : Épisode #Fourchette

Après trois couplets remarqués dans le 42ème épisode de Grünt dédié à Limsa d’Aulnay et un confinement qui s’éternise, ZEK semble de retour. Derrière l’épisode Fourchette de ÇaPartEnLuxxxe, on retrouve un peu tout ce qui a fait l’identité du musicien. Au travers de la prod, on retrouve la débrouillardise et l’attrait pour le sampling qui étaient déjà omniprésents dans ses productions et mis en lumière dans les vidéos « Mon beat et mon couteau ». Autour d’eux s’articulent les autres éléments, pas l’inverse. Derrière le micro, l’impressionnant cocktail de flows, les rimes en pagaille et l’éternelle musicalité du rappeur ne peuvent nous faire qu’espérer que l’aventure se poursuive le plus longtemps possible. Et pour attester d’un rebranding efficace, on peut ajouter le second degré bien amené et la science du gimmick. – Wilhelm

Le 10 avril : L’uZine – Tellement moins (Prod. TonyToxik)

L’uZine est enfin de retour (lire notre interview) avec Jusqu’à la vie, leur nouvel album, six ans après A la chaîne. Si TonyToxik clame que c’est « toujours le même refrain depuis 2008 », force est de constater que le collectif montreuillois a évolué durant ces six années. Tout d’abord avec le retour de Souffrance, qui devient officiellement le quatrième découpeur de micro de l’équipe, et qui possède un flow de faux calme, venant contrebalancer les voix criardes de ses compères Tony, Cenza et Vakeso. L’écriture se veut plus précise, et un travail a été également effectué sur la « déstructuration » de certains morceaux, comme sur « Tellement moins », qui contient des breaks, pas de refrain, et des scratchs du meilleur effet en fin de morceau. – Olivier

Le 10 avril : S.Pri Noir feat. Alpha Wann & Sneazzy – T’as capté (Prod. Biggie Joe)

Si la sortie du nouveau James Bond a été reporté, le clip de « T’as capté », pourvu de gros moyens et de références aux films d’espionnage, n’a pas pas subi de retard à cause du confinement. Au-delà du clip aussi impressionnant que réussi, « T’as capté » est une nouvelle combinaison entre S.Pri Noir et Sneazzy (on ne les compte plus), la troisième entre les deux précités et Alpha Wann, après « Saturne », et le très bon « Etincelles » paru en mars sur l’album de Sneazzy. Au vu de la complémentarité entre les trois protagonistes et de la qualité toujours au rendez-vous sur ce morceau issu d’Etat d’esprit, le nouvel album d’S.Pri Noir, on se prend à espérer un jour un album commun… « T’as capté ? » – Olivier

Le 16 avril : Plae Casi feat. Joey Larsé – Le côté de la paire (Prod. Plae Casi & Yepes)

Après la sortie du EP instrumental T.Y.A coproduit avec Yepes en 2017, Plae Casi s’était essayé quelques mois plus tard à prendre le micro sur le morceau « Les miens », en invitant d’autres artistes de la scène bordelaise. Fort de cette expérience fructueuse, il revient en ce mois d’avril avec un projet chanté, composé de sept titres et intitulé  19 heures.  Une des chansons marquantes de l’album se nomme « Le côté de la paire ». Née d’une nouvelle collaboration envoûtante avec Joey Larsé et Yepes, elle parait taillée sur mesure pour une ride nocturne. – Jordi

Le 20 avril : Numéro 10 – Végéta (Prod. Max LBC)

Deux ans après sa première apparition dans les 10 Bons Sons, Numéro 10 est de retour dans nos colonnes, via son nouveau projet, Mille Feuilles. Comme sur Titulaire paru en 2018, nous avons droit à un dessin à la fois simple et fort en symbolique sur fond blanc en guise de cover, des productions sur mesure signées Max LBC, et au rap sombre et criard de Numéro 10. Ce dernier, avec le style déclamatoire qui le caractérise, continue de dépeindre sa vie d’animal nocturne et marginal, et produit de la musique avant tout pour lui-même et les siens. Cependant, s’il affectionne les instrumentales âpres et sombres, il s’est autorisé un petit écart mélancolique et bienvenu sur « Végéta », qui clôture à merveille ce mille feuilles de mots et de pensées. – Olivier

Le 22 avril : MC Circulaire – 85Brew (Prod. Lionne Prod)

Pour fêter la mise en vente de sa bière, brassée dans sa Vendée natale, MC Circulaire, le rappeur de la campagne, en a profité pour nous donner des nouvelles de l’autre France. Certains artistes passent une vie à exploiter un thème sans en faire le tour. C’est le cas du MC du 8-5 qui a juré fidélité au rap rural. Il montre bien que les plaisirs simples restent les mêmes que l’on soit dans la Creuse, le 93, la Vendée ou le 13. Aussi vrai que Kery James a tenu à réhabiliter le terme « Banlieusards » (il l’a plus réussi dans son morceau que dans son film, au passage), MC Circulaire vient mettre du respect sur le nom de  tous les « paysans ». De plus, à l’heure où le personnel hospitalier est applaudi tous les soirs, MC Circulaire rappelle le rôle déterminant, ingrat, des acteurs du secteur primaire qui nourrissent toute la population. Le bouseux vous salue bien. – Chafik

Le 23 avril : Igor LDT – Rue (Prod. Yann Dakya & Rednose)

Dans un océan de prestations inégales, le Paname All Starz Challenge initié par Tunisiano et Aketo aura eu le mérite de donner de la lumière à quelques talents inconnus du grand public, parmi lesquels Igor LDT. Ce dernier avait déjà fait parler de lui en début de mois, avec l’extrait clippé d’un nouveau morceau, « Rue », disponible seulement sur les réseaux sociaux. Le titre choisi par le MC de Valenton n’est pas sans rappeler le « R.U.E » de Salif, et à l’écoute de la version audio intégrale parue le 23 avril, il paraît probable qu’Igor fut un auditeur assidu des grandes plumes du rap de rue des années 2000. En résulte une plume fluide, faite de schémas de rimes élaborés, couplée à un timbre de voix chaud que le rappeur use avec justesse et parcimonie. Sa première mixtape, Life de Tess, a bientôt deux ans, tout comme sa collaboration avec Guizmo (lui aussi de Valenton) sur « MJ », et ce morceau laisse espérer qu’un nouveau projet se profile enfin. – Olivier

Le 23 avril : R.E.D.K. – Sans forcer (Prod. L.O.X.)

2020 va marquer le grand retour de R.E.D.K,. à moins que ce soit lui qui marque l’année. Nous vous avions prévenus en janvier qu’il s’apprêtait à s’abattre sur le rap français. Si l’on reproche aux rappeurs conscients d’être bien moins productifs que les trapézistes, les amateurs de zumba et de moulagas, n’allez surtout pas faire cette critique à R.E.D.K. Depuis février, il a sorti 4 inédits, et a même dû décaler la sortie de la mixtape Salle d’attente qui était prévue pour le 10 avril. Dans « Sans forcer », le rappeur de Carpe Diem ne se prend pas la tête, s’amuse comme jamais, prend « la nuque du rap français sous son aisselle ». Sûr de ses forces, des faiblesses du game, il est « en roue libre », tape sur les utilisateurs d’autotune, sur les PSG (« Y a que sur l’autoroute que tu peux dépasser les cars »), qui ne boxent pas dans la même catégorie, alors qu’il n’est qu’à 30 %. Ajoutons qu’il a sorti le même jour, un autre titre avec « Thalasso ». Restez connectés, on vous reparle prochainement de R.E.D.K. – Chafik

Le 25 avril : Francis – Cigarillo (Prod. Bilel Jeddi)

Après une pause de quatre entre 2014 et 2018, DEF le petit artiste local est revenu avec un nouveau blaze : Francis, en référence à Franciscopolis (l’ancien nom du Havre), et son prénom. Lima Hôtel Vol.2, paru il y a quelques jours, confirme l’évolution artistique présente sur le premier volet, dont nous vous parlions dans notre bilan 2019 : une bonne partie des instrus sont signées Proof de Dîn Records, l’écriture est précise, le flow mélodieux. « Cigarillo », sorte de freestyle léché qui introduit Lima Hôtel Vol.2, commence par « Tu sais, j’ai pas commencé le rap cet hiver », et à l’écoute de ce 11 titres, on n’oserait pas remettre sa parole en doute. – Olivier

Le 30 avril : Di#se – Initial

La belle surprise de cette fin de mois nous est venue tout droit de Bretagne. L’artiste Di#se, originaire du Cameroun et basé à Quimper, est venu se glisser in extremis dans notre sélection mensuelle grâce à son morceau « Initial » paru le 29 avril. Vainqueur de l’édition nationale du Buzz Booster 2017 à tout juste quinze ans, le jeune rappeur confirma toute l’étendue de son talent en 2019 avec la parution de son très bon premier album Parfum. Dans « Initial », Di#se prouve être un artiste complet sachant mêler technique, placements audacieux et chant maîtrisé. Le Quimpérois semble promis à un avenir radieux. – Jordi

Partagez:

la rédac'

Commentaires

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.