2019, le bilan rap français

2019 marque la rupture avec notre tradition du mois décembre : le grand vote de la rédaction. Cette année, plutôt que de proposer une sélection de dix morceaux qui ont fait consensus au sein de l’équipe, nous avons décidé de délivrer un coup d’œil dans le rétroviseur par rédacteur, plus personnel, plus exhaustif, et divisé en cinq catégories : un album, un morceau, un beatmaker, un concert et un oubli.

Olivier

L’album : 13 Block – BLO

Entre passe-passes, rimes croisées, répétitions savamment agencées et productions sophistiquées, 13 Block a su développer son identité et se distinguer du reste de la scène drill à la française, et passer à la postérité grâce à des titres comme « Zidane », « Amis d’avant » ou le fameux « Fuck le 17 ».

Le son : Kekra feat. Niska – « Vrealité » (Prod. Kore)

Kekra s’est fixé comme ligne de conduite une absence totale de collaboration avec ses confrères. Niska c’est le contraire, et il excelle dans ce domaine, même quand il s’agit de venir simplement poser des adlibs (mention à l’excellent « Voyage léger » avec Nekfeu). Le destin a voulu qu’ils croisent le micro, pour un morceau aussi réussi qu’efficace, sur lequel l’alchimie saute aux yeux.

Le beatmaker : BBP

Parce que « Boîtes à shoes » de Dosseh, « Aigle » d’Alkpote, et « La misère est si belle » de PNL c’est lui. Et quand Flynt décide de remettre un coup de projecteur en 2019 sur son album Ça va bien se passer paru l’an passé, en délivrant le clip de « Dos rond », sommet de son troisième opus, c’est également estampillé BBP.

Le concert : Fadah à Toulouse, le 10 octobre 2019

Aussi toulousain que parisien, Fadah a décidé de célébrer la sortie de son album Furieux en deux fois, avec deux release parties espacées d’une semaine, d’abord à Paris, puis au Rex à Toulouse. S’il a quitté la ville rose depuis quelques années déjà, il y a réalisé de nombreux concerts, notamment à La Dynamo avec son collectif d’alors, Omerta-Muzik. Beaucoup considèrent que la fermeture La Dynamo aux concerts de rap en 2015 marqua la fin d’une ère pour la scène rap locale. Aussi, quand le 10 octobre dernier, Fadah convie en première partie Yous MC, Dame Blanche (composé de Goune et Stick du collectif CMF) et Furax Barbarossa pour des sets de 20 minutes chacun, tous habitués de La Dynamo, l’ambiance dans la salle autant que dehors avait un parfum de la salle de la rue Amélie sauce 2014. Par ailleurs, la présence du membre de la Bastard Prod en première partie constituait un symbole fort, puisque nombreuses furent les occasions où Fadah aura réalisé les premières parties du Clan des Chiens avec son équipe. Rompus à l’exercice de la scène, Fadah et Yous MC assureront une heure et demie de présentation de l’album devant un Rex pas tout à fait plein. Pour boucler la boucle, Furax conclura le show en interprétant « Qui m’demande » dans une fosse chauffée à blanc.

L’oubli : Francis – Lima Hôtel Vol. 1

Qu’est-ce qui explique que Lima Hôtel Vol.1 du Havrais Francis, que nous suivons depuis la création de notre site, soit passé sous nos radars ? A notre décharge, il faut noter une vraie pause, au moins en terme de sorties, de quatre ans entre 2014 et 2018. Ensuite il s’appelait DEF en 2012, avant d’opter pour son surnom Francis, et d’embrasser son destin, puisque Franciscopolis (« la ville de François ») est l’ancien nom donné au Havre (et « Lima Hôtel », L.H. en alphabet phonétique est une autre référence). Durant ce laps de temps, le « petit artiste local » s’est rapproché d’un grand nom de sa ville en la personne de Proof de Din Records, qui produit une grosse moitié du projet. Sur des productions léchées, la qualité d’écriture est toujours au rendez-vous, Francis ajoutant à cet ensemble une bonne dose de mélodie dans sa voix. Si beaucoup de rappeurs se sont certes mis à la chansonnette, il paraît particulièrement à l’aise en chant, ce qui parait logique quand on sait la proximité qu’il entretenait avec la scène reggae de sa ville à ses débuts.

Chafik

L’album : Sameer Ahmad – Apaches

Avec son album au style subtil, abstrait, référencé, Sameer Ahmad, qui associe forme et fond, vient rappeler au game que la qualité pèse plus lourd que la quantité. L’Apache a shooté le shérif et les cow boys.

Le son : Alkpote feat. Freeze Corleone – « Purifications » Les marches de l’Empereur Saison 3 #EP9

« Le niveau est haut, le bicot est chaud, pétasse, shit, coke, héro, j’suis comme un pistolero, crache sur l’uniforme des porcs avec Freeze Corleone. » Passe-passe déjà légendaire, Alk et Freeze Corleone sont possédés, démoniaques, enchainent les flows, les multisyllabiques, les phases salaces, compromettantes, redoublées, sur une prod envoutante de DJ Weedim. Rencontre de titans.

Le beatmaker : Mingo

Tu voulais du son lourd, bah y a Mingo qui va avec, Veerus qui va avec, un bête de projet qui va avec.

Le concert : Wu-Tang Clan à Montréal, le 12 juillet 2019

« L’album de Wu Tang, y a des cicatrices qui restent à vie ». A l’image de Lino , le Wu a fourni sa bande originale à toute une génération tombée dans le rap dans les nineties. Et lorsque l’occasion se présente de les voir enfin en concert pour les 25 ans de leur premier album Enter the Wu Tang (36 Chambers), classique parmi les classiques, le plaisir de se faire madeleine prouster la tronche est trop beau. La Place Bell à Montréal accueille près de 10000 personnes acquises à la cause du Wu. Trentenaires et quadra, la plupart affublés d’un tee-shirt ou d’une casquette marqués du célèbre « W », sont venus revivre une époque considérée par beaucoup comme l’âge d’or du rap new-yorkais. Aux platines pour la première partie, DJ Mathematics, DJ officiel du WU, offre un set à la gloire des années 90 (N.W.A., P.E., Ice cube, Mobb Deep, Nas, Snoop, Naughty By Nature, Tupac, Jay Z, B.I.G., Outkast, etc.) et finit sur un medley de morceaux actuels. Et lorsque la lumière s’éteint pour annoncer l’arrivée de RZA, GZA, Method Man, Raekwon, Ghostface Killah, Masta Killa, U-God et Cappadonna, (tous présents !), l’émotion était forte dans le public. Sauf que l’entrée en scène fut quelconque, il n’y eut aucune présentation individuelle des artistes, pas de dress code, pas de scénographie (même si on ne s’attendait pas à des chorégraphies de la part de ces jeunes quinqua), aucune prise de tête pour des morceaux légendaires comme « C.R.E.A.M. », « Protect ya neck », « Method Man », pas de morceaux de leurs autres albums. La fin du concert a été bâclée, sans rappel. Voilà. Parti ravi assister à ce concert qu’on voulait historique, il le fut, malheureusement, le WU confirmant leur réputation de je-m’en-foutistes sur scène.

L’oubli : L’Argent De La Drogue  – #MEMOIREDUNVIEUXRAPPEURDEGUEULASSE

Quoi de plus logique que L’Argent De La Drogue se retrouve dans cette catégorie ? L’album #MEMOIREDUNVIEUXRAPPEURDEGUEULASSE est sorti dans un anonymat quasi voulu, sans clip, sans promotion. Ni jeune ni ambitieux, toujours vicieux, 1K47, ce misanthrope, qui maitrise la langue de Molière, n’a aucun objectif de vues, de likes et mitraille les rappeurs qui ne sont en rien ses congénères. Ne rappant pas pour les minots, seuls ceux qui ont vécu les années 90 capteront l’univers haut en couleurs de cet old timer. L’ADLD redonne ses lettres de noblesse à la nostalgie et jamais un vieux con n’aura été si agréable à écouter. Loin de prôner le slogan « Le rap c’était mieux avant », L’ADLD n’hésite pas à affirmer que « le rap c’était mieux vivant ». Il célèbre autant la musique rap, rap, musique qu’il aime, qu’il tire sur le game, déçu de ses travers. D’ailleurs, qui clashe autant la nouvelle génération que L’ADLD ? Qui adresse autant de doigts d’honneur à la presse rap (« Plongeons dans la nostalgie même si les journalistes rap apprécient peu ça, ils diront que c’est du boom bap, tant pis, histoire de m’caser avec les vieillasses… ») ? Dans cette aigreur, il faut en fait distinguer toute la passion d’un hip-hoper, d’un bousillé de rap, à l’image des références que les connaisseurs reconnaitront avec grand plaisir. Dans le même temps, la forme n’est en rien has been, les morceaux étant souvent courts (L’ADLD fruit de son époque ?!) et les instrus smooth au service des lyrics d’1K47 et du très rare Slim XL. L’Argent De La Drogue nique les clones, nique les cons et si tu kiffes pas, t’écoutes pas et puis c’est tout.

Clément

L’album : Pone – Kate & Me

Depuis maintenant quatre années, l’alchimiste et beatmaker de la Fonky Family, Pone, vit alité, atteint par la maladie de Charcot. Il peut seulement communiquer avec ses yeux, à l’aide d’un ordinateur. En janvier 2019, il reprend la musique avec ce nouveau processus de création. Il choisit alors de faire un projet entièrement dédié à Kate Bush, chanteuse pour qui il a une grande admiration. Le résultat est assez surprenant et dévoile des nouvelles teintes trip-hop alors inconnues dans la musique de Pone. Onirique, envoûtant, Kate & Me est un véritable appel au voyage, qu’il soit physique ou plus simplement, à l’intérieur. De plus le projet est disponible gratuitement. Chapeau bas monsieur Pone.

Le son : Népal – « Daruma »

Le 20 novembre 2019 paraissait une nouvelle dont on se serait très largement passée : le rappeur et producteur Népal, membre de la 75e session et du Dojo Klan est décédé. La cause ? On l’ignore, son entourage ayant décidé de faire impasse sur ces maux-là. Tout ce qu’on sait, c’est que l’homme que l’on nommait Grandmaster Splinter ou encore KLM s’est éteint très jeune, alors qu’il avait terminé son premier véritable album studio : Adios Bahamas, à venir le 10 janvier 2020. Bien que le morceau « Là-bas » ne soit pas totalement à mon goût et que l’utilisation du vocoder soit très présente, n’en reste pas moins les lyrics toujours impeccables, l’instrumentale planante à souhait et le clip dans la lignée de tous les autres clips « LaxVision » : d’une propreté magnifique. Outre ce premier extrait, un second est sorti début décembre, intitulé « Daruma ». Cette fois ci on oublie la « Lax Vision », on part sur un noir et blanc élégant, des séquences en pellicule Bolex et hop, on a un sacré putain de morceau. Ça rappe dur, ça rappe fort, c’est dans la continuité des 444 nuits and co. Bref c’est surtout l’œuvre de Népal toute entière et ses multiples pépites distillées au fur et à mesure des années que je souhaitais évoquer, bien que son nom a souvent été cité dans nos chroniques et sélections. Sa disparition va laisser un vide, tant son univers était unique et captivant. « T’as apaisé nos insomnies, on priera pour que tu trouves la paix dans le sommeil. »

Le beatmaker : Sofiane Pamart

Bon je vous arrête tout de suite. Vous allez me dire « Diantre, Sofiane Pamart n’est point un faiseur de beat mais bel et bien un ménestrel qui joue du piano avec talent, un pianiste quoi ! » Certes, mais Sofiane Pamart est en train de marcher sur la concurrence, beatmakers compris. Le Lillois est actif depuis 2012 sur la scène rap autant avec le groupe Rapsodie dont il est co-fondateur, qu’avec diverses collaborations étalées jusqu’à ce jour (accrochez-vous la liste est longue) : Psy4 de la Rime, Médine, Hugo TSR, Seth Gueko, S-Crew, Sadek, Guizmo, Mokless, Despo Rutty, Blitz The Ambassador, Gael Faye, Fababy, Vicelow ou encore Kery James. En 2016 il commence a travailler avec l’incroyable grogneur Scylla en signant la moitié des compositions de l’album Masque de Chair. L’an dernier a été la confirmation avec l’album Pleine Lune, cette fois-ci réalisé entièrement en duo avec Scylla. L’année 2019 est à marquer au fer rouge pour le pianiste puisqu’il sort un second volet de Pleine Lune en duo avec Scylla, il collabore avec Seezy pour le meilleur morceau du dernier projet de Vald mais aussi -et surtout- son premier album solo, intitulé Planet, où le prodige nous emmène voir le monde, à travers douze paysages naturels ou urbains. Pas trop mal, pour notre (futur) Chilly Gonzales français.

Le concert : Depuis longtemps maintenant j’ai perdu l’envie d’aller à des concerts. Je ne sais pas trop pourquoi d’ailleurs. Par contre j’essaye d’en donner avec ma Cantina, mais c’est tout aussi laborieux.

L’oubli : Lesram – «  #PDP » (Prod. Prodlem)

« #PDP » est le premier inédit d’une série de trois morceaux sorti en 2019. Petite boucle de piano, gros rythme trap, Lesram a troqué le bob pour la capuche. Les thématiques du rappeur sont sensiblement identiques à ses autres morceaux mais il s’opère une écriture encore plus maîtrisée qu’avant. C’est clean, élégant en jogging et paire de requins. Espérons que le rappeur du Pré-Saint-Gervais continue dans ce sens. On pourrait même rêver d’un premier projet.

Jordi

L’album : Fadah – Furieux

Dernier trimestre 2019. Première écoute de l’album Furieux. Au bout du septième track, je suis conscient d’avoir enfin dans les oreilles ce que je considère comme le projet le plus marquant et le plus abouti de cette année. Les morceaux s’enchaînent, font mouche et prennent aux tripes. Le Toulousain d’adoption est insaisissable, les productions chargées d’émotion sont triées sur le volet. Après la sortie de son EP Cet art en 2017 placé sous le signe de l’expérimentation, l’ex-membre d’Omerta et Saydatyph se trouvait à un moment charnière de sa carrière. Les parutions des clips des morceaux « BPM », « Faire avec » et de la série de freestyles « Fêlé » en amont ont laissé entrevoir une liberté totale quant à la direction artistique de Furieux. Dans ce projet, Fadah se détache de l’image indissociable du rappeur boom-bap de la scène rap indé. Il ose adopter de nouvelles sonorités, grâce notamment à son étroite collaboration avec le producteur BLV, figure de la nouvelle scène électronique française présent sur près de la moitié du disque. Il s’essaie aussi au chant avec brio, mettant de la sorte sa pudeur de côté. Le travail remarquable d’Itam, Chilea’s, Rakma, Sheety, et Wysko et la sélection draconienne des instrumentales ont permis d’apporter à l’album des ambiances distinctes mais aussi une couleur unique. La notion de folie, d’acceptation de ses propres travers et de la connaissance de soi est présente en fil rouge tout au long des douze titres qui composent cet opus. Par le biais de l’introspection, Fadah y évoque également la question des genres, la jouissance de l’instant, et définit ses valeurs et celles des siens. Furieux vient ainsi clore une étape initiée en 2013 lors de la sortie de Les loges de la folie. Le rappeur semble donc prêt à faire table rase pour cette nouvelle année 2020 et laisser libre cours à un nouveau processus créatif. Une occasion en or d’apprendre sur lui-même et de nous surprendre de nouveau.

Le son : Nefaste – « Bah oé mon pote » (Prod. Eazy Dew)

Après les sorties de Premier pas et Dans mon monde respectivement en 2015 et 2017, Nefaste (lire notre interview) a sorti cette année un nouvel album intitulé Partir loin. Selon moi, il fait incontestablement partie des trois meilleurs disques de rap français des douze derniers mois. Le Cergyssois a rendu une copie quasi parfaite, en décidant notamment de se tourner vers de productions plus mélodieuses et de varier les BPM. La patte de Lucci, compositeur et architecte du label North Face Records y est pour beaucoup. Celle d’Itam aussi, évidemment. Cependant, c’est le morceau « Bah oé mon pote » produit par Eazy Dew, autre grosse pointure du beatmaking de la scène nationale, qui a attiré mon attention. Le choix a été difficile, l’ensemble du projet étant très réussi, mais ce titre se démarque des autres, tant par le style de l’instrumentale, que par la thématique et la technique du membre de RSKP. Excellant habituellement sur des boucles boom-bap lui permettant de cracher son spleen, c’est un Nefaste que l’on retrouve hors de sa zone confort sur ce morceau aux ambiances plus trap, au même titre que sur la chanson « Là, chez moi » présente elle aussi sur Partir loin. Le rappeur est étonnamment à l’aise et démontre qu’il est un artiste tout-terrain, capable aussi de kicker pour le plaisir sur une thématique plus légère qu’à l’accoutumée. Le résultat est entrainant et la symbiose avec la production d’Eazy Dew est totale. La mise en image du clip, réalisé par Ben Maker, nous offre un cocktail détonnant où l’on peut retrouver des quads aux moteurs ronronnant au milieu du quartier. Ce titre est la première collaboration entre Nefaste et Eazy Dew. En espérant que le duo décide de travailler de nouveau ensemble durant les mois à venir.

Le beatmaker : Itam

Nos lecteurs les plus assidus savent qu’Itam tient une place particulière dans nos colonnes. En 2019, le membre des Kids of Crackling nous a de nouveau ébloui de son talent. On peut retrouver certaines de ses productions sur les projets de Maxwell Nostar, Nefaste, Fadah, Davodka et sur des collaborations avec Demi-Portion ou L.I.K.

Le concert : Demi Festival à Sète, début août 2019

En seulement quatre ans, Demi Portion et son équipe ont réussi à installer le Demi Festival comme un évènement incontournable pour les amateurs de rap français. Cette année encore, des artistes de l’ancienne (113, Ali, Ol(Kainry…) et de la nouvelle génération (Bastard Prod, Vîrus, R.E.D.K…) se sont côtoyés dans une ambiance festive et dans un cadre idyllique au théâtre de la mer de Sète.

L’oubli : Ikaz Boi – Brutal 2

Il aura fallu attendre tout juste un an pour qu’Ikaz publie une suite au très bon projet Brutal. Le producteur français a de nouveau invité une pléthore de chanteur de talents : 404Billy, Damso, Sidikey, Hamza ou encore Zefor du groupe 13Block. L’album est sorti fin septembre et aurait certainement mérité davantage d’attention de notre part.

Sarah

L’album : PNL – Deux Frères

On peut essayer de tourner l’année dans tous les sens, lui mettre tous les prismes qu’on voudra : ils seront toujours là. Deux frères, qui depuis près de cinq ans nous retournent la tête et les tripes à chaque sortie. Deux ans et demi se sont écoulés depuis Dans la légende mais les frères des Tarterêts sont restés omniprésents. Outre les singles tombés en chemin pour alimenter la demande, tout le monde a encore sur les lèvres « Da », « Jusqu’au dernier gramme ». Non en fait, tout le monde annone encore « ouais ouais ouais ouais ouais ouais ouais ». En à peine cinq ans d’existence, PNL a déposé tellement de refrains sur nos lèvres, c’en est presque choquant. C’est que le terrain de la rupture leur appartient. Si beaucoup s’engouffrent, et tant mieux, dans la brèche qu’ils ont ouverte dans nos imaginaires, seuls eux parviennent à la maintenir ouverte, mieux, à l’agrandir au gré de leurs envies. C’est ainsi que début avril, après deux ans sur les scènes de France et de Navarre, les deux frères revenaient chatouiller nos oreilles. Comme à chaque fois avec PNL, l’auditeur honnête doit reconnaître le malaise que peut procurer la première écoute. Le temps qu’on met… à sortir du conditionnement dans lequel leur dernier opus nous avait calé, en fait ! On y retourne, une, deux fois, et c’est le temps qu’on met à accepter, à comprendre, à aimer. Accepter de se sentir déçu par l’écriture, perdu par le sens, poussé dans des directions musicales qui déclenchent d’irrésistibles « mais qu’eeessss qu’ils bra*****». Comprendre que si chaque titre peux s’écouter et s’apprécier individuellement, Deux Frères est, sans doute plus encore que les projets précédents, un tout, une histoire, la pelote emmêlée d’un fil de soie, si solide derrière son apparente fragilité. Finalement, aimer ce sentiment d’avoir été poussé hors de ses retranchements. Un mois plus tard, quatre sons -sortis d’abord en écoute limitée pour leur servir un buzz, discutable-, complètent le tableau avec justesse. Quand sort « Tahia » en juillet, reste toujours ce sentiment d’avoir été emmené loin, au-delà du risque, au-delà du regard d’un monde que de plus en plus, on a l’impression de pouvoir posséder aussi.

Le son : Chilla – « La nuit » (Prod. Greg K & Fleetzy)

Une voix posée, qui raconte ses doutes et cherche ses vérités, nous berce. Une prod qui fait pousser des ailes passant du timbre léger à la caisse sombre, nous bouscule. La recette est implacable, et le titre s’affirme comme le point d’orgue d’un album plus que réussi. Une ode à l’errance, à la liberté, à l’espoir. Il faut quelque chose d’aussi fort pour se faufiler, mesures de fer dans des enceintes de velours, au milieu des cartons surpuissants qu’a porté 2019. La douceur parfois frappe plus fort : elle frappe en plein cœur.

Le producteur : Guilty / Katrina Squad

Bien sûr que l’écurie Katrina Squad s’est faite un trou, un nom, une place de choix dans le cœur des rappeurs français. Et cette année encore, il faut reconnaître qu’ils se sont illustrés dans l’art de mettre en lumière des flows exceptionnels. Si on a encore tous dans l’oreille parmi les plus beaux morceaux du « Rooftop » de SCH (et notamment l’ « Interlude » dont on vous parlait ici), on se souvient des violons de « BX vice », qui enrobaient le flow de Scylla pour un des meilleurs morceaux du dernier album de l’Ogre Bruxellois. Mais c’est sur son remix du « A.VS.H », transcendant très respectueusement le premier jet des Street Fabulous, qu’il emporte le freestyle de T.Killa et Lino dans une modernité assourdissante. Avoir redessiné les contours d’un pur morceau via un approfondissement de la prod, l’avoir réveillé et lui avoir donné une vie encore plus belle, n’est pas chose aisée, et c’est ce qui vaut à Guilty sa place ici.

Le concert : Niska à Bruxelles, le 31 décembre 2019

La première date de Niska pour soutenir Mr Sal aura lieu le 31 décembre 2019. Impossible donc de retranscrire dans ces lignes ce qu’on espère être de la pure frappe dont les chanceux qui y assisteront pourront profiter. Car si l’énergie et la singularité de Niska vaudront sûrement, à elles seules, le détour une fois sur scène, le dernier opus du rappeur d’Evry est en soi une raison suffisante de passer son réveillon à BX. Inattendu, vrai, puissant, tout en restant mainstream, Niska a fini en septembre dernier, de convaincre les récalcitrants. Pour peu que Ninho fasse le détour et offre avec son acolyte une version live de son meilleur feat de l’année, et on devrait en avoir pour son argent…

L’oubli : F.L.O – « Navigue »

L’injustice du temps qui file, la multitude… Nos radars parfois voient les torpilles arriver trop tard, ou ne comprennent leur impact qu’après leur explosion. Sorti en mai, et heureusement présent dans nos colonnes avec « Sous ma steuv » (merci Antoine), il nous a semblé que F.L.O n’avait pas reçu l’écho que son petit bijou de projet aurait mérité. Quatorze titres pourtant extrêmement séduisants, qui transpiraient un cool à toute épreuve, une orientation libre et raffinée, une écriture fine et directe. Autant d’atouts pour un projet qui mérite donc, selon nous, sa place dans le top de ce qui s’est fait cette année. L’évolution si personnelle, plutôt inattendue et si réussie du jeune trentenaire de la Smala, se sent sans détour dès l’intro, « Ride », qui nous happe dans un cocon faussement serein. Car tout est là. Le chill du Belge n’est qu’une apparente eau tranquille, mais que le plaisancier attentif voit se rider ici et là, trahissant les gros bouillons du volcan en pleine éruption, dessous. Une voix calme pour un fond costaud, F.L.O nous a pris par surprise, pas tout à fait là où on l’entendait d’habitude. Un flow apaisé mais subtil, toujours tout-terrain mais plus pertinent, se mêle sur ce projet à du chant plus assumé et plus sincère, et des effets sonores piquants, pour dompter des instrus, entre balades relaxantes et grosses ambiances. Quelques featurings notables avec des proches et des voisins, et voilà quelques titres dont nos playlists de 2019 ne sauraient plus se lester. « Profite », en haut de la pile des morceaux les plus écoutés de l’année, partage avec le couplet de Isha sur « Ça pourrait être toi », la prod « des heures » et le texte de « Navigue » un plaisir qu’on n’a décidément pas boudé, à en croire le nombre d’heure (que nos plateformes ont gentiment comptées pour nous) passées à les écouter. Si en cette fin d’année, et malgré l’avalanche de bilan et de nouveautés, il vous reste du temps d’oreille disponible, n’oubliez pas Tonton F.L.

Costa

L’album : Euphonik – Thérapie

Un album Thérapie qui est passé trop inaperçu en cette fin 2019 de la part d’un artiste dont la discrétion n’a d’égal que le talent. Euphonik sait trouver les mots justes pour toucher le cœur et de plus en plus de personnes semblent s’en apercevoir. Plus musical, plus mélodieux mais avec des textes toujours aussi percutants, l’album Thérapie est un petit bijou.

Le son : PNL – « Zoulou Tchaing »

La mélancolie de l’été qui surgit dans les rues berlinoises et un son dans les oreilles : « Zoulou Tchaing » de PNL. Le temps d’un éclairage désabusé sur le monde comme un lampadaire qui éclaire la poubelle d’une rue déserte. L’envie de rien et du monde. Un son qui vaut bien « Jusqu’au dernier gramme ».

Le beatmaker : DJ Monark

Homme de l’ombre et orfèvre du label Rap and Revenge, DJ Monark s’illustre à chaque sortie d’album par des instrumentales sur mesure pour la voix rocailleuse de VII. Méconnu du public, Monark est assurément un beatmaker prolifique et talentueux dès lors qu’il s’agit de produire des ambiances sombres qui laissent la part belle aux textes qui viennent les habiller. Il s’est notamment manifesté durant cette année 2019 en produisant l’EP Contre-courant de Skalpel et VII, mais c’est surtout une belle productivité depuis des années pour un DJ-beatmaker qui sait composer pour mettre en valeur le talent des rappeurs qui l’entourent.

Le concert : « A historia de hip-hop tuga » à Lisbonnes, le 8 mars 2019

Un aller-retour à Lisbonne, le temps d’un week-end et d’exploser mon bilan carbone, pour aller voir le 8 mars 2019 un concert consacré à l’histoire du « hip-hop tuga » pour fêter le quart de siècle. Alternant des moments de contextualisation avec des performances live, l’ensemble était très homogène pour un concert qui a duré pas loin de quatre heures. Les acteurs du mouvement étaient présents en masse pour le plus grand plaisir des auditeurs qui ont pu réécouter les classiques de ceux que l’on ne voit plus et de ceux qui ont pris leur place. Un beau concert avec de nombreux artistes différents créé à partir d’un concept que l’on aimerait voir en France.

L’oubli : Apaches de Sameer Ahmad

Passé inaperçu au mois de juin et redécouvert dans ma playlist quelques mois plus tard, l’album Apaches de Sameer Ahmad fait partie de ces projets au contenu décalé par rapport à la scène rap actuelle qui méritent de ne pas tomber dans l’oubli. Apaches, c’est avant tout une ambiance par laquelle on se laisse porter, des références toujours bien senties et des punchlines qui poussent à fouiller le contenu des encyclopédies en ligne. Un plaisir pour les oreilles et le cerveau. A écouter dans la voiture ou autour d’un brasero.

Antoine

L’album : Nefaste – Partir loin

La pochette aurait pu être plus impactante, au moins au niveau de ce que contient l’album. Nef a vraiment franchi un cap cette année, passant de la catégorie rap indé habituelle à celle d’outsider de la relève nationale pour la suite. D’abord parce qu’il a opéré une mise à jour de son flow, alternant aisément entre trap et boom-bap, voire cloud rap si nécessaire comme sur « Problèmes ». C’est aussi une meilleure adaptation musicale à son époque, un besoin de se rapprocher des beats actuels en faisant appel à des maîtres en la matière comme Eazy Dew ou Lucci. Là aussi une prise de risque assumée, travaillée et maîtrisée, ponctuée par des rappels à ses premiers amours signés Lionel Soulchildren ou Mehsah. Le discours de Nefaste, paradoxalement à son blase, se veut bienveillant comme depuis ses débuts. Une très légère envie de s’évader et faire la fête au quartier « Bah oé mon pote », « Là chez moi », qui méritaient plus d’attention tant les deux morceaux cités sont des bangers. Largement sous-représenté dans les médias rap, Nefaste prend du galon, expérimente. Il prend son mal en patience. Toujours avec une plume propre, dans son coin. Il gagnerait à faire plus de scènes et tenter des connexions, histoire que le peuple se rende de son niveau actuel. Tout cela fait de Partir loin l’un des meilleurs albums rap de l’année 2019.

Le son : Scylla – « BX Vice » (Prod. Katrina Squad)

Impossible d’oublier la première écoute de ce titre. Bien avant l’idée même du clip, j’ai eu la chance et l’honneur de découvrir ce classique en devenir de Scylla, une merveilleuse boucle de Katrina Squad pour un titre qui fait écho au premier hit du MC bruxellois. Une introspection qui provoque des frissons, à chaque ré-écoute.

Le concert : Scylla & Sofiane Pamart au Trianon, le 25 octobre 2019

Une minutie et une précision dans l’émotion rarement atteinte. Peu de concerts marquants cette année, mais une soirée d’exception offerte à Paris par ce duo qui crée et sublime un format piano/voix qui leur va parfaitement.

Le beatmaker : Tiwaan

Un nom encore jeune dans le répertoire national mais retenez-le : il produit notamment pour Tito Prince, Stick ou Yous MC, et pourrait bien être un des blases recherchés dès l’année prochaine.

L’oubli : CenZa

La majorité des médias rap en France en 2019 est malheureusement passée à côté : deux albums de haute facture, un pour ouvrir l’an et un pour le refermer, un hommage à la West Coast et une ode à la East Coast. CenZa, membre hyperactif de l’uZine, a marqué l’année d’une détermination et d’une passion rarement égalées. Beatmaker sur la plupart de ses titres, auteur et interprète, il donne du coeur, de l’énergie et de la gamberge au hip-hop français qu’on pourrait croire parfois perdu. Le Montreuillois ne se mélange jamais trop à la scène rap de l’underground parisien (seulement Prince Waly, Noss, Souffrance et Mezy sur les deux projets), à part peut-être aux Demi et Scred Festivals lors desquels L’uZine se fait souvent remarquer tellement leurs passages, aussi turbulents que travaillés, secouent les esprits. Tout droit sorti de Montreuil (lire notre chronique) en clin d’oeil au Straight outta Compton de N.W.A, et Retour au temple, regorgent tous deux de références aux classiques US des années 90’s, via des choix précis de samples, rimes et flows. CenZa accède à l’état de transe sur les titres qui parlent uniquement de rap, de technique, d’art et les différentes formes d’egotrip qu’il emploie. Il sait aussi se montrer plus proche de son auditeur, en lui adressant des messages détaillés comme sur « La différence » ou « Saison ». CenZa, c’est un bagout, une hargne. Et surtout une irrémédiable envie de déranger en rappant, ou de rapper en dérangeant.

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