Lalcko, l’interview « 10 Bons Sons »

Lalcko s’est tracé une trajectoire inhabituelle mais cohérente dans le monde de la musique. Parti du statut de jeune rappeur prometteur, il fera rapidement partie d’une génération de game changer aux côtés d’autres artistes comme Despo Rutti ou Escobar Macson, pour finalement disparaître après un premier album que le public mettra quelques années à appréhender. Lalcko va discrètement planer au dessus du milieu pendant presque dix ans, pour finalement revenir apporter de nouvelles pierres à l’édifice, notamment avec la sortie de BAGS, en mars 2020. Véritable touche-à-tout, tant dans la musique qu’en dehors, Lalcko nous a fait le plaisir de revenir, avec nous, sur une riche discographie, où les liens se tissent d’eux mêmes, et où chaque combinaison de pensées ouvre de nouvelles portes sur le monde.

1 – Lalcko – « Les voies suprêmes » (Compilation Sang d’encre haut débit, 2004)

Ce morceau a 15 ans et on y retrouve déjà beaucoup de composantes de ton style.

Pour remettre les choses dans le contexte, jusqu’à cette époque là, il y avait deux manières de faire connaître les morceaux. On pouvait faire des maxis en guise de carte de visite. Le but alors, c’était de faire des bangers, car les titres partaient très vite en concurrence avec d’autres morceaux, notamment via les DJ. Il fallait donc en faire des morceaux de combat. Quand je sors « Les voies suprêmes », on est sur le deuxième type de configuration qui pouvait faire connaître un morceau : celui de la compilation. Mais quand tu regardes toutes c’est compilations-là, on était quand même sur des roadsters de compétition, même quand il y avait des new comers, il ne fallait pas que ce soit n’importe lesquels. Surtout que là on parle de Sang d’encre, le premier volet était d’un haut niveau. Ma mentalité à ce moment-là c’est d’arriver d’une manière différente que si ça avait été un maxi. Je voulais montrer un nouveau visage, et surtout faire parler ma différence, mettre en avant mon état d’esprit, et montrer aux gens pourquoi j’allais rester sur la durée, quitte à faire des choses qui auraient pu être considérées comme des fautes. 

En arrivant sur Sang d’encre, la maîtrise technique ne suffisait pas. Il fallait une forte marque en terme d’identité. Plutôt que d’être celui qui rappe comme Ghostface ou Jeru, il fallait que je sois Lalcko, celui comme qui, à partir d’aujourd’hui, les gens allaient rapper. Le premier pari c’était de garder le style d’images que j’avais déjà développé dans « Blow » et qui m’étaient propres. C’est la façon dont ma tête tourne. Je parle de phases à risques, mais qui proviennent d’une réalité ancrée jusque dans la chair, une réalité historique. Par exemple : “Le sample tourne et j’fais couler le sang comme l’homme blanc”. Ma particularité c’est de ramener des moments importants, clivants, mais qui sont vrais et qui constituent ma personnalité. Des moments dans lesquels sont nés des gens qui ont mis au monde des gens qui m’ont mis au monde. Il y a aussi la question des néologismes, par exemple : “Tu peux t’faire baller en poussant la fonte”. Et après il y a des phases relatives à ma perception de l’humanité : “Quand je ferme les yeux, je vois mon peuple remplir l’espace”.  Ou alors j’essaye d’emprunter à une imagerie un peu biblique quand je dis : “Il est prédit que les frères vont déchiqueter ma chair, cœur de pierre et visage de fer, vont pousser mes lèvres à embrasser les barbelés, mais je vais m’réécrire”. Dans les livres saints, il y a toujours des moments de solitude où un personnage se retrouve avec des personnes qui l’aiment mais dont il sait qu’elles finiront par l’éliminer pour des raisons qui lui échappe, mais ce n’est pas grave, car l’étape d’après a déjà été prévue. 

Et après il y a la provocation. Je fais un refrain de seize mesures avec trois mots. Un refrain où je répète “les nég**s” sous plusieurs formes. Beaucoup de gens peuvent s’arrêter là, à cause de la longueur ou de l’aspect choc du refrain. Si tu survis à ça, c’est que t’es avec moi. (rires) Tout ça je l’ai écrit à 23 ans, et je commençais à tracer ce qui sera mon chemin dans la musique. Puis en dernière instance, il y a un autre défi. C’est que c’est une production de Fred Dudouet, dont l’image était à ce moment-là très attachée à Lunatic et Booba, et il ne fallait surtout pas que je sonne comme eux.

2 – Lalcko – « Deep cover » (Mixtape Capital, 2005)

Là on est quelque temps après, plus dans l’esprit freestyle. Pourquoi avoir choisi de kicker cette prod ?

Ça me fait plaisir de revenir sur ce morceau. Là on est à la suite des Voies suprêmes. J’ai une relation d’amitié particulière avec Jean-Pierre Seck, avec qui on partageait beaucoup sur le rap. On écoutait tout, toutes les nouvelles mixtapes, tous les newcomers, américains comme français. Dès le moment où tu es bon, tu es un sujet de conversation entre nous. JP avait réussi à bien mettre le doigt sur mon style et mes références, à la fois africaines, street, issues de la musique américaine mais version lascar de France. A cette époque c’était curieux, mais aujourd’hui c’est l’essence d’un certain nombre de rappeurs.

On parlait donc des nouveaux rappeurs de l’époque, dont The Game. Il avait freestylé sur cette production classique, période Dre, avec des références au sport, au rap, etc. On s’est donc donné, avec JP, un défi de faire un morceau sur cette production. Et j’ai enchaîné huit minutes là dessus, il m’a dit “t’es un malade !” The Game avait choisi de parler de ses références, et j’ai fait pareil avec les miennes, dans un aspect freestyle sans limites. Dans le label, ils défilaient les uns après les autres pour venir écouter ce morceau. D’ailleurs quand Escobar a entendu « Deep Cover », il était tellement vénère, qu’il est rentré et qu’il a écrit “Trois voyelles et quatre consonnes”. Il est venu l’enregistrer le week-end après.

Tu as d’ailleurs enregistré un autre morceau dans le même esprit, « L’esprit des rois », qui est conçu comme le « Deep Cover « 2.

C’est comme une suite. D’ailleurs il y a en même un troisième que je n’ai jamais sorti et qui s’appelle “La voix des princes”. J’avais quitté mon label mais j’étais resté ami avec Jean-Pierre. J’entends cette production, je repense à « Deep Cover », et je me dis “aujourd’hui, qu’est-ce que je dirais sur un morceau dans le même esprit ?”.

« Deep Cover » est un morceau un peu joga bonito, avec des jongles, des crochets. « L’esprit des rois », c’est justement un morceau avec un peu plus d’esprit. J’interroge cette époque. “Lancé à pleine vitesse je suis sensible comme un volant de classe S”. Ça veut dire que je suis inarrêtable, qu’il faut que je continue à faire ce que je fais à faire, mais que je peux tirer les premiers enseignements de tout ça. Avant j’étais juste dans l’action. A ce moment-là j’y suis toujours, mais en plus de ça, je suis mon propre chef. Je peux donc commencer à donner plus d’esprit que de jeu.

Je fais ça quand je sors un de mes projets majeurs qui est Diamants de conflit, et je met le morceau en téléchargement libre. A l’époque, j’ai donné sept titres en téléchargement gratuit au site Rap 2K, dont celui-ci. Depuis le début des années 2000, j’ai toujours estimé qu’une partie de la musique devrait être gratuite. Sur le site 45 Scientific, j’étais le seul à avoir mis un morceau gratuitement : « Gun Fever ». Par la suite j’ai fait un projet gratuit avec Groove : Victorieux. Puis je serai un des premiers sur Bandcamp, avec tous mes disques gratuits à l’écoute, et pour certains téléchargeables à prix libre. Bon en France si tu dis “prix libre”, pour les gens ça veut dire gratuit. (rires) Par ailleurs j’ai une formation en marketing et je suis très sensible à ces questions-là,  je me suis toujours dit que la musique allait être consommée différemment dans le nouveau monde. A une autre époque les musiciens étaient des troubadours quand même… Il y a des choses beaucoup plus importantes dans la vie. Quand les temps deviennent difficiles, les gens se rapprochent de choses plus essentielles. Deviennent alors de bons vendeurs ceux qui sont hyper-marketés et mettent des millions d’euros à être connus, ou alors ceux qui méritent véritablement de l’être. L’esprit des rois porte aussi un peu de cette marque là.

3 – Lalcko – « Lumumba » (Mixtape Diamants de conflits, 2007)

On enchaîne sur un son de Diamants de conflit. Je crois que c’est la première fois que tu utilises un personnage historique comme symbole pour développer des thèmes proches de lui. Un peu comme tu feras avec Napoléon, avec Rocancourt sur « Le prix de l’ambition », etc.

Exactement. Ce morceau je l’ai écrit pendant que je travaillais sur mon projet avec 45 Scientific. J’en ai écrit une première version, que j’ai enregistrée sur une production de Cris, pour laquelle je lui avais demandé de sampler une partie du film Malcolm X. Jean-Pierre vient en studio, écoute ce morceau, parmi d’autres, et il me dit “Waouh ! Ce morceau il est bon. Je comprends pas tout mais bon… Pourquoi tu as sorti ta meilleure phase en parlant ?” A la fin de cette version, je sortais, en parlant “Les n**ros sont trop Mobutu, dès que tu les mets bien ils oublient tout”. Quand on retravaille le morceau, c’est après que j’ai signé sur une production en partenariat avec Wagram, et à l’époque ils sont très contents de m’avoir dans leurs rangs. Le production est plus grosse, en terme d’investissement en temps, en argent, en ressources humaines. C’est un disque beaucoup plus produit que Diamant noir qui était très brut, mais dont j’étais très fier. Diamants de conflit était international, il y avait des producteurs suédois, anglais, le frère de Pharell Williams qui s’essayait à la prod, etc.  C’est dans ce contexte là que je décide de retravailler « Lumumba », sur une prod de Atsma et Rocwell qui est un producteur suédois. Et là je me souviens de la phase dont JP m’avait parlé, que je décide de mettre au cœur du morceau. Ça fera la différence car c’est une des phases dont on m’a beaucoup parlé. En Afrique ça a choqué des gens, pourtant pour moi elle n’avait rien de particulier ! Au final elle incarne vraiment le morceau.

Dans le film « Lumumba » il y a une phrase qui dit qu’il est arrivé cinquante ans trop tôt. Je fais le parallèle avec Nazareth qui part, mais dont les idées restent. C’est ce qui a fait la particularité de ce titre que j’aime beaucoup. Je décide rapidement d’aller tourner ça dans des rues où j’ai pu vivre, et où vit ma famille au Cameroun. A Douala, a Yaoundé… Je pense qu’on était parmi les premiers à faire ça. Ma mère m’a dit en voyant le clip, que ce serait sûrement une des choses dont on se souviendrait le plus dans mon œuvre. 

4 – Lalcko – « Esprits crapuleux » feat. Despo Rutti & Escobar Macson (Album L’eau lave mais l’argent rend propre, 2009)

C’est une collaboration avec Despo, pré-Convictions suicidaires, et avec Esco. Ils sont très en forme sur ce titre.

En fait je n’ai jamais vraiment fait de featurings. A l’époque de 45, je devais faire un featuring avec The Clipse, et quand Pusha T et Malice se sont retrouvés à Londres, moi j’étais au Cameroun. On m’avait aussi proposé de faire la première version du remix de « Locked Up », avec Akon. Mais je ne suis pas trop branché dans événementiel. J’ai toujours pensé qu’il fallait que je crée moi même l’événement, mais ce n’est pas pour des questions d’égo. Je pense d’ailleurs que les dix années que je viens de passer sans faire de musique montrent que je ne suis pas très attaché à ça, même si j’adore la musique. Je suis aussi un père de famille, un chef d’entreprise, etc. Je prends la musique pour ce que c’est, je n’en fait pas tout un plat, même si j’ai beaucoup de respect pour ceux qui m’ont entouré et qui m’ont permis, notamment par ce biais, de devenir aujourd’hui la personne que je suis.

Pourquoi je dis que ce n’est pas un featuring ? Parce-qu’ « Esprits crapuleux’ n’est qu’une goutte de l’océan dans lequel on voulait plonger le rap français. On voulait le perturber. Les gens voient les rimes, l’association, mais ne voient pas forcément le hustle et l’identité qu’il y a derrière. L’identité déjà, c’est qu’on est trois afropéens accomplis. A la fois très fiers de nos racines, et très ancrés dans nos vies en France. Aujourd’hui ça sonne évident, mais à cette époque-là, il valait mieux être lisse. Pour que les maisons de disques te signent à cette période, il fallait vraiment que tu correspondes aux standards, et que tu parles à tout le monde. Pas plus tard qu’hier, j’écrivais sur Instagram que nous avons participé à créer cet esprit de rap libre. Despo Rutti pour moi c’est une rock star. Il maîtrise tellement le rythme qu’il peut s’en jouer, et jouer avec. Escobar c’est une brute épaisse mais on fait très peu attention à sa qualité et à sa finesse. Ce n’est donc pas un feat, c’est de la fraternité, de l’amitié. Au début, il était question qu’on fasse un album à quatre, avec Seth Gueko. On n’était pas très loin de le faire, mais Despo était déjà rentré dans la phase de confection de Convictions suicidaires avec sa maison de disques de l’époque. Et Esco et moi on est des indépendants. On vivait en marge, mais ça nous convenait très bien, alors même qu’on sortait d’un roadster comme 45 scientific. D’ailleurs, les gens ont l’image de 45 comme d’un label qui fermait des portes, mais on nous en ouvrait beaucoup, c’est juste qu’on ne voulait pas rentrer. Rien que le nom et le nombre de disques vendus permettait beaucoup de choses. On a bénéficié de cette notoriété, et on y a aussi contribué.

Pour revenir à cette collaboration, « Esprits crapuleux », c’est inspiré d’ « Esprits mafieux » de Oxmo Puccino. Je considère qu’on est les crapules du mouvement car on a porté nos couilles jusqu’au bout. Aujourd’hui Despo est parti dans un truc encore plus artistique. Il a un côté génial. Esco a lui pris un peu de recul sur la musique, mais si aujourd’hui je suis capable de sortir de dix ans de silence, je ne vois pas pourquoi Esco ne le ferait pas ! 

Pour moi cette génération est une génération dorée à laquelle le rap français doit beaucoup. C’est à ce moment-là que des jeunes ont commencé à se dire qu’ils pouvaient générer de la musique eux-mêmes, comme ils le sentaient, qu’ils pouvaient gagner de l’argent avec. Quand j’écoute le rap français après « Esprits crapuleux », sans dire que c’est ce morceau-là qui a une influence, je trouve qu’il y a toute une génération de rappeurs indépendants qui s’en rapproche. Pareil pour LMC Click : si tu n’as pas ça, il y a beaucoup de choses qui n’existent pas, dont Niska par exemple. Je veux vraiment qu’on donne du respect à ces gens-là, dont je fais heureusement partie.

Si on était au bout de la démarche de faire un ou deux albums, ça aurait pu suivre une voie similaire à celle de Griselda Records par exemple. Ça aurait même pu aller vers un label. C’est un des petits regrets que j’ai.

5 – Lalcko – « Napoléon » (Album L’eau lave mais l’argent rend propre, 2011)

Ce morceau a une construction assez particulière, avec plusieurs parcours réunis sous une même thématique.

Il y a une opposition thématique entre trois ou quatre personnages sur l’ensemble du disque. Sarkozy incarné par Napoléon. Kadhafi qui est présent aux travers de titres comme « Strong ». Laurent Gbabo dans « Kilo ». Et le duo Mandela / Desmond Tuto dans « Vilakazi ». Ce sont les personnages principaux du film « L’eau lave ». C’est sur la base de ces personnages que j’ai conçu le discours de l’album. Napoléon c’est la posture de conquête, au risque d’en léser plus d’un, de se mentir à soi-même, et de finir par mentir aux autres. 

Sarkozy a fait une immigration par le haut, dans la ville de Neuilly, où il est devenu maire. Mais chez les animaux, on ne se trompe pas. Tu peux avoir une hyène déguisée en éléphant, son comportement rappellera toujours que c’est une hyène. Être un chacal, comme disent les jeunes, c’est une identité. Sarkozy est un des présidents qui a le plus marqué la jeunesse. Il avait des discours qui les rabaissaient, mais beaucoup reconnaissaient en lui l’un d’entre eux. Et paradoxalement, beaucoup de familles en France arrivaient à être rassurées par lui. C’est le loup dans la bergerie. Désolé pour mes potes des républicains !

6 – Lalcko – « L’argent du vatican » (Album L’eau lave mais l’argent rend propre, 2011)

Il y a un paradoxe intéressant sur cette chanson avec cette prod cinématographique et spectaculaire, couplée à une thématique qui parle d’émotions assez rentrées.  

C’est l’opéra du condamné. Il parle des choses qui le condamnent, tout en gardant un espoir de traverser sa situation, de se traverser lui, de se transcender. A la fin du morceau, il y a l’image de la rocking-chair. Généralement, cette chaise c’est pour les gens qui ont du temps, mais aussi pour ceux qui ont atteint l’âge. 

Il y a une lutte interne dans ce morceau. Après c’est une personnification, ce n’est pas exactement ma vie, mais ce sont des sentiments qui me traversent au moment où je l’écris. C’est un exercice que j’avais déjà fait sur « Le charpentier ». « L’argent du vatican » c’est aussi une réponse à « Lumumba ». C’est un « Lumumba » avec quelques larmes de plus : ce qui est riche est au fond de moi comme ce qui est au fond de la terre du Congo. On a refusé de m’accepter, j’ai commis des erreurs, mais j’ai le droit de continuer.

Ça me fait penser qu’on vit une période assez particulière avec ce confinement : beaucoup de gens vont comprendre qu’on n’était pas fous. Le fait d’être constamment dans cette posture artistique d’introspection donne la capacité de voir avant les autres. C’est parce qu’on ouvre les yeux tout le temps. On cherche. Et aujourd’hui avec le confinement, tu sais combien n’arrivent pas à dormir la nuit ? Les gens m’appellent à toute heure pour me dire “Mais poto, j’dors à 13h, j’comprends pas ! Je fixe le plafond, j’ai fini tous les films de Netflix”. Ils se retrouvent dans la posture du premier couplet de L’argent du Vatican. Ils vivent leurs premières introspections véritables. Ça me fait sourire. Même les grandes conventions qui disent à quelle heure on doit se lever, et ce qu’on doit faire durant nos journées, ont disparu.

7 – Lalcko – « Streets of Paris » (Mixtape Capital 2, 2015)

Ce morceau a une intro qui joue un peu sur la longueur, qui produit une sorte d’errance filmique. Globalement il y a un côté “balade dans la ville”.

Ce titre devait être sur L’eau lave mais l’argent rend propre, mais j’ai du faire des choix ! « Streets of Paris », je l’ai écrit à une époque où je me baladais beaucoup dans les rues parisiennes. Il y a un esprit de conversation dans le morceau, bien que ce ne soit pas forcément tiré de faits réels. Le principe de la balade, c’est que tu as souvent des conversations qui passent du coq à l’âne. C’est de la psychanalyse de mec de rue, dans ce genre de contexte, on finit par se lâcher. Quand tu écoutes le refrain, tu comprends que c’est ça l’idée de fond. Cette manière de se confier, dans des moments clés, c’est souvent ce qui fait tomber toutes les organisations. Tu es tranquille, tu penses te confier, et paf, demain tout disparaît, tout le monde se fait arrêter. Parfois on se confie à des gens à qui on n’aurait pas dû … La manière de se confier est aussi liée à l’éducation qu’on a reçu.  Quelqu’un qui lit ce que je suis en train de dire, je ne sais pas si il a envie de m’écouter. L’explication est plus compliquée que l’oeuvre. (rires)

8 – Butters Bullets – « Aquaboulevard » feat. Lalcko (Album Memento Mori, 2015)

Tu apparais sur l’album de Butter Bullets, à ce moment-là on ne s’imagine pas forcément que tu vas ressortir des disques. Peux-tu nous parler de ta relation avec eux ?

J’ai un regard transversal sur la musique, qui me permet de travailler avec des gens d’horizons divers. Butter Bullets ne viennent pas de mon environnement direct, mais un pote à moi me les a fait découvrir. D’ailleurs même avant qu’ils m’en parlent j’étais tombé sur « Chiens » avec Alkpote. J’avais trouvé Sid vraiment bon. J’aimais sa musique et il aimait la mienne. Et sur un terrain de foot ou de basket, les bons joueurs se cherchent. Comme Tony Parker-Ginobili. On n’a pas la même culture mais le rap nous rapproche, et j’ai su voir en quoi il était fort. Quand un pote en commun, Ben, m’a proposé de le rencontrer, j’étais content. En fait je l’ai rencontré chez moi, il est venu à la maison, on a parlé et on a vraiment linké. D’ailleurs Butter Bullets, c’est le duo de concepteurs-réalisateurs sur lequel j’ai fait le plus de sons. Je dois avoir au moins cinquante sons sur du Butter Bullets ! L’idée de faire un album entièrement produit par eux est née depuis quelques années déjà, parce que j’aime vraiment leur couleur. C’est toujours en projet, plus que jamais même.

Intervenir sur leur album était donc une évidence. Chez eux il y a une finesse, dans plein de domaines. On partage beaucoup. Quand j’étais en Afrique ces dernières années, j’ai plus échangé avec Sidi Sid qu’avec beaucoup de gens dont on m’imagine proche. J’ai beaucoup d’amitié pour lui, et je trouve que Dela a énormément de talent. Depuis quelques temps, à chaque fois que je veux faire un disque, ils finissent toujours par apparaître. Sur Capital 2, il y a trois ou quatre sons d’eux. Sur L’eau lave le film ils ont des sons aussi. Même sur mon dernier album, sur lequel ils n’auraient pas dû apparaître, ils ont produit.

9 – Lalcko – « Questions puissantes » (Album BAGS, 2020)

On enchaîne justement avec un son de « Bags ». Le refrain m’a accroché, il a un côté mantra, il est très long aussi, un peu comme celui des « Voies suprêmes », dans un autre esprit.

En réalité, ce titre est comme la suite des « Voies suprêmes ». Sur « Les voies suprêmes », on parlait de qui j’étais, comment j’étais fait, comment je voyais les choses dans les années à venir. Et les choses dont je parlais ont fini par se réaliser. Je me suis séparé de beaucoup de gens, puis je me suis retrouvé avec ces gens sur d’autres choses. Je suis parti en ne mettant pas mes qualités qui sont les plus évidentes en avant. Ce n’est pas forcément mes qualités de rap que je met le plus en avant, c’est plus ma complexité dans l’approche de la musique, ainsi que le texte et le contexte.  Aujourd’hui, si tu m’appelles dix-sept ans après « Les voies suprêmes », c’est que j’ai réussi avec ce titre. « Questions puissantes » c’est l’étape d’après. Je dis “Dans dix ans et pendant dix ans j’pourrai partager”.

J’ai essayé tant de choses que j’ai fini par trouver quelque chose. Mais avant de trouver ce quelque chose je suis tombé plusieurs fois, j’ai échoué. Et quand je l’ai trouvé, je me suis spécialisé dedans. Je parle aussi d’abandonner l’armure. Quand tu es rappeur, tu as des temps forts, comme chez 45 Scientific, ou avec Despo et Esco sur « Esprits crapuleux », etc. Et dans ces moments-là tu ne le sais pas mais tu influences des gens qui passent leurs diplômes ou qui ont de gros objectifs, qui se servent de ta musique pour gagner de l’énergie. Ton nom devient plus grand que toi. Et puis à un moment tu décides de stopper la musique, tu enlèves ton armure, et tu deviens monsieur tout le monde. Tu commences à ressentir toutes tes maladies. Sans ton armure, tu commences à développer une forme de paranoïa. Tu la remplaces par un gilet pare-balles, parce-que tu te sens en danger.

En fait je pense que « Questions puissantes » est plus avant-gardiste que « Les voies suprêmes » dans le discours. L’eau lave mais l’argent rend propre était une photo, mais BAGS a un message, que j’ai mis des années à concevoir. On est plus à l’étape de copier des phases de film et de les rapper en faisant croire que ce sont des punchlines. Beaucoup de gens font ça. 

Ma fierté, c’est d’avoir dit “Je me demande pas ce que j’ai fait de mal, je me demande ce que j’ai mal fait”. Je n’ai pas la maîtrise sur l’impact négatif qu’ont pu avoir certaines de mes actions sur les autres. Par contre, j’ai la maîtrise sur ce que j’ai mal fait. Alors, je peux corriger. L’ouverture sur le troisième couplet : “ils disent que les morts sur leurs lits sont nos premiers livres”. Regarder quelqu’un qu’on a aimé couché sur un lit, c’est ça nos premiers livres. « Questions puissantes », c’est ma participation au monde. Il faut que chacun trouve des questions fondamentales pour débloquer son esprit. Eviter les questions qui mènent à des réponses qui ne nous apporteront rien.

Si le projet BAGS sort comme cela, c’est une volonté. J’ai refusé de contacter la presse. On m’a dit que j’allais passer à côté de l’exposition nécessaire pour le faire vivre, mais c’est faux. Justement, en faisant ça, je montre une voix aux jeunes. Je produis un message. Maintenant c’est aux gens de me contacter pour continuer à produire ce message. Sur d’autres albums on reviendra sur des canaux plus normaux en terme de rap. Mais un deuxième album pour moi, il fallait quelque chose de nouveau. Et le message est aussi là-dedans.

10 – Lalcko – « Business model » (Album BAGS, 2020)

Ce morceau m’a paru être une bonne manière de conclure et d’ouvrir sur un après.

J’essaye de concevoir ma musique comme une oeuvre globale, même si tout n’est pas calculé. C’est juste que c’est dans mon sang de tisser des liens. Tout ça pour dire que  « Business model » répond à « Entreprise ». Je parlais déjà d’entreprenariat dans le rap en 2003, en utilisant comme capital l’humain. Les souvenirs sont mon premier capital, ça a toujours été ma philosophie. L’humain est la base du capital. Cela dit j’ai du recul sur cette société hyper capitaliste qui est en train de s’écrouler, notamment grâce à ma culture africaine, camerounaise.

Tu peux être un modèle : être un bon dessinateur, traduire des modes, être celui dont tout le monde parle, être un mec qui fait les choses bien, etc. Mais tu peux aussi être celui qui conçoit le modèle. En 2009, nous avons conçu un modèle avec Esco, Despo, Alpha 5.20, etc. Ça allait de la street-music au street-film. C’était hyper ambitieux. Aujourd’hui tout ça est devenu possible, certains en ont profité, ils sont allés au bout dans le cadre artistique ou en dehors. Esco comme moi par exemple, réussissons très bien en dehors de la musique. Personnellement, j’avais des qualités qui ne collaient pas au mouvement, comme j’en avais qui collaient. Mais j’ai fait le choix de mettre en avant ma particularité pour me créer mon propre chemin, et être un jour à la tête de quelque chose. Comme Cristiano avec ses passements de jambe, Mbappé avec sa course, Verrati en utilisant sa petite taille pour être un autre type de milieu, etc. J’encourage les gens à jouer sur leurs particularités. C’est fini, il n’y a plus de monde digital et de monde réel. Les deux sont mélangés et s’impactent mutuellement. J’ai crée maintenant assez de catalogue pour que ceux qui veulent écouter du Lalcko puissent en écouter.

Et bientôt, il y aura une suite à tout cela. Je ne suis pas tout seul, d’autres portent la même philosophie que moi. Aujourd’hui, il est aussi temps que je devienne producteur. Je suis en train d’y travailler, ça va arriver très vite, sous différentes formes… 

Tu as ressorti des mixtapes, comme Capital 2 ou El comandante alpha, sur lesquelles tu as remis des titres qu’on trouvait auparavant sur d’autres projets. L’objectif c’était de refaire découvrir ces titres, ou bien tu tenais à les présenter d’une autre manière, en les mélangeant différemment ?

L’idée c’était de mettre les titres dans leurs formes définitives, dans leur maison définitive. Aujourd’hui, j’ai cette notion de l’après. Cette notion de l’oeuvre. Parce qu’aujourd’hui, en ce qui concerne Lalcko, je pense qu’on est plus proches de la fin que du début. J’ai envie que les choses soient rangées pour que demain, les gens puissent étudier un tout. Par exemple, L’eau lave le film est un album fantôme de L’eau lave. Il permet de comprendre l’esprit, c’est organisé avec des interludes qui permettent de mieux cerner les choses. Cette organisation permet d’avoir le recul nécessaire sur l’oeuvre en général. 

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