Il y a quelques semaines, nous célébrions les 25 ans de la sortie du dernier album de Fabe, La Rage de Dire, paru en mai 2000. Avec quatre albums sortis entre 1995 et 2000, il a marqué le rap francophone de son empreinte indélébile, avant de prendre sa retraite sans crier gare – mais sans le disque de trop non plus -, laissant à son collectif, la Scred Connexion, alors fraîchement formé, le soin de se débrouiller seul pour produire son premier album. Avec une carrière somme toute assez courte, et un départ sans se retourner, il a acquis avec le temps un statut d’icône pour une partie du public. Nous vous proposons ici de revenir sur dix morceaux de L’Impertinent qui ont marqué l’équipe de rédaction.
1995 : « Ça fait partie de mon passé » (prod. DJ Stofkry)
En 1995, Fabe a déjà quelques maxis à son actif, sortis chez le label suisse Unik Records (label de Sens Unik), c’est donc logiquement qu’il sort son premier album chez eux. Parmi les treize titres que contient Befa surprend ses frères, le coup d’œil dans le rétroviseur de la vie, « Ça fait partie de mon passé », se démarque rapidement, avec son texte introspectif et somme toute assez universel, son roulement de caisse claire et sa production laid-back. Le titre aborde une facette qu’on oublie souvent du membre du Complot des Bas Fonds, à savoir son passé de graffeur, évoqué dès le premier couplet : « avec un style qui tapait trop, des pe-flo tou-par dans les couloirs du métro ». « Ça fait partie de mon passé » bénéficiera d’une sortie en maxi vinyle et CD 2 titres, et sera programmé sur les ondes FM ainsi que sur M6. Mais ne comptez pas sur Befa pour capitaliser sur cette mise en lumière, tenter un coup avec le deuxième album ou suivre la tendance : ce n’est pas le genre de la maison, et ça ne le sera jamais. – Olivier
1997 : « Des durs, des boss… Des dombis » (prod. DJ Stofkry)
Intituler son album Le Fond et la Forme n’est pas anodin pour Fabe en 1997. Si la forme avait pu séduire avec le single « Ça fait partie de mon passé », sorti deux ans plus tôt, ce deuxième disque remet le fond au centre de l’équation, avec des tirs à boulets rouges sur bon nombre de cibles. Dans « Des durs, des boss… des dombis », ce sont les rappeurs qui dégustent (là où « On lèche, on lâche, on lynche » vise plus globalement l’industrie de la musique), et Befa ne mâche pas ses mots lorsqu’il s’agit de pointer le manque d’authenticité de ses confrères. À tel point que certains rappeurs se sentiront visés — souvenez-vous la phase de Booba dans « La lettre », qualifiant de « rime de bâtard » la phrase : « C’est tellement bas qu’pour en parler, faudrait qu’j’me fasse mal au dos. » Plus globalement, ce titre exprime l’attachement du rappeur du 18ème à une sincérité dans les textes (pour ne pas dire une droiture), mais aussi le dégoût que lui inspire alors le milieu du rap, un malaise qui ira grandissant jusqu’à son retrait total du rap en 2000. – Olivier
1997 : East feat. Fabe – « Les mots vrais » (prod. Cut Killer)
A partir de 1993, Cut Killer lance sa série de mixtapes dans lesquelles il met en avant le rap US (underground mais aussi mainstream) et le R’n’B. Mais en 1994, il innove encore en faisant des spéciales rap français et décide assez logiquement de consacrer sa première à East et Fabe, proches du DJ parisien. En effet, les deux rappeurs partagent nombre de points communs et leur complémentarité au micro est assez évidente, notamment sur le morceau « Les mots vrais », pourtant conçu par Cut Killer après la mort d’East grâce à des accapela restés secrets, dans le maxi Eastwoo. Le couplet ainsi que le refrain de Fabe sont à ce titre d’autant plus poignants qu’ils évoquent la disparition et la postérité (« Si c’qu’on dit compense notre absence, c’est ça la récompense »). Tandis qu’East fait preuve d’un egotrip ravageur (« Place l’uppercut au plexus, l’adversaire se carapate, La masse de mon poing lyrical pèse lourd sur ta face »), le rappeur du 18ème arrondissement arrive à évoquer avec nostalgie le manque, tout en soignant la forme. Toujours très technique, Befa alterne les rimes riches, les assonances et allitérations, les placements imprévisibles, allonge telle syllabe, accélère son débit sur deux mesures. IAM ne s’y est pas trompé en invitant le binôme sur L’Ecole du Micro d’Argent. A l’image du regretté East, Fabe a disparu du rap français et nous ne pouvons que constater à quel point sa renommée est inversement proportionnelle à sa discographie : en quatre albums solos (sortis en cinq petites années), il a réussi à marquer ses congénères mais aussi les générations suivantes (influençant bien plus tard des Youssoupha, des Alpha Wann, des Freeze Corleone). Tout était dit dans le refrain : « Les mots vrais traversent le temps mais pas les mauvais ». – Chafik
1997 : V.A. – « 11’30 contre les lois racistes » (prod. White & Spirit)
Nul besoin de présenter ici ce morceau iconique et intemporel, encore régulièrement cité et remis en circulation au gré des sorties racistes et islamophobes de nos dirigeants actuels. Sur ce classique – où il est entouré du gratin de la scène rap français de l’époque (Akhenaton, Squat, Ministère Ä.M.E.R…) -, Fabe a peut-être livré le meilleur couplet. Son passage de douze mesures, placé en milieu de morceau, brille par son entame (« Vigipirate, carte de résident, danger… »), son groove, sa technique et le choix des images (« Qu’est-ce que tu veux que je fasse face à ces panneaux qui sont tellement sales qu’ils me font penser à Brigitte Bardot »). Mais aussi parce qu’il synthétise, en quelques lignes, les combats de Fabe : dénonciation des idées du Front national, rappel du passé colonial de la France, lutte contre les discriminations… Avec, en prime, quelques lignes de présentation pour ceux qui découvriraient le personnage : « Tu veux mon nom, c’est Befa, l’Impertinent, celui qui écrit une lettre au Président que Skyrock, Fun et NRJ censurent impunément. » À noter que ce n’est pas le seul morceau au casting XXL auquel Fabe participera : il fera également des étincelles sur des formats équivalents tels que « 30 ans après Martin Luther King » ou « 30 rappeurs contre la censure », en cohérence avec son engagement contre toutes les formes d’injustice. – Olivier
1997 : Fabe, Koma & K-Reen – « Mal partis » (prod. Cut Killer)
Le titre « Mal partis » symbolise à lui seul trois relations artistiques privilégiées de Fabe. D’abord avec Koma, avec qui il rappe dès Le Complot Des Bas Fonds, et qui assurera rapidement ses backs, avant de devenir son partenaire de featuring favori. Le morceau figure sur le premier gros projet de Cut Killer, un autre nom souvent associé à celui du rappeur du 18ème arrondissement – non seulement pour ses apparitions remarquées sur ses mixtapes et compilations (Opération Freestyle, H² DJ Crew, Hip Hop Soul Party), mais aussi parce que le DJ coproduira ses deux derniers albums via son label Double H, en plus de composer certains titres. Mais surtout, « Mal partis » bénéficie d’un refrain signé K-Reen, véritable reine des refrains R&B du rap français des années 90, qui totalise au moins quatre collaborations avec Fabe, dans des registres variés : cool (« 5h du mat' »), engagé (« 30 ans après Martin Luther King »), love (« Choisis »), ou motivant comme c’est le cas sur l’entraînant « Mal partis ». Ce morceau illustre le goût de Fabe pour les titres taillés pour le dancefloor, contrastant avec l’image austère et froide qu’on a parfois pu lui prêter. – Olivier
1998 : « Correspondance » feat. AL (prod. Cut Killer)
Peut-être que s’il ne fallait choisir qu’un seul album de Fabe, ce serait Détournement de son. Je dis bien peut-être, étant donné la qualité de la discographie du rappeur de la Scred Connexion. Détournement de son c’est 19 titres, des productions de Cut Killer, Logistik, Cutee B ou encore Butch, des multiples classiques comme « Nuage sans fin », « Classique », « Détournement de son », « L’impertinent », « La tête haute tenue » ou encore « Quand j’serai grand… » et le morceau qui nous intéresse ici : « Correspondance ». Si le rap français possède des magnifiques morceaux épistolaires, ce dernier a sa place tout en haut de la liste. En featuring avec AL, le morceau évoque avec pas mal d’amertume la condition précaire des deux protagonistes, qui tous les deux rêvent d’ailleurs et semblent désabusés. L’un est à Dijon, l’autre à Paris, mais pour les deux c’est le même postulat. Le violon de Cut Killer vient appuyer ce désespoir et porte le morceau de façon lancinante jusqu’à la fameuse phrase : « Paris c’est pas New-York non plus« . Et histoire de conclure en beauté, le morceau se termine avec un dialogue de Boyz n The Hood. – Clément
1998 : « Quand j’serai grand » (prod. Cutee B)
Il était difficile de ne sélectionner qu’un seul titre issu de Détournement de Son, tant le troisième album de Fabe est un classique parmi les classiques, mais il était surtout impossible de ne pas chroniquer « Quand j’serai grand ». Déjà parce qu’il fait partie des morceaux intemporels que l’on se remet chaque année au moment d’entamer les grandes vacances. Fabe montre à quel point la misère est plus pénible au soleil quand on ne part pas l’été, quand on n’a pas de famille dans la Drôme ou au bled, quand l’ennui est notre plus fidèle acolyte, que les journées sont longues, qu’il n’y avait que le Tour de France, 40 degrés à l’ombre et Intervilles à la télé. Il rend au passage hommage à ses parents, figures de courage, qui semblent trimer comme tant d’autres, quarante-sept semaines dans l’année et avec lesquels il souhaite habiter à la mer, en particulier en Martinique d’où il est originaire, qu’il avait déjà évoqué d’ailleurs dans le titre « Code Noir » (en compagnie de rappeurs de l’île, en l’occurrence Neg’Madnik, Rachid et Neg’Lyrical). De manière prémonitoire, Fabe annonçait avec ce morceau ses envies d’ailleurs, loin de Paris et de la métropole… – Chafik
1999 : Scred Connexion – « Le bonheur » (prod. Cutee B)
La compilation H² DJ Crew est à la fois une carte de visite et le témoignage de l’apogée du collectif de DJ’s Double H, porté par Cut Killer (encore lui) à la fin des années 1990, actif sur les scènes, les mixtapes et les ondes FM. Les DJ’s démontraient sur cette galette leur virtuosité en tant que turntablists, mais aussi en tant que beatmakers, comme Cutee B sur le titre « Le bonheur », sur lequel on retrouve la Scred Connexion, collectif de Fabe formé l’année précédente, réunissant une poignée de MC’s de Barbès où il vit alors. En plus de Koma et du regretté Morad (absent de ce morceau) qui gravitaient déjà autour du MC depuis quelques années, viennent s’ajouter les jeunes et talentueux Mokless et Haroun. Logiquement, le titre aborde la quête du bonheur, et Fabe y délivre un couplet simple en apparence, mais d’une efficacité redoutable, jouant intelligemment de la répétition de « qu’on n’a pas » scandé tour à tour par ses acolytes de la Scred, avec qui la complémentarité microphonique saute déjà aux oreilles. Ce morceau se retrouvera également sur Scred Selexion 99/2000, première pièce de la discographie du groupe, sortie en indépendant, comme toutes les parutions solos ou en collectif par la suite. Il est parfois mentionné qu’il s’agit du premier street CD du rap francophone, c’est aussi et surtout le seul projet estampillé Scred Connexion sur lequel apparaît Fabe, qui quittera ensuite le rap avant le premier véritable album du groupe, Du mal à s’confier, paru en 2002. Enfin, H² DJ Crew contient « Ambiance assurée », un autre titre avec Fabe qui aurait également eu sa place dans cette sélection, une ode percutante aux soirées et un rappel de la place fondamentale des DJ’s dans la culture hip-hop, rappé en featuring avec les Vitriots Rim’K, AP et Doudou Masta. – Olivier
2000 : « L’emmerdeur public numéro 1 » (prod. McGyver)
Suite fantôme de « L’impertinent », « L’emmerdeur public numéro 1 » sera l’ultime morceau de Fabe. Porté par son esprit de révolte, il s’y oppose à tout ce qu’il y a d’hypocrite en France et à l’image qu’on voudrait qu’il porte malgré lui. Tous les pans du morceaux sont frontaux mais parsemés de subtilités. L’écriture est simple sans être simpliste, et ponctuée d’images marquantes. Le refrain est direct tout en étant décoré de chœurs. La diction est claire mais le flow reste rebondi, et la production, faite de peu d’éléments, s’appuie sur une ligne de batterie bien rythmée et quelques bruitages bien disséminés. C’est un peu l’apogée du style Fabe : populaire, simple et où le riche travail de fond finit presque masqué derrière le propos qui emporte tout. Son ouverture de troisième couplet est fédératrice et tout du long, l’on ressent le refus du désespoir et de l’abandon. Vingt-cinq ans après, les échos de ce titre et de la discographie de Fabe continuent à résonner : « Un bruit qui court, ça s’éteint pas comme un incendie« . – Jérémy
2000 : « Stupéfiants » feat. Koma (prod. 20syl)
Si réaliser une sélection de morceaux de la carrière de Fabe s’avère difficile, il nous semble cependant évident d’y inclure une collaboration avec Koma. Lorsque Befa emménage à Barbès, il rencontre Ahmed par l’intermédiaire de Butch. Par la suite, les deux rappeurs intègrent le collectif Le Complot Des Bas Fonds aux côtés de Lady Laistee, Sléo, LSO et Beaux Prophètes. S’en suivra une série de morceaux en commun au sein de la Scred Connexion mais également sur leurs projets solos. C’est le cas de « Stupéfiants » présent sur La rage de dire et produit par 20syl. Morceau affirmé, il incarne une voix collective « Quand je dis ‘on’ je dis ‘nous’, je parle de ceux qui sont concernés » et dans la lignée de l’œuvre de Fabe, une soif d’entreprendre en suivant ses propres idées et en maintenant sa ligne de conduite. Vongt-cinq ans plus tard et malgré sa retraite, force est de constater que Befa incarne encore parfaitement cette philosophie de vie. – Jordi
Bonus Track. 2008 : Sëar lui-même – « J’espère que tu reviendras bientôt (Hommage à Fabe) »
Alors qu’il venait de sortir son quatrième solo, que la Scred Connexion était mise sur orbite et préparait son premier album, que la mixtape Bonjour la France volume 1 était sur les rails et qu’une tournée arrivait, Befa a surpris tout son monde, y compris ses frères, en cessant le rap fin 2000. Sëar Lui-Même ne s’y attendait pas et semble comme tant d’autres avoir eu du mal à encaisser ce départ inopiné. Proche de Fabe avec lequel il a régulièrement collaboré (il a notamment été invité sur Détournement de Son et sur La Rage de Dire), il rend hommage à son ami en 2008 dans une tape mixée par DJ Manifest (RIP), avec un CD 1 dédié à l’Impertinent tandis qu’il s’adjuge le CD 2, qu’il lance avec le titre « J’espère que tu reviendras bientôt ». D’ailleurs, le morceau débute avec le couplet de Fabe sur « Dis aux gosses part. II », plein de mélancolie, avant que Sëar ne s’adresse à son acolyte, passé sous les radars. A cette date, il ne fait plus de doute que le rappeur du 18ème arrondissement ne reprendra pas le mic (il s’en était expliqué dans le blog 9 mai 1971) : en effet, après sa conversion à l’Islam en 2000, il serait parti s’installer au Canada, avant plus tard de se fixer au Maroc d’après certains… Mais on comprend que dans ce morceau, Sëar s’adresse autant au MC (qui aurait eu des choses à dire à propos de Sarkozy, de Dati et de l’état du rap notamment), qu’à son pote qui lui manque et qu’il aimerait revoir. A travers ce titre (et ce dossier), il semble important de dire aux gosses que Fabe était un immense rappeur. – Chafik
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très belle rétrospective. dans les hommages a BE.FA j’ai aussi beaucoup aimé le morceau « 4lettres » de ywill.
Oui, hommage d’Ywill original et réussi !