Morad (Scred Connexion) : un hommage en 10 Bons Sons

Morad de la Scred Connexion nous a quittés. Humble et accessible, c’est un des tout premiers à avoir accepté une interview pour Le Bon Son il y a onze ans, à l’occasion de la sortie de son album Le Survivant. Nous avons voulu lui rendre hommage, à notre manière, au travers de dix morceaux de sa discographie.

Fabe feat. Koma & Morad – « Marche ou crève (Le choix des armes II) » – 1997

En 1997, Morad signe sa première apparition discographique sur le deuxième album de Fabe, Le fond et la forme. À cette époque, voir un MC figurer sur un tracklisting sous son vrai prénom n’est pas commun, mais a posteriori, on comprend que cela correspondait à la volonté du groupe Scred Connexion (alors en gestation) de délivrer un rap sans chichis ni artifices, et plus particulièrement à la sincérité qui caractérisait les textes de Morad. Et puis, s’il était souvent considéré comme moins spectaculaire que ses quatre acolytes au sein de la Scred, la réécoute de ce couplet déjà tout en maîtrise prouve le contraire, d’autant qu’il s’agissait probablement d’une de ses premières expériences en studio. Sa technique était parfois moins visible, effacée au profit d’une mise à nu qui ajoutait un effet de proximité auprès de son auditoire. – Olivier

Dee Nasty feat Morad & Cutee B – « Le beat qui tue » – 1998

En 1998, Morad fait partie du casting de l’album Le diamant est éternel de Dee Nasty, qui mettait à l’honneur le travail de glorieux DJ’s (Cut Killer, Mehdi, Rebel, Abdel, LBR, Crazy B, Faster Jay, notamment) et d’une poignée de MC’s (Big Brother Hakim, Faf Larage, Driver, Red1). Il s’agit du premier morceau solo du rappeur du 18ème. Sur une prod’ magistrale de Cutee B qui a samplé Los Incas, Morad s’inscrit dans la connexion entre la Scred et les DJ’s qui donnera lieu à de nombreuses collabs. Les scratches endiablés font mouche et vont de pair avec la technicité des rimes de Radmo. Tranchant, il découpe au mic, son écriture soignant le fond et la forme (« Les gens se meurent prétextant vivre, canalisant la violence par des substances douteuses dont ils s’enivrent »), enchaînant les sonorités avec une facilité déconcertante (« Plus offensif que l’avant-centre de l’AS Roma, comme Koma, je te trauma’ si tu te prends pour un quereau-ma »). L’egotrip est tonitruant mais Morad veille à avoir un propos lourd de sens, n’hésitant pas à mettre en avant son identité maghrébine. Une certaine tristesse émane de ce titre coup de poing, terriblement efficace et Fabe ne s’y trompera pas, utilisant une phase samplée (« L’action discrète, réfléchie et redoutable ») en introduction de son morceau « Classique ». – Chafik

Scred Connexion – « Epingle du jeu » – 2009  

Au cours de son parcours au sein de la Scred Connexion, Morad s’est particulièrement distingué dans son efficacité pour les refrains. On pense bien sûr au titre éponyme de l’album Du mal à s’confier (et son sample qui aspire l’âme), mais d’autres ont pu passer plus inaperçu. En particulier sur le double-album Ni vu… ni connu…, qui contient, il est vrai, son lot de morceaux dispensables, mais également quelques perles oubliées. C’est notamment le cas de cet « Epingle du jeu », évoquant la débrouille et la survie dans un contexte difficile, parfaitement synthétisé par les quelques mesures du refrain, qui ouvre quand même la porte à des lendemains plus cléments. – Xavier

Morad – « Engrenage » – 2002

En 2001 Fabe sortait chez Chronowax sa mixtape Bonjour la France Vol.1. sur laquelle apparaissait entre autres les membres de la Scred Connexion. Sur le morceau « Engrenage », il y accompagne Morad au refrain. L’année suivante, le groupe de Barbès sort son premier album studio Du mal à s’confier. Ce morceau devient rapidement un moment charnière du projet. Cette fois-ci en solo, c’est sur une autre production d’Haroun que Radmo rappe le quotidien de la rue et ses dérives. Avec sincérité et clairvoyance, il narre son passé de dealer au sein de son quartier du 18ème tout en refusant de glorifier et de faire l’apologie de l’argent facile. Dans son dernier couplet, il apparaît même repenti et porteur d’espérance : « Je n’étais pas conscient de l’enjeu, j’regrette l’engrenage, les repères, les sages ivres. Pour atteindre la rive, celle qui te délivre, faut tourner la page ! ». C’est l’image d’un artiste talentueux, réfléchi, humble et bienveillant que nous garderons de lui. Et ce pour l’éternité. – Jordi

Morad – « Une journée comme tant d’autres » – 2009

En 2009, le double-album Ni vu…ni connu… avait laissé de la place pour plusieurs morceaux solos parmi lesquels « Une journée comme tant d’autres ». Le titre s’ouvre avec de gros scratchs sur lesquels on peut reconnaître la voix de Lord Finesse. Morad y déroule ensuite un long couplet unique où il semble presque se confesser, derrière un rideau fermé, oscillant entre l’action et la contemplation. Il s’agit de faire un peu d’argent pour survivre tout en regardant le grand théâtre humain s’activer tout autour, non sans parano, car il faut rester scred pour assurer ses arrières. Le titre s’ouvre sur une atmosphère dure, certes, mais plus il approche de la conclusion, plus l’ambiance s’y fait effroyable, comme en témoigne cette phase finale : « J’regrette les cours, c’est éveillé que j’vis mon cauchemar ». – Jérémy

Morad – « Un point c’est tout » – 2012

Morad sera le dernier membre de la Scred Connexion à sortir son album solo, en 2012. Un disque qui sort relativement tard au vu de son parcours, sobrement intitulé Le Survivant. On sent vite que Radmo revient de loin, que ses démons l’ont parfois obligé à se tenir loin du rap. Si des morceaux comme « L’engrenage » racontaient non sans regrets ses activités de vendeur de drogue dix ans auparavant, c’est encore sa sincérité à toute épreuve qui le pousse à évoquer sans détour son passage par la case consommation sur « Dégage le passage » ou « Un point c’est tout ». Ce dernier morceau, qui clot l’album, interpelle directement l’auditeur pour le mettre en garde contre les addictions que peuvent engendrer certaines consommations, et d’une certaine manière renvoie à « Reviens parmi nous » de Mokless, sorti l’année d’avant. L’expertise de celui qui en a été directement témoin rend le morceau particulièrement poignant, et plus que le titre éponyme, souligne la pertinence du choix du nom de ce premier et unique album. – Olivier

Koma feat. Morad – « Avec c’qu’on vit » – 1999 

En 1999, c’est au tour de Koma de franchir le pas du premier album – et quel album. Les membres de la Scred Connexion y sont logiquement largement présents et c’est sur « Avec c’qu’on vit » que Morad est personnellement invité. Si Koma est probablement un rappeur plus impressionnant que Morad, c’est dans la précision de sa plume que ce dernier se démarque. Il parvient à nous immerger complètement dans son quotidien en mentionnant des exemples précis sans jamais tomber dans l’anecdote dispensable. En fin de compte, les couplets des deux comparses se complètent parfaitement jusqu’au passe-passe d’anthologie qui constitue la seconde moitié du morceau. – Wilhelm

Mokless feat Scred Connexion – « Cri d’guerre » – 2011

En 2011, Mokless a convié la Scred sur son album Le poids des mots. Sur le morceau « Cri d’guerre », calibré pour la scène, les quatre fantastiques livrent une prestation de haute tenue. Si la Scred est « le groupe le plus connu des inconnus », on peut affirmer que Morad en est le rappeur le moins connu. Néanmoins, son couplet a ceci de remarquable qu’il se révèle plus personnel, plus profond, que celui de ses acolytes. Son seize mesures comporte des passages qui en disent long sur le bonhomme. Présent depuis la seconde moitié des nineties et toujours là en 2011, il nous rappelle son amour du rap (« La rime : le prolongement de moi-même, je la prémédite comme un crime ») et reconnait qu’il est « un survivant », lui qui a vécu une traversée du désert durant les années 2000. Mais surtout, le cœur se serre quand Morad balance qu’il n’était « pas pressé de mourir en déficit de hassanettes ». Souhaitons-lui miséricorde. Ce morceau « Cri d’guerre » est d’ailleurs un des derniers sur lequel les quatre membres de la Scred Connexion posent ensemble, eux qui ont commencé à cinq et se retrouvent à présent trois. Force à eux. – Chafik

Flynt – « Ça fait du bien de le dire » – 2007

Ce fut un bel hommage avant l’heure que Flynt fit à Morad, sur le refrain de son titre désormais classique « Ça fait du bien d’le dire » : « J’attends plus rien de personne, c’est pas les beaux discours qui réchauffent quand je frissonne ; si ma pensée profonde avait un intitulé, ce serait qu’ils aillent tous se faire enculer ! ». Tirée du couplet de Morad sur le morceau « J’assume » de la compilation Explicit 18, la reprise de cette phase par Flynt manifeste l’importance du rôle de Morad dans le rap français et l’influence qu’il a pu avoir sur le XVIIIe parisien. La phase sera même plus tard reprise par Dinos pour le refrain du morceau « Les pleurs du mal ». A l’image de Morad, voilà une histoire filiale secrète et pourtant si importante. – Costa

Scred Connexion – « Du mal à s’confier » – 2002

Un sample envoûtant porte ce titre qui a donné son nom à l’album culte de la Scred Connexion. Morad y est responsable du refrain, mais également du couplet le plus intimiste du titre. Là où les autres jouent plutôt sur la carte de la trahison, Morad va encore plus loin et se livre en profondeur sur son incapacité à communiquer, sa peur d’être dans l’erreur, son sentiment de honte, qu’il garde pour lui, sa paranoïa ou encore sur ces silences qu’on bouffe comme des portes closes. Un couplet terriblement sincère qui fait partie des plus beaux de l’album. – Jérémy

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