Pionnier de la scène électronique et hip-hop française, DJ Mehdi a su imposer un style singulier et reconnaissable, mêlant influences hip-hop et électroniques. Producteur d’artistes comme Ideal J, 113, MC Solaar ou encore Rohff, DJ Mehdi s’est distingué par sa capacité à fusionner des genres, créant des morceaux intemporels et immortels. Comme beaucoup, le documentaire DJ Mehdi – Made in France nous a fait nous replonger dans la discographie du beatmaker surdoué, et donné envie de réaliser cette sélection commentée, reflétant non pas 10 incontournables, mais plutôt 10 de nos morceaux de rap préférés produits par ses soins.
1996 : Ideal J feat. Manu Key, Rim’K & Rohff – Show bizness
Jimmy Ruffin avait déjà offert un tube intersidéral à l’humanité avec « What Becomes of the Brokenhearted », sorti en 1966. Était-ce un hommage à cette figure emblématique de la Motown de la part des jeunes Seine-et-Marnais d’Ideal J, pour qui, 30 ans plus tard, DJ Mehdi décortiqua la douce mélodie portée par les Funk Brothers ? C’est que, comme le sample qui en a inspiré la couleur sonore, « Show bizness » est ce qu’on appelle « une perle ». Né dans le foutoir et la transpi de cinq mectons locaux qui se regroupent en studio pour taper au mic’, il ressort de cette collaboration une des plus belles performances de ce rap moderne des 90’s. Mais le bijou ne peut être offert qu’à condition d’être poli. Et c’est exactement ce que fait la prod de Mehdi. Épurée de tout artifice, elle construit, en couches successives, une intensité qui grandit avec le morceau. Alors que Rim’K prend le relais de Kery, la ritournelle s’ajoute au beat déjà musclé, et quand Rohff passe devant pour un pont au summum soutenu par des backs qui offrent un écho en contre-temps, la boucle est bouclée, les basses sont pleines et le kif atteint son paroxysme. Cette montée en puissance, c’est presque une allégorie d’Ideal J et de son rapport à l’industrie de leur temps. Petit a petit, les ti-peu s’imposent, prennent toute la place, bouche la vue des radios bousculées. Je ne sais pas ce qu’il devait advenir des cœurs brisés dont parlait Jimmy, et s’ils ont pu apaiser leur peines avec le temps, mais je sais quel trou cette boucle a fait dans le showbiz pour les juniors du 9.4. et l’avenir qu’elle leur a offert. – Sarah
1997 : Koma – Réalité Rap (DJ Mehdi Remix)
Grand amateur de remixs en tous genres, DJ Mehdi participe en 1997 au maxi Prolifik 2, du label du même nom. Une mini-compilation sur laquelle on retrouve des artistes comme Rocé, Ying Yang, N.A.P ou encore le morceau qui nous intéresse, écrit par Koma. « Réalité Rap » est un morceau emblématique de Koma (avec Morad aux backs), figure de proue du collectif Scred Connexion. Issu de l’EP Tout est calculé (qu’on évoquait dans notre dossier rétrospectif ici) sorti également en 1997, le remix apporte une nouvelle dimension au titre phare de Koma. Exit, les quelques notes de piano et la basse très marquée et minimaliste, bonjour la contre-basse et le sample de clarinette (?) ultra entêtant. Et c’est d’ailleurs ce qui marche le plus dans ce remix, l’utilisation de cette boucle qui se marie parfaitement avec le fameux refrain de Koma. – Clément
1998 : Ideal J – J’ai mal au coeur
La voix de Kery, plongée dans la solitude devant le micro qui débute par « Ceci, c’est pour nos reufs incarcérés / La liste est longue, et vous le savez / Au fond, la France n’est qu’illusion […]. » C’est à ce moment précis que le sample de guitare complètement modifié (on dirait presque un piano) débute. Les craquements du vinyle eux aussi, viennent immédiatement renforcer le poids de ces quelques notes. Et comme si ça ne suffisait pas, DJ Mehdi a rajouté une section cordes qui viennent répondre à chacune des phrases du sample. Et puis un morceau ô combien fleuve, d’une durée de plus de 8 minutes, avec trois énormes couplets de Kery James sur la rancœur ressentie par la dureté pénale. Un texte qui regorge de formules incroyables dont seul Kery a le secret, et qui à l’époque, rappelons-le, avait tout juste 21 ans. – Clément
1998 : Fabe – Un nuage sans fin
Alors que la Scred a toujours collaboré avec les DJ’s (Cut Killer, Cutee B, entre autres), les connexions entre eux et la Mafia K’1Fry ont été assez rares, contrairement aux collaborations entre Fabe et DJ Mehdi. Il est d’ailleurs difficile de n’en retenir qu’un, tant les prods réalisées ont toujours inspiré à Befa de très bons morceaux. Si notre regretté beatmaker était aux manettes de 4 titres sur La Rage de Dire, pour des instrus hauts en couleurs, il était déjà présent sur Détournement de Son, classique ultime du rappeur du 18ème, qui aura surpris ses frères et plus encore, en associant à merveille fond et forme. « Un nuage sans fin » bénéficie d’une boucle nerveuse, envoûtante et il n’est pas dit que tous rappeurs arrivent à poser dessus. Qu’est-ce qu’on aurait aimé savoir si Fabe avait déjà son texte et que Mehdi s’y est adapté ou si ce dernier a proposé cette prod avant qu’elle n’inspire l’impertinent ? Toujours est-il que sur ce couplet unique dans lequel Befa enchaîne les phases marquantes (« Quand tu plantes ton frère, est-ce que c’est Jacques Chirac qui prête son bras ? »), il lancera la controverse envers Mathieu Kassovitz et Jean-François Richet, coupable d’irresponsabilité dans leurs films sur la banlieue (controverse qui entraînera un droit de réponse dans le magazine Groove d’ailleurs). – Chafik
1999 : 113 – Les princes de la ville
Classique parmi les classiques, “Les princes de la ville” était LA pépite de l’album éponyme du trio du 9.4 sorti en 99. Racontées mille fois, les anecdotes croustillantes autour du clip, de l’enregistrement, de l’écriture même du morceau, l’ont toujours rendu encore plus intéressant qu’il ne l’était par essence. Mais c’est bien la prod de DJ Mehdi (entouré des fidèles Manu Ley et NSI) qui a le plus participé à l’édification du mythe qui depuis sa sortie, auréole ce morceau. Et notamment le choix de ce sample. Cette boucle retravaillée si subtilement depuis le morceau envoûtant de Curtis Mayfield, pour être finalement complètement réinventée, jusqu’à lui donner une coloration urbaine, un tempo qui se défait de la langoureuse sensualité d’un refrain suggestif pour embrasser le sentiment d’urgence qui règne en bas des tours de Camille Groult. Derrière ce beat agressif, l’ennui. Derrière le retour de synthé, la routine qu’on ne parvient pas à briser. La soul de Mayfield, piquée de l’orgueil méprisé des Vitriots, devient la bande-son d’une revendication qui oscille entre l’espoir et la reprise en main de son destin, et un déterminisme intégré par ceux-là même qui voudraient s’en libérer. Le succès de ce titre à sa sortie et l’écho qu’il conserve aujourd’hui encore tient autant à la pertinence du propos qu’à son emballage musical : répétitif, machinal, automatique – déjà électro sur les bords -, et qui frappe toujours au même endroit, toujours le même coup, peu importe la force de la volonté exprimée, et l’envie de passer par dessus. C’est bien simple, le morceau se termine sur la boucle qui tourne encore bien longtemps après que les voix se sont tues. – Sarah
2000 : Rocé – On s’habitue
S’habituer, c’est accepter une forme de routine, la répétion d’évènements à intervalles réguliers. L’instru d' »On s’habitue » de Rocé commence par nous habituer à la batterie, qui tourne pendant une minute, avant l’arrivée progressive de la magnifique boucle de piano et de violon qui elle aussi se répète encore et encore sans lasser l’auditeur. Cette façon de laisser tourner le beat et la basse avant de lancer un sample dévastateur se retrouve dans quelques productions rap marquantes de DJ Mehdi (cf. « Showbusiness » plus haut), qui n’avait pas besoin de multiplier les pistes à outrance pour habiller ses prods. Quant à la partie de Rocé, les effets d’écho ajoutés à la voix en début de morceau, et la répétition savamment calculée de certaines phrases, sont venues ajouter à l’aspect répétitif et routinier du résultat final, pour une symbiose texte / voix / instru qui a permis à ce morceau de rentrer dans la légende. Rocé a accompagné Mehdi dans l’aventure Espionnage avec deux maxis sortis sur ledit label en 1998, puis avec ce titre paru sur l’EP Espion en 2000. En 2013, sur son album Gunz N’Rocé, il dédiera le magnifique « Magic » à son ami DJ Mehdi, en featuring avec Manu Key. – Olivier
2001 : Manu Key – Manuscrit
Si DJ Mehdi n’en a produit qu’un sur cet album, il s’agit du morceau qui donne le nom à l’album. Deuxième opus de Manu Key, « Manuscrit » est un titre dont l’apparente simplicité rend l’écoute – aussi bien active que passive – agréable. Un sample en boucle, un flow limpide, un texte clair et un mix non-surchargé font de ce titre une référence forte de la discographie de M.Key. La quête de succès décrite sur Manuscrit pouvait sembler lucide à son époque, si l’on se recontextualise l’envolée de la Mafia K’1 Fry, de ses groupes et de ses solos à l’orée des années 2000. Elle semble totalement démesurée avec le recul, et prête presque à sourire lorsque l’on réécoute la phrase visionnaire « devenir riche dans le rap comme Donald Trump » qui résonne différemment en 2024. – Antoine
2001 : Karlito – La rue cause
Paru via le label Espionnage de DJ Mehdi, Contenu sous pression est le premier album du plus discret des membres de la Mafia K’1 Fry. On en sait assez peu sur sa conception, si ce n’est que les deux hommes auraient voyagé à plusieurs reprises en Italie pour le préparer. On y dénote une belle alchimie, comme en témoigne ce titre. D’abord il y a ce sample chiné au coeur d’un morceau d’Andy Bey que DJ Mehdi a accéléré. Puis il y a le flow brut de Karlito, son spleen, son phrasé proverbial fait de phrases à l’allures de maximes (« Doute de ton pouvoir, tu donnes pouvoir à tes doutes »). Cette alliance a quelque chose de quasi-mystique, et « La rue cause » restera probablement comme l’un des meilleurs titres de Karlito. – Jérémy
2002 : DJ Mehdi feat Diam’s – Partir
En 2002, DJ Mehdi a un CV impressionnant, en ayant produit pour toute la Mafia K’1Fry, mais aussi pour Fabe, Assassin, Rocé ou encore Akhenaton. Il prend néanmoins ses distances avec le rap français, comme s’il en avait fait le tour. Diam’s quant à elle sort d’un premier album qui a connu un accueil mitigé (malgré de réelles qualités) et a surtout enchaîné des apparitions pleines de rage sur une dizaine de featurings. Elle est invitée par celui qu’elle considère comme une référence, comme on peut le voir dans la série Made in France. Sur l’album (The story of) Espion, Mehdi a clairement entamé sa transition et multiplie les tracks électro. Mais, au milieu de ceux-ci et de prods plus « conventionnelles », le morceau « Partir » fait office d’OVNI. Le bruit sourd de l’instru au début, ni rap ni électro, l’absence de sample et en lieu et place une composition et ses instruments (« Percu’, guitare, piano, contrebasse »), l’interprétation de Diam’s, son flow et son propos (prémonitoire diriez-vous ?) font de la rencontre entre DJ Mehdi et Mélanie un morceau à part dans leurs discographies respectives. – Chafik
2006 : Booba – Couleur ébène
Booba aura attendu 2005 et l’enregistrement de Ouest Side pour demander des instrus à DJ Mehdi, qui à cette époque avait déjà bien opéré son virage vers l’électro via son label Ed Banger, et ne produisait déjà plus beaucoup pour les rappeurs. Quant à l’ex-Lunatic, il avait la réputation de choisir les productions les moins évidentes des packs de prods que lui proposaient les beatmakers, une pratique déjà vraie sur son premier album en 2002. Il n’en retiendra finalement qu’une seule de DJ Mehdi, celle de « Couleur ébène », un OVNI dans la discographie de Booba, mais aussi dans celle de DJ Mehdi, qui ne ressemble à aucune autre production de son cru. Son tempo plutôt lent, ses guitares rock et sa rythmique hachée font que Booba a mis du temps avant de trouver comment l’appréhender, avant de finalement trouver le flow qui allait fonctionner dessus, et de sortir sa plus belle plume, mêlant hardcore et poésie, pour ce qui constituera l’outro d’un de ses meilleurs disques. – Olivier
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Était-ce un hommage à cette figure emblématique de la Motown de la part des jeunes Seine-et-Marnais d’Ideal J????