L’aventure Three 6 Mafia vue par Juicy J

Introduction :

L’influence du son de la Three 6 Mafia s’étend aujourd’hui de toute part. Dans cet article, on se proposera à revenir sur leur formation, sur l’origine de leur son si particulier et de leurs thèmes. On y explorera également quelques aspects business, et la manière dont ils sont passés d’obscur groupe de Memphis à vainqueurs d’un oscar tout en faisant perpétuellement évoluer leur musique. Mais il y a aussi une part sombre derrière toute cette histoire, avec de nombreuses embrouilles internes et des destins pour la plupart tragiques. Juicy J, lui, est parvenu à trouver un second souffle et à sortir de la spirale des addictions pour lancer une deuxième carrière sur laquelle on reviendra également. C’est l’histoire d’un groupe qui a traversé les enfers, et dont certains de ses membres ne sont jamais parvenu à s’extraire, et d’un héritage musical qui continue à vivre près de trente ans plus tard.

Ce qui va suivre est la vision de Juicy J sur le groupe et ne prend pas en compte la version des faits de ses autres membres. L’essentiel de ces informations est tirée d’interviews de Juicy J et de son autobiographie.

Balade sur le Styx :

La jeunesse de Jordan Michael Houston est emplie d’images de crimes et de délits. Autour de lui, les gens marchent comme des zombies. C’est les années crack. Peu avant ses dix ans, il entend parler des meurtres de Shannon Street. Deux policiers enquêtent sur un arrachage de sac à main. Ils débarquent chez Lindberg Sanders, un noir atteint d’une maladie mentale qui pense qu’il a ressuscité après avoir été assassiné par la police. L’homme hait les forces de l’ordre et se nomme lui même le « Black Jesus ». Il est entouré de douze disciples. Tous attendent que la lune touche la terre, ici même, à Memphis. Seuls ceux qui croient au récit de Sanders survivront. Lorsque les policiers arrivent, sept des disciples fuient, et sept personnes restent sur place et tendent un piège aux deux policiers. L’un des policiers parvient à s’enfuir mais l’autre est pris en otage. D’autres policiers tentent d’entrer dans la maison mais essuient des coups de feu. S’en suit une négociation pour libérer l’otage qui n’aboutit pas. Le SWAT finit par pénétrer sur les lieux en tuant les sept hommes, avant de découvrir que le policier pris en otage avait été assassiné plusieurs heures plus tôt. Le climat global est cauchemardesque, comme si Dieu s’acharnait sur les habitants de la ville. Le crime est partout, la police tabasse régulièrement des gens, la pauvreté règne, si bien que la famille de Jordan se fait éjecter de son appartement et que le garçon doit partir vivre chez sa grand-mère. Mais là non plus, le climat n’est pas serein. Sa tante Joyce passe régulièrement, parfois avec son copain taré. Un jour, il surprend sa grand-mère avec un couteau en train d’arracher des balles de la maison. Le copain de Joyce avait tiré à plusieurs reprises sur la façade. Il n’était pas à l’époque pas rare que les balles fusent à proximité de la demeure, si bien qu’il était habituel qu’il faille se mettre au sol pour éviter de se faire descendre.

C’est l’enfer, mais au moins, il y a la musique. Car Memphis, c’est aussi la ville de la radio WDIA, première station programmée pour les noirs-américains, et plus encore, du grand label Stax Records. La ville est emplie de talents musicaux, on y écoute et on y joue du Willie Hutch, du Bobby Womack, du Al Green ou encore du Isaac Hayes. Et puis, il y a une forme de solidarité familiale, Jordan et son frère Pat veillent l’un sur l’autre ainsi que sur leurs sœurs. Leur mère, libraire et professeur remplaçant fait ce qu’elle peut tandis que le père, prêtre itinérant est souvent sur les routes et par conséquent absent.

Le jeune Jordan s’intéresse de plus en plus à la musique alors que son frère Pat rejoint la rue en vendant de la drogue et en commettant des petits vols. Jordan, lui, se contente de regarder les voleurs, les dealers et les macs pour s’en inspirer, comme le faisait le petit Martin Scorsese depuis sa fenêtre. Il se prend de passion pour le personnage de Prince et découvre le rap par les Sugarhill Gang, Kurtis Blow, les Fat Boys, LL Cool J et Roxanne Shanté.

Il parvient à se procurer des platines et s’entraîne à fond à mixer. Il veut être DJ, rapper, produire. Il veut tout faire. Il se prend de passion pour le scratch et étudie la technique des plus grands. C’est à quinze ans qu’il trouve finalement son pseudonyme « The Notorious Juicy J », qu’il raccourcira plus tard en « Juicy J ». Il veut tout faire pour percer et ne se contente pas de travailler sa musique, mais souhaite aussi s’intéresser à son industrie. Il demande à sa mère de lui trouver un livre sur le sujet et elle lui offre « Soulville USA : The Story of Stax Records ». Un livre qui lui donnera envie de créer son propre label et qui marquera toute sa carrière. Il écoute alors N.W.A mais suit également le développement des artistes de Memphis comme DJ Spanish Fly, Sonny D, DJ BK ou Pretty Tony.

Mais le jeune ne s’intéresse pas qu’à la musique, mais aussi aux armes. Il tente, en étudiant un livre sur les armes à feu, de fabriquer son propre flingue pour tirer sur son voisin qu’il déteste. Heureusement pour lui, l’arme ne fonctionne alors pas et explose alors qu’il tente de l’exécuter.

A seize ans, il rencontre D-Magic, un homme de trente cinq ans qui possède un bel équipement de DJ. Il scratche devant lui et l’impressionne. Ils prennent alors la décision de lancer des soirées et de partager les gains. Juicy J impressionne son monde avec ses skills piqués à Jazzy Jeff et commence à se faire un nom.  Il en profite pour commencer à vendre des mixtapes personnalisées à dix dollars pièce et se monte ainsi un petit business. Puis il se met à rapper sur les parties instrumentales des tapes et crée son premier morceau « Criminal zone ».

La formation du groupe :

Un beau jour, il est invité à une session studio où se trouve Psycho (producteur et rappeur historique de la ville), mais aussi les légendaires 8ball & MJG. On lui demande de rapper et tout le monde est impressionné par son couplet. Psycho lui propose ce jour-là de faire le DJ pour lui lorsqu’il ouvrira le show de 8ball & MJG. Il se met ainsi à faire des shows dans le Tennessee et le Mississipi alors qu’il est encore au lycée. Aux côtés de 8ball & MJG, il apprend à produire et améliore son flow. Leur éthique de travail l’impressionne. De son côté, il multiplie les mixtapes et produit notamment le morceau « Slob on my nob » qui est son premier succès. Il travaille alors avec le label OTS Records et on lui conseille de rencontrer un certain DJ Paul qui réalise également des mixtapes. Il vit de l’autre côté de la ville, dans un coin plus cossu et possède même un petit studio dans la maison de ses parents, avec des claviers, un quatre-pistes et une cabine d’enregistrement. Il se déplace en fauteuil, avec son bras déformé et traîne avec une poupée de Chucky. Le personnage est étonnant mais Juicy J le trouve très compétent et intelligent. Les deux jeunes hommes deviennent très vite amis et lancent un groupe qu’ils appelent Backyard Posse. Moins d’un an plus tard, ils lanceront la Triple 6 Mafia avec Lord Infamous. Ce dernier apparaît alors comme un type posé et hyper-créatif. Crunchy Black s’ajoute ensuite au trio. Sur scène, il danse le gangsta walk, et c’est aussi officiellement le chargé d’armes à feu. Puis viennent l’étrange et fantomatique Koopsta Knicca et la jeune Gangsta Boo.

Malgré ces avancées, l’ombre de la rue continue à planer sur Juicy J. Un type défoncé tire sur sa bagnole puis s’excuse, mais son frère, Project Pat, veut se venger et l’assassiner. Au dernier moment, il se ravise suite à un coup de fil qui tombe à pic.

Le nom de la Triple 6 Mafia fait alors peur. Leur musique parle de tuerie, de vols, de choses démoniaques qui collent à ce qui se passe dans les recoins les plus sombres de Memphis. Mais cette aura sombre leur ferme des portes. Il est difficile de faire jouer leurs titres à la radio. Ils se renomment alors Three 6 Mafia, de quoi radoucir un peu la chose.

Ils commencent à distribuer leurs mixtapes dans les magasins Pop Tunes où ils récupèrent trois dollars par vente, puis ils font également du dépôt dans d’autres magasins. C’est la chasse pour récupérer leurs cassettes, et rapidement, le groupe se met à gratter quelques centaines de dollars par-ci, quelques centaines par là. Chacun d’eux change de bagnole et tous commencent à avoir un train de vie un peu plus élevé.

Ils sont leur propre maison de disque, leur propre distributeur, préparent eux-même leurs cassettes. Ils créent le label Prophet Entertainment pour lequel Paul dessine le logo et signent avec un deal avec Select-O-Hits.

La Three 6 commence à se faire un nom, mais Juicy J veut passer à l’échelon supérieur. Les heures de studio coûtent cher. Il vend sa voiture, celle de Project Pat, alors en prison, et avec cet argent, lance l’enregistrement de Mystic Stylez, qui sera le premier véritable album de la Three 6 Mafia.

Mais avant de sortir cet album, la Three 6 Mafia se prend la tête avec Bone-Thugs-N-Harmony car ils considèrent que ceux-ci volent leur son. Ils sortent un EP complet pour les diss. Juicy J respire en backtrack sur les morceaux pour ajouter un côté menaçant à l’ensemble car c’est ce qui se faisait à l’époque pour menacer quelqu’un au téléphone.

Viser la longévité :

Après cela, leur musique se met à vendre et ils sont même classés quinzième au billboard. Avec leur deal distributeur auprès de Select-O-Hits, ils récupèrent 90% des ventes. Mais Paul et Juicy J ne s’enflamment et commencent déjà à parler stratégie et développement du label. Ils finissent par avoir leur propre studio : Hypnotize Minds.

Entre temps, les relations entre la ville de Memphis et les Bone-Thugs-N-Harmony restent froides. Ces derniers se font huer et chahuter à Memphis, mais la Three 6 Mafia ne s’en mêle pas. Les relations entre les deux groupes s’apaiseront d’elles-mêmes autour de quelques joints et tout ira mieux.

Paul et Juicy J font absolument tout : le management, la rédaction des contrats, l’organisation des séances photos, le booking, etc. Malgré tout, Juicy J garde un pied dans la rue et se balade encore armé. Des embrouilles perdurent, dont un beef avec Playa Fly, et dans sa maison, il dort même avec un gilet pare-balles. Il s’entraîne à se réveiller en vitesse et à se saisir d’une arme.

Playa Fly a sorti un clash nommé « Triple Bitch Mafia » mais le morceau fait marrer Lord Infamous qui ne prend pas ça très au sérieux. Un jour, Juicy J le surprend même en voiture avec Playa Fly en train de sniffer de la coke tout en écoutant le son. Le beef semble d’ailleurs vite redescendre car un jour, Playa Fly interpelle Juicy J dans un bar. Ce dernier sent que ça peut dégénérer mais les deux hommes finissent par parler normalement. Malgré tout, Project Pat reste méfiant.

Après Mystic Stylez, en 1996, ils sortent un album de Kingpin Skinny Pimp ainsi que The End, le deuxième disque du groupe. Ce sera quasi-immédiatement la fin de l’aventure avec Kingpin Skinny Pimp. Pendant qu’ils bossent sur The End, ils lâchent également l’album de Gangsta Blac, qui ne vend que très peu. Ce sera encore une fois leur dernier album ensemble.

Malgré ces collaborations qui se terminent mal, l’aventure Three 6 Mafia suit parfaitement son cours. Les morceaux « Late night tip », « Where’s da Bud » et « Body Parts » fonctionnent bien. Juicy J continue à réfléchir sur la stratégie à suivre pour son label et s’inspire de Stax Records pour trouver des idées de développement. Ses réflexions sont cependant souvent perturbées par ses compères qui se défoncent et déclenchent des bagarres de partout.

La Three 6 Mafia profite de son catalogue d’avant-célébrité, encore peu connu, pour retravailler certains de ces sons et les sortir un nouveau, ce qui explique pourquoi certains des sons de leurs anciennes mixtapes ressurgissent sous d’autres formes sur des albums. C’est par exemple le cas pour leur tube « Tear da club up », d’abord paru sur une mixtape DJ Paul-Lord Infamous et qui ressortira sur Mystic Stylez, avec un couplet supplémentaire de Juicy J.

Le groupe tourne de plus en plus, mais tout ne se passe toujours pas comme prévu. Gangsta Boo ne se présente parfois même pas aux shows. Tout le monde ne sait pas encore identifier les membres du groupe, et pour assurer ses arrières, Juicy J se sert de La Chat qui fait semblant d’être Boo et qui rappe ses couplets sur scène.
Les succès de Mystic Stylez et de The End attirent les labels et le groupe rencontre même Relativity Records, un label qui a alors dans son roster des artistes tels que Common, Fat Joe, M.O.P, Above the Law, et bien d’autres encore… Ils finissent par signer avec eux et préparent leur troisième album : Chapter 2 : World domination. Le premier en major. Ils essayent d’y traiter de sujets variés et d’aborder plusieurs ambiances différentes.
Le premier single ? « Tear Da Club Up ’97 » qu’ils clippent à Memphis montre toute l’étendue de la culture locale. L’album ne démarre pas très fort, mais plus le temps passent et plus les ventes augmentent pour finir au-delà des 500 000 unités. La Three 6 Mafia décroche son premier disque d’or.

Malgré ces sorties du groupe en major, la bande continue à sortir ses albums solos en indépendant via Select-O-Hits. Ainsi T-Rock, Juicy-J, DJ Paul ou encore plus tard, La Chat ou Lil Wyte envoient des solos par ce biais.

Financièrement, tout roule pour le groupe, mais malgré tout il y a beaucoup de haine entre les différents membres qui s’envient les uns les autres, et qui se clashent même sur leurs solos. Seuls Juicy J et DJ Paul essayent de rester au-dessus de tout cela. Ce dernier finit tout de même par se battre avec Lord Infamous. D’abord très complices, les deux hommes se haïssent de plus en plus à mesure que leur succès augmente. Lord Infamous est toujours énervé et il suffit qu’il sniffe de la coke pour qu’il pète les plombs. Bien souvent, le groupe dégaine des armes et se met à vouloir tirer sur tout le monde. Crunchy Black n’est d’ailleurs par en reste sur le sujet. Chaque semaine, lui aussi se met dans de grosses embrouilles.

Koopta coule lui aussi de plus en plus. Il commence les allers-retours en prison, oublie de venir aux sessions studio. Paul et Juicy J décident de toujours le mettre en dernier sur les sons afin que s’il ne se présente pas aux concerts, ils puissent couper le morceau plus naturellement. Il ne se présente pas non plus aux sessions photo, ce qui explique pourquoi il n’apparaît pas sur les pochettes d’albums.

DJ Paul et Juicy J vendent Prophet Entertainment à Nick Scarfo. Ils lancent ensuite Tefnoise Music pour le publishing et font de Hypnotize Minds leur nouveau label, qu’ils utiliseront à la fois pour leurs sorties Select-O-Hits et leurs projets chez Relativity Records.

Suite aux bonnes ventes de Chapter 2 : World domination, le groupe veut continuer à appuyer sur l’accélérateur en sortant les solos d’Indo G et de Gangsta Boo. Juicy J adore Gangsta Boo en tant que rappeuse mais il peine à la gérer. En concert, lors des couplets des autres elle s’assoit dans un coin, et dès que sa partie vient, elle se lève et rappe avec une telle énergie que la foule est déchaînée. Les conflits d’égo avec Paul et Juicy J sont légion car ceux-ci veulent garder le lead mais Boo veut tout diriger.

Elle sort finalement Enquiring minds, un bon album, avec le très bon single « Where Dem Dollas At » mais qui ne fera pas des scores déments. De même pour le très bon Angel Dust de Indo G.

Pendant ce temps, les embrouilles continuent en interne, et Paul finit même par virer Koopsta du groupe après une nouvelle bagarre, et ce sans qu’aucune annonce publique ne soit faite. Il est ensuite réintégré, puis à nouveau viré suite à une nouvelle embrouille.

De son côté, Project Pat sort son premier solo Ghetty Green, un album qui fera date. Certains titres comme « North Memphis » sont aujourd’hui des classiques. L’histoire de l’enregistrement de l’album est parsemé de drôles d’anecdotes, comme lorsque, pour l’enregistrement de « Run a train », ils invitent un couple à copuler dans la cabine d’enregistrement. Project Pat enregistra ses couplets pendant l’action. Le frère de Juicy J a vraiment une place à part dans l’histoire du groupe, d’abord par cette filiation, mais aussi car il en apparaît tellement proche qu’on peut parfois croire qu’il en fait partie.

Peu de temps après, Relativity records se fait absorber par Loud Records, le label de Steve Rifkind sur lequel on retrouve le Wu-Tang ou encore Mobb Deep.

Après le rush des trois albums en trois ans qui a parachevé la création de leur place, la Three 6 Mafia prend deux ans et demi pour sortir son quatrième album. Leur son crunk a alors été copié de nombreuses fois, et Juicy J et DJ Paul tentent de créer une autre architecture sonore. C’est ainsi qu’ils créent le tube « Sippin’ on some syrup ». Juicy explique que la raison pour laquelle seuls lui et Paul apparaissent sur le morceau est que les autres membres du groupe ne sont tout simplement pas venus en studio. Ils ont ainsi décidé d’inviter les UGK, et c’est pas ce heureux hasard et cette crise de flemmardise qu’a été crée l’un des plus gros classiques de la Three 6 Mafia. L’album fera platine.

Chantier suivant : le deuxième album de Pat, là encore l’alchimie pendant l’enregistrement est parfaite et l’album qui en sort est très bon. Malheureusement, Pat se fait arrêter avec des armes dans son véhicule est retourne en prison, ce qui l’empêche de faire sa tournée. « Chickenhead » avait en plus tout d’un hit.

Le travail avec Gangsta Boo reste beaucoup plus difficile. Juicy J lui reproche de tenter de rapper comme d’autres. Résultat : malgré de bonnes critiques, l’album vend peu, ce qui enrage la rappeuse. Les différents entre elle et les deux leaders deviennent tellement importants qu’elle finit par ne plus faire partie du groupe. Après Koopsa Knicca, c’est un second membre historique qui disparaît.

Paul et Juicy J ont beau reproché à Gangsta Boo de s’inspirer des autres, eux jettent un oeil du côté de Master P. Ils reprennent son idée de faire un film sur sa ville et décident d’en tourner un, Choices, sur Memphis et pour lequel ils feront également un album. 

Infatigable, Juicy J se développe également en solo et sort Chronicle of the Juice Man. On le retrouve ensuite pour la première fois en tant que producteur sur des albums hors de son label, d’abord pour Ludacris sur Chicken-n-beer (album qui fera un carton), puis avec Young Buck et Goodie Mob. Ainsi, lui et Paul deviennent des figures plus qu’importantes dans le domaine.

Après l’aventure Choices, la Three 6 Mafia continue sa route commune avec Da Unbreakables. A cette époque, l’ambiance n’est pas au beau fixe. Même après le départ de deux éléments perturbateurs, tout le monde semble un peu déprimé, et même Paul évoque ses envies de départ. Juicy J décide même de faire voiture à part sur la route tant il est usé par ses trajets avec Lord Infamous et Crunchy Black dont les excès deviennent beaucoup trop importants et les mettent en danger sur le plan judiciaire. Lord ne parvient pas à décrocher de la drogue et se met dans de nombreuses embrouilles. Juicy J est désespéré et déçu, car il l’a toujours considéré comme la voie centrale du groupe, comme l’était Ice Cube pour N.W.A. Il finit par ne plus se présenter du tout au studio puis par quitter le groupe. Ainsi, la Three 6 Mafia en est réduite à trois membres : Paul, J et Crunchy Black.

Une suite est donnée au film Choices, avec la BO qui va avec, mais c’est le nouvel album Most Known Unknown qui va les faire recoller avec le succès. Après la réussite relative de Da Unbreakables et son disque d’or, la Three 6 Mafia vend cette fois deux fois plus d’albums et touche le platine, notamment grâce au morceau « Stay Fly », l’un de leurs plus gros succès. Et pourtant, l’album a été constitué à la va-vite. « Stay Fly » étant sorti avant le disque, le groupe a décidé de capitaliser au plus vite sur ce succès en assemblant un album comme ils le pouvaient, et notamment en piochant dans les enregistrements réalisés pour le solo de Crunchy Black, ce qui ne fera pas plaisir au principal intéressé.

Devenir des légendes :

L’aventure cinéma qui va marquer la vie du groupe n’est finalement pas celle de Choices. John Singleton (réalisateur de Boyz in the hood) produit un film pour lequel il fait appel à eux pour en réaliser la bande son. Il s’agit de Hustle & Flow, réalisé par Craig Brewer, et inspiré de la vie de Tommy Wright III. Ils enregistrent la chanson « It’s hard out there for a pimp » qui remportera l’oscar de la meilleure chanson originale. Une récompense qui va faire basculer leur vie. Une partie du gratin hollywoodien les félicitent, mais cela crée également beaucoup d’envie et de nombreuses stars sont simplement jalouses car elles n’en ont jamais gagné.

Pour capitaliser sur ce succès, ils emménagent en vitesse à Los Angeles avec l’idée de saisir un maximum d’opportunités. Ils plongent la tête la première dans les fêtes, les drogues et les mondanités. Juicy J ressent qu’il va parfois trop loin et tente de se contrôler comme il peut. Il possède une armoire à pharmacie remplie de sirop pour la toux et de divers cachets. Ils se remplissent les poches mais la décadence n’est pas loin. Lui et Paul surfent la vague, mais Crunchy Black reste un peu sur le côté. Il refuse même d’utiliser un smartphone alors même qu’on lui en a donné un. Il vit dans le passé et se déconnecte peu à peu de ses coéquipiers. Lui aussi est constamment plongé dans la came et fait même part de son souhait d’aller en cure de désintox. Un jour, Juicy J tente de l’appeler mais aucune réponse. Il contacte son hôtel dont le manager lui confie qu’il s’en est allé. Crunchy a changé de numéro, est parti sans rien dire. Il disparaît et quitte le groupe. Plus que deux.

Tant bien que mal, ils tentent de sortir un nouvel album. Columbia les y poussent, ils veulent les starifier. Paul et Juicy commencent eux aussi à être en décalage. Paul est dans sa vibe rock, J dans une vibe plus trap. Déracinés de leur univers, ils peinent à trouver un son qui leur ressemble. Au final Last 2 walk comprend quelques bons moments, mais il ne fait clairement pas partie de leurs meilleurs sorties.

Après cette dernière sortie, le groupe est finalement mis en pause. Chacun de leur côté, ils se lancent dans la grande ère des mixtapes. Avec Project Pat, Juicy J sort de nombreuses mixtapes, où l’on retrouve notamment plusieurs autres rappeurs proches de Pat. Ils y parlent rue et drogues. Pendant ce temps, Juicy J continue à gober des pilules (jamais issues de la rue), à faire la fête au Playboy mansion. Il se sent déconnecté mais apparaît tout de même à leurs côtés.

Malgré l’angoisse d’être un artiste solo, Juicy J se lance, il a besoin d’avancer. Il sort Hustle till I die, entièrement produit par lui-même dans une vibe classique de la Three 6. L’album connaît un beau succès critique auprès des fans du groupe.

Mais le temps passe et de nouveaux talents se développent. Un jour, en studio, il joue des beats pour Gucci Mane. Ce dernier en sélectionne un, puis vient Drumma Boy et ce dernier envoie boucherie sur boucherie. Certes, Juicy J a son son, mais à ce moment-là, il ressent qu’il a été dépassé, qu’une nouvelle école de production est en train de naître. Il finit même par demander des beats à Drumma Boy dont il apprécie les sons de basse plus modernes et plus lourds.

Juicy J se rend compte que vivre à L.A l’a déconnecté de la musique. Il traîne de plus en plus en studio avec Gucci Mane, va au strip-club avec lui, et il découvre que le bounce de la Three 6 n’a pas disparu mais simplement muté. Dans cette même logique, il contacte Lex Luger, avec qui il se sent en filiation. Ce dernier lui propose qu’ils enregistrent une mixtape ensemble.

La deuxième carrière de Juicy J :

Avec la sortie de Rubba Band Business en décembre 2010, Juicy J lance, sans forcément s’en rendre compte, le début de sa deuxième carrière. La tape est massivement téléchargée et commentée. Juicy J lui même est surpris, alors même qu’il n’a jamais rencontré Luger. Un nouveau monde s’est ouvert. Il fonce ensuite en Virginie pour finalement le rencontrer, et c’est ainsi qu’ils enregistrent Young Nigga Movement et Rubba Band Business 2. Son nom devient à nouveau important.

Malgré tout, l’aventure Three 6 Mafia lui manque. Il n’a jamais voulu être un artiste solo. Il continue à baigner dans les addictions et se rend compte qu’il est probablement dépressif. Il tente tant bien que mal de se dépêtrer de tout cela en se plongeant dans la musique et sort plusieurs mixtapes par an.

Il enregistre « Bandz a make her dance », un titre qui cartonne à Atlanta à tel point que Mike Will l’appelle pour lui dire de venir sur place et d’y faire des interviews pour entretenir le buzz. Il en fera la pierre angulaire de son album suivant Stay trippy, son vrai premier album solo en major. S’étant rapproché de Wiz Khalifa, l’album sort même via Taylor Gang, et l’on retrouve le rappeur de Pittsburgh en producteur exécutif et sur trois titres ! Le disque est solide et réalise un score honnête, sans tutoyer les gros succès passés du groupe, mais suffisamment pour attirer Katy Perry qui désirera collaborer avec lui. Ensemble, ils produisent « Dark Horse », un titre onze fois platine !

Juicy J est alors le membre de la Three 6 qui réalise les plus gros succès, ce qui suscite quelques jalousies chez ses anciens partenaires. Il est sorti de ses démons et ne désire surtout pas retomber dans l’engrenage de la haine et de l’addiction dans lequel ces derniers semblent involontairement l’attirer.

Malheureusement, Lord Infamous n’est lui jamais sorti de la spirale et décède en 2013. Malgré cette triste nouvelle, Juicy J reste concentré sur son art et répond à de nombreuses invitations où il livre de grosses performances. Il ressent bien qu’il est dans un état de grâce, que son run entamé en 2009-2010 est phénoménal. Les années 2009-2013 sont avec le recul, les plus belles de sa carrière solo. L’industrie ne s’y trompe pas, et il est invité partout en 2013 et 2014. On l’entend avec Sean Paul, Wiz Khalifa, Wale, Mike Will ou encore Ne-Yo et Usher. 

2015 est l’année d’une nouvelle perte : celle de Koopsta Knicca. Ce décès le touchera moins que celui de Lord Infamous, car il ne s’est tout simplement jamais rabiboché avec lui.

Juicy J lui est finalement sorti de ses années noires. Il se marie, devient père, et continue à sortir de nombreuses mixtapes et albums de 2016 à aujourd’hui. Il collabore même avec le regretté Young Dolph, le dernier grand sorti de Memphis.

Le plus impressionnant est que son catalogue continue à vivre, comme en témoignent les nombreuses citations et samples qui sont faites de sa musique. Même un titre comme « Slob on my nob », enregistré dans sa jeunesse, a été réinterprété de nombreuses fois. Cela prouve qu’il a toujours eu une excellente vision.

La Three 6 Mafia ayant marqué l’histoire du rap américain, il était logique qu’ils soient invités à participer aux Verzuz, des affrontements entre artistes mythiques où chacun envoie ses meilleurs sons et où le public a le loisir de constater qui a le meilleur catalogue. Et qui de mieux comme adversaire pour cet exercice que leurs vieux ennemis/amis de Bone-Thugs-N-Harmony ? Avant la guerre, on leur signale que Bizzy Bone est en feu et qu’on ne sait pas ce qu’il est capable de faire sur scène. Tout part assez rapidement en vrille et un début de bagarre éclate. Heureusement la situation se calme et le show peut continuer. La Three 6 fait même débarquer sur scène de beaux invités tels que 8ball & MJG et Lil’ Wayne.

Début 2023, c’est Gangsta Boo qui décède. Trois morts, des destins lugubres, à croire que le groupe est maudit. Tout ceux qui restent bloqués dans son engrenage initial semblent en subir les conséquences. Mais qu’ont-ils réveillé ? Heureusement pour lui, Juicy J s’est assagi et mène désormais un train de vie plus posé. Il est capable d’enterrer la hache de guerre et reste centré sur une démarche de recherche de paix et de bonheur, le tout entouré de personnes les plus positives possibles.

L’intelligence des mouvements de départ du groupe porte encore et toujours ses fruits. Ils possèdent les masters et le publishing de Mystic Stylez et de toutes leurs sorties indépendantes. Ce catalogue, Juicy J le voit comme une vraie machine. Moins légendaire, sa discographie solo reste malgré tout excellente et continue aujourd’hui encore de s’enrichir de sorties solides, une trentaine d’années plus tard. Pour preuve, il vient, en cet été 2024, de sortir un solide nouvel album aux accents jazz : Ravenite social club, et la prochaine livraison devrait être un disque commun avec le grand Project Pat. Une telle longévité est chose rare. Longue vie à la Three 6 Mafia et longue vie à Juicy J.


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