Le rap francophone continue globalement à pratiquer la trêve estivale, parce que la période est souvent considérée comme peu propice pour aguicher le public, qu’on pense occupé à se dorer la pilule ou regarder les J.O. plutôt qu’à scruter les dernières sorties (ce qui est sûrement faux). Cet état de fait nous pousse depuis quelques années à sortir une édition juillet-août, toujours en dix morceaux, mais sans abaisser nos critères de qualité.
Le 30 juin : Di-Meh feat. Nir & Zek – « Sacem 4Real »
Deux ans tout pile après le premier volet de sa mixtape On Veut 3aeish, Di-Meh a délivré le 30 juin dernier OV3² (oui, nous avons triché, mais à un jour près ça sortait en juillet), toujours caractérisée par des sonorités boom bap, mais avec tout de même quelques ingrédients façon 2024. Sur l’album, se côtoient des références de vétéran et la fougue d’un rookie aux dents acérées, alors que Di-Meh n’est ni l’un ni l’autre, mais possède une forme d’anachronisme qui rend sa proposition toujours aussi unique. Sur « Ténébreux » le premier extrait de la mixtape paru en mai, les clins d’œil au premier âge d’or du rap étaient légion, mais force est de constater que d’autres parsèment le disque comme une référence à Cypress Hill sur le refrain de « Sacem 4Real », sur lequel il laisse à Nir et Zek le soin de délivrer les deux couplets inspirés que contient le morceau. A noter que le couplet de ce dernier est constitué d’un florilège d’origines géographiques, placées avec une aisance qui ne surprend pas quand on connaît le savoir-faire de Zek, mais qui nous fait attendre son album à venir avec impatience. – Olivier
Le 5 juillet : Aelpéacha (Jean-Sébastien Laidback) – La saison des séparations
Aelpéacha vient de retirer une partie importante de ses albums des plateformes, mais sa dernière sortie est tout de même librement accessible et en pré-commande sur son bandcamp. Il s’agit d’une drôle de pièce, présentée sous la forme d’un unique morceau de 26 minutes comme si l’on avait à faire à de la musique classique (l’oeuvre est d’ailleurs signée du nom de Jean-Sébastien Laidback). Il y traite d’un thème universel et en même temps propre à l’époque : celle de l’amour qui se dégrade peu à peu. Aelpéacha nous expose toute la diversité de ses compétences en terme de production, de rap et de chant en entrecoupant l’ensemble d’interludes théâtraux ou pianotés. C’est à la fois accessible et un peu expérimental, rempli de belles idées, en bref, c’est à écouter. – Jérémy
Le 12 juillet : Eloquence feat. Okis – Dead President (prod. Mani Deiz)
Eloquence et Okis, voilà une collaboration que l’on n’attendait pas mais qui fait plaisir et que l’on peut retrouver sur Extravaganza, le dernier album d’Eloquence. La nonchalance aiguisée ce dernier semble avoir contaminé Okis qui ralentit également son débit sans perdre sa finesse de vue. Les deux hommes rappent leurs phases bien affutées (« Tuer le temps c’est essayer de labourer la mer ») sur une production boom-bap chill qu’ils rident en toute décontraction. Tout a l’air simple avec eux, mais c’est un art à part entière. Comme le dit si bien Eloquence : « Faire de la routine un spectacle c’est mon affaire ». – Jérémy
Le 28 juillet : J. Neurast – Short Song About Nothing
Petite boucle soul et petite snare noyé dans une reverb’, des extraits d’un film polonais de 1988 pour la mise en image (A Short Film About Killing de Krzysztof Kieslowski), un blaze qui en dit long sur son état (Neurast pour Neurasthésie, à savoir l’état de fatigue, d’abattement accompagné généralement de tristesse, d’angoisse et parfois de troubles physiques), un flow lancinant, désinvolte et des références très bien senties (« Ces gens-là » de Jacques Brel, entre autre). Bref, c’est la jolie découvert de cet été, à suivre de prêt. – Clément
Le 1er août : Jungle Jack – La graine (prod. Bagdadi)
Il y a quatre ans, à la fin de l’été post- confinement, paraissait une collaboration entre Souffrance et un nouveau nom prometteur, Jack Furaxx. Un an après exit le « Furaxx », et bienvenue à « Jungle Jack » et son EP Jungle des illusions Vol1, produit par son acolyte Bagdadi. Les schémas de rimes, les références et les placements sont déjà insolents, et une audience se crée progressivement. Trois ans et une poignée d’apparitions plus tard, c’est un deuxième volet de Jungle des illusions façon LP qui voit le jour, avec pas moins de 16 morceaux, des invités de renom (Alpha Wann, Mairo ou encore Souffrance), et une sortie physique assortie de merch’ qui semble le fruit d’un travail et d’une structuration qui expliquent peut-être le délai entre les deux volumes. Difficile de retirer un seul morceau de cet ensemble tant le rappeur est régulier dans sa façon de débiter des mesures de haute volée à l’envi sans s’encombrer de refrains, mais « La graine » représente bien cet état de fait, sur une instru évolutive, toujours signée Bagdadi. – Olivier
Le 1er août : Zmaïl feat Ratu$ – Toi t’es dans quoi (prod. Dojo The Plug)
Qui dit morceau en provenance du 06 dit morceau dans notre sélection. Alors que depuis janvier 2024 nous avion eu droit à des titres de Veust, Infinit’, Le Pakkt, Fanny Polly et Zippo, nous attendions le retour de Zmaïl avec impatience, d’autant que son EP sorti l’an dernier avait constitué une bien belle carte de visite pour l’Azuréen. Sur « Toi t’es dans quoi ? », le nouveau porte étendard du label D’en Bas Fondations croise le mic avec Ratu$ de l’écurie Saboteurs Records. Les deux kickeurs soignent la rime et les placements, même si on ne sait pas trop de quoi ils parlent dans leurs couplets. Dommage que le texte ne soit pas davantage incarné. Nous scruterons néanmoins la prochaine sortie de Zmaïl, en espérant une musique avec un peu plus de fond et une forme tout aussi intense. – Chafik
Le 15 août : L’Ami Caccio – Du pain, des jeux, du gain, du chiffre (prod. Just Music Beats)
Alors qu’il était revenu avec un EP en mai, L’Ami Caccio ne relâche pas la pression avec un titre par mois depuis juin. Si l’excellent « 777 » avait précédé « Carton rouge Monsieur l’arbitre », il nous a gratifié du titre « Du pain, des jeux, du gain, du chiffre » en compagnie une nouvelle fois de Just Music Beats, les plus productifs parmi les stakhanovistes, qui collaborent donc une seconde fois avec lui, eux qui ne se mêlent pourtant que très peu avec la scène marseillaise. Le puzzle de mots et de pensées du barbu recèle de phases bien senties, d’une pointe d’anti-parisianisme et de réfs qu’on ne peut que valider (Kalash L’Afro, Lino) tandis que la prod de Buddah Kriss & Oliver est des plus entêtantes, comme toujours. Les gars respectent ça. Sans transition, « Bande organisé 2 » est sorti le même jour. – Chafik
Le 23 août : Noss & I.N.C.H feat. Cenza, Davodka & Polsko – Pulcras
Apaches, l’album commun du rappeur Noss et du beatmaker I.N.C.H (également auteur de quelques couplets rappés à l’occasion), est enfin sorti. « Enfin », parce que comme l’indique le sous-titre du disque « 10 ans dans les ruelles de l’underground », le projet mijote depuis 2014, et que le premier extrait, « Voyageur », date de 2016. Sur « Pulcras », Nossferatu décrit les virées nocturnes agitées qu’il peut encore connaître avec ses compères (une thématique chère au membre de l’Assos De Dingos), appuyé par des couplets énergiques de Polsko et Davodka, et un refrain façon attaque à la voiture bélier de Cenza. Il faut dire que l’instrumentale riche et nerveuse concoctée par I.N.C.H. invite au découpage en règle, et on ne boude pas notre plaisir quand elle continue à tourner une minute durant après le dernier refrain. – Olivier
Le 26 août : Jeff le Nerf feat. Crazy B & Sabrina – Upside Down (prod. K-Mel)
Après, les Black et Red Album parus respectivement en 2015 et 2016, le Dark Green Album de Jeff Le Nerf est sur le point de voir le jour. La Green Mixtape sortie en début d’année ainsi que son nouvel EP Shadowban semblent être les dernières prémices avant la divulgation de ce nouvel opus tant attendu. Pour ce premier extrait intitulé « Upside Down », le Grenoblois a fait appel à deux membres du groupe mythique Alliance Ethnik, K-Mel pour la production, ainsi que la légende du deejaying Crazy B pour les scratchs. À noter également la présence de Sabrina au refrain chanté. Trente ans après ses débuts, la plume de l’ancien membre de IV My People et Inglourious Bastardz demeure toujours aussi affûtée. Même s’il considère qu’ « il se fait rare comme la nuance dans le débat public », nul doute que ce futur disque fera partie, comme à son habitude, des meilleurs projets de l’année. – Jordi
Le 30 août : Primero – Lavoisier (prod. Nickhel, ZEYN & Rascal)
Le meilleur emcee (ce n’est que mon avis) de L’Or Du Commun balance un EP, intitulé Plaine Des Asphodèles, références aux plantes bien entendu mais peut-être aussi au royaume des morts dans la mythologie grecques (là ou l’âme de certains defunts èrent advitam eternam). Un EP 5 titres assez court, teinté d’une certaine grisaille et comme souvent avec Primero, rempli de références et de punchlines efficaces : « Je cherche l’oracle, dès qu’il y a une vieille sur un banc qui bouquine » / « Tu peux subir le même sort que Hassan, Sous les cerfs-volants de Kaboul. Puisqu’il fallait en choisir qu’un, j’ai retenu pour notre édition estivale l’avant dernier morceau, « Lavoisier », son riff de guitare lancinant, ses quelques notes de piano lugubres et ses dévastateurs : « Ils veulent pas d’Aya pour la chanson, mais Baptiste il peut porter la flamme ». Un EP qui accompagnera parfaitement le petit blues de votre rentrée. – Clément
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