On considère souvent la décennie 1990 comme la première décade du rap français, avec une augmentation progressive du nombre de disques sortis pour chaque année qui l’a composée. 1994 fait un peu office d’exception à ce constat, puisqu’elle se révèle être presque plus calme que 1993, comme si l’ensemble de la scène rap se préparait dans son coin au raz-de-marée que constituera l’année 1995 pour le genre musical (rendez-vous l’an prochain pour le dossier dédié). Entre pièces remarquables, classiques et premières traces discographiques, 1994 a tout de même été le théâtre de sorties importantes, dont il est question ci-dessous.
D.Abuz System – Laisse nous faire
Après une première apparition sur la compilation Nation Rap Volume 2, D.Abuz System sort Laisse nous faire, son premier EP. Formé par Mysta D et Abuz, le binôme va marquer l’histoire du rap underground français de la deuxième moitié des années 90. Mais avant de choquer leur monde avec Ça se passe ou avec le projet collectif de L’invicible armada, il fallait donc passer par ce premier coup d’essai. Laisse nous faire s’ouvre avec l’accapella du morceau éponyme (une autre époque !) sur lequel Abuz déroule son flow rapide et syncopé aux accents reggae. Quand on connait le Abuz qui se fera mieux connaître quelques années après, cela a de quoi surprendre, mais encore une fois, nous sommes en 1994, et le rap français vient à peine d’amorcer sa mue et les manières de rapper ne sont pas encore affinées. Ce flow mitraillette, même s’il peut être étouffant sur la durée, ne l’empêche pas d’avoir des placements efficaces et percutants comme sur le dernier couplet de « Les vacances », un second titre réussi au refrain chantant. Plusieurs titres font appel à des thèmes ou à des angles originaux qui sont tenus de bout en bout à l’image de l’exercice de style de « Mets ton chapeau ». Tout du long, l’on ressent une belle alchimie entre Abuz et Mysta D. Celui que l’on surnommait le sorcier du sample livre des productions bien funky, et certaines d’entre elles, même trente ans plus tard, restent toujours aussi prenantes, on pense notamment à « Pong remix » avec son découpage syncopé ou à l’estival « Les vacances » avec son sample principal qui évoque la Bossa Nova. Sur Laisse nous faire, tout n’est pas encore parfait, notamment car Abuz n’a pas encore trouvé sa forme finale. L’éclosion se fera peu de temps après, lorsqu’il ralentira son débit. Malgré tout, cet EP fleure comme un air de nostalgie. Le mésestimé Mysta D brille déjà à la production et Abuz montre que malgré les ajustements à faire, il en avait beaucoup sous le capot. – Jérémy
Sté Strausz – Sté Real
Une grande partie du public rap du milieu des années 90 a découvert Sté Strausz à travers « C’est toujours la même histoire », dans les musiques inspirées du film « La Haine », avant de la retrouver aux côtés de la Mafia Underground, des NAP, ou sur son album solo Ma génération en 1999. Sté Real est antérieur à tous ces faits d’armes, et si les sonorités ne sont pas tout à fait les mêmes que sur les sorties qui suivront, elle est déjà épaulée par le Vitriot Sulee B Wax, membre du légendaire groupe Les Little. Sur ce disque, de la pochette aux instrus, en passant par les flows, l’influence est clairement west coast, pour ne pas dire G Funk. Le rap français est à cette époque plutôt à l’heure new yorkaise, mais il ne faut pas oublier que les rouleaux compresseurs The Chronic en 1992, puis Doggystyle en 1993 ont déjà explosé à la face du monde du rap. Sirènes, basses ronflantes, compositions funk… Sur Sté Real, tous les ingrédients musicaux du son gangsta californien sont représentés. Le discours n’est pas gangster à proprement parler (pas de faits d’armes dans la rue, ni d’apologie de la weed au programme), mais fortement égotrip, et colle bien aux instrumentales inspiration Death Row de Sulee, bien aidé par le timbre de voix juvénile (17 ans d’âge seulement) empreint de rage de la rappeuse de Vitry sur Seine. Tous ces ingrédients, auxquels il faut ajouter un usage du verlan particulièrement poussé (mention spéciale à « Ke – New Yor »), font de ce sept titres une pièce unique dans l’histoire du rap francophone, loin d’être une simple version hexagonale de Lady Of Rage. – Olivier
Dee Nasty – Le Deenastyle
L’histoire du hip-hop en France épouse le parcours de Dee Nasty. Intermédiaire entre le berceau américain et Paris à la fin des seventies, membre de la Zulu Nation, il a sorti Panam City Rappin en 1984, le tout premier album de rap français. Par la suite, il aura animé des soirées, des émissions de radio, notamment le Deenastyle en compagnie de Lionel D, aura été l’acteur majeur du terrain de La Chapelle en 1986, aura remporté plusieurs championnats de France DMC, a participé à Rapattitude, première compilation du rap en français, a sorti un deuxième projet en 1991 et un troisième donc en 1994. Daniel Bigeault, signé chez Polydor, réunit du beau monde sur cette galette, avec des invités aux styles variés avec du cainri, du frenchie, du rap, de la funk ; il pose d’ailleurs en leur compagnie sur la pochette, comme pour se fondre au milieu du crew, avec bien sur une platine et des vinyles au passage. L’intro nous plonge dans l’ambiance et on se dit que l’écoute du disque trente ans après sa sortie ne risque pas d’être désagréable. D’autant que Cut Killer, Mr Mixtape, et son acolyte, East, nous gratifient d’un morceau rappé anglais ! Les Princes du Swing proposent un morceau cool, élevant l’amitié en valeur forte du mouvement, mouvement qui est d’ailleurs le thème du titre de MC Dee, sorte d’état des lieux du hip-hop de l’époque (avec par exemple une dédicace à Get Busy à la fin). C’est justement en cela que l’album est intéressant, il nous replonge en 1994, avec un lettrage de graffiti sur la pochette, la présence de saxophones, de scratches sur tous les morceaux, certains ont d’ailleurs pu servir lors de battles de break (on pense aux deux titres de DJ Abdel) ; les flows sont certes mécaniques, ça ne rime que sur une syllabe, les couplets sont denses, mais le propos est touchant voire innocent à l’image de Brigitte Dao qui invite les couples devenus parents à être responsables et à ne pas laisser traîner leurs enfants. Un véritable marqueur temporel qu’on ne retrouve malheureusement pas (encore) sur les plateformes. – Chafik
Ghetto Youth Progress
Connus pour leurs activités de management, notamment auprès de Big Red, Expression Direkt ou Melaaz (du 501 Posse), Ghetto Youth Progress, est avant tout un trio de musiciens / DJ ragga / producteurs originaire de Mantes La Jolie, composé du célèbre et sulfureux RudLion et de ses deux acolytes Francky et Don Laskar. Déjà connus du milieu pour leurs faits d’armes dans les sound systems et soirées hip-hop, ils signent leur premier projet d’envergure en 1994, au travers d’une compilation qu’ils produisent entièrement (une première en France), aux tonalités mêlant rap tendance west coast et reggae / ragga, avec une direction artistique résolument hardcore. Logiquement, on y retrouve les artistes cités plus haut, ainsi que Doudou (futur Doudou Masta), Mr Lézard, Miss Souani, Lord N Bee, Slede, Aziz ou Money Kid. Côté beatmaking, avec une telle structure aux manettes, nous avons droit à un rendu propre, avec des arrangements dignes de ce nom et des rythmiques léchées. Mais surtout cette galette possède en son sein le premier grand classique d’un des plus grands porte-étendards de Mantes La Jolie, Expression Direkt. En effet, dès 1994 parait « Mon esprit part en couilles », ainsi qu’un autre morceau, « U.K.P.T », sur lesquels Weedy, Tintin, Kertra et Delta démontrent déjà une vraie maîtrise en matière de rap, et une direction artistique qui les suivra jusqu’à la fin de leur discographie commune. « Mon esprit part en couilles » connaîtra même une sortie en maxi l’année suivante. Express Di et Rudlion, figure incontournable de la scène rap / ragga francophone des années 80 / 90, continueront à travailler ensemble jusqu’au décès de ce dernier, en 1999. – Olivier
Tonton David – Allez leur dire
Il est fort à parier que le très regretté Tonton David ne s’est sûrement jamais considéré comme un rappeur. Artiste revendiqué reggae avant tout, flirtant délicieusement avec le dancehall, il avait pourtant une relation toute particulière avec la scène hip-hop depuis sa participation à Rapattitude et la sortie de son premier album – Le blues des racailles – dont les thèmes, les instrus et les flows offraient un écho intéressant à la tendance sur laquelle s’installaient les précurseurs de l’époque. Sortie majeure de 1994, Allez leur dire est résolument moins rap que l’opus qui le précédait – pourtant, alors que son titre phare « Sûr et certain” se vendra à plus de 300.000 exemplaires, il est un vrai projecteur sur la scène hip hop et la variété de styles, d’approches, de talents qui émergent et s’organisent au même moment. Nommé aux victoires de la musique l’année suivante dans la catégorie « Révélation variété masculine », la récompense de Tonton David lors de cette 10ème grand-messe de la musique francophone, aux côtés de MC Solaar (artiste masculin de l’année) et d’IAM (groupe de l’année), est le signal d’un changement de cap de la musique grand public. Certes, l’album aux thèmes très consensuels et peace and love (malgré quelques « coups de gueule » en règle) ne violente pas l’auditeur et la musicalité, répétitive et harmonieuse, caresse plus qu’elle n’innove. Et pourtant, quelque chose est en train de changer. Avec ses accointances rap et hip hop, qui ne cesseront de s’affirmer et se renforcer avec les années, Tonton David est resté, sous la couche douillette de sa musique tropicale dont Allez leur dire est une jolie illustration, un pont entre la variété et la nouveauté, entre la poésie et la rébellion, entre une nouvelle vague classique et des artistes ambitieux, à qui l’école n’avait pas dicté les codes. – Sarah
Sens Unik – Chromatic
Après deux premiers albums parus au début des années 90, le groupe suisse Sens Unik met ici la barre un peu plus haut avec un disque concept qui va les faire exploser à la face du monde. Chromatic est découpé en trois parties faisant écho aux trois couleurs primaires. La partie rouge, qui comprend les morceaux les plus sociaux et critiques, à l’instar de « J’ai peur des requins » qui traite du néo-colonialisme et du rapport au tiers-monde ou encore de « What I’ve got », véritable diatribe sur les sérial-monologueurs qui pensent tout savoir. Vient ensuite la partie verte, qui démarre sur un étonnant storytelling autour du téléphone rose et de l’endettement pour doucement dérouler vers la nourriture (« Le repas » avec MC Solaar), puis le retour aux sources (« Es mi tierra », morceau rappé par Carlos Leal qui parle de ses retours chez sa famille en Espagne), la fête, et les vacances. Enfin, vient la partie bleue, sans doute la plus surprenante, qui part du songe, d’abord avec le dystopique et écologique « Aujourd’hui », puis avec l’étrange storytelling de « Demi-Lune » où divers animaux parlent chacun via leur paradigme et où personne ne semble détenir la vérité. Songe qui se voit ensuite interroger avec « El Sueno », un titre qui confond rêve et réalité, pour finalement mener vers la conclusion de « Sur tes ondes » où le rêve de porter leur voix via l’artistique s’est enfin réalisé. Tout cela est très bien ficelé et la trame globale du disque ne semble jamais trop visible, la plupart des titres peuvent d’ailleurs s’écouter indépendamment de l’album, comme des pleines pages de BD qu’on viendrait admirer une à une. Par ailleurs, le ciment de Chromatic n’est pas uniquement constitué de cet aspect scénarisé, mais aussi d’une couleur musicale bien précise faite de multiples samples de jazz, de voix féminines chaudes qui surviennent ça et là, qu’elles soit enregistrées ou samplées, et de débits survoltés typiques de l’époque. Sens Unik est un groupe qu’on a parfois tendance à oublier dans l’histoire du rap francophone, peut-être parce-que nos oreilles ne sont pas assez tournées vers la Suisse, mais avec Chromatic, ils ont sans doute livré un des albums les plus solides de l’année 1994. – Jérémy
MC Solaar – Prose Combat
> La concubine de l’hémoglobine
Une carrière qui s’étale sur plus de quatre décennies et neuf albums (à ce jour) pour Solaar. Prose Combat, pourtant deuxième opus de sa discographie, s’y impose rapidement comme la pièce maîtresse. Les rimes, la diction y sont plus maitrisées que sur Qui sème le vent…, le format et les productions moins marquées « variétés » qu’un Cinquième As par exemple. Surtout, ce qui est déjà constant avec Solaar en 1994, au-delà des collaborations avec Jimmy Jay à la production, mais qui culmine ici, c’est la qualité des textes. Et sur Prose Combat, Claude MC se déchaîne et enchaîne les métaphores filées avec une facilité déconcertante. Au point que l’écoute devient presque un jeu où apparaissent les images, analogies et autres figures de style à chaque coin de rime. Où l’on se prend à deviner le prochain jeu de mot, la nouvelle référence. « Nouveau Western » est un modèle du genre, même s’il faut avouer que l’instru qui invite « Bonnie & Clyde » de Gainsbourg et Bardot n’est pas étrangère au succès du morceau. La métaphore du Far West façon Paris 18 se glisse jusque dans le choix du sample. Moins brut que certains de ces contemporains et parfois critiqué pour son style trop poli, trop policé, Solaar joue du dictionnaire comme peu à l’époque. On peut y voir un style académique, mais avec quelques années de recul, c’est l’anti-conformisme de ce disque dans le rap de 1994 qui saute aux oreilles. La plume apparaîtrait effectivement plus conventionnelle en dehors des carcans du rap d’alors. Mais c’est justement en cela que ce disque est si distinctif. Marier les codes littéraires plus classiques au genre rap et en jouer avec une telle réussite est une prouesse artistique. Restent quelques rares rimes et lignes où le débit légèrement maladroit (« Temps Mort ») peut faire sourire avec le recul. Un testament de l’époque. MC Solaar marche en 94 pour que les rappeurs puissent courir en 2024. Le rap a évolué grâce à des oeuvres comme Prose Combat. D’autant que certaines pistes impressionnent toujours 30 ans plus tard. L’éponyme « Prose Combat » et son style si jazzy, par exemple. Ou le lancinant, intemporel et dénonciateur « La Concubine de l’Hémoglobine » dont la qualité des textes n’a d’égal que la relevance des thèmes, aujourd’hui encore. – Maxime
Daddy Lord Clarck – Freaky Flow / Les Jaloux
En 1994, Hagi est la révélation de la World Cup aux États-Unis, Stoitchkov est Ballon d’or (devant Baggio et Maldini) et Foreman remporte de nouveau le titre mondial des poids lourds contre toute attente. Mais le rap aussi a ses techniciens, ses puncheurs, notamment Clarck Ebara. A l’image de sa carrière professionnelle de boxeur qu’il vient de débuter en mettant K.O. ses deux premiers adversaires, les deux premiers morceaux de Daddy Lord C font mouche. En effet, son maxi dénote quelque peu par rapport aux autres sorties de cette année. Totalement autoproduit, celui-ci ne se retrouvait pas dans les Fnac mais plutôt à Ticaret au prix de cinquante francs. Le bouche à oreille a joué son rôle dans sa diffusion également, Daddy Lord Clarck se distinguant par un style clairement inspiré par les US, avec son flow énergique, ses rimes pleines d’assonances et ses sonorités redoublées, ses intonations appuyées sur la dernière rime de chaque verse, sa voix aiguë et nasillarde. New comer parmi les MC’s déjà installés, Daddy Lord C semble privilégier la forme sur le fond. Les titres « Freaky Flow » et « Les Jaloux » font d’ailleurs la part belle à l’egotrip permettant d’apprécier sa technique sur les prods de Chimiste. Ce maxi est important surtout car il aura lancé le label Arsenal records (qui aura eu une bien belle discographie dans les années suivantes), bénéficiera d’un remix en 1995, et aura permis aux futurs membres de La Cliqua de se rencontrer. Nous pourrions ajouter enfin que le maxi a marqué les rappeurs de l’époque et non des moindres puisqu’IAM l’a samplé en 1997 dans le refrain d’« Elle donne son corps avant son nom » ainsi qu’Oxmo Puccino en 1998 à la fin du morceau « Amour & Jalousie ». – Chafik
Ministère A.M.E.R – 95200
Caractérisé par une musique sans concession, au rythme marqué et aux paroles crues, le Ministère possède un ADN de voyou dans un habillage de voix parfois mielleuses, de petites claques impertinentes sous des sourires de gendres quasi acceptables. A travers 13 titres qui feront date, pour leur audace, leur indécence, et de manière générale pour un contenu provocateur jugé proprement inconvenant par la variet’ des 90’s, le Ministère revenait donc avec un deuxième opus, peut-être encore meilleur que le premier. A le réécouter aujourd’hui on se surprend à l’aimer toujours pour les mêmes raisons que celles qui nous avaient séduites à l’époque. L’ensemble fleure bon la vieille boucle aux relents funk mais les flows sont fluides et les phases solides pour un disque précurseur du genre. Une musicalité osée et des partis pris de samples innovants pour le rap de l’époque (l’alarme du « Prelude au réveil », la guitare saturée de « Flirt avec le meurtre »!) aide le CD a vieillir plutôt mieux que la plupart des sorties de ces années-là. Bien connus à cette adresse, Stomy et Passi assument les déboires juridiques qui ont accompagné leur premier fait d’arme, et persistent, signent, s’amusent de leur propre insolence, terreau fertile de leur créativité. Au détour d’une blagounette volontairement bien beauf ou de ce qu’on appellerait aujourd’hui une « punchline » bien sentie, Duarte et Ballende ne sont pas avares de contenu. Si la revendication et la dénonciation revêtent parfois chez eux le costume du burlesque, Pasqua en reprend pour son grade, la voix de Brigitte résonne toujours dans les tours, et sans sortir les grands mots, injustices, inégalités et discriminations restent au programme de nombreux couplets. A noter deux apparitions d’un certain Doc Gyneco, dernière recrue de la petite formation de Sarcelles. Parfaite addition au duo de MC, le grain de folie de Bruno trouve impeccablement sa place dans l’univers cité-bedo-tasspé qu’on savait retrouver en sortant de la gare de Garges. Tout au long du disque, les gangsters restent tiraillés entre le paradis des lascars et les cloches de l’enfer, mais s’en sortent en levant le menton, hilares et transgressifs, au moment de rencontrer belle-maman et beau-papa. Autant d’éléments qui font que pour une partie du public, 95200 reste le code postal de la naissance du rap moderne. – Sarah
Timide Et Sans Complexe – Le feu dans le ghetto
Dater de manière précise la sortie des premiers disques de rap français n’est pas toujours chose aisée. Et il se trouve que nous sommes passés à côté de la sortie de cet EP lors de la rédaction de notre dossier sur 1993. Cependant, Le feu dans le ghetto étant sorti à cheval sur deux années, 1993 pour le vinyle, 1994 pour la cassette et le CD, nous profitons de cet imbroglio pour parler de cette pièce. Issu de Vitry-sur-Seine, Doudou Masta se rend régulièrement dans la mythique émission du Deenastyle. C’est ici qu’il rencontrera Joel MC, et c’est ainsi que sera formé le groupe Timide Et Sans Complexe, auquel sera ensuite ajouté Doc Sky. Après une première apparition discographique auprès d’Original MC, Timide Et Sans Complexe sortira son premier album en 1992 avec Lyrics explicites. Toujours connectés à leurs influences Public Enemy / N.W.A auxquels ils adjoignent des sonorités rock alternatif (mouvement dont ils sont proches), ils enchaînent ensuite avec cet EP intitulé Le feu dans le ghetto. Connu pour sa participation au légendaire groupe punk Ludwig von 88, Bruno Garcia se chargera d’une bonne partie de la production. Au menu, cinq titres inédits, dont un interlude, et deux remixs du contestataire « Putain de planète » issu de leur premier album, et signés par deux gros noms : Jimmy Jay et Dee Nasty. L’ensemble de l’EP est parcouru de gros breakbeats et de trouvailles surprenantes, à l’image de cette superbe ligne de saxophone free-jazz qui survient sur « Place aux nouveaux héros ». Tout du long, l’esprit est résolument hardcore. On y parle de galère et d’ennui dans les banlieues, on s’y interroge sur le manque de représentation de la communauté noire, et au pinacle de l’EP, se trouve même un titre carrément émeutier : « Le feu dans le ghetto ». C’est sans doute le morceau le plus marquant du projet. Sa ligne de guitare abrasive (enregistrée en studio) est hyper efficace et que dire de son refrain hurlé fédérateur ? Dans l’ensemble les prestations peuvent parfois sonner chaotiques, comme si les curseurs étaient constamment poussés à 150% mais le niveau d’énergie est tel qu’il emporte tout. A la jonction des musiques underground, Le feu dans le ghetto restera comme un projet étonnant, mais aussi symbolique d’une époque où la fusion entre le punk, le rap et le rock alternatif paraissait encore logique. – Jérémy
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