10 Bons Sons en septembre 2022

Pour la première fois dans l’histoire des « 10 Bons Sons » francophones débutée en mars 2012, nous avons sauté une édition, août 2022 en l’occurrence, faute de trouver dix morceaux convaincants. Ce n’est pas le cas de septembre 2022 et sa rétrospective, à laquelle nous nous sommes permis d’ajouter en fin d’article trois paragraphes initialement prévus pour l’édition avortée du mois précédent.

Le 11 septembre : Le K.Fear – « On a grandi ensemble » (prod. Sébastien Baret, Manuel Merlot & Le K.Fear)

Ce n’est pas un hasard si Le K.Fear a choisi de reprendre les notes de Chopin « That’s my people » pour débuter son dernier titre en date, « On a grandi ensemble ». Il sait que l’instru renverra aux proches, à l’entourage resserré, et accompagnera au mieux son récit, consacré à sa jeunesse dans la cité HLM Gagarine à Ivry, détruite en 2020. Grâce à quelques instrumentistes recrutés pour l’occasion, l’instru évolue, pour basculer doucement vers des nappes de violon, qui ne sont pas quant à elles sans rappeler « La violence a pris le pas », sur lequel Le K.Fear décrivait en 2003 les aspects dramatiques que pouvait parfois revêtir la vie de quartier. C’est ainsi qu’alternent souvenirs heureux et périodes plus sombres, dans une partition impeccable, qui rappelle que malgré sa rareté, le membre de La Brigade n’a rien perdu de sa technique, ni de sa capacité à transporter l’auditeur. « On a grandi ensemble » aurait pu figurer dans notre interview « 10 Bons Sons » du rappeur si elle était parue en 2022. En outre, il accompagne le documentaire du même nom, consacré à l’histoire de la cité Gagarine, en salle depuis le 21 septembre. – Olivier

Le 30 septembre : Prince Waly – « Movie » (prod. Jayjay & Lamaonthebeat) 

Prince Waly est de retour avec son premier solo, un peu plus de trois ans après le très bon EP BO Y Z (des soucis de santé l’ayant tenu éloigné du game depuis). Dans cet album, Waly conserve les qualités qu’il a depuis ses débuts au sein du groupe Big Budha Cheez : une science de la rime, du name dropping, des textes bourrés de références cinématographiques et au rap français (en particulier au Mauvais Oeil de Lunatic et à Booba – comme Dinos d’ailleurs). Néanmoins, quelques changements sont à relever : il a davantage aéré ses couplets (en chantonnant ci et là) et surtout, il nous propose une musique plus personnelle (l’album ne s’appelle-t-il pas Moussa, son prénom dans la vie civile ?). Difficile de choisir un morceau plutôt qu’un autre dans cette chronique. On aurait bien envie de citer les incroyaux featurings avec Ali et Freeze Corleone, mais on va opter pour un morceau solo afin de rendre à Waly ce qui lui appartient. Une nouvelle fois, il nous gratifie d’un storytelling (exercice de style qui s’est raréfié ; pourtant, comme l’egotrip, il permet de se mettre dans la peau d’un personnage). Si « Cra$h » en est un bon exemple, « Movie » narre un deal qui dégénère en règlement de compte. Le Montreuillois témoigne encore dans ce morceau de son amour pour le cinéma tout en faisant des « films pour aveugle » (on a quand même hâte de voir le clip). Avec Moussa, Prince Waly tient sa pièce maîtresse, qui vient couronner une carrière d’une dizaine d’années. – Chafik 

Le 27 septembre : Jeune Mort feat. M le Maudit – « Korn » (prod. Epektase & Lord Zu)

La toute nouvelle signature de la 75e session n’est autre que Jeune Mort, membre du Bohemian Club, que nous connaissons depuis plusieurs années sous le nom de Zoonard. Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, le MC originaire de Noisiel a sorti son premier projet solo (à ma connaissance), composé de 5 morceaux et intitulé Mortuus. Pour le seul featuring de l’EP, on retrouve l’incroyable M le Maudit pour un morceau hypnotique sur une prod lunaire d’Epektase & Lord Zu. Le reste de l’EP est tout aussi solide, quoi qu’un peu trop court. Vivement la suite. – Clément

Le 21 septembre : Mairo – « Rap Mag » (prod. 5bobble, Medams & Brido)

On oublie très souvent Mairo quand on cite les acteurs actuels du rap suisse. Makala, Di-Meh, Slimka et récemment Kenzy (que vous retrouverez en bas de page) sont des blases qui reviennent, mais on ne parle pas assez de Mairo. Avec trois projets à son actif dont le dernier et très bon rougemort, le Genevois se démarque comme ses compères par un style unique et diablement efficace. Ça rappe fort, ça rappe dur. Preuve en image ci-dessous avec le morceau « Rap Mag » et ses références bien senties. – Clément

Le 16 septembre : Boucherie chevaline – « Stress »

Il arrive rarement de tomber sur des artistes totalement inconnus qui ont déjà une identité bien poussée. C’est le cas de ce mystérieux projet nommé Boucherie Chevaline dont le premier EP est sorti au mois de septembre. D’abord il y a cette production électro bien froide qui pourrait presque se suffire à elle-même. Puis ce grain de voix chaud, un peu fou, allié à un débit imprévisible et des intonations appuyées : un flow qui peut par instants rappeler le Saïan Supa Crew, à d’autres moments les prouesses d’un Grems. En bref, la musique de Boucherie Chevaline est un sacré bordel, mais elle parvient à éviter de sombrer dans un syncrétisme foireux et à trouver sa couleur propre, comme si tous ces éléments étaient faits pour se rencontrer. – Jérémy

Le 2 septembre : Buds & Kwam.E – « Real rep »

Le rappeur suisse Buds a sorti son premier album solo ce mois-ci. L’ex-leader du groupe La Base est en pleine forme, rappe en quatre langues (!) et a fait sa rentrée avec un projet ambitieux et savoureux. Ecouter DYSTOPIA, c’est voyager des ruelles sombres du Brésil aux ambiances HLM de Hambourg. C’est siroter une caïpirinha en comptant ses billets, déambuler dans Montreuil la journée puis contempler les étoiles du ciel vénézuélien avec l’esprit libre. Mais la prod de Sperrow sur le titre « Real rep » tapait trop forte pour ne pas parler de ce hit boombap dans nos colonnes, bien qu’il ne figure pas sur l’album de Buds mais sur le prochain opus du rappeur allemand Kwam.E qui l’a invité pour l’occasion. Un modèle du genre et assurément l’une des vibes les plus marquantes de l’année. – Antoine

Le 23 septembre : LELEEE & Avddxct – « H2O »

Ambiance aqueuse pour ce titre issu de l’EP commun entre LELEEE et Avddxct. Avec ses samples de chants de baleine version screw, la production a une ampleur mystérieuse et les quelques bruitages ajoutés çà et là participent bien de l’atmosphère générale. Le rap de LELEE est d’une nonchalance extrême, à tel point que ça confine parfois au comique, aspect cependant totalement assumé par l’artiste qui fait appel à un univers de série Z « avec les créatures absentes des cahiers de biologie ». Cet aspect ralenti ne le prive pas de quelques fulgurances d’écriture, qu’elles soient liées à des phrases impactantes en soi, où à des lignes qui viennent renforcer l’univers global.  – Jérémy

Le 23 septembre :  Duke Mobb, Jeune LC, Loveni, Riski – « La Ride »

Oui, c’est vrai, il y en a bien pour tous les goûts sur cette cassette. Et la beauté de la technologie c’est qu’on n’a même pas besoin de rembobiner pour revenir à son track préféré. Pour nous c’est l’excellent « La Ride », porté notamment par un Jeune LC affamé et un Loveni hypnotique. Une prod comme une évidence et un mantra répété comme un refrain (à moins que ce ne soit l’inverse…) suffisamment costaud pour nous marteler le cerveau et nous presser d’y revenir. D’autres bons morceaux jalonnent ce petit opus en forme de catalogue de ce que le rap peut offrir de nuances ces temps-ci, alors assurez-vous d’y jeter une oreille, vous y trouverez un morceau pour vos playlists, c’est certain. – Sarah

Le 30 septembre :  Dosseh – Djamel (prod. Focus Beatz, Ken & Ryu & Twenty9)

Grosse actualité pour Dosseh ce mois-ci avec la sortie d’un album, ce qui est toujours une bonne nouvelle. Outre le plaisir de retrouver un artiste accompli et talentueux, et malgré un « ventre mou » au milieu de l’opus où le quadra navigue en eaux peu troubles, certains morceaux seront sûrement amenés à marquer la discographie de l’Orléanais. Au-delà de l’intro, parfaite exécution du genre de l’introspection autobiographique qu’on vous invite à lancer au plus vite dans vos écouteurs (et au passage pour ceux qui voudraient approfondir l’exercice de style, c’est ici) c’est le quatrième titre, « Djamel », que nous avons retenu dans ces lignes. Alors que l’année 2022 nous a douloureusement replongé dans le drame du 13 novembre, la force de ce morceau c’est de nous y ramener, à nouveau, sans ménagement, mais tout en gardant une subtilité, un respect et une décence impressionnante. Le storytelling est impeccable, le flow, les rimes, la boucle, l’intelligence des placements et des paroles, la manière dont elles adoptent la musicalité, tout y est pour marquer les esprits et les oreilles. Du grand art pour un sujet aussi délicat que difficile et un hommage personnel que Dosseh offre finalement à tous. – Sarah

Le 16 septembre : Souffrance – Kill them (prod. TonyToxik)

Le mois  prochain sortira le deuxième album de Souffrance. Le rappeur de Montreuil est attendu au tournant par un public qu’il a définitivement conquis avec Tranche de vie, un des meilleurs projets de l’année 2021. De tous les extraits de Tour de magie parus à ce jour, « Kill them » demeure le plus audacieux. D’accoutumée intraitable sur du boom bap, le membre de l’Uzine prouve qu’il peut désormais briller en tant qu’un artiste tout-terrain. Flow puissant sur l’instrumentale de TonyToxik, charisme et texte engagé se mêlent à merveille dans un clip mis en image par Skud. De très bon augure pour le 14 octobre. – Jordi

Bonus Tracks (août 2022) :

Le 3 août : Lamanif & Das Raizer – Spoiler Alert

Que le milieu du battle rap est excitant ! Ne se contentant pas de niquer des mères a cappella, Lamanif et Das Raizer nous ont honoré d’un morceau qui fait plaisir à écouter et ce, après un bien bon battle dans lequel ils se sont rendus coup pour coup (à base de réf. ciné). Avec « Spoiler Alert », on a la confirmation que si peu de rappeurs sont de bons battles MC (vous avez vu Nouvelle Ecole…), les battles MC sont souvent de bons rappeurs, techniques, avec des placements millimétrés. Nos deux bougres ne se sont d’ailleurs pas limités à un simple egotrip mais nous ont concocté un fou concept : révéler les fins de films cultes, au grand dam de ceux qui n’auraient pas vu ces classiques, américains pour la plupart (on aurait aimé qu’ils nous spoilent la fin de Mullholand Drive au passage). Les vrais savent et ne sont pas vraiment étonnés que les deux explorent leur amour du 7e art : Das Raizer nous en parlait dans une interview en 2015, tandis que Lamanif giflait Cheef à base de références cinématographiques au Rap Contenders 9. Bref, un morceau de rap fait par de bons kickeurs, cinéphiles à leurs heures. Pour spoiler à notre tour, une publication autour du film 8 Mile devrait arriver dans nos colonnes, avec en prime une interview de Lamanif … – Chafik

Le 21 août : Kenzy – Scorsese

Un sample d’Aznavour (« Hier encore »), une série de questionnements façon « Nés sous la même étoile » (sans les oppositions un peu caricaturales), une plume et des placements qui sentent les années passées à travailler sa technique…  Sur le papier, « Scorsese » possède des ingrédients qui pourraient presque renvoyer à la fin des années 90, si  le beat et les références n’étaient pas bien ancrés dans le rap de 2022. Il apparaît cependant évident que son auteur, le jeune Genevois Kenzy (un blaze qui renvoie lui aussi à une autre époque) n’en est pas à son coup d’essai, après deux EP parus en 2020 et 2021, et une mise en image léchée pour un titre qui annonce, espérons-le, une livraison plus conséquente que ces 1’49 qui semblent finalement un peu courtes, pour toutes les raisons précitées. – Olivier

Le 26 août : Carson feat. Tedax Max – Un autre jour, un autre euro

Le très productif Carson est de retour avec un nouvel EP. Et comme souvent, l’unique featuring a été choisi avec soin puisque c’est Tedax Max, l’un des gros kickeurs de sa génération qui a été convié sur ce morceau. Côté production on est sur un piano entêtant très new-yorkais, ce qui se confirme dans les lyrics : « Tedax, Carson, c’est Ghostface et Raekwon ». Pas de recherche forcenée de la punchline ici, mais une longue installation d’ambiance dans un style OG et égotrip, le tout avec quelques images bien dessinées : « Je creuse avec mes mains, j’avance avec mes coudes ». Les flows sont affutés et les styles bien distincts. Voilà une collaboration maîtrisée. – Jérémy

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