Dix ans après : 2012 en 20 disques de rap français

Et voilà, cela fait bien une décennie désormais, que le rap français se fait la variété. Sorti de la cave où il se terrait avec Brigitte et ses mauvaises fréquentations, il a peu à peu envahi les ondes. Il est là, qui flotte dans l’air comme chez lui, trustant les têtes de gondoles de la Fnac, participant aux victoires de la musique, rebondissant au quotidien sur des instrus à faire vibrer les plus disco des boites de province. Depuis quatre/cinq ans surtout, le genre n’en finit plus de se vitaliser, de se diversifier. Le boom bap fait toujours recette et les adeptes y excellent, mais de plus en plus de rookies, inspirés ou non par de vieux de la vieille bien déterminés à rester sous les radars, cherchent ailleurs. Sans même s’embêter à valider des « passages obligés » sur la voix de la légitimité, ils se taillent des costumes sur mesure, tranquillement et sûrs d’eux, s’affranchissant de tout, du BPM au langage, du dress code à la publicité. Sur cette scène protéiforme, vibrante et débordante d’activité, certains opus se sont frayés un chemin vers la postérité. Nous vous en proposons une vingtaine, sans doute ceux qui, toujours un peu plus, ont participé à tout changer. A tout recommencer. A tout continuer.

Youssoupha – Noir D****

Paru le 23 janvier | > « Espérance de vie »

2012 et Youssoupha est déjà bien établi sur la scène rap / pop / médiatique française. Avec déjà deux albums remarqués et bien vendus, le rappeur s’est aussi fait un nom dans le petit monde de la controverse (Popstar, Zemmour, tout ça…) Et puis, à force de tâtonnements, Youssoupha se lance. Après une courte mixtape pour faire monter le suspense d’encore un cran – ou se donner un énième garde-fou – voilà l’intense Noir Désir, dix-huit titres qui sortent en tout début d’année. Cet album est un cri. Une déclaration, un serment que l’artiste lâche à son public, plein de fougue. Oui, il y a de la pop dans cet album, oui, la moitié du micro est laissée à des artistes peu connus, ou rencontrés dans les alentours de Sarcelles, mais, oui, ça rappe et ça kicke, sans concession. Dans la continuité de ce à quoi il nous avait habitué, le Francilien, bien dans son époque, s’amuse encore à franchir les frontières, à mêler les genres, à clamer, un peu à contre-courant, l’importance d’un rap « conscient », affirmant sans détour que la dénonciation des injustices est une partie intégrante de l’ADN du genre et revendiquant le rôle influent de l’artiste et ses responsabilités au sein de la société qu’il dépeint. Tourné vers ses origines et se réclamant porte-parole d’un rap « d’amour » plus facile à digérer, Youssoupha confirme son statut de « bon client » des médias mainstream, trop heureux de pouvoir enfin en cataloguer un dans la catégorie « bon-rappeur-pas-racaille », sorte de figure anti-Booba. Suffisamment rebelle pour exciter les bonnes consciences, il reste porteur d’une moralité qui rassure les honnêtes gens… Mais le cantonner à cette respectabilité serait, bien sûr, occulter l’immense talent d’écriture et la force de flow impressionnante de cet artiste complet, curieux et avide de partager avec un public grandissant, l’intelligence de ses diagnostics sociétaux et la profondeur de sa vision poétique de l’humanité. Dix ans après sa parution, Noir Désir est resté un bel album, qui s’est même bonifié avec le temps et qu’on prend plaisir à réécouter, à mieux comprendre et à appréhender comme une pierre fondatrice de l’édifice discographique de son auteur.  – Sarah

Vald – NQNTMQMQMB

Paru le 25 janvier 2012 | > « Journal perso »

Un beau jour de janvier 2012, une drôle de mixtape est propulsée sur Internet. L’intro rappelle de délicieux souvenirs de jeunesse à ceux qui ont écouté 2001 ou Ready to Die à côté de leurs parents pour la première fois. Puis vint « Journal perso », un morceau de post-ado incisif qui marque par sa sincérité, son spleen, sa tonalité crue. S’enchaîne « Smiley » un morceau de gros troll où Vald s’amuse à kicker avec un  débit mitraillette en distribuant les absurdités. Sur vingt-et-un titres, c’est une succession de vannes potaches voir pornographiques, de rimes sanglantes façon série B, et de constats froids sur la réalité de sa vie. C’est du rap de sale gosse, certes, mais Vald a aussi de fréquents retours sur lui-même  : « J’suis gêné de penser c’que j’pense, mes parents m’ont pas éduqué comme ça ». Une bonne partie de l’univers de Vald est déjà là, version hyper brute, dans un mix dégueulasse, et avec quelques accrocs tant il se laisse parfois emporter par son flow. Mais c’est aussi aussi tous ces défauts liés à la jeunesse et à l’aspect « fait à la maison » qui ont fait tout le charme de cette mixtape. Qui aurait pu se douter à cet instant que Vald deviendrait une superstar du rap français ? A l’écoute de ce projet bordélique mais plein d’identité et de tentatives, on pouvait déceler le diamant brut, mais il aura fallu bien du travail (et des choix parfois douteux, mais plus ouverts) pour accéder à la place qui est la sienne aujourd’hui : celle d’un important représentant musical de la génération Y française. – Jérémy

Pejmaxx – Enfant de la République

Paru le 27 février 2012 | > « Danse avec des palmes »

C’est avec un album appelé Enfant de la République que Pejmaxx donne suite à Porte-Parole sorti en 2008. Après cinq années de  présidence Sarkozy durant lesquelles les quartiers de France auront été stigmatisés de manière violente, le rappeur de Créteil aura énormément de choses à dire. Album résolument politique, Enfant de la République fait partie des albums les plus denses du rap français par les textes qui y sont scandés. S’il n’a que vingt-sept ans en ce début d’année 2012, Pejmaxx y fait preuve d’une maturité impressionnante et se pose en rupture avec les tendances consuméristes de son époque sur lesquelles il porte un regard critique. Œuvre quasi sociologique bien que personnelle, le témoignage qui se dévoile dans l’album n’est possible que par le choix de mettre l’accent davantage sur le fond des textes plutôt que sur leur forme. Toutefois, les instrumentales des Soulchildren parviennent à conférer au projet une dynamique surprenante : les mélodies sont souvent entêtantes et viennent ajouter de la musicalité au flow de Pejmaxx. La densité des textes et du flow est allégée grâce à l’harmonisation du tout par la musique. En conséquence, il s’agit d’un album très agréable à écouter qui peut être même parfois surprenant dans ses enchaînements. S’il fallait choisir un album pour comprendre les fractures que les années de présidence de Sarkozy ont causé dans la société française, Enfant de la République serait un premier choix.  Il est bien dommage que celui-ci soit encore d’une criante actualité : les fractures ouvertes le sont plus que jamais. – Costa

Saké – La clef de la cave

Paru le 27 février 2012 | > « La clef de la cave »

Il est impossible de présenter les Grands Crus 2012 sans faire figurer sur la carte La Clef de la Cave. Après avoir officié au côté de Wira sous le nom « Les Zakariens » puis réalisé un premier maxi, cet album est le premier album solo de Saké. Se situant dans la pure veine d’un rap de kickeur à l’ancienne, nous y retrouvons tous les thèmes classiques du rap indépendant mêlant révolte sociale et egotrip sur des instrumentales boom-bap. Si ce n’est pas un album qui aura changé la face du rap en France, il s’agit en tout cas d’un album qui représente bien la dynamique dans laquelle entre le rap indépendant, avec des productions de qualité sans compromission avec les tendances qui apparaissent dans l’industrie musicale.  Pourtant, cela n’empêche pas La clef de la cave de faire un bon démarrage dans les bacs grâce à un public qui répond présent et qui va soutenir un artiste qui s’imposera alors comme une figure importante du mouvement indépendant. Intégralement produit par Nizi et Crown, l’album comporte essentiellement des instrumentales pêchues qui lui donnent une force indéniable. Les featurings sont diversifiés puisqu’on y retrouve de beaux noms du rap français comme Guizmo, Grödash, Swift Guad, Wira, sans oublier une touche d’exotisme américaine avec Absouljah.  Dix ans plus tard, le projet n’a pas mal vieilli et est indiscutablement un petit classique du rap français. – Costa

Klub des Loosers – La fin de l’espèce

Paru le 5 mars 2012 | > « Non-père » 

Si des albums peuvent être adaptés à des manifestations, des émeutes, des séances de cardio, des parties de jambes en l’air, jamais il n’y avait eu de contraceptif musical comme l’a proposé le Klub des Loosers avec La fin de l’espèce. Bien plus que le préservatif, la pilule, le stérilet ou une matinée passée en école maternelle, l’écoute de ces treize titres est terriblement efficace et élève au rang d’art de vivre (ou de survie) l’IVG, la sodomie et la masturbation. Le rap hardcore prend là une tournure inédite en exprimant un dégoût des gens, de l’espèce humaine (« j’ai des rêves d’épidémies et de vaccins en petit nombre »), puisque tout le monde en prend pour son grade (les enfants bien sûr, les jeunes parents, les femmes, les collègues de bureau, mais aussi l’amour, Fuzati lui-même et surement votre humble serviteur). Cynique, nihiliste, le Versaillais n’a pas besoin de notre compagnie (« N’étant pas de ceux pour qui le monde est un club de rencontres ») et seuls l’alcool et le porno trouvent grâce à ses yeux. D’ailleurs, on ne retrouve aucun featuring sur l’album… Si Fuzati irritait sur Vive la vie notamment par son ton monocorde, il atteint ici une maturité artistique, musicale et lyricale qui fait plaisir à entendre. La plume est plus chirurgicale, le flow bien moins rédhibitoire, grâce aux prods jazzy, toutes concoctées par notre rappeur masqué. Le format des morceaux est plus digeste aussi : deux couplets, avec une plus grande place laissée à l’instru, en particulier en fin ou en milieu de morceau, lorsque le refrain n’est pas scratché. Au final, nous avons là un album conceptuel, meilleur que le précédent, deuxième volet d’une trilogie humaniste qui n’a toujours pas donné naissance au dernier rejeton. – Chafik

Nakk Mendosa – Darksun

Paru le 19 mars 2012 | > « Zannig »

Seulement un an après la sortie de l’édition « finale » du Monde est mon Pays et ses 2 CD qui constituent son premier véritable album, Nakk nous présentait un long format sans trop de prétention administrative – pas vraiment un album (le livret du CD insiste là-dessus), mais pas vraiment une mixtape non plus. DarkSun, dont on pouvait déjà apercevoir le logo au dos de certains des disques précédents, donnera son nom au recueil de quatorze titres. Ce qui saute aux oreilles dès la première écoute, par rapport à l’album, c’est le vent de fraicheur tant dans la production que l’interprétation et l’écriture. Nakkos a vidé une grosse partie de son sac dans l’opus précédent, on le sent plus libre et, si on peut discuter quelques choix d’intrus, aucune n’est déjà « datée » à la sortie. D’ailleurs, à part peut-être quelques une des compositions de Therapy, elles résistent bien à l’épreuve du temps et l’alchimie avec Twister, producteur du morceau éponyme, n’a besoin que de deux morceaux pour être évidente. Derrière le micro, on sent une certaine aisance et une envie d’explorer des terrains très différents. Ces excursions musicales s’accompagnent d’une écriture un peu moins personnelle mais toujours aussi choyée. C’est plutôt l’absence totale de storytelling qui, sans être un défaut, peut surprendre les habitués. En revanche, le défaut le plus regrettable vient de certains couplets d’invités qui ne sont tristement pas au niveau ni de leur hôte, ni des autres convives. Car, s’il faut tomber dans la comptabilité, la balance entre les bons couplets en featuring et les moins bons est largement bénéficiaire. Il est de toute façon évident que rassembler Dany Dan, Lino et Despo Rutti sur une même tracklist est une excellente idée. Toujours. – Wilhelm

LE BOOM BAP CONTINUE

2012 est venue conclure ce qu’avait commencé l’année 2011, à savoir redonner ses lettres de noblesses au boom bap d’antan. Les « nouvelles générations » remettent au goût du jour une formule qui avait quelque peu suffoqué lors de la dernière décennie, notamment avec l’arrivée de productions plus « américaines », plus pop, beaucoup plus synthétiques et modernes. Exit les drums 808 et les lead électroniques, re-bonjour les samples poussiéreux et les rythmiques « à l’ancienne ». Les Raps Contenders, l’émergence de nombreux crews parisiens, l’envie de décentraliser à nouveau et d’aller voir ce que les autres grandes villes françaises font, et l’apport encore qualitatif de quelques anciens mastodontes, réussissent à créer une effervescence et un réel engouement, en particulier sur les réseaux (notamment Facebook alors à son prime). On compte en 2012 plus d’une dizaine de premières mixtapes, premiers EP ou encore premières « net-tapes » (un terme qui ne nous rajeunit pas) qui vont ouvrir la voie à moult autres MC’s voulant prouver leur valeur. Du côté de Paris et ses alentours, 1995 poursuit sa lancée avec un second EP (La suite) et un premier album (Paris Sud Minute), tandis que d’autres rappeurs issus du même microcosme sortent également leurs projets : Walter et Lomepal font nuit blanche sur 22h-6h, Walter toujours lui fusionne avec Skyle pour le premier opus d’Ol’kameez, Mothas (la Mascarade) nous décrit son Paris South Playa tandis que Jazzy Bazz écume la route du 3,14 aux côtés du S-Crew alors en pleine métamorphose. À Mulhouse, nous avons DF & Cerk qui le temps d’une cigarette délivrent un des meilleurs projets de l’année. En continuant à l’Est et en traversant la frontière belge, il y a Caballero qui s’associe à Hologram Lo’ et Lomepal pour Le Singe Fume Sa Cigarette tandis que Seyté balance un Premier Jet. À Lyon, on peut retrouver L’Animalerie et surtout Lucio Bukowski qui nous a déjà embarqué dans son train de l’hyper-productivité, avec son premier album studio Sans Signature ainsi que 2 autres EP. Son acolyte Anton Serra nous proposera également son premier album studio Sale Gones. Enfin, dans le grand Sud, du côté de la ville rose, Melan lance sa première mixtape Vagabond d’la rime, trilogie qu’il conclura quelques années plus tard. – Clément

La Rumeur – Tout brûle déjà

Paru le 23 avril 2012 | > « Périphérie au centre »

C’est cinq ans après Du coeur à l’outrage, et un an après leur premier film que La Rumeur présentait son dernier véritable album. On y retrouve des sonorités ultra-synthétiques, comme pour mieux refléter la froideur grandissante du monde. Les tons sont traînants, à la fois lassés du bitume et accrocs à l’urbain. Ici, on se ressource dans l’air impur. On rappe sans jamais céder aux acrobaties, mais en sous-pesant bien l’emploi de chacun des mots qu’on utilise, et soignant au mieux sa diction pour rendre chaque phrase impactante. Le lexique flirte très souvent avec le dégoût, le pourrissement. Cette jonction entre le son, les voix abîmées des rappeurs (qui ont pris de l’âge, comme le répète régulièrement Ekoué), et le langage crée un univers poisseux à la fois repoussant et addictif. Thématiquement, la hargne du groupe est toujours présente : on continue à taper violemment sur la bourgeoisie et le pouvoir en place, et on dépeint un rapport à la rue ultra-cru, à l’image du storytelling de « P’tite Laura ». Mais le groupe s’ouvre aussi à de nouvelles thématiques de darons, comme sur « Quand je marche tu cours » sur lequel Ekoué dépeint avec humour son quotidien de père. On assume aussi un rapport plus contemplatif au réel : nombreuses sont les références à des moments posés, avec un fauteuil en cuir, un bon verre, un cigare. Le très bon « Périphérie au centre » symbolise parfaitement l’esprit du groupe au moment de la conception de l’album : Ekoué, Hamé et Le Bavar y parlent de comment ils ont quitté la banlieue pour le centre-ville, tout en y emmenant leur culture. Depuis, Hamé et Ekoué ont intégré avec brio le milieu du cinéma, renforçant encore les frictions entre leur univers de base et le milieu culturel institutionnel. Dix ans après Tout brûle déjà, le groupe devrait effectuer son retour avec un nouvel album. Après tout ce chemin parcouru, nul doute qu’ils auront bien des choses à raconter. – Jérémy

Guizmo – La Banquise

Paru le 16 avril 2012 | > « Guizmax »

L’album La Banquise est paru à un moment charnière de la carrière de Guizmo. En effet, en janvier 2012, L’Entourage signifie sa mise à l’écart du collectif sur ses réseaux sociaux. Habitué à avancer en équipe au moment de son premier album Normal, le rappeur de Villeneuve-la-Garenne devra désormais faire cavalier seul. Bien encadré et épaulé par le duo Yonea & Willy, il fournit finalement un album qui contient des morceaux qui marqueront les années 2010 comme « Guizmax », « J’attends » ou l’hommage à Oxmo et Busta Flex intitulé « Ma haine est viscérale » . Sur l’ensemble de ces titres, nous retrouvons un Guizmo tourmenté et introspectif qui utilise sa recette favorite : phases mélancoliques, allusions sincères à ses addictions et à la rue, le tout agrémenté d’une technique hors pair et de punchlines toujours bien placées. Si certains auditeurs avouent être lassés par la redondance de ces thématiques dans l’ ensemble de l’œuvre du renard, il semble impossible de ne pas reconnaitre l’immense talent de cet artiste stakhanoviste qui promet à l’époque de sortir un album tous les six mois. Côté production, il s’entoure principalement des beatmakers Nizi et Igoom, proches du label Y&W mais compte aussi sur la présence de Clément Dumoulin du duo Animalsons. À noter qu’en termes de direction artistique, Guizmo et son équipe ont eu le mérite de s’essayer à de nouvelles sonorités comme en témoignent les morceaux « Banlieue dégueulasse », « J’aime la nuit », « Maman STP » ou « T’es juste ma pote ». Dix ans plus tard, il peut se vanter d’afficher neuf projets de plus à sa discographie et de faire preuve d’une longévité impressionnante. – Jordi

Mysa – Enfermé dehors jamais libre saison 2

Paru le 30 avril 2012 | > « Toi et ton rap »

Au moment d’aborder ce qui reste à ce jour son dernier album, Mysa dispose déjà d’une petite notoriété et d’un succès d’estime dans l’underground, avec déjà trois albums sortis depuis 2004, dont l’excellent Les poésies du chaos, qui fort de l’instrumentalisation d’Al’Tarba, de textes militants incisifs et de qualités de rimeur hors-pairs, a acquis un véritable statut de classique. Si l’on ignore encore si Enfermé dehors jamais libre saison 2 restera le dernier disque du MC messin, il constitue à coup sûr un instant charnière dans son parcours de rappeur. La première évolution est instrumentale. Des productions très brutes d’Al’Tarba, que l’on retrouvait sur le premier volet et Les poésies du chaos, on passe à une atmosphère beaucoup plus mélodieuse, penchant parfois vers la mélancolie, avec des producteurs comme Noname ou encore El Gaouli. L’autre élément charnière est la teneur du discours. Si Mysa est loin d’avoir perdu les qualités de rappeur qui nous avaient séduits dans les précédents disques, et notamment une qualité et une richesse de rime, ainsi qu’un flow à haut débit dont la combinaison accroche à l’écoute, le ton revendicatif et très politique notamment des Poésies du chaos se transforme, en prémisse des morceaux fleuves qui deviendront typiques de la suite de sa carrière, de plus en plus en un mélange de saillies brillantes et de réactions à base de religion. Si l’on ne décèle pas encore la base de futurs discours confusionniste-complotistes, la teneur de certains propos apparaît véritablement comme l’ombre au tableau d’un album qui ne manque pourtant pas de qualités, tant dans le rap proposé que dans sa musicalité. Et qui aurait largement convenu comme point final d’une carrière plus qu’honorable, bien que courte. – Xavier

Lino – Radio Bitume

Paru le 7 mai 2012 | > « As33 »

Et si le meilleur album de 2012 n’avait jamais été censé voir le jour ? A la sortie de Radio Bitume, la moitié d’Ärsenik s’empresse d’intervenir sur YouTube pour assurer que l’album est sorti sans son accord ni promotion, donc dans une forme qui ne lui convient pas. A l’écoute du disque, on peut le comprendre. Si sa plume et ses qualités de rappeur ne semblent pas l’avoir quitté, le mix et mastering sont bâclés, les instrumentales, quand elles ne sont pas tout simplement mauvaises, paraissent datées, donnant l’impression que certains titres ne sont que des versions d’essai et cerise sur le gâteau, la tracklist semble aléatoire. Pour autant, Lino oblige, Radio Bitume a acquis avec les années un statut quelque peu légendaire, au point d’avoir été totalement réhabilité dans la discographie du natif de Brazzaville. Il faut dire qu’il intervient sept ans après sa dernière trace discographique. Bien qu’il n’ait pas chômé durant cette période, ayant multiplié les apparitions sur divers projets, l’éventualité d’un nouvel album était restée un serpent de mer, dont l’effectivité concrète demeurait très incertaine. Ainsi, validé ou non par le principal intéressé, Radio Bitume restait un nouvel album de Lino sur lequel tout amateur de rap français était voué à se ruer. L’histoire entourant sa sortie, ainsi que sa rareté au sein des cercles de collectionneurs ont également contribué à forger la légende d’un disque qui demeure, malgré ses défauts déjà évoqués, de très bonne facture. Car si l’on met de côté les problèmes liés à l’instrumentalisation du disque, Lino montre qu’il est toujours ce qui se fait de mieux lorsqu’il s’agit de mettre une qualité d’écriture unique au service d’un rap militant et politique. Pour n’en citer qu’un, un morceau comme « As33 » consiste ainsi en un chef d’œuvre de mélange entre la transmission d’émotion, une forme impeccable et un propos politico-historique solide sur ses appuis. Cette formule est reproduite à des doses différentes sur le reste des titres, qui gardent une place certaine pour le rap pur et l’égotrip. L’un dans l’autre, le côté légendaire de Radio Bitume réside peut-être dans la spontanéité qu’il manquera, trois ans plus tard, à Requiem. – Xavier

Veerus – Apex

Paru le 27 mai 2012 | > « APEX »

En 2011 Veerus sort son premier projet Nouvelle aube entièrement produit par J.Kid. La qualité qui émane de cet opus et la singularité du rappeur semblent de bonne augure pour la suite de sa carrière. Quelques mois plus tard paraît Apex, deuxième volet d’une trilogie qui s’achèvera en 2014 avec Minuit. Et le moins que l’on puisse dire est que ce nouvel EP vient ravir les amateurs de prose soignée et imagée. À l’heure où le boom bap vient de retrouver ses lettres de noblesse, le jeune Veezir prend ses auditeurs à contre-pied en mettant un point d’honneur à mettre l’accent sur la musicalité de ses morceaux. Il défend d’ailleurs cette idée dans « 06h18 » sur son précédent projet, affirmant préférer être « Maître de son échec plutôt qu’esclave de sa réussite ». Il intègre l’egotrip à son écriture et des morceaux axés sur le freestyle, se détachant ainsi de ses précédents formats à thèmes. Sollicité par de nombreux beatmakers après Nouvelle aube, il fait appel à la créativité de nouveaux producteurs comme Just Music Beats, Ikaz Boi, Aayhasis ou encore Everydayz. J.Kid est lui également présent sur le morceau éponyme du projet. Les propositions de ces architectes sonores lui permettent de marquer Apex d’une couleur particulière où la mélodie est au centre de la démarche artistique. Sa plume travaillée nous offre des images fortes et donne la sensation qu’il ne rappe plus, il peint. Gravitant autour du collectif 1995 et de la scène émergente parisienne depuis quelques temps, il aurait pu multiplier les collaborations avec des rappeurs en vogue pour cet EP. Il préfère cependant privilégier les featurings de qualité. Il invite donc Alpha Wann sur « Où on vit » mais aussi les sudistes Perso et Némir sur « Sans directions » et « Chaque jour ». Intègre et fidèle à sa ligne directrice tout au long de cette oeuvre, Veerus nous invite avec Apex à une balade céleste intemporelle au plus près des étoiles. – Jordi

Kaaris – Z.E.R.O.

Paru le 28 mai 2012 | > « Houdini »

La première apparition discographique de Kaaris date de 2000, avec le morceau « Quand j’étais gosse », paru sur la compilation Niroshima de Niro des 2Neg’. Suite à cette première trace, il ne commencera à réellement faire parler de lui qu’à la fin de la décennie 2000 avec quelques collaborations remarquées qui l’emmèneront à « Criminelle League » en feat avec Booba sur Autopsie 4 en 2011, puis au fameux « Kalash » sur l’album Futur (meilleur morceau de l’album ?) de ce dernier en 2012. La même année, sur sa mixtape Z.E.R.O (la deuxième de sa carrière, après 43ème Bima en 2007), Kaaris se distingue déjà du reste de ses confrères avec un sens de la formule unique en son genre, empreint de cruauté, de soif de sang, et d’une violence inouïe, sourire en coin, sur des productions signées pour la plupart Thérapy (2031 et 2093). Capable d’enchaîner références guerrières pointues et images pipi-caca sans sourciller ni perdre en cohérence, le contenu s’avère plus fin que ce que l’emballage brutal pourrait laissait percevoir. (« Mon cœur est sombre comme un soleil froid, l’Afrique c’est un milliard de Jésus sur des croix. » ; « Accouché dans le goudron, j’grignote mon cordon dans l’hall, pendant que ton gang s’fait remplir le c** en taule. »)  De fait, le rappeur sevranais possède déjà une maîtrise unique de l’hyperbole, une figure de style qui, si elle n’est pas drôle ou bien amenée, peut facilement tomber à l’eau. En somme, l’ADN du rap qu’il continue de développer et de faire son succès dix ans plus tard est bel et bien là, mais pas sur tous les morceaux. En effet, malgré des temps forts de grande qualité (« Intro : Ram Muay », « Houdini » ou « Le légiste » pour ne citer qu’eux), quelques titres dénotent par une intensité parfois un peu moindre, que ce soit dans l’interprétation, le propos ou les instrumentales, et font perdre à l’ensemble en homogénéité. Des défauts qu’il s’efforcera de gommer dès l’année suivante sur l’album Or Noir, véritable game changer, qui défigurera le rap français à tout jamais, et finira d’imposer Sevran et la trap dans le paysage rap francophone. – Olivier

L’Indis – Mon Refuge

Paru le 28 mai 2012 | > « Mon Refuge »

L’Indis a sorti deux disques entre 2011 et 2012. D’abord Mes Classiques puis, il y a donc dix ans, Mon Refuge. Il a choisi un chemin un peu opposé à celui de Nakk, son compère de toujours. Dans son EP, la performance était à l’honneur. La moitié des 10’ se remettait en jambes et on constatait plutôt satisfaits que le rap ne se perd pas, comme le vélo… En tout cas pour certains. En toute logique, dans Son Refuge, L’Indis se livre énormément, et sur plein de sujets. Si la première partie du disque est assez éloquente à ce niveau, tant il nous parle à coeur ouvert, les moments plus légers sont moins intimistes mais pas moins personnels. On passe une heure avec l’homme derrière le rappeur, ses traumas mais aussi son rapport plus ou moins conflictuel avec le rap, ses doutes sur la société, sur la jeunesse, son recul sur les modes et les mœurs. On retrouve évidemment la précision légendaire des 10’ sur tout ce qui relève des techniques d’écriture avec un accent certain sur les rimes et les placements. Les années aidant, la voix du rappeur s’accompagne d’un charisme naturel plus important que dans les vieux morceaux qui hantaient jusqu’alors nos disques durs. Mais la réalisation de l’album n’est pas l’œuvre de L’Indis seul et on peut saluer le travail de Char qui, en plus de quelques excellentes instrus placées, a participé à tout le gros œuvre derrière les machines et motivé le Balbynien pour qu’il persévère. Derrière d’autres machine, Nizi des Kids of Crackling réalise un travail monstrueux en produisant presque la moitié des dix-huit morceaux et toujours en très grande qualité. – Wilhelm

IBZ, UNE PREMIERE DANS LE RAP FRANCOPHONE ?

Rendu possible par le Rootscore, Inglourious Bastardz offre à sa sortie, en novembre 2012, un format finalement assez inédit dans l’histoire du rap français. Car IBZ n’est ni un groupe, ni un collectif, ni une simple compilation, mais plutôt une somme de morceaux dans lesquels un noyau dur de MC’s d’horizons divers (Belgique, Suisse, France) et parfois leurs entourages viennent combiner leurs talents. C’est ainsi qu’en deux semaines, réunis autour du Rootscore (label / studio d’enregistrement / collectif genévois), Jeff Le Nerf, 10Vers, Swift Guad, Furax Barbarossa, L’Hexaler, et les groupes du label L’1Solence et Le S’1Drom, se sont enfermés pour enregistrer et clipper des morceaux à un rythme soutenu. L’organisation et la sortie de cet album, gérées d’une main de maître par le multi-casquettes Neka dans l’indépendance la plus totale, aura permis à l’équipe créée pour l’occasion de générer une attente et de réaliser un joli score à sa sortie, en plus de laisser quelques grands morceaux pour la postérité (« J’commence ma journée », « Ma Hassit Walou », « Ma thérapie »), dans lesquels la camaraderie saute aux yeux. Cette sortie remarquée aura également servi de rampe de lancement pour les sorties solo des participants, et de coup de projecteur pour les moins exposés du projet. Une initiative somme toute assez unique dans l’histoire de la scène indé francophone, prolongée par quelques concerts dont une mémorable au Bikini à Toulouse. – Olivier

Niro – Paraplégique

Paru le 18 juin 2012 | > « Bien ou koi »

Dix-huit titres et un peu plus d’une heure d’un rap sans concession, voilà comment Niro se fait une place, entérine sa réputation et finit de creuser son trou dans l’univers d’un rap street – bien – lourd, dans tous les sens du terme… Des prods intenses, aux basses super-présentes et aux retours de chœurs apocalyptiques, des punchlines radicales et d’ailleurs plutôt bien menées, des collabs avec des voix aux arpèges complémentaires, la recette est bien suivie pour bourrer bien comme il faut les oreilles de l’auditeur avec une rage nourrie dans les alentours de Blois. Dans Paraplégique Niro nous dévoile, dans le détail et sur un long format, tout ce qui fait son identité, et de fait, tout ce qui l’avait fait sortir du lot et qui lui avait donné l’occasion de poser sur les compiles de Street Lourd (Les yeux dans la banlieue 2 dès 2010, notamment) ou de se retrouver sur l’Autopsie 4 de Booba, entre autres. Un premier « street album » où l’accent, le flow tout terrain, la voix souvent éraillée et extrêmement reconnaissable de Niro, la brutalité du propos que l’on apprend ici à remettre en perspective grâce à des phases introspectives intéressantes, tout cela fera la force du rappeur et serviront son succès, quand année après année, le prolifique artiste inondera les bacs de son intarissable créativité. Car, présenté plus tard comme le premier opus de ce qui deviendra une trilogie, Paraplégique sera suivi de Rééducation et Miraculé deux CD sortis respectivement en 2013 et 2014, qui planteront le décor et nous habitueront à la folle productivité du jeune rappeur, qui avait rapidement compris l’importance de l’omniprésence et de la multiplication des projets sur de courts laps de temps dans le maintien de sa notoriété et sa capacité à occuper la scène médiatique. En sortant cet album, Niro a sans doute jeté une brique dans la fenêtre d’un « rap street » peut être un peu trop bien connu et a pu, à sa manière, participer, tant musicalement que dans la manière d’aborder certains thèmes, à renouveler ce genre prisé des rappeurs de l’époque, poussant ainsi tout le monde à aller un cran plus loin, à se repencher sur l’ouvrage. – Sarah

Zippo – Bûcheron

Paru le 29 octobre 2012 | > « Maintenant j’ai une hache » 

Dans « Seven », Morgan Freeman conclue le film avec cette citation d’Hemingway : « Le monde est un bel endroit qui vaut la peine qu’on se batte pour lui » en ajoutant qu’il est d’accord avec la seconde partie. A l’écoute de Bûcheron, on peut douter que Zippo partage cet avis. Entre le conflit en Syrie et en Irak qui s’enlise, les fusillades dans les écoles américaines, la folie meurtrière de M. Merah, les hausses d‘impôts et la gentrification généralisée en France, le Niçois semble avoir eu besoin de prendre du recul en se réfugiant dans le Mercantour. Le membre du Pakkt s’accorde une escapade solo afin de proposer une musique plus personnelle, via un projet court, conceptuel, dense. Son exode urbain lui permet de prendre de la hauteur, de fustiger les dégâts de la société de consommation et du néo-libéralisme. Sa description de notre monde fait froid dans le dos : les huit titres de ce EP pourraient être la B.O. de « La Route ». Le présent nous amènerait irrémédiablement vers un futur proche apocalyptique. En rien moralisateur, Zippo fait feu de tout bois et dresse un constat amer qui (lui) donne envie de tout brûler. Il découpe tout sur son passage, que ce soit sur « Maintenant j’ai une hache » ou sur l’egotrip « Bûcheron », montre les racines du mal dans « C’est les soldes » ou « La Terre est plate ». En rien ennuyeux, Z.I.P.P.O. fait honneur au rap du 06 avec sa technique faite d’étincelles : ça rime sur trois, quatre, cinq syllabes, ça multiplie les allitérations et assonances, ça punche comme il faut (« Tu r’ssembles à Robinson c’est c’que les gens me disent, mais pour l’instant c’est eux qui attendent le vendredi »), le tout sur des prods incandescentes du bouillant PDG. Malgré « L’Epouvantail » et en bon rat des villes, on ne peut s’empêcher de penser que le Z idéalise quelque peu la campagne. Néanmoins, nous avons là un brûlot, prequel d’une certaine manière à ce que sera l’excellent Zippo contre les robots. – Chafik

Taipan – Court-circuit

Paru le 1er octobre 2012 | > « Lâchez votre comme » 

En 2012, Taipan est dans le game depuis une décennie déjà ; on a pu l’entendre avec son acolyte C.H.I. sur Original Bombattak, il a sorti une tape et un premier album intitulé Je vous aime en 2010. Comme les membres de L’Entourage, Dinos ou encore Big Flo & Oli, il a bénéficié de la caisse de résonnance des Rap Contenders pour faire son trou dans le milieu. La conséquence ? La signature chez Bomayé Music, une collaboration avec Youssoupha sur Noir Désir et deux projets 10 titres réunis dans le double album Court-circuit. Et Taipan avait besoin de ces vingt-deux pistes pour exposer le fond de sa pensée, sa personnalité, son personnage et son style si caractéristique. Adepte d’un second degré ravageur, salace, mais aussi sensible aux maux de nos sociétés (« Plus rien à foutre »), ce bon gros P.A.N. nous fait sourire autant qu’il nous fait gamberger (du rap conscient vous dites ?). S’il est tonitruant en egotrip (« Mi queue-mi tête »), Taipan excelle dans les nombreux exercices de style et les morceaux conceptuels : une personnification dans « Le chien », un raz-de-marée de comparaisons dans « Lâchez votre comme » (« J’aime les trucs mongols comme Emile Louis »), un petit inventaire des relations sexuelles politiquement incorrectes dans « Bas les pattes », un hommage aux filles de joie dans « Fils de pute », une déclaration d’amour à la masturbation dans « Il fallait que ça sorte », un storytelling mortel dans « Bonne année »… Ajoutons aussi que Taipan maitrise l’art de la formule comme peu ; on découvre d’ailleurs de nouvelles rimes de bâtard à chaque nouvelle écoute comme lorsqu’il balance : « Mon pote est maghrébin, j’ai une tête de maghrébin, chacun son handicap ». Taipan perfectionnera sa formule durant la décennie suivante, sans forcément obtenir une audience digne de ce nom, la faute à un délire trop spé, pourtant si rafraichissant. – Chafik

Nemir – Ailleurs

Paru le 5 novembre 2012 | > « Dans l’zoo »

Bonnet déposé sur son crâne, hoodie et aviators noires en toutes circonstances, le rappeur perpignanais aura su occuper le terrain durant toute l’année 2012, notamment grâce à quelques collaborations en duo clippées avec Dixon, Veerus, Deen Burbigo ou Alpha Wann. C’est en novembre qu’il se décide à enfoncer le clou avec son EP Ailleurs, un 11 titres aux allures d’album un peu court, teasé par ses featurings avec les deux membres de L’Entourage pré-cités. Plutôt connu jusqu’alors pour ses performances rap façon backpacker lors d’open mics, concerts, cyphers ou avec son collectif Next Level, il livre ici un rap sur lequel, du côté de la forme, l’accent est mis sur l’intensité, le flow, et la mélodie. Il faut dire qu’En’Zoo, son beatmaker attitré (encore aujourd’hui), s’est évertué à lui proposer un support musical chaud, organique, souvent explosif, couplé aux performances aussi techniques que spontanées de Nemir Nems. L’osmose entre le rappeur et le beatmaker confère à l’ensemble une cohérence et une réécoute toujours aussi agréable dix ans plus tard. A l’aise sur scène, Nemir, accompagné de son aoclyte Gros Mo (également membre du Next Level), bénéficiera d’une tournée de plusieurs dizaines de dates afin de défendre son EP dans des salles relativement importantes, puisqu’il assurera les premières parties de Disiz sur sa tournée pour Lucide. Enfin, Ailleurs aura cristallisé la transition entre le Nemir kickeur des années 2000, et le Nemir porté sur le chant, qui tâtonnera encore quelques années avant de livrer son véritable premier album en 2019. – Olivier

Hugo TSR – Fenêtre sur rue

Paru le 5 novembre 2012 | > « Fenêtre sur rue »

Il aura fallu attendre quatre années dans une chambre froide pour goûter à nouveau au rap d’un des meilleurs chroniqueurs du quotidien, spécialiste du spleen parisien et de la discrétion bruyante. Après le très bon Flaque de samples, Hugo, anciennement boss, et désormais plus que jamais TSR, revient avec son second opus intitulé Fenêtre sur rue. Si le premier album avait ravi les amateurs comme les puristes, force est de constater que ce second disque rime avec confirmation et quoi qu’on en dise, maturité. Même si l’egotrip garde une place importante dans le projet, les thématiques sont d’avantage creusées et les concepts bien plus poussés. Plus abouti, plus profond et définitivement plus consistant, cet album marque une évolution majeure dans la musique d’Hugo. Sa progression est tout aussi remarquable au niveau du choix des instrumentales qui se démarquent beaucoup plus que celles du précédent opus. Plus harmonieuses et moins brutes, Hugo a perfectionné sa pratique du beatmaking et fouille toujours là où ne s’y attend pas, pour trouver le sample qui fera mouche. Tour à tour historien (« Eldorado »), personnage réel de Hitchcock ou Park Chan-Wook (« Fenêtre sur rue » et « Old boy »), professeur d’arts plastiques spécialisé dans le graffiti -et pas que- (« Dégradation ») ou encore maître de conférence sur l’egotrip (« Ugotrip »), Hugo TSR déploie tout son savoir-faire et fournit un album excellent, véritable clef de voûte de sa carrière mais aussi du paysage rap des années 2010. – Clément

Joke – Kyoto

Paru le 26 novembre 2012 | > « Triumph » 

Le Sud a quelque chose à dire. Et en cette période de transition dans le rap français, ce n’est pas vers Marseille qu’il faut se tourner, la cité phocéenne étant au creux de la vague, mais de Montpellier et d’un jeune loup de 23 ans. Si Joke s’était fait remarquer à la fin des années 2000 sur Myspace par quelques-uns, notamment Teki Latex qui l’intègre au label Institubes, Oumar Samaké, manager de talent, sent bien le coup, le signe sur Golden Eye Music et le fait apparaitre sur la compil We Made It V.1. On peut considérer qu’il y a un avant et un après « MTP Anthem », véritable déflagration dans la carrière du Montpelliérain, ainsi que dans l’histoire du label et du rap français des années 2010. Mis sur orbite, l’attente devient forte autour de son EP Kyoto annoncé pour la fin 2012. Les onze titres de ce projet sont définitivement tournés vers le futur, portés par des beatmakers (Blastar, Wealstarr, Cannibal Smith, Richie beats, Myth Syzer, Ikaz Boi, Leknifrug) et des instrus résolument novateurs, adaptés au style inclassable de Joke. Multipliant les egotrips pleins d’attitude, érigeant sa réussite et la Rolex comme une obsession, malmenant aussi la gent féminine dans des propos graveleux (comme Booba ?), il se distingue surtout par son assurance, sa nonchalance, sa technique, sa science des mélodies aussi. Tous les morceaux sont de haute facture, de l’excellente intro au morceau éponyme, du banger « Triumph » au story telling « Journée / Fin de journée » (reprenant le thème et le sample de « Bonnie and Clyde »), en passant par le remix du très bon « Scorpion ». Mac Tyer et Niro ont bien vu le potentiel du rookie (comme Lino et Pusha T sur ses projets suivants) qui amène une nouvelle donne musicale. La suite ? Un grand succès d’estime, Tokyo et Ateyaba qui confirmeront dans l’ensemble son statut de surdoué, des critiques pas toujours fondées et surtout une grande influence auprès de toute une génération de rappeurs qui émergera dans la seconde moitié des années 2010. – Chafik

Seth Gueko, Alkpote & Zekwe Ramos – Neochrome Hall Stars Game

Paru le 26 novembre 2012 | > « Le machin »

L’album commun d’Alkpote et Seth Gueko a des airs d’arlésienne. Lors de l’annonce de Neochrome Hall Stars Game, en 2012, les amateurs de l’écurie avait de grandes attentes mais également une petite surprise de voir Zekwe Ramos, le petit génie de l’équipe, avec les deux figures de proue du label. Mettons les pieds dans le plat directement, ce n’est pas le projet qu’on attendait à l’époque, puisque ce n’est pas un duo. Et si Zekwe s’occupe de presque la moitié des prods, on peut aussi reconnaitre la direction artistique très marquée de sa propre discographie – pour peu qu’on connaisse un minimum la musique des trois zigotos. Pour autant, et exactement pour la même raison, l’album est intrinsèquement bon. Il y a la dose de kickage à laquelle on peut légitimement s’attendre mais aussi des tentatives de singles plus grand public plutôt réussis qui, remises en perspective, ont le cruel avantage d’être réalisées par d’excellents rappeurs. L’album a des allures de blockbuster avec une prédominance des bangers, et beaucoup de thèmes qui deviennent des terrains de jeu où les enchaînements de couplets assez courts des trois personnages ultra complémentaires sont d’une efficacité ravageuse. Les punchlines et autres jeux de mots, les rimes, les flows et les gimmicks dont seul eux ont le secret pleuvent. Chacun y va aussi de son petit morceau solo sans détonner du tout du reste. Au contraire. In fine, si vous aviez boudé un peu injustement à l’époque, il est peut-être temps de consacrer une grosse heure et une oreille curieuses au Hall Stars Game d’un des labels les plus emblématiques du rap français. – Wilhelm

Lire aussi :

Si vous avez aimé cet article, n’hésitez pas à le partager avec les petites icônes ci-dessous, et à rejoindre Le Bon Son sur Facebook, Twitter et Instagram.

Partagez:

Un commentaire

Commentaires

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.