Ninho, le flair audacieux de l’acrobate | 10 Bons Feats

Parmi les franciliens qui tiennent le haut du pavé et sur lesquels on garde, presque malgré nous, un œil constant et attentif, il faudrait vraiment être de mauvaise foi, ou sourd, pour ne pas concéder à Ninho son statut de superstar incontournable, et mérité. De projets coup de poings réguliers en sons dégoulinants petit et grand publics, il a su affirmer un style bien personnel, proprement coulé dans les meilleurs moules tendances de notre époque.

Agile et solide, il n’en finit pas de nous prouver son potentiel, slalomant entre une guimauve sans gros attrait et des paires de claques dispensées distraitement avec la décontraction arrogante des gens talentueux qui font ce qu’ils veulent et qui se moquent un peu qu’on les regarde tant. En solo, il mine donc son champ de lavande avec de petites bombes dont les couplets violemment calibrés font exploser çà et là, la plastique lisse des prod acidulées qui parsèment sa discographie.

Mais s’il parvient à nous toucher seul, depuis un bon moment qu’on le côtoie, on se dit régulièrement que Ninho n’est jamais aussi fort que sur un featuring bien choisi. Car le jeune homme entre clairement dans cette catégorie d’artiste galvanisé par l’idée de poser aux côtés d’un pair, et potentiellement, de le fracasser sur un couplet. Alors soit, sur les dizaines de collaborations qu’il compte à son actif, il en est forcément certaines qui n’ont pas marqué le genre. Pire il y en a un petit paquet dont on aurait pu se passer. Mais au détour des grosses artères musicales souvent empruntées, il faut reconnaître qu’on adore se perdre, quand il nous en donne l’occasion, au creux des chemins de traverse sur lesquels il aime nous surprendre, mains dans les poches, toujours.

Flegmatique, plein de l’arrogance du gars qui sait qu’il vient tout casser, il apporte souvent à ses feat, une distance, une tranquillité teintée d’une méchante repartie, qu’on ne lui connaît pas toujours si bien aiguisée en solo. On le voit venir lâcher ses couplets comme on soupçonne l’eau tranquille dont les remous à peine perceptibles cachent parfaitement l’agressivité mortelle du crocodile : on l’attend, sur nos gardes, prêt pour la photo, ou au contraire, on ne l’attend pas, et on se fait manger.

En quelques années d’omniprésence et avec un palmarès bien chargé, Ninho le très actif ex-rookie a bien posé avec la moitié du game de France et de Navarre, sur toutes sortes d’ambiances, rebondissant comme un cabris sur des BPM en dents de scie avec une déconcertante facilité. Et c’est bien en amateurs de belles passes d’armes, qu’il n’en finit plus de prouver ses talents d’écriture. C’est ainsi, il ne fait jamais autant de vagues avec son flow tout terrain et ne s’illustre jamais aussi bien dans une technique parfaite que quand il croise le mic avec ses congénères.

La preuve, en 10 bons featurings.

1. En Featuring avec Niska : Méchant (prod Dopebwoy)

Sûrement l’un des meilleurs duos que 2019 nous ait livré. Une alchimie parfaite, une musicalité et une harmonie à toutes épreuves, des couplets calés au millimètre qui reposent sur une prod de Dopebwoy toute en pleins et déliés. Exigent face à la promesse de l’affiche, mais sans avoir demandé la lune non plus, l’auditeur est embarqué dès les premières secondes de l’intro pour une balade décoiffante en auto tamponneuse et, comme un gosse à la fin de chaque tour de manège, il en redemande, refuse de sortir de la piste ou de lâcher le volant. Non, ce n’est pas l’unique featuring avec Niska et il est vrai que les deux larrons du 9.1 confirment en se rencontrant les étincelles que leurs personnages ne manquent pas de transformer sans peine en fulgurant feu d’artifice. On retient « Méchant » sans mal tant la brutalité et le naturel des couplets qui s’emboîtent à merveille font honneur à leurs auteurs. La force de Ninho ici, c’est de se faufiler dans l’univers de Niska pour en souligner les subtilités, renforcer l’énergie du Charo par un groove tout en contraste. Envoûtés à sa sortie, on savait déjà ici que ce son serait promis à une longue vie en playlists, se rangeant quasi immédiatement parmi les classiques de ces dernières années. Impossible donc de passer à côté de cette collaboration parmi les plus abouties et les mieux réussies des deux Essoniens.

2. En Featuring avec Fally Ipupa : À Kinshasa (prod Noxious)

Oh la jolie balade que nous a produite Noxious pour survoler ces trois minutes d’une douce nostalgie, distillée avec un tact et une sincérité immense par un Ninho calmé d’un coup par la présence charismatique de son aîné Fally Ipupa. Honoré, sûrement, diminué, certainement pas. Ninho tient la route avec fierté face au groove implacable de son invité. Ipupa, dans ses backs et ses vibes, apporte une profondeur tout en rondeur qui soutient avec une fidèle fraternité, un cœur qui se met à nu, concède un attachement immense, permet enfin à Ninho d’explorer un registre qui le laisse exprimer toujours plus. Sous l’apparente simplicité de son court couplet rapidement posé pour laisser toute la place à un refrain hyper efficace, répété comme un mantra, le jeune Essonien offre ici encore une prestation qui force le respect. En deux langues, les placements restent impeccables et les rimes transpirent avec justesse l’émotion du voyage. Et cette envolée chantée pour sortir la tête et le cœur du bourbier parisien vaut largement, à elle seule, une certification du single en or en trois mois.


3. En Featuring avec Sofiane & Hornet : Longue vie (prod Zeg P)

Beaux joueurs, et ça mérite le respect, Fianso et Hornet ont quand même dû se bouffer un peu les doigts à la réécoute avant d’accepter de laisser Ninho tout balayer en une dizaine de vers sur ce morceau à trois. Malgré leurs performances plus qu’honorables et leurs couplets carrés, calés entre grosses punchs efficaces et kick peaufinés, N.I met à l’amende comme rarement ses partenaires de crime et efface avec son couplet central, monocorde et assassin, tout ce qui est passé avant et tout ce qui arrive après. Pas un mot plus haut que l’autre mais tous parfaitement calibrés et choisis, pas une respiration laissée au hasard, pas un contre-temps ignoré, pas une rime bafouée ou une assonance snobée, on nage dans l’exquis. Rien que pour le petit air dédaigneux, d’une délicieuse cruauté, qui transpire de ses seizes, on avouerait presque qu’on se surprend à avancer le morceau pour commencer à sa première phase (à 1:16) puis à mettre en repeat avant même que Hornet ait commencé à poser. Aïe. Déroulez le tapis rouge, c’est panache.


4. En Featuring avec Mac Tyer : Moto (prod Prof366Or)

Après un feat remarqué avec Rimk il y a deux ans ans, d’ailleurs pas complètement dénué d’intérêt et qui aurait pu se retrouver dans ces lignes, ne serait-ce que pour le symbole de voir une telle connexion se faire, Ninho est plus récemment venu donner de la force a une autre vieille branche du Game. Tout en mesure, il s’est posé sagement aux cotés de la bête Mac Tyer alors qu’elle s’aventurait sur un nouveau terrain, pour l’accompagner, presque la guider, vers un environnement qui lui sied finalement plutôt bien. Le couplet en vers alterné, point d’orgue du feat, est une illustration parfaite de cette capacité qu’a Ninho à jouer avec son flow et à modeler ses featuring, apportant un savant dosage de passage en force et de retrait calculé pour se mettre en avant tout en laissant à l’autre la place qu’il lui faut pour briller. Au final, Ninho et Mc Tyer régalent sur un morceau missile, qui fait honneur au minimalisme efficace de Prof366or à la prod.


5. En Featuring avec SCH : Mayday (prod Katrina Squad)

Pour aller balayer le S en featuring, lui même étant une bête du genre, il faut quand même y aller et se lever tôt. Ninho a beau être un jeune loup qui a aiguisé ses dents longues sur d’autres lames acérées, il n’y aura pas de mise à l’amende possible ici. En revanche, on n’est pas venu pour rien non plus et on a le plaisir d’assister à un ballet de très haute facture. La complémentarité incroyable qui se dégage de ce duo repose sur l’excellence de la passe d’armes sur les couplets, entre enchaînement de mesures alternées, mimétisme de flow et back de gimmick en profondeur de champ. Si SCH tiens les manettes du refrain et fait davantage entendre sa voix, Ninho est loin d’être en reste et laisse le S lui donner toute licence pour souligner les habiletés, les ressorts d’écritures et les jeux de cache-cache auxquels il aime se livrer. Une mention pour la prod de Katrina Squad qui nous offre un piano subtil, classe et un brin flippant, dont la capacité à mettre en valeur les ponts et les silences en ferait presque le troisième larron du feat.


6. En Featuring avec Damso : promo (prod SNK)

Avec ce son plus récent, découvert sur M.I.LS. 3, Ninho penche dans un registre plus mélancolique pas inintéressant… Et qui de mieux, pour frapper à la tête en touchant le cœur, l’air de rien, que le groove indomptable du Belge Damso ? Chacun son couplet, mais pas chacun dans son monde, N.I et Dems se taille chacun leur tour une part de choix sur la jolie prod toute en douceur de SNK, autour d’un refrain bien taillé. Au delà de l’intérêt du texte et de la dentelle de sa rime, on aime retrouver dans ce duo ce qui fait la force de ces deux artistes et ce qui les rend si intéressants. Pour Ninho, on retrouve ces accents pesés minutieusement sur certaines syllabes en laissant deviner les autres, de manière à toujours, dire sans dire, attirer sans tout découvrir. Pour Damso, on se délecte de ce couplet construit autour de ces fameux jeux de sons sur les mots et ces seize riches et percutants. En restant justes, efficaces et impactant dans une ambiance désabusée, le Belge et le Francilien convainquent sans peine.


7. En Featuring avec Kpoint : Ma cité a craqué (prod K.Point & Ray Da Prince)

Invité poli, Ninho sait se comporter correctement en se faufilant tranquillement et en important les ficelles des ambiances musicales qui lui plaisent chez les accords de guitare de son voisin. Sur la forme, le feat est bien rôdé, chacun trouve sa place dans le creux du velours de la voix de l’autre, les backs et les échos sont nickels et chacun sait mettre en valeur le talent de l’autre, partageant la puissance du refrain et les rebonds d’un beat millimétré, entre flûte, percu et guitare en contraste. Bref, une écoute plaisir, un sans faute. Sur le fond, en reprenant l’avertissement de Menelik lancé un peu plus de vingt ans plus tôt, K.point et son acolyte étaient assez certains d’attirer l’attention de beaucoup d’amateurs. En guise d’hommage, on a plutôt une sorte de suite de l’histoire, qui en plus d’avoir clairement versé du côté obscur, d’ailleurs non sans une certaine fierté, envoie un nouveau signal à peine masqué avec une petite punchline l’air de rien made in Ris-Orangis. En lâchant un « T’as déjà fait ton temps faut laisser le rain-té aux petits » juste au dessus du refrain, on entend une sorte de « Ok Boomer », un message pour affirmer qu’une page s’est tournée, qu’on a changé d’époque et que la relève est déjà là. Aux vues de ce qu’elle produit, ça nous va.


8. En Featuring avec Sadek : Madre Mia (prod Kore)

Comme on aime ce Sadek au top de sa forme, déjanté comme jamais sur une prod lavée au poppers signée Kore. Vraiment, on ne s’en lasse pas de cet entremêlement parfait de voix si complémentaires en forme de tube de fin de soirée pour l’été des chichas. Ninho est ici un compagnon de jeu idéal, au niveau de son partenaire, bien positionné pour renvoyer les ballons et les bons mots, là où le Dionysien en a besoin pour marquer. Sadek et N.I n’en sont pas non plus à leur première collaboration quand ils posent pour ce son au sein de Vulgaire, Violent…, mais décidément la connexion 91-93 se bonifie avec le temps et au-delà de l’alchimie indéniable, on sens une bonne humeur et un plaisir évident à être là, à se retrouver pour kicker, beaucoup, s’impressionner, un peu, s’amuser, surtout, pendant quatre minutes qui défoncent.


9. En Featuring avec MHD: Bénéfice (Rim’s)

Et voilà Ninho sur une prod trap à souhait, efficace et percutante de Rim’s, invité à poser avec MHD sur un single plutôt taillé sur mesure pour son confrère, sur la compile de 50K. Trois minutes de claques, lâchées entre gimmick omniprésents, silences calculés et flow oscillant entre groove et placements violents. On en sort un peu sonné en se demandant ce qui vient de se passer, obligé de repasser la bande plusieurs fois pour prendre toute la mesure du missile un peu inattendu et l’apprécier pleinement. Surpris, du moins dans une certaine mesure, mais définitivement touché, on se prend le truc en se disant qu’on n’était pas prêt, ce qui suffit à nous convaincre que ce titre est un tour de force qui ne peut que confirmer que oui, le garçon est tout terrain et sa tenue de route peut nous emmener loin.


10. En Featuring avec Dadju : Le Grand Bain (prod MKL)

Bon, on le sait, on l’a dit, Ninho a quand même un gros potentiel baveux et un fort penchant pour le mielleux, caressant, entre deux coups de poing, un auditoire acquis, sur des prod peu innovantes et des textes un peu dégoulinants. Si peu de ces morceaux sont franchement attrayants, c’est toutefois encore en featuring qu’il parvient à nous convaincre sur ce terrain aussi. Donnant ici la réplique pour la deuxième fois en deux ans au génie assumé du genre, N.I s’oblige à assumer la difficulté de ce genre de morceau et se pousse à consentir l’effort, en dehors de sa zone guimauve de confort, qui le fait passer dans la catégorie du dessus. Comme sur « Jamais« , sa première collab avec Dadju -qu’on aurait pu trouver dans cette sélection aussi, d’ailleurs – il augmente clairement la puissance de ses mots et travaille mieux ses placements pour suivre le groove posé de la prod de MKL (lui aussi déjà là sur « Jamais« ). Pour une fois, c’est l’influence de son partenaire qui pousse Ninho à donner le meilleur, prouvant que le jeune loup garde partout l’humilité du travail et la volonté de se dépasser en cherchant toujours à s’entourer des meilleurs.

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