Sur le papier, dAMEbLANCHE est un duo constitué par les rappeurs toulousains Stick et Goune. En revanche, à l’écoute de leur album Virage paru il y a quelques jours, il ne s’agit pas d’un projet qui réunirait les deux rappeurs, mais plutôt d’une entité à part, qui relève d’un univers visuel, sonore et textuel distinct de ce qu’ils ont pu dévoiler dans les nombreux morceaux communs qu’ils comptent à leur actif. En effet, sans faire table rase de leurs sorties passées, les deux membres du label toulousain CMF se sont évertués à définir un nouveau terrain de jeu, tant au niveau de la couleur globale de leur musique, que du chant, des arrangements et de la direction des textes. Rencontre.
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Vous êtes sur le même label, Crazy Mother Fuckers Records, qui regroupe pas mal de têtes, de groupes, comment vous êtes-vous retrouvés à vous réunir tous les deux ?
Stick : En soi on s’était déjà réunis avant ça, on avait déjà pas mal collaboré ensemble.
Goune : On avait déjà collaboré ensemble plus qu’avec les autres.
S : Et puis on est les deux plus productifs du label à mon avis, c’est peut-être pour ça ! On a un rythme de travail différent des autres. On avait l’habitude d’enchaîner pas mal de sons, et on avait commencé à faire des sessions régulières de son après Glossolalie. On se retrouvait une fois par semaine, le mercredi, pour commencer mon troisième album dans un premier temps, puis on s’est mis à bosser tous les deux et à enchaîner les morceaux. On a essayé de se cadrer un petit peu par rapport au bordel ambiant qui est la marque de fabrique de CMF.
Quel a été le rôle de CMF dedans ? dAMEbLANCHE tranche avec le « son » CMF, si tant est qu’il existe…
G : Ça ne sort pas chez CMF. Comme on a capté que c’était une autre musique et qu’on ne voulait pas faire chier le public de CMF avec ça, on le sort sur Virage Musique, qui est une branche du label. Une branche alternative.
S : Voilà : « la branche alternative de CMF » !
Avant l’arrêt des concerts, dAMEbLANCHE existait déjà un petit peu, vous aviez commencé à enregistrer, mais on vous voyait quand même partager les plateaux CMF, j’en conclus que ça ne change rien à votre affiliation.
S : Bien sûr, ça reste la famille, ça n’a pas d’incidence là-dessus.
G : C’est le même RIB ! (rires)
S : Et puis surtout on continue à taffer des trucs en mode CMF, on est tout le temps ensemble.
G : C’est plus pour le public de CMF qu’on a voulu le sortir à part.
S : Oui, ils sont habitués à écouter un son punk / rap, s’il fallait coller une sorte d’étiquette, et dAMEbLANCHE ne rentrait pas vraiment dans cette case. On a donc voulu différencier les sons et les activités. C’est comme ça qu’est né Virage Musique.
Vous le travaillez depuis longtemps, il y a eu plusieurs moutures, je sais que vous avez attendu avant de dévoiler cette nouvelle formation. Stick tu me disais que tu voulais quasiment pas l’annoncer sur tes réseaux… C’était important que ce ne soit pas « Stick et Goune ».
G : C’était pour que les gens comprennent bien que c’est quelque chose musicalement à part, ce n’est pas du « Stick et Goune » comme on pourrait l’imaginer. C’était important d’arriver comme ça au début en tout cas, que les gens captent bien. On a beaucoup réfléchi et discuté pour trouver le nom, le logo, ce qu’on allait faire… Le but était de faire des chansons qui ne soient pas une réunion de Stick et Goune, mais d’une autre entité. On a vu d’abord ce qu’on voulait dire et faire. On s’est fixé un cadre et des règles pour faire de la musique dans un certain sens, pour que les gens comprennent bien.
S : Et puis tu as déjà des sons « Stick et Goune », que ce soit sur nos solos, sur les projets Salfrom qu’on avait faits ensemble (en trio avec Bazoo, ndlr), avec un côté « battle rap », beaucoup d’égotrip, sur lesquels on rappe beaucoup sur le rap. Alors qu’il n’y a pas beaucoup de chansons de rock sur le rock, ou des chansons de pop sur la pop.
G : On ne voulait pas faire du « meta ».
S : J’hésitais même à dire que c’était moi, j’hésitais à prendre un autre blaze pour bien différencier les deux. Pour moi ce que je fais en solo et avec dAMEbLANCHE sont deux musiques différentes. On a mis du temps à se mettre d’accord avant de se mettre sur le son, ça fait bientôt deux ans maintenant qu’on bosse sur dAMEbLANCHE ! Et ça se ressent forcément dans les trucs que j’écris en solo actuellement. Mais oui il y avait cette envie de différencier, non seulement pour nous, mais aussi pour les gens qui nous écoutent. Ils peuvent kiffer des morceaux de Goune, des morceaux de Stick, et pas dAMEbLANCHE. Inversement des gens pourront kiffer Dame Blanche et pas Goune et Stick.
G : Bien distinguer les noms permet de savoir à quoi s’attendre quand tu cliques.
Il y a eu les Salfrom avant comme vous disiez, où vous rappiez ensemble, et effectivement ça n’a rien à voir.
S : Si ça avait été dans la lignée de Salfrom on l’aurait appelé « Stick et Goune » sans se casser la tête. Peut-être qu’un jour on fera un « Stick et Goune » pour marquer la différence !
Histoire de finir d’embrouiller le public ?
G : Ouais ! (rires) Et puis on évolue constamment, donc peut-être que dAMEbLANCHE se fondra avec Stick et Goune artistiquement. Mais au moins les gens ne feront pas l’amalgame avec Salfrom, et ne seront pas choqués qu’on s’oriente vers un autre truc.
En dehors des couplets de l’un et de l’autre, quel a été le rôle de chacun de vous dans la conception de l’album ?
S : Goune a géré toute la partie musicales : les sons, les prods. Je n’ai rien ramené niveau instru. J’avais commencé à ramener des bouts de prods que je faisais à la maison, des petites boucles, des conneries, mais on ne les a pas exploitées. Moi j’ai surtout ramené des thèmes et des idées sur quelques morceaux. Après il faut dire qu’on a bossé ça sur une période où on se voyait tous les jours, du coup on avait des idées tout le temps, on se nourrissait des réflexions de l’autre constamment.
G : Pour la musique je tiens à dire que je n’étais pas tout seul, parce que sur les morceaux « Différent comme tout le monde », « Camomille » ou « Drugstar » il y a de la guitare, et c’est Quentin Graviou qui a apporté cette touche emo à laquelle on tenait. Je ne sais pas jouer de guitare, donc ça m’a beaucoup aidé. Et gros bisou aussi à DeZordre qui a participé à deux prods sur lesquels on est en binôme, pour « ATP » et « PPB ».
Goune, si je ne me trompe pas tu as sorti deux projets solos, Ricky Martin puis Grande canette, sans compter les projets Salfrom. Est-ce que Virage n’est pas ton premier vrai album ?
G ; Alors Ricky était quand même mon premier album, je me suis bien cassé les couilles dessus. Je l’ai pensé comme un album, mais je l’ai distribué comme… Comme un prospectus ! (rires)
S : C’est parce qu’il y a une face B de Booba qu’on dirait une mixtape, mais c’est un album.
G : Mais avec Virage on franchit quand même un petit palier. C’est le premier sur lequel on se fait chier à se poser des questions sur le processus après musique. Ça m’avait toujours fait chier d’y penser, mais là on a été obligé. Donc ça peut être un premier vrai projet sérieux.
S : Pour moi dAMEbLANCHE c’est le premier vrai album, autant pour lui que pour moi. Moi j’ai sorti deux albums qui en ont la forme, parce qu’il y a un début, une fin, que c’est propre. Mais au niveau de la qualité du mix, du master ce n’est pas au niveau de Virage… Il y a des arrangements dessus, chose que je n’ai jamais faite sur mes albums. Sur mes albums précédents, tu as une instru, c’est la même du début à la fin du morceau. Avec dAMEbLANCHE on s’est bien cassé le cul sur la réalisation du projet. Pour moi c’est le truc le plus propre qu’on ait fait à ce jour.
Stick, tes deux albums ont été pressés, ils ont été annoncés en tant que tel, aux yeux du public ils ont ce statut d’album.
S : Ce sont deux albums, mais dans la façon de travailler c’était différent.
G : Lui c’est l’inverse, il a sorti et annoncé des mixtapes comme si c’était des albums ! (rires) On va dire que dAMEbLANCHE est un aboutissement.
Vous êtes des rappeurs solo à la base, c’est pas compliqué de devoir partager le micro ?
S : On l’avait fait avec Salfrom déjà. Et puis on s’est fixé quelques barrières d’entrée quand on a commencé le projet, c’est-à-dire : on ne parle pas de rap, avec cette volonté de changer par rapport à ce qu’on a toujours fait. On ne fait pas trop d’égotrip, on ne dit pas nos noms dans l’album. Sur quelques morceaux on a même essayé de ne pas mettre de gros mots, même si moi je galère avec ça. A la base, quand on bossait tous les deux sur mon troisième album, je me disais qu’il ne fallait pas qu’on fasse trop de sons de plus de quatre minutes, parce que c’est mon gros défaut. (rires)
G : Oui, il y a des gens pour qui ne pas écrire 140 mesures c’est compliqué. Et moi c’est la première fois que je m’investis autant pour un groupe, que je ne me laisse pas porter. Et au début, tu as des décisions à prendre, ça te stresse, parce que c’est comme ton bébé, tu te rends compte que ça te concerne plus que ce que tu pensais. Au bout d’un moment on a trouvé la longueur d’onde sur laquelle on est tombé d’accord. Une fois qu’on a été d’accord sur la forme, ça a glissé tout seul.
S : On a eu très peu de désaccords pour savoir s’il fallait rapper ou chanter tel ou tel couplet. Juste sur des façons d’aborder des thèmes, des fois, et encore…
G : Et puis maintenant je lui fais plus confiance qu’au début de l’aventure. Comme je vois qu’on est arrivé à des trucs aboutis, stylés, validés par les deux, je me laisse plus aller.
S : A force de faire des solos on attrape des réflexes sur comment prendre une prod, ou quel thème aborder dessus, alors que l’autre peut avoir des avis différents. Le fait d’avoir mis un cadre nous a permis d’avancer plus vite après.
Stick, sur tes solos tu as une écriture dense, là le beat est ralenti, on retrouve des répétitions. Tu as travaillé différemment, tu as opéré une mise à jour ?
S : Ça dépend des sons. Pour certains ça a été galère, surtout au niveau du chant pour ma part. Je ne sais pas chanter, je chante très bien faux, mais pas du tout bien juste. Sur les albums précédents j’avais fait pas mal de refrains chantés faux, c’était un peu mon délire d’essayer de chantonner pas très juste. Et là justement, essayer de chanter plus souvent nous a fait adapter l’écriture. Après le but est d’affiner l’écriture à chaque projet, et de l’aérer. Chez beaucoup de rappeurs c’est comme ça, genre Sako de 2001 tu n’as pas une place pour une virgule, alors que ses trucs récents sont plus aérés.
Stick : « On s’est fixé quelques barrières quand on a commencé le projet, c’est-à-dire : on ne parle pas de rap, avec cette volonté de changer par rapport à ce qu’on a toujours fait. On ne fait pas trop d’égotrip, on ne dit pas nos noms dans l’album. »
On en revient à cette fameuse phase de Dosseh (« Un jour un ami m’a dit : « Ton problème, c’est qu’tu rappes trop fort /Tu gaspilles ton énergie pour tchi, tu donnes du caviar aux porcs » / Alors j’ai dû simplifier mes écrits, mais y’a des fans qui sont pas d’accord »)
G : Ouais, sur le son avec Nekfeu ! Après je ne le prends pas dans ce sens-là de simplifier l’écriture sur ce projet. C’est surtout qu’on a dû apprendre à chanter, et à écrire en vue de ça. En fait, chantonner, je le faisais déjà. Là l’idée maintenant, c’est de faire de la musique, mettre les deux pieds dans la chanson. Forcement ça change ton écriture de manière globale.
S : Tu dis les deux pieds dedans, c’est même un plongeon !
G : Du coup ça change tout. Au niveau ingénierie on s’est autorisé certains nouveaux trucs. Sur ce projet il y a eu plus de délires, plus d’ouverture, sans essayer de reproduire des patterns, mais en se plongeant dans ce côté deep, aéré, réverb’, autotune
S : On a testé pas mal de trucs, il y a des morceaux sur lesquels on a pris pas mal de temps, comme « Drugstar », qui est un de mes préférés. C’est celui qui nous a pris le plus de temps à poser, je ne te parle même pas du mix. D’habitude on faisait un son par session, pour celui-ci on a mis trois sessions pour trouver un premier couplet, puis un deuxième, un espèce de pont, et faire des tests. Je n’avais jamais bossé comme ça sur un son. Revenir pendant plusieurs semaines sur un morceau, en plusieurs sessions, c’est quelque chose que je ne faisais jamais. Pour tous les morceaux que je faisais jusqu’à présent, j’arrivais en studio, je posais, et c’était fini. Là on revenait sur les trucs, on retestait… Même sur des phases d’autres morceaux, on allait parfois retoucher un mot, ce que je ne faisais jamais avant. On a fait ça proprement.
G : Même dans le choix des morceaux, on s’est bien pris la tête. On a fait plus que douze morceaux, donc pour la tracklist on a testé plein de trucs. Tel ou tel morceau, le fait de le mettre dans le premier album donne l’impression de sacrifier un gosse, de l’envoyer à l’abattoir. C’est des trucs qu’on n’avait jamais trop expérimentés. On avait moins de certitudes.
S : Même si on a fait quelques chansons rap à l’époque aussi. Mais là, le fait de n’avoir fait que des chansons nous a fait dire : « Ah putain, cette chanson-là je ne peux pas la balancer maintenant, ou la balancer comme ça. » Alors qu’un morceau de rap basique tu l’envoies sans réfléchir.
Il y a une vraie couleur au niveau des prods sur cet album, avec des nappes, des guitares, des beats électro, pas un boom bap. Vous pouvez nous parler de la direction musicale que vous recherchiez ?
S : C’est vrai qu’il n’y a aucun boom bap. Je pense aussi qu’on n’a pas eu la prod boom bap qui nous a convenu sur le moment.
G : C’est parce qu’on veut toujours garder une direction en fait. Pour créer un univers, il ne faut pas tout se permettre. Ça a pu être un défaut de mes projets, notamment sur Grande Canette. D’une chanson à l’autre les gens se demandaient ce qu’il s’était passé. Là on voulait dire quelque chose, avoir un univers particulier, et c’est en se fixant des limites et en s’y tenant qu’on pouvait y arriver. Tu ne peux pas arriver avec un truc médiéval et y ajouter des rayons laser. (rires)
S : J’aime bien ce côté qui part dans tous les sens comme tu disais pour Grande Canette, j’ai l’impression que tous mes sons c’est un peu ça. Quand tu cliques sur un de mes sons, peu importe si c’est du Stick ou du dAMEbLANCHE, tu ne sais pas trop ce qui va arriver. Ça peut être métal, boom bap à l’ancienne, autotuné. Moi j’aime le son, j’aime faire de tout.
G : Moi j’ai l’impression que les cainris sont plus incohérents, et que nous on se formate un peu plus.
S : Les sons entre eux sont différents, mais il y a une couleur, et c’était le but recherché.
G : Là on est toujours sur une carte de visite. Le premier projet est là pour voir comment ça se passe, qui se prend les balles et qui ne se les prend pas.
En pensant à Goune et Stick sur un même projet, je me suis dit qu’il y aurait beaucoup d’humour et d’autodérision, et à l’écoute du projet je me suis dit que ce n’était pas forcément le cas. Il y a des thèmes, des concepts, des propositions, avec de la rime malgré les sonorités moins rap traditionnel.
S : Justement, c’était le truc aussi. On voulait faire des chansons, mais vu qu’on est des rappeurs on ne voulait pas mettre l’écriture de côté non plus. On voulait faire des trucs plus larges et plus actuels, en gardant une écriture solide, tout en se fixant les contraintes dont je te parlais tout à l’heure. C’était contraignant pour moi surtout, puisque faire de l’autotune n’était pas mon fort à la base, même si j’en écoutais.
Il est plus facile de repérer des multisyllabiques sur des BPM plus rapides, mais si on tend l’oreille à vos nouveaux morceaux, on se rend compte que les schémas de rimes sont encore là.
S : On n’a pas pu s’empêcher de kicker. Sur un morceau comme « Camomille », qui est assez bizarre avec son refrain, on arrive et on kicke.
G : On ne met jamais de côté ce truc qu’on a en nous. On ne pourra jamais arriver avec des rimes pauvres, c’est dans notre cerveau, c’est chiant même !
S : On a ça en nous, c’est foutu maintenant !
G : Après sur « Drugstar » par exemple, on a dû être plus flex, pour servir notre propos et notre musique.
S : Même sur « Fonfon », où on a voulu créer un délire fonfon, avec des gimmicks à la con. Le refrain est débile, et c’est fait exprès, c’est pour flex. Il y a des trucs comme ça où il faut ne pas se prendre la tête, à l’inverse d’autres morceaux sur lesquels il faut kicker, et sortir sa plume. Mais on a des réflexes, je ne peux pas faire des rimes en -é toutes pétées, comme celle que je viens de faire à l’instant. (rires) On ne peut pas faire ça en l’écrivant. Tu peux le faire à l’oral pour rigoler mais c’est tout.
La nuit a une place importante dans cet album, on a l’impression que le décor de cet album est nocturne.
S : On est des vampires.
G : Il y a un côté « Chroniques de la jeunesse qui ne vit que la nuit ». Moi j’ai l’impression que c’est une longue soirée aussi.
S : On n’a pas fait exprès, mais au niveau de la tracklist on dirait une longue soirée oui.
G : Tu arrives, tu commences ta soirée, et tu traverses plein d’émotions pour arriver à une délivrance finale après une longue nuit. J’aime bien ça dans les films, tu retrouves ce genre de délire dans « La 25ème heure ». On est sur une forme de musique moderne, actuelle, mais j’aime bien ce format d’album cohérent, à l’ancienne, comme un tout. Ce n’est pas juste une succession de trucs. Stick a beaucoup bossé la tracklist et l’enchaînement des musiques. J’avais bossé sur le mix, je l’écoutais en boucle, je n’en pouvais plus, et lui avait la vision de l’enchaînement, de voir comment on allait rarconter cette histoire.
S : Pour le coup, on n’a pas fait exprès à la base, on a mis ces morceaux-là sur la tracklist, mais en écoutant le projet, je me rends compte que ça fait presque un storytelling, une nuit d’adolescents un peu chelous que tu suis du début à la fin. Tu as des petites étapes. « Fonfon » c’est la soirée, « Tourner » c’est la redescente, une prise de conscience…
La drogue est effectivement très présente dans l’album, que ce soit dans « Fonfon », ou plein de petites touches au fur et à mesure de l’album.
S : Même notre nom, dAMEbLANCHE ! Après c’est un constat, la drogue est partout, autour de nous, de la jeunesse jusqu’à la vieillesse.
G : C’est omniprésent maintenant, c’est rare les soirées alcool / bédo où tu finis à 5 heures du mat’. Ça va chercher plus loin, pour chercher plus haut l’élévation, et de toute façon, dans la jeunesse d’aujourd’hui, ça se défonce plus.
S : Vu que c’est partout on en parle, même si je ne pense pas être un drogué personnellement, et je peux raconter ce que j’ai vécu, mais aussi ce que j’ai vu, les expériences des potes. Ce sont des choses dont nous sommes imprégnés donc on en parle beaucoup, parce que ça concerne beaucoup de monde, même dans le rap en général. Aujourd’hui on en parle beaucoup plus, alors qu’il y avait un discours hypocrite à l’époque, on savait savait que c’était faux. On vous connaît les rappeurs indés, on a fait des soirées avec vous ! Dans les chansons c’est tout mignon, mais dans les toilettes des salles de concert, c’est moins joli ! (rires)
G : C’est juste la réalité. Et puis cet album a un peu la prétention de parler du mal-être de la jeunesse. On a attendu d’être un peu plus vieux pour parler du mal-être de notre jeunesse. Quand tout va bien dans ta vie tu ne fais pas un parc d’attractions dans ton corps comme diraient Rick et Morty.
On ne retrouve qu’un seul feat, c’était voulu ?
G : Alors déjà dans l’idée on est déjà un feat. Et puis comme c’est notre premier projet, et qu’on avait des thématiques très précises, la question ne s’est pas trop posée. Pour un feat avec dAMEbLANCHE il faudrait quelqu’un un peu dans ce délire, ce serait bête de prendre quelqu’un qui se force à rentrer dans le nôtre. Ce n’est pas le but de ce projet, à l’inverse des projets CMF, avec tout le monde en feat sur un morceau.
S : C’est un univers à part. Cette année on nous a demandés des feats, et on en a fait, mais en mode Stick et Goune, pas dAMEbLANCHE. Au passage big up à L’Apo pour le feat qu’on a fait avec lui. Le seul feat de l’album c’est Slex, qui est un groupe qui réunit trois kickeuses de ouf. Leur univers se rapproche pas mal du nôtre, que ce soit visuellement, musicalement ou dans le propos. Gros big up à elles, c’est elles qui correspondaient le plus à l’album. On remarque bien leur partie quand elles arrivent parce que ça kicke, et elles ont des sales punchlines, qui font mal. Elles se fondent bien, ça ne dénote pas du tout avec le reste de notre univers.
G : J’invite les gens à aller voir sur Youtube, elles ont sorti des morceaux par ci par là, des freestyles, plein de trucs. C’est très musical, ça kicke aussi, c’est dans le même état d’esprit, du punk en caresses, sous autotune.
La pochette est à l’image du projet, et correspond aussi à cette volonté de ne pas apparaître comme Stick et Goune. Vous n’êtes pas représentés dessus comme sur vos pochettes.
S : Visuellement on trouvait ça mortel, et on voulait jouer aussi sur le côté dAMEbLANCHE. On trouvait le nom cool, pour deux mecs qui rappent. Et puis esthétiquement on ne voulait effectivement pas jouer sur nos deux personnages. On voulait une pochette qui n’a rien à voir avec les artistes qui posent dessus, mais qui t’amène dans un univers. Ça colle plutôt pas mal. Tu comprends où tu mets les pieds.
G : Après on ne s’est pas trop pris la tête non plus. On trouvait ça quand même bien d’être dans certains clips. D’ailleurs c’est la première fois qu’on pense à des clips où on n’est pas dedans. Perso je n’en avais jamais fait. Le confinement nous a fait penser à de nouvelles façons de clipper aussi. Le titre et les idées qu’on amène sur l’album font qu’on n’est pas obligés de montrer notre gueule.
S : Bon, et puis les pochettes où il y a juste toi en photo, c’est un peu nul. Je n’aime pas du tout les pochettes classiques, avec le gars en train de sourire ou de faire la gueule. Il y en a plein dans le rap français, on dirait des albums de Patrick Bruel. Même une belle photo, c’est cool pour ton Insta, mais moi j’aime bien que la pochette raconte une histoire. Quand on se mettait en scène sur nos pochettes à nous, on avait quand même une petite histoire. Lui sur Ricky il est défoncé dans une cave sur un panneau stop, moi j’étais possédé sur un lit… On a jamais fait un truc en mode portrait, ou peut-être si, il y a dix ans sur un EP à moi où je fumais une clope… Mais sinon, si je peux éviter ce genre de merde… C’est pareil avec les clips. Pour les freestyles on peut faire un truc dans la rue, si on n’a pas les moyens de faire autre chose. Mais dès qu’on peut amener quelque chose de vraiment stylé avec une idée, on fonce.
Avec l’espace de liberté que semble représenter dAMEbLANCHE pour vous deux, ce n’est pas compliqué de ne pas partir dans tous les sens ?
G : Ca faisait partie du stress du début. Tu ne sais pas où tu vas, tu demandes si l’autre va avoir la même vision… Et puis quand tu n’as pas encore l’idée, l’image et le son, tu ne sais pas trop encore vers quoi tu vas… Et puis en avançant tu te laisses guider tout seul au gré de ce qui ressort, et à moment tu sais que c’est ça.
Goune : « On est sur une forme de musique moderne, actuelle, mais j’aime bien ce format d’album cohérent, à l’ancienne, comme un tout. »
S : On est parti dans tous les sens, on a testé des morceaux chelous ! Mais au final pas tant que ça, on a vite trouvé une ligne directrice. « Fonfon » est un des premiers sons qu’on ait fait en mode dAMEbLANCHE. Après ça on a fait des morceaux pour lesquels on s’est dit « Là c’est plus Salfrom », et on les a écartés. On s’est vraiment fixé une ligne. Moi j’ai kiffé, c’est un nouveau terrain d’expérimentation, ça me pousse à me renouveler. J’ai toujours kiffé le boom bap, mais je n’ai pas mis que ça dans mes albums précédents, il y a toujours eu des prods trap ou dirty. J’étais dans un confort d’écriture, avec des délires qui tournaient souvent autour des mêmes thèmes. Donc j’avais des réflexes à gommer. Un projet comme ça te permet de tout retravailler, et c’est ce que j’aime. Si je suis trop dans le confort ça me fait chier aussi, j’aime me foutre des défis. C’est pas forcément vrai dans ma vie, mais dans le son j’aime bien me faire des auto-compétitions.
dAMEbLANCHE est une formation qui s’inscrit dans la durée ?
S : C’est prévu, c’est au programme ! Restez connectés ! (rires)
G : Carrément.
Pour rassurer les fans de Stick et Goune qui se sentent un peu perdus, il y a des projets solos pour bientôt ?
S : Bien entendu, moi j’avais annoncé un planning sur Facebook que je n’ai pas du tout respecté d’ailleurs…
G : (Il coupe) Ça c’est notre marque de fabrique ! (rires)
S : Beaucoup de projets sur le feu et dans le four. J’ai un projet entier produit par Swed (beatmaker au sein du label CMF, ndlr) qui est enregistré. J’ai aussi mon troisième album solo qui est dans le four, il me reste juste un texte à écrire, j’ai enfin la tracklist complète, je suis très content. Et un deuxième dAMEbLANCHE, je ne sais pas si on peut en parler… On peut en parler ?
G : Allez. Le deuxième est déjà bien entamé, ça va être merveilleux, ça va approfondir le truc. Dans nos vies personnelles, ce projet a amené beaucoup de nouvelles situations, dont l’autogestion. Avec ce projet on s’est rendu compte qu’on pouvait faire un truc tout seul. J’allais dire un truc « parfait », mais le mix et le mastering ont sûrement leurs défauts, mais on arrive à une auto-gestion dans le son, avec un niveau musical réellement sérieux.
S : Je suis très content du projet et de la manière dont il sonne, j’ai rarement atteint ce niveau sur mes projets persos, mais par contre c’est beaucoup de temps. C’est la vraie différence avec les mecs signés qui peuvent te sortir un projet tous les six mois. C’est merveilleux, je ne sais pas comment ils font. Enfin si, ils ont un ingé attitré. Comme on ne peut pas faire que ça de nos vies, ça prend du temps de ouf. Mais ça donne de l’espoir de se dire : « Ah putain, on peut sonner comme ça, ça tue ! »
G : C’est ça, tu te dis que ça peut aller à l’infini maintenant. On ne s’arrêtera jamais de faire des projets. Que ça décolle ou pas, on n’a pas misé nos couilles dessus, on n’a pas à se dire « Merde, il faut que je retourne bosser. » On bosse déjà de fait.
S : On n’a jamais arrêté de bosser.
G : Exact, mais il n’y avait aucun investissement financier à faire en soi, donc c’est bon, on peut continuer.
Merci pour cette interview.
G : Je voudrais rajouter quelque chose. Tu as parlé de clips, et c’est intéressant de parler de l’image, et pour ça il faut parler d’Enzo (Inner Vision Films). Il a énormément participé à ce qu’on ait une esthétique bien plus belle qu’avant. On va taffer avec lui constamment, en ajoutant parfois d’autres personnes à la sauce. La vision et le travail d’Enzo collent nickel à notre univers, sachant qu’il a son propre style. C’est ce qui nous manquait, vu que le visuel joue énormément. Le fait d’arriver coiffés à la Peaky Blinders avec des lunettes est aussi un choix esthétique qui fait partie de notre univers à la fin.
S : Gros big up à Enzo, il tue. Il a de bonnes idées pour nous mettre en confiance, il est très vif, très réactif, il nous aide sur pas mal de trucs. Il fait vraiment partie de l’univers dAMEbLANCHE, donc il faut l’inclure.