Neka – Entretien pour « Noir Corbeau »

Lors de la très imposante line up présentée par Street-Addict le 13 décembre dernier à la Case-à-chocs, Neka était invité à partager la scène avec 10vers. Ce fut l’occasion pour nous de le rencontrer pour parler de plein de choses et en particulier de son premier album solo, « Noir Corbeau », qui devrait voir le jour courant février.

Tout d’abord, pourquoi ce nom, Neka ?

Alors ça vient de Gengis Khan qui était un empereur mongol et qui est devenu connu pour ses conquêtes. Donc à la base j’avais ce blaze et j’ai pris le verlan de Khan après coup car je graffais un peu, et Gengis Neka était trop long à écrire. J’ai donc juste gardé Neka, et Gengis Neka pour quand je fais des prods .

Peux-tu nous raconter ton parcours ?

Quand on a commencé en 1995 on était quatre dans Le S’1drom. Il y avait Menshen, un poto qui s’appelle Asoka et Mendo. Asoka est vite parti et on a tourné un peu plus d’une dizaine d’années à trois. Puis Mendo a dévié de fil en aiguille et il fait maintenant de la guitare. Donc il est toujours dans la musique mais le rap c’était un passage. On a continué avec Menshen et Dj Toots qui fait partie du groupe depuis une bonne dizaine d’années maintenant.

Comment le Rootscore est-il né ?

On a intégré le Rootscore à l’époque où on était quatre. Le crew regroupait une vingtaine de personnes dont un groupe de métal et autre de reggae. Donc nous on a débarqué avec le rap et on a monté le studio parce qu’avant c’était plus un endroit de répèt’ et de chill. On a rendu le truc un peu plus carré. On a ensuite monté un fanzine où on interviewait autant les groupes connus qui passaient dans le coin que des artistes locaux. C’était les prémices de l’émission de radio Rootscore. On a dû lâcher le format papier parce que ça coûtait quand même pas mal cher, le truc était auto-subventionné. On ne souhaitait aucun sponsor à part des petits arrangements avec des potes tatoueurs par exemple, on leur faisait un peu de pub dans le zine et en échange ils nous piquaient gratos… Notre optique de base c’est vraiment cet échange de donnant-donnant, on a toujours fait en sorte que l’argent rentre le moins possible en compte. Evidemment qu’à un moment donné il y a besoin d’argent mais c’est surtout qu’on s’en prenne pas entre nous. L’idée c’est vraiment « si t’as besoin je vais t’aider, de toute façon à un moment ou un autre tu vas m’aider aussi quand j’en aurai besoin ». Bon ça marche pas avec tout le monde, il y ‘en a beaucoup qui sont venus pour prendre sans donner. C’est pour ça qu’on a commencé à instaurer des prix. A la base on faisait 15 francs (10 euros) de l’heure et on a tourné une bonne dizaine d’années à ce taro. Puis on a augmenté à 25 chf (20 euros) de l’heure, ça reste assez abordable mais ça permet de voir un peu qui sont ceux qui sont motivés et de faire une sélection, car t’en avais parfois qui venaient à trois et mettaient cinq balles chacun pour fumer des spliffs pendant une heure. Nous on voulait vraiment un truc carré.

Comment vous en êtes venus à enregistrer des MC’s plus cotés et même des artistes américains (MOP, Army Of The Pharaohs) ?

Si tu veux on le faisait d’abord pour nous et notre entourage. Après petit à petit on a commencé à avoir des plans. C’est aussi beaucoup dû à l’émission de radio. Quand les artistes sont dans le coin on essaie de les faire venir au studio. C’est vraiment ça le concept pour pouvoir faire l’interview puis faire un freestyle de qualité en cabine. Le fait d’inviter les artistes pour l’émission nous a souvent permis de leur proposer des featurings, ce qui nous a donné la chance d’avoir des gens comme Buddha Monk, Shabazz The Disciple, Dany Dan, Nakk, La Rumeur, King Magnetic, Onyx..

Est-ce que cet album solo est le fruit d’une suite logique après une carrière avec Le S’1drom ou plutôt une envie soudaine ?

A la base je ne suis pas un rappeur solo, je me voyais mal rapper sans Menshen. Le truc c’est qu’au sein du Rootscore, on avait une période creuse où pendant six mois il n’y avait aucun album prévu. De mon côté on m’avait souvent demandé de faire un album solo mais j’avais toujours refusé car comme je te disais, je ne suis pas un rapeur solo. De plus y’avait le troisième album du S’1drom qui était bien avancé. Donc comme il y avait ce laps de temps de six mois, je me suis dit pourquoi pas. A la base je voulais vraiment faire un petit truc genre 10-12 titres.

Le truc c’est qu’Inglourious Bastardz a pas mal fait parler d’un petit peu tout le monde, on a ensuite chacun taffé sur nos albums respectifs, il y a eu l’album de Jeff, l’album de Furax, on a tous « profité » de la sortie de l’album d’Inglourious pour faire nos projets, montrer ce que chacun savait faire. Et à côté de ça il y avait encore les projets qu’on avait laissés de côté pour faire Inglourious. Mais un album solo, c’était vraiment pour combler ces six mois. A la base il devait sortir en septembre et après tu sais comment c’est dans le son, c’est pas toujours évident de respecter les délais. Du coup je l’ai repoussé à février ce qui m’a permis de proposer un projet plus abouti d’une vingtaine de titres avec beaucoup plus de collaborations. il y a l’album de L’1Solence qui arrive aussi, l’album de Muchach qui est sorti il y a pas longtemps donc voilà.

Le titre « Noir corbeau » ainsi que la pochette laissent penser que la couleur de l’album sera sombre. Est-ce important pour toi de réaliser un album assez homogène, ou est-ce qu’on aura droit à des ambiances variées ?

Au départ j’ai pas vraiment trouvé de concept parce que j’enchaînais les titres. Après c’est vrai que ce qu’on fait en général c’est plutôt sombre. J’ai commencé à remarquer que l’album était assez dark donc j’ai voulu donner une autre tournure sans non plus faire des trucs super joyeux quoi. De toute façon ça reste dans la veine de ce qu’on fait en général, du rap pas très festif.

En terme d’invités il y aura évidemment des têtes connues des collaborations que tu as pu faire ces dernières années mais aussi des surprises comme Koma. Comment en es-tu venu à connaître autant de monde ?

Donc Koma c’est 10vers qui nous l’a amené. Il le connaissait vu qu’il l’avait déjà programmé plusieurs fois. L’idée c’est dès qu’untel a une connexion ou un plan il essaie d’en faire profiter les autres. Donc là on a reçu Koma et on en a profité pour faire ce titre. Koma je l’avais très peu croisé, on avait fait une scène ensemble à Montpellier où il y avait tout Inglourious, la Scred, R.E.D.K, LaCraps mais bon en concert moi je suis toujours dans mon petit monde. C’est toujours mieux quand le gars vient au studio se poser un moment. On essaie toujours de connaître un peu les gens pour les featurings. C’est dommage de faire un titre pour faire un titre, faut quand même qu’il y ait un feeling qui s’installe. Après pour le reste des feats c’est presque normal qu’ils soient sur l’album comme tu l’as dit. Que ce soit Menshen, M.Etik, Amanite, Muchach, DJ Toots avec qui on fera un morceau Rootscore Crew. Il y aura aussi un autre morceau avec Menshen juste lui et moi.

On pourra aussi y trouver Jeff le Nerf, 10vers, M-Dot qui est un pote ricain de Boston qui était déjà passé deux trois fois au studio. Grain d’sable qui est un bon ami à Jeff et avec qui on avait deja taffé pour son album, LaCraps aussi qu’on avait croisé à Montpellier justement, Abrazif. dernièrement j’ai fait un feat avec Test d’ATK et je pense que je le placerai sur l’album. Il avait un titre à faire et je l’ai fait poser gratuitement du coup je lui ai proposé de faire un son pour l’album. C’est typiquement le genre d’échange que j’aime bien.

Tu as une écriture très spéciale comme l’a prouvé notre article à ce propos. Est-ce que tu as une méthode particulière pour écrire ?

Je me prends beaucoup la tête avant l’écriture. Déjà il me faut un thème, c’est pas possible autrement. Il me faut un fil conducteur, même si c’est qu’un mot. Ensuite je fais beaucoup de travail avant d’attaquer le texte. J’essaie de trouver plein d’idées, des rimes qui s’y rapprochent. Ensuite quand je commence ça se construit tout seul. Sinon j’essaie de varier un peu les placements, c’est le même travail que n’importe quel rappeur je pense. Je refais beaucoup, je laisse des trous. Je construis mon texte comme un puzzle en fait. J’ai aussi du mal à poser tout de suite un texte que je viens d’écrire, je préfère maquetter et bien reposer ensuite en le connaissant par coeur. J’aime bien reprendre mon texte le lendemain parce que je peux avoir une autre vibe tu vois. Je suis en studio tous les jours donc je peux me permettre de prendre le temps. Après des fois on est un peu sous pression, on a peu de temps donc je le pose tout de suite mais c’est pas ce que je préfère car je retrouve toujours quelque chose à corriger.

Tu seras aussi à la production sur ton album…

Pour l’instant j’ai produit qu’un titre, celui avec M-Dot. J’avais une autre instru que j’avais mise de côté sur laquelle je suis en train d’écrire, mais bon là je suis déjà à 19-20 titres, ça me permettra de faire une sélection. J’ai beaucoup bossé avec Hell Gordo de Bordeaux. Il a vraiment su cerner mon truc donc il m’a envoyé plein de prods. Il y en aura aussi de Lyrikal Records, SuperVillain, Nizi, Mani Deiz, El Gaouli aussi qui m’a produit le feat. avec Grain d’sable. J’ai un peu lâché la prod ces derniers temps parce que j’avais trop de taf à côté tout simplement.

Du coup tu rebondis sur ma question suivante, est-ce que t’attaches autant d’importance au beatmaking qu’au rap ?

Alors à la base non, c’est plus le rap. Tu vois au sein du Rootscore il y a plein de petits tafs qui se rajoutent, entre le rap, le beatmaking, la photo et le graphisme, les enregistrements des autres groupes, mixage, mastering, le management du Rootscore, etc. A un moment donné faut savoir lâcher certains truc et comme on taffe avec Lyrikal Records qui nous font des putain de prods, je sais que j’aurai toujours des bonnes instrus sous la main. Ça doit faire cinq ans qu’ils sont au studio et ils ont du faire plus de mille prods.

Tu accumules plusieurs casquettes : rap, beatmaking, graphisme, ingé son, gestion de studio… Est-ce que la musique te fait vivre ?

Non je suis toujours obligé de me lever à 5h chaque matin pour soulever des cartons (rires). Déjà vivre du son en Suisse c’est pratiquement impossible en faisant des tarifs normaux. Nous en plus on casse les prix donc c’est pas facile. Là je bosse encore à 80%, j’ai pu lâcher ces petits 20%, et peut-être que j’arriverai à en lâcher 30 autres un jour. On est toujours au charbon.

Tu proposes de produire des albums gratuitement au Rootscore. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?

Faut savoir que tout ce qu’on fait au sein de l’équipe c’est gratuit. Lyrikal Records va pas me demander des thunes pour une prod dont j’ai besoin. Après si on fait un produit payant l’argent qu’on gagnera sera distribué parmi tous ceux qui ont participé. Mais je pense que ta question concerne plutôt les albums qu’on propose de produire gratuitement pour non-membres du Rootscore. Donc si tu veux on a des opportunités de subventions. On n’a jamais voulu l’utiliser pour nous parce qu’on était contre, puis on s’est dit « merde on paye des putains d’impôts, et y’a des putains de fonds autant en faire profiter les gens qui en ont besoin pour avancer dans le son ». Ça permet de récolter des sommes plus ou moins grandes. Donc les gens qui viennent on les aide à faire un bon dossier, mettre tout ce qu’il faut pour qu’il passe crème et qu’ils aient plus de chances de recevoir un petit peu de thunes, et voir ensuite avec ce qu’ils reçoivent ce qu’ils peuvent faire avec, et ce qu’on peut leur apporter avec le Rootscore. On arrive à proposer un projet de A à Z. Suivant ce qu’on reçoit on peut proposer un projet, les 15 titres avec les 15 instrus, le pressage, le clip qui va avec, et le mec il a rien à payer. Donc nous on fait rien payer et on prend sur la subvention en fait. Ça lui permet à lui de pas être freiné parce qu’il a pas d’argent.

Est-ce qu’il n’y a pas le risque de voir venir des personnes pas très sérieuses ou pas très bonnes comme tu le disais tout à l’heure ?

Je crois pas que mon rôle ça soit de dire qu’untel est bon ou pas. On a tous débuté, et moi j’aurais peut-être aimé pouvoir aller en studio et faire un album, c’est l’argent qui m’a freiné. Donc forcément il y aura des gens d’un niveau un peu moindre mais il y a aussi des gens qui déchirent qui sont venus faire leur album chez nous. Même si je kiffe pas ton rap je ne me permettrai pas de te le dire. Ça m’empêche pas d’aider le gars s’il galère. Après c’est sûr que si t’as des propos racistes ou quoi, tu dégages. Mais même si tu fais de la trap, moi qui n’en écoute pas du tout, si t’es dans ton kif il n’y a pas de raison. Il en faut pour tout le monde. En plus comme j’te l’ai dit Rootscore à la base c’est pas que du rap. En fait c’est de là que vient le nom, pour l’anecdote : Roots pour le reggae et Core pour le métal. Mais on a produit des albums de soul, r’n’b, rock, donc il n’y a pas de soucis.

Comment expliques-tu le manque d’exposition de beaucoup d’artistes suisses hors de Genève ?

Déjà je trouve qu’on ne s’aide pas assez entre nous. Dès qu’un mec va « percer » les gens vont le boycotter. C’est une mentalité un peu bizarre car ça donne de la force d’être soutenu par les gens de ta ville, surtout quand t’en as aidé la plupart. Tu regardes en Belgique dès qu’il y en a un qui avance, t’as tout le monde derrière lui. En Suisse j’ai l’impression que tout le monde taffe un peu dans son coin. Les gens pensent beaucoup à leur gueule. Après faut aussi y aller quoi. Combien de mecs ont pris le temps d’aller sur Paname, voir comment ça se passe ? Pas beaucoup je pense. En plus les mentalités ont changé, maintenant les gens sont beaucoup plus ouverts à écouter du rap des autres pays.

IBZ a beaucoup contribué à ça…

C’est un peu pour ça qu’on l’a fait aussi. Ouvrir les portes aux artistes suisses et montrer aux gens qu’il y a aussi du gros potentiel ici. Avant de monter Inglourious on a tenté de monter un regroupement qu’avec des artistes suisses. On a contacté des gars avec qui on avait déjà bossé. On était bien une cinquantaine dans le truc : des beatmakers, des rappeurs, des danseurs, des graphistes. Les gens disaient « ouais vas-y j’suis motivé» mais peu se bougeaient vraiment. C’est d’ailleurs à cette époque que L’1Solence (M.etik et Amanite) nous a rejoint parce que c’était des gars qui avaient envie de faire avancer les autres avant d’avancer eux-même. Moi je kiffe permettre à quelqu’un d’avancer parce que j’aurais aimé qu’on le fasse pour moi. Je pense qu’il y a moyen de faire beaucoup de choses en Suisse mais qu’on se met trop de bâtons dans les roues, pour rien au final parce qu’il n’y a rien à gagner. Je vis pas de la musique comme je te l’ai dit. Et je connais très peu d’artistes qui en vivent, même ceux que j’écoutais avant de rapper. Pour en vivre faudrait pas faire notre style de rap. C’est pas ce style-là qui est vendeur mais je préfère pouvoir me regarder dans une glace en faisant ce que j’aime. Rester fidèle a soi-même c’est important.

Merci pour cet entretien, un mot de la fin ?

Préparez-vous à l’album de L’1Solence qui arrive juste après le mien, en février si tout va bien. On prépare le troisième album du S’1drom avec Menshen et Dj Toots, celui de Muchach est dispo à la vente, on est sur celui de 10vers, le Black Album de Jeff le Nerf pour lequel on a déjà 6-7 titres. Il y a toujours l’album de Fu, l’album de L’Hexaler qui arrive, celui de la Bastard Prod aussi. Merci à vous pour l’interview et le partenariat sur l’album… Merci à tous les gens qui s’intéressent à notre taff ça fait chaud au coeur ! Rendez-vous très bientôt pour la sortie de « Noir Corbeau ». Paix.

Noir Corbeau : disponible courant février 2015

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