Novembre fut à l’image de l’année 2025 (jusqu’à présent) : riche en sorties de qualité et en propositions enthousiasmantes. À bien y regarder, et à l’inverse des mois précédents, ce sont essentiellement des artistes n’ayant plus grand-chose à prouver qui se retrouvent dans cette sélection, comme pour nous rappeler que mal vieillir dans le rap n’est pas une fatalité.
Le 7 novembre : Harry la Hache feat. Casey – Enfants de Gaza (prod. Menson Beats)
Si Casey avait du mal à garder le fusil dans l’étui, elle a assez peu d’hésitation quand il s’agit de brandir le couteau cranté d’Anfalsh. A fortiori quand il est floqué du drapeau palestinien. Avec son acolyte Harry la Hache (anciennement Prodige) ils nous délivrent un morceau comme eux seuls savent le faire. Pas de pincettes, pas de détours, le texte est cru, dit des choses et c’est d’autant plus important de les exposer clairement quand il s’agit de parler de Gaza. Ce morceau aurait eu sa place sans aucun problème dans notre sélection des 10 Bons Sons sur la Palestine. La prod full trap de Menson Beats rajoute aux côtés guerriers et sans concession des couplets des deux artistes. Si les aficionados de Casey ont tiré un trait sur un retour en solo de la rappeuse du Blanc-Mesnil (Libérez la bête fête ses 15 ans cette année…), une vidéo courte de Casey, Harry et B. James sur scène publiée il n’y a pas si longtemps sur les réseaux peut laisser croire aux plus utopistes un retour du crew au poignard. A défaut, qu’on libère Gaza serait déjà pas mal. – Rémi
Le 7 novembre 2025 : Lucio Bukowski & Oster Lapwass – Les harmonies Werckmeister
Plus de quinze ans après leurs premières collaborations, Lucio Bukowski et Oster Lapwass revenaient ce mois avec un album plus frondeur que jamais. Le beatmaker lyonnais a ici concocté une instrumentale funeste, comme une traversée de purgatoire. Lucio y apparaît éclairé par une curieuse lumière, scandant des lignes sinistres sur lesquelles planent quelques relents mystiques et une poignée d’envolées belliqueuses. Il trouve ici le bon équilibre entre le raffinement, l’aspect cryptique et l’intelligibilité. Ce duo, désormais mythique dans l’underground français, réalise encore un coup de maître en totale indépendance. – Jérémy
Le 19 novembre : Makala – Hôtel Yotsuya (prod. Varnish La Piscine)
Bien que présent sur un featuring avec Jäde ou encore sur un autre avec Daej Phantom, Makala se faisait très discret depuis son excellent Chaos Kiss, sorti en 2022. En solo, il y a bien eu le single « Ensemble Baby » en 2023, mais rien de plus à se mettre sous la dent, de quoi faire jaser les réseaux sur une possible retraite du rappeur suisse. Mais que nenni, mesdames et messieurs : le Triple A a fait son grand retour avec l’excellent « Hôtel Yotsuya » (Yotsuya est un quartier de Tokyo), toujours magnifiquement produit par le sieur Varnish La Piscine. Les ingrédients habituels sont là : nonchalance, punchlines acerbes et élégance immaculée. En espérant que la suite arrive bientôt, on peut nourrir quelques espoirs, vu le Zénith de Paris annoncé pour l’an prochain. – Clément
Le 19 novembre : Rocé & Natacha Atlas – La voie lactée (prod. Rocé, Cisko Delgado et Samy Bishaï)
Rocé nous avait laissé sans nouvelles depuis la sortie de Bitume en 2023. Le rappeur quasi-cinquantenaire revient et il est bien accompagné pour ce retour sur le morceau « Voie lactée » par la voix douce de Natacha Atlas pour accompagner les couplets. Cette association envoûtante de ces deux grands artistes est sublimée par une production magnifiquement orchestrée par les violons de Samy Bishaï. Dans le texte Rocé fait encore une fois preuve de grandeur, d’humanisme et évidemment de critique du capitalisme ambiant qui n’amène que guerre, inégalité et horizon sans espoir. Mais cette vision terne mais néanmoins réaliste du monde est contrebalancée par la beauté des chœurs chantés par Mme Atlas. Ce morceau est le premier extrait du nouvel album de Rocé, Palmier, qui sortira en mars prochain. Le rappeur du 94 n’a pas l’air de vouloir raccrocher son bonnet légendaire pour l’instant et ça nous va plutôt bien. – Rémi
Le 26 novembre : M Le Maudit – M16 GTR Commando (prod. Sheldon & YA5L)
C’est décidément l’édition des grands retours. Après Makala cité plus haut, c’est au tour de M Le Maudit de nous donner des nouvelles. Deux singles en featuring en 2024, mais pas grand-chose d’autre : il fallait remonter un an avant, en 2023, avec le sympathique EP M.A.C.R., pour trouver une réelle actu (ainsi qu’un passage remarqué dans le Grünt 63 de Chilly Gonzales). Bref, l’ancien membre de LTF et soldat de la 75e Session a annoncé son prochain EP : Metaforce, un 5 titres qui sortira le 5 décembre. Le morceau ci-dessous en est le premier extrait, posé sur une très belle prod mélancolique de Sheldon et YA5L, où toute la noirceur de M se déploie, portée par une mise en image tout aussi efficace.– Clément
Le 27 novembre : Keny Arkana – Foudroie les
Quoique absente, nous évoquions dans nos colonnes Keny Arkana à plusieurs reprises, que ce soit dans notre dossier sur l’année 2005 (avec la tape L’Esquisse), dans l’article 10 Bons Sons sur la Palestine (avec le titre « Gaza ») ou encore au cours de l’interview avec Namor (et la participation de la jeune Keny à ses ateliers d’écriture à la fin des années 1990). Mais nous ne nous attendions pas à un retour de sa part, chose faite avec le très énergique « Foudroie les », en cette fin novembre. Sur une prod drill qu’elle a concoctée, Keny montre qu’elle a travaillé ses kata durant sa retraite (elle n’a jamais négligé la forme d’ailleurs, malgré l’image qu’elle peut avoir). Comme on peut l’imaginer, elle a toujours beaucoup de choses à dire et défouraille tout en moins de trois minutes, avec sa musique incarnée, son interprétation tranchante, son écriture technique et sensée (« Ils ne comprennent pas que j’ai fui les projos, l’appât du gain ne m’a jamais animé, Ils s’étonnent que j’préfère la beauté du chemin que la ligne d’arrivée »). Cette déflagration pourrait bien être l’avant-gout d’un retour sur long format… – Chafik
Le 28 novembre : Stony Stone – Bougie dans le noir (prod. Boumidjal X)
Après plusieurs EP, des morceaux prometteurs, des freestyles remarqués et quelques collabs bien senties, le temps était venu de se lancer dans le premier album solo pour Stony Stone. Disons-le tout de suite, nous apprécions particulièrement sa formule et étions déjà un peu conquis avant même l’écoute. En effet, le gadjo semble capable de réconcilier ancienne et nouvelle génération. Respectant la rime (pas de remplissage ici), connaissant ses classiques (d’Oxmo à Aznavour, en passant par Diam’s notamment), les textes transpirent le vécu, bien aidés par une science de la mélodie, de l’autotune et un art des refrains bien maitrisé, comme sur l’intro « Bougie dans le noir ». L’album bénéficie aussi du travail de Boumidjal X, qui apporte à Stony la légèreté et la profondeur adéquates. En dépit de quelques morceaux sur la gent féminine et des feats qui ne nous ont pas convaincus, l’album est de haute facture et confirme tout le bien que nous pensions de Stony Stone. Avis aux programmateurs radio, diffusez-le ! – Chafik
Le 28 novembre : Huntrill – Gucci EN 2010 (prod. LamaOnTheBeat)
Auteur de deux albums l’an passé, Huntrill est l’un des hommes forts du moment. Des gimmicks efficaces accompagnent l’entrée de chacun des morceaux du bien nommé « Le bruit de la machine à billets ». Sur Gucci en 2010, il se laisse porter par la production paranoïaque pour dérouler son insolence. Le flow est cadencé, le refrain solide, et Huntrill brille une nouvelle fois par la qualité de ses phases et ses mille unes manières de parler d’argent. C’est à la fois précis et nonchalant, une combinaison qui ne peut que faire mouche. – Jérémy
Le 28 décembre : Caballero & JeanJass feat. Chilly Gonzales – Zushileaks
Quelle meilleure façon d’annoncer la mise en ligne sur les plateformes du volume 1 des Zushi Boyz (paru en vinyle en 2021), que d’asséner, quelques jours avant, quatre minutes de barz toutes plus inspirées les unes que les autres ? Sur une boucle de piano à la fois mélodieuse et lancinante signée Chilly Gonzales, Caballero et JeanJass s’en donnent en effet à cœur joie, avec des multisyllabiques dont on se délecte écoute après écoute, dans un savant mélange d’humour, d’égotrip et de violence. Et il faut se rendre à l’évidence : les années passent, et le niveau de rap des deux compères ne faiblit pas. – Olivier
Le 28 novembre : Seth Gueko feat. Jarod, Haroun, Davodka, L.I.K, Hayce Lemsi, Costa, Loko, Rocca, Matcap & Kanoé – Titi parisien 2 (prod. Hits Alive)
Techniquement, « Titi parisien 2 » aurait tout aussi bien pu s’appeler « Titi parisien 3 », puisque l’original avait déjà connu un remix fameux en 2016, sur lequel Seth Gueko avait invité Nekfeu et Oxmo Puccino. Et, dans le cas de cette troisième version, l’instru a été retravaillée, mais elle est toujours signée Hits Alive. Sur cette nouvelle mouture, c’est un posse cut dans les règles, sans refrain, que nous offre le rappeur de Saint-Ouen, avec un casting symboliquement fort. D’abord parce qu’il réunit différentes générations, avec des fines plumes issues des grandes ères du rap francophone : des années 1990 (Rocca, par exemple) à la décennie 2020 (Costa), en passant par les années 2010 (Jarod) et même années 2000 (Seth Gueko lui-même). Ensuite, parce qu’il convie des membres issus de collectifs parisiens légendaires, tels qu’ATK / Néochrome pour Loko, La Cliqua pour Rocca, la Scred Connexion pour Haroun, ou L’Institut / Wati B pour Jarod… Il y aurait encore beaucoup à dire sur les performances des uns et des autres et sur la mise en image, et nous manquons de place dans ce format, mais soulignons tout de même la présence d’Haroun sur le track, particulièrement discret depuis une dizaine d’années. – Olivier