Si le rap francophone continue de bâtir son héritage sur des fondations solides, il reste un terrain fertile pour les nouvelles pousses. Chaque génération amène ses codes, ses aspirations, et sa manière de tordre les mots. Nos rookies de 2024 ne dérogent pas à la règle et prouvent que l’année qui s’achève a été un bon cru.
Papi Teddybear
Apparu en 2023 avec la sortie de son premier EP EGO, Papi Teddybear s’était notamment fait remarquer dans l’émission lancée par le Chroniqueur Sale : « Le sale versus ». Cette année, il continuait sa route avec deux nouveaux EP, La chauffe, et La trempe. Une référence au travail du métal que l’on retrouve également en partie dans le clip de « QISHUI » ou encore dans certaines sonorités. Le travail esthétique est étonnant de la part d’un si jeune artiste qui paraît pourtant déjà bien construit. Avec le beatmaker Pense (notamment entendu sur les albums de BB Jacques) il s’est en tout cas trouvé un allié de choix pour développer son univers. Ce dernier lui offre des beats travaillés avec des samples originaux, tantôt groovys tantôt métalliques, et des batteries efficaces. Le style de Papi Teddybear surprend car il semble faire appel à des références US de la fin des années 90 et du début des années 2000. Sa voix, légèrement nasillarde, dégage un certain charisme et sa palette semble déjà bien complète. C’est un bon kickeur, il possède une certaine musicalité, ses refrains, si différents soient-ils, sont toujours prenants. On apprécie également ses références et sa capacité à naviguer entre humour cru, égotrip et chansons tristes.En bref, beaucoup de très belles promesses que l’on attend de voir matérialiser sur un format long. – Jérémy
LEDOUBLE – Chavi – OgLounis
En voilà une triplette digne d’un houblon québécois Magnum. A la différence que celle ci viendrait plutôt d’Occitanie, plus précisément de Montpellier. Découvert via la formidable Grünt 67, le trio a mis les bouchées doubles (sans mauvais jeu de mot) en 2024 avec pas mal de sorties, tout aussi qualitatives les unes que les autres. LEDOUBLE a sorti 2034, un EP 4 titres avec JEUNE SACHET, avant d’enchainer avec un cinq titres produit par Hologram Lo’, Enfant du Soleil (tu parcours la terre entière) et de ponctuer l’exercice 2024 avec LEDOUBLEDELAFONSDAL’, un nouvel EP quatre titres, toujours en collaboration avec un producteur (ici, Guydelafonsdal’).
Chavi, lui, après avoir tenté l’expérience au Barça, a suivi pratiquement la même trajectoire que son acolyte puisqu’il a également collaboré avec Hologram Lo’ sur No Ref, a sorti le sic titres 10 ans d’âge plus tôt dans l’année avant de conclure lui aussi avec CHAVIDELAFONSDAL dont nous vous parlions dans nos 10 Bons Sons de novembre.
OgLounis est du trio le plus discret puisqu’il a uniquement collaboré avec le beatmaker de ton beatmaker préféré sur OGDELAFONSDAL sorti en mars dernier, bien qu’on le retrouve ici et là en featuring sur les projets de ses comparses. Bref c’est beaucoup de listing mais c’est surtout l’occasion de vous inviter à découvrir leur univers et leurs plumes acérées, aussi à l’aise sur de la bonne vieille trap (shit) que sur des structures plus classiques et tout aussi poussiéreuses. – Clément
JohnF*ckingNada
Mentionné plusieurs fois dans nos colonnes, JohnF*ckingNada nous est apparu comme par magie, au détour d’une rotation radar des sorties / votre mix (comme quoi les algorithmes des plateformes gagnent en qualité). Anciennement nommé FFO RION et actif depuis 2022, on a pu l’apercevoir sur le très bon projet 3Trois en triplette avec GAL et Papi TeddyBear. 2024 a été une très belle année pour lui, avec la sortie d’un projet solo intitulé Grandeur et qui contient des morceaux brillants comme « Body Snatcher », « La Couleur du Ciel » ou encore « S’asseoir sur des lovés ». D’autres excellents morceaux sont sortis cette année, notamment « Winning » en avril dernier et « Le Voleur de Foudre » en octobre (référence à Percy Jackson ?). Aussi à l’aise sur du boom bap qui crépite que sur des bpms plus élevés et plus nerveux ou encore sur des productions drumless, JohnF*ckingNada incarne la force tranquille et apporte indéniablement une certaine fraicheur et une polyvalence remarquable. Sa saison de rookie terminée, à lui de nous confirmer son potentiel avec une saison sophomore à la Bilal Coulibaly. En tout cas c’est tout ce qu’on lui souhaite. – Clément
Solomando
On découvrait Solomando l’an dernier avec FROST (The spiritual writings), mais le rappeur lyonnais a clairement passé la vitesse supérieure en 2024. Au menu, trois projets, chacun avec un producteur différents : deux EP avec Bazz et Carson, et un album avec GREJ. Son style est calme mais convaincu (même s’il est capable de prouesses techniques lorsque cela fait sens) et au service de thématiques profondes. Armé d’un lexique mystique, il plonge sans gêne dans la métaphysique, la vie, la mort, et les émotions qui traversent la vie d’un homme. Une grande sincérité se dégage de sa musique. Chacun de ses projets prend une couleur différente, à l’image de Mourir avant l’heure où sa collaboration avec Carson tourne autour des références Soul et R’n’b qu’ils partagent. Ses influences sont larges : il évoque Freeway et les Diplomats ou bien 2Pac, mais surtout, l’un de ses rappeurs favoris serait Ali. Un cocktail assez rare, qui, couplé, à son vécu et ses envies, font de sa musique quelque chose d’assez unique dans le paysage rap français actuel. Son run de 2024 est solide et étonnamment mature. Nul doute qu’il aura la tête et les épaules pour continuer d’évoluer. – Jérémy
GAL
Découvert par l’intermédiaire de J. Neurast (que nous évoquions dans nos colonnes cet été), GAL est présent depuis fin 2021 avec un petit single mais surtout depuis 2022 avec un premier projet intitulé Cestino vol.1., il apparait également avec OGLounis ou L’Don en 2022 et 2023 sur quelques morceaux ici et là, avant de sortir den 2024 le très cool JeuneBeurDeLaFontaine (vol.1). A l’écoute de ce dernier, les deux années qui séparent ces deux projets paraissent le double, comme si GAL avait bossé dans la salle de l’esprit et du temps. Si Cestino vol.1 avait tout d’un premier projet (les mixs sont moins poussés, la voix est moins affirmée, les prod’s moins fines), JeuneBeurDeLaFontaine (vol.1) gomme tous ces petits défauts et à tout du premier projet prometteur qui sert de carte d’identité pour la suite. Au cours des 7 morceaux on découvre toutes les appétences du emcee : de la trap lugubre avec « mélodiedubas », des jolies boucles drumless avec « cellekejcapte », « letempsdunbackwood » et « saintcloud », du boom-bap obscur avec « lameufkejaime » et des expérimentations plus mélodiques autotunés avec « saveumefaire » et « surlebanc ». Côté écriture, c’est entre l’égotrip et l’introspectif, des thèmes bien évidemment récurrents dans le rap français mais encore faut-il savoir naviguer correctement entre les deux. Si certaines expérimentations me laissent perplexe, force est de constater que plus d’un morceaux à ce petit truc en plus qui laisse présager que du bon pour la suite. – Clément
Jeune Lion
Présent médiatiquement depuis environ deux ans, Jeune Lion s’est particulièrement fait remarquer en 2023 suite à la sortie de Highly spiritual, et tout particulièrement du morceau « Soul ». Né à Abidjan, d’origine allemande, il affirme une identité multiple « J’suis le fils de Jah, j’suis allemand, ils savent pas que je suis un rasta aryen« . Cette année, il sortait deux projets qui lui ont permis de passer un vrai cap. S/O Dieu est sans doute ce qu’il a livré de mieux jusqu’ici. Cet opus dispose d’une atmosphère sonore léchée faite de pianos et violons élégants et mélancoliques. Mais l’ensemble n’est pas traité à la manière boom-bap, non, cela ressemble plutôt à une bande-originale de film qui mettrait en scène un jeune homme en pleine ascension, protégé par le divin dans ses incessants combats contre les maudits. Le fond est résolument spirituel. Le ton, quelque peu nasillard est détendu mais assuré. Ses intonations sont arrondies, son flow mélodieux jongle entre les ruptures. Jeune Lion a une écriture agréable et il nous embarque naturellement dans ses combats avec son lexique mystique et animalier, fait d’anglicismes et de métaphores abstraites. Plus brut, son second opus de l’année intitulé Rule mi heart a un côté plus freestyle, plus direct, ce qui n’exclut pas non plus quelques moments de gloire à l’image du titre « ODD ». La jonction de son style affirmé et de ses choix musicaux bien pensés en font déjà un artiste assuré. – Jérémy
Tipi Mobb
Assez rare pour le souligner mais direction la Bretagne avec Tipi Mobb, duo de rappeurs rennais, composé de ya$$ et Don K et épaulés par leur beatmaker et ingé’ son 3.14. Actif depuis 2021-2022, le duo a sorti sept projets dont trois en duo et quatre en solo. L’année 2024 a été intense pour ceux qui rident la rue de la soif puisqu’ils ont publié un autre EP, intitulé Dans le Tipi et leur premier album, Vilaine Ride, dont on vous parlé dans nos colonnes en avril dernier. Ceux qui « ont fait un rêve ou l’Elysée était un strip club » sont plutôt flexibles puisqu’on a pu les entendre sur diverses sonorités, que ce soit sur leur album ou sur les deux singles publiés récemment. La recette est similaire à beaucoup d’autres noms cités dans ce papier : du boom-bap (mention Griselda en supplément), du drumless éternel (on a jamais autant dit de terme que depuis quelques années) ou de la trap qu’on pourrait qualifier de « classique » mais aussi assez récente. De l’autotune par ci par là avec des petites mélo’, ou du flow lancinant et hypnotique, c’est au choix. Pour ce qui est des thématiques, le Tipi Mobb partage leur quotidien, leurs virées d’hier, d’aujourd’hui et de demain et leurs réflexions sur le monde . Et pour reprendre leurs propres termes : « Le Mobb, c’est la bande-son idéale pour rider, que ce soit dans les coins les plus crades ou les spots les plus chics. » – Clément
Sana Fucks Snitches
Il a une voix qui rappelle un peu Népal ou Doum’s, en tout cas 2Fingz. Il masque son visage comme pas mal de ses congénères. Il fait de la musique pour les « insensés à l’âme sincère ». Sana Fucks Snitches n’a sorti que 4 singles cette année mais dispose déjà d’une proposition qui le différencie de ses comparses : il parle d’amour, d’elle, d’ailes, et chante la beauté des moments éphémères et l’ennui de la vie quotidienne. Des trémolos dans la voix, le rappeur nous plonge dans ses vagabondage de nuits, ou il se perd dans un chaos nocturne banal, où la frénésie des soucis étouffe le calme. Il faut plusieurs écoutes et presque une lecture assidue de ses textes pour y capter toute l’essence. Niveau sonorités, on est en majorité sur des accords mineurs de piano, des instrumentales très lancinantes souvent opposés à des rythmiques aux bpms élevés. Un contraste qui rappelle évidemment son écriture, à l’apparence simple mais aux références et au sous texte au combien profonde. Bref, vous l’aurez compris c’est un coup de cœur ou plutôt un coup de foudre, vu la fugacité de ses apparitions musicales. Puis rien ne nous dit que le rappeur ressurgisse puisque comme il le dit lui même : « le son n’est pas une fin en soi, ce qu’on veut, c’est créer des mondes« . – Clément
Acifiq
Auteur de deux EP cette année, le jeune rappeur parisien est parvenu à livrer deux belles cartes de visite. Sur le premier, Si c’était aussi simple, il rappe sa mélancolie et son envie de percer sur des prods aux teintes électroniques à fleur de peau. Il démontre qu’il est capable de rapper en drumless comme sur des rythmiques tendues, à l’image de l’enchaînement de « Remise à zéro » et de « Nocturne ». Le projet ne comporte aucun refrain, mais des variations musicales et des changements d’ambiance pour mieux contrer la linéarité. Sur le second EP, Couleur hiver, il collabore avec le très bon Kyo Itachi (entendu sur des albums complets avec Dany Dan, Ruste Juxx ou Lucio Bukowski). Cette fois, le beatmaker concocte des productions faites de pianos classieux et tragiques qui accompagnent parfaitement le spleen contemplatif de Acifiq, à l’instar du titre « Regard froid ». Couleur hiver est conçu comme une balade urbaine où le rappeur parisien trimballe son regard vitreux en analysant le monde qui l’entoure avec un certain sens du détail. Deux EP, deux ambiances donc, mais une même écriture poético-analytique sur chacun d’entre eux, le tout conté avec un flow clair et limpide. Acifiq rappe sa vie et ses envies avec une grande sincérité et reste transparent sur son début de parcours. De quoi donner envie de le suivre sur sa route. – Jérémy
Your Boy Posca
On termine avec un rookie qui a déjà l’aura d’un Victor Wembanyama (désolé les non basketteurs pour toutes ces références NBA) tant il a excellé sur sa première véritable année. Your Boy Posca est un rappeur et beatmaker qui nous vient de la capitale du rap, j’ai nommé Bruxelles. Il a sorti en 2023 un EP 3 titres intitulé Hi Joe. consacré au chanteur franco-américain qui adorait marcher sur la plage, sous le soleil de l’automne. Puis boom, comme cadeau de Noël de la même année, un morceau produit pour Boldy James, « They Vouching ». Rien que ça. Et comme ça ne suffisait pas, trois mois après, en mars 2024, il réitère la connexion avec le rappeur de Griselda Records, mais cette fois ci avec un 7 titres intitulé 1LB, et disponible seulement en physique. Toujours le même mois, on le retrouve derrière le micro avec Estee Nack, toujours pour une connexion Belgique / USA avant d’enchainer avec ses acolytes Eskondo, Le Seize et Agusta sur le morceau « A.R.008 ». Enfin, en mai, il sort son premier EP solo intitulé TPN, avec la casquette de rappeur, sur des instrumentales de JeanJass, Phasm, Agusta, Le Seize et lui même. Bref, si on résume, il produit très bien, il rappe bien, il a déjà connecté avec un des meilleurs rappeurs US des dernières années et son équipe est remplie de talents bruts… A surveiller comme le lait sur le feu. – Clément
Mentions honorables : Bayle, J. Neurast, Misa, STI, Rowtag, Big Sugar, Kingoss ou encore Hunter.