Rencontre avec Diez, activiste bordelais

Originaire du quartier Saint-Jean et activiste emblématique de la culture hip-hop à Bordeaux, Diez s’est lancé son plus gros défi l’an passé : l’organisation et la pérennisation d’un festival rap dans la capitale girondine. Après une première édition réussie en septembre dernier, le parc des sports Saint-Michel se tient prêt à accueillir le deuxième volet du Rest In Zik le week-end prochain avec des artistes comme Lino, Passi, Alkpote, A2H ou encore Limsa d’Aulnay. L’occasion pour nous de revenir sur le parcours de Diez, producteur et chef d’orchestre de cet événement sans précédent à Bordeaux.

Quels sont tes premiers souvenirs en tant qu’auditeur de rap ?

J’ai tout d’abord écouté beaucoup de rap français avant de me mettre par la suite à l’américain. Je crois que mon premier CD, c’est L’Homicide Volontaire d’Assassin. Ensuite forcément Arsenik, N.A.P, IAM, NTM, KDD. Je pense qu’on a un peu tous les mêmes références dans les années 90, même jusqu’au début des années 2000 avec des albums comme Mauvais Oeil aussi. C’est après qu’il y a eu diversification des publics. Pour le rap bordelais, des groupes comme Sans Identité originaire de Talence et Krim Verbal qui s’était bien développé.

Comment entres-tu par la suite dans la culture hip-hop en tant qu’acteur ?

J’ai d’abord démarré par l’impro comme ça pour s’amuser entre potes. Le vrai premier projet qui sort dans les bacs sur lequel je pose, c’était en 2003 sur une compilation qui s’appelait Tendance Impulsive. On était six rappeurs du quatier St Jean. Notre groupe s’appelait 6mik. Avec moi, il y avait Nars, Jo Frazier qui est devenu boxeur professionnel entre temps et qui a arrêté le rap, Criszal, qui depuis a déménagé sur Lyon. Ensuite, il y avait Osé qui lui est devenu réalisateur vidéo et Sayes, maintenant beatmaker. À l’époque on enregistrait d’abord dans des home studios. Il fallait faire ça en une prise.  Par la suite, on a pu accéder à un vrai studio situé pas loin de la place des Martyrs de la Résistance. Les ingés son utilisaient Cubase, ils pratiquaient des tarifs vraiment corrects. On y a enregistré notre deuxième projet, 2 fois plus impulsif en 2006.

 Étant originaire de la gare, aviez vous accès aux studios et à la salle de Barbey ?

On a toujours fréquenté Barbey et ses studios de répét’.  On y a eu accès grâce à Xabi, un musicien du groupe Shaolin Temple Defenders. A la base, il n’était pas de la mouvance hip-hop et le studio était axé sur d’autres styles de musique. Bordeaux a toujours été une ville rock. Malgré cela, le samedi matin, les rappeurs pouvaient avoir accès aux studios gratuitement. Ce créneau existe toujours d’ailleurs et a permis l’existence d’une base rap active sur Bordeaux. Aussi, on passait souvent sur radio Sauvagine qui été située rue Ferbos dans le passé. On avait une bonne relation avec l’anmiateur. On kickait des textes qui venaient d’être écrits le jour-même. On est aussi passé sur Radio Campus, 02 Radio, RIG, et  Black Box.

Par la suite, tu crées la structure Big Challenge pour pouvoir te produire sur scène et faire jouer des artistes à Bordeaux. Quels sont les concerts qui t’ont le plus marqué ?

Ça a commencé en 2012 avec Zesau. J’étais en première partie. On a créé l’asso avec un pote à moi et ma cousine qui est chanteuse. Comme événements marquants, il y a eu le double concert complet d’ Hugo TSR à Barbey. On a tissé des liens avec Demi Portion aussi qu’on a accueilli. On a fait venir Fianso et RK. Plus récemment Koba LaD. On a aussi fait venir des américains. Quand on a fait Pete Rock et CL Smooth, c’était quelque chose. Pete Rock, c’est mon producteur préféré. On a monté trois dates avec un ami à moi : Marseille, Lyon et Bordeaux.

Quelles différences vois-tu en tant que producteur d’événements entre les artistes français et américains ?

Pour les américains, il y a un niveau d’exigence supérieur, ça parle tout de suite d’hôtel quatre étoiles. Les riders dans les loges sont souvent plus conséquents. J’aime bien leur manière de travailler. Il y a des avantages et des inconvénients mais quoi qu’on dise, ils sont professionnels. Leur exigence te permet aussi de devenir meilleur.

À ce jour, tu penses que tu as organisé combien de concerts depuis la création de Big Challenge ?

Je dirais presque une centaine.

Vous aviez organisé un concert pour les les 20 ans d’ Heptagone d’ ATK.

Oui tout à fait, c’était à la salle du Vigean à Eysines. On a fait ça ensemble en co-réalisation. J’ai une très bonne relation avec le groupe.

Tu avais aussi fait venir la Bastard Prod qui jouait avec les musiciens de Dawa Deluxe.

Oui, la Bastard Deluxe. Ça a été mémorable parce que franchement, la prestation qu’ils ont fait en grande partie avec les choristes, les musiciens, c’était très, très lourd. Je crois qu’ avec Toulouse, on est les deux seuls villes à avoir eu droit à ce show. On avait déjà fait la Bastard Prod à Barbey et là les musiciens sur scène ont apporté une énergie différente. 

En plus de groupes comme la Bastard ou ATK, tu as aussi programmé des artistes tels que Da Uzi.

Oui, avec Da Uzi c’est par le biais de sa manageuse. Elle est animatrice radio et on avait sympathisé. Elle s’était rapprochée de moi en me disant « On a une date à Paris, on aimerait bien rajouter quelques dates en province ». J’ai fait marcher mon réseau pour la connecter avec des associations nantaises, marseillaises et lyonnaises.

Quelles étaient ces associations ?

À Nantes c’était avec Krumpp, à Marseille avec Otaké Productions et à Lyon avec Mediatone. Et nous, on s’était occupé de Bordeaux et Toulouse. Sur Toulouse, à un moment donné, on avait nos habitudes au Metronum. Donc on organisait nous-même, on n’avait pas besoin d’intermédiaires. On est bien connecté avec Toulouse, ce sont nos voisins.

Justement, puisque tu parles de la salle du Métronum à Toulouse, à Bordeaux, il y a un truc qui m’a marqué c’est que tu bosses avec énormément de salles. Tu as collaboré avec Barbey, la salle du Grand Parc, le Vigean, la Mac, Bellegrave, le Rocher de Palmer… Comment expliques-tu cela ?

Le Rocher de Palmer, par exemple, nous y sommes allés avec Hugo TSR parce qu’après avoir fait deux fois Barbey complets, il voulait passer à la vitesse supérieure. Il n’existait pas encore la salle du Grand Parc. Donc, on est parti au Rocher. Au Grand Parc, le prix de la location est intéressant. Pour la capacité d’accueil, c’est 1100 contre 1200 au Rocher. La salle du Grand est mythique, en vrai. Elle est restée fermée 25 ans mais la mairie a fait un effort en la rénovant il y a peu. Si tu regardes les groupes qui sont passés à l’époque de sa première vie, c’est impressionnant. Des artistes issus du rock comme The Cure et du raï comme Khaled.

Vu que tu parles des institutions, fais-tu appel à des subventions pour tes événements ?

Nous, on a réalisé notre première demande cette année. D’ailleurs pour l’instant on n’a toujours pas eu de réponse.

Pourquoi n’avoir jamais demandé auparavant ? C’était pour ne pas avoir de compte à rendre ?

Surtout pour ne pas perdre du temps inutilement. On ne voyait pas autour de nous d’autres assos qui avaient obtenu des financements, ni d’autres assos hip-hop qui nous ont motivé à aller dans ce sens. Monter des dossiers, ça nous a toujours paru chronophage.

Cette année, qu’est-ce qui t’a poussé à faire la demande ?

Là on ne parle plus de concerts mais d’organisation d’un gros festival. C’est un peu la mairie qui nous a incités. Et puis tu vois, finalement, on est à quelques semaines de l’événement et on n’a même pas encore eu de retour. Alors qu’on a déposé un dossier en janvier. C’est assez fou.

Dans quelques jours aura lieu la seconde édition du Rest In Zik festival. Comment est née l’idée de la première édition ?

L’idée, on l’a depuis la création de notre structure en 2012. C’est juste qu’on n’avait pas le finacement et qu’on a mis dix ans à constituer la trésorerie nécessaire. Moi, je voulais monter un festival et que quoiqu’il arrive, j’allais être sûr de pouvoir payer tout le monde. Je ne voulais pas me lancer dans un truc pour finir endetté. On attendait de réunir la somme qu’on s’était fixée et déjà, on était pas loin avant le confinement. Pour la petite histoire, en 2010 avec Nars, on avait sorti un EP commun et on nous avait invité à faire un petit festival qui s’est déroulé au square Dom Bedos sur Bordeaux. On a adoré l’ambiance, le fait que ce soit en plein air. Il n’y avait qu’une seule tête d’affiche nationale qui était Ol’Kainry. L’année suivante, l’événement n’a pas perduré. Je m’étais dit à ce moment-là que je voulais prendre la relève et monter mon proppre festival. Pour la première édition du Rest In Zik, on a dû prévoir un budget de 60 000 euros pour pouvoir ne pas dépendre des rentrées d’argent. Cela nous a même poussés à organiser un concert de rock celtique à la MAC 3 pour notre trésorerie. Dans la même salle où on a fait jouer CunninLynguists. Il y a tellement d’acteurs ces dernières années qui se sont mis dans l’organisation de concerts de rap que les prix ont gonflé. Et parfois, ça peut être plus rentable d’organiser d’autres types d’événements. Notamment de rock à Bordeaux. Je pense qu’il n’y a pas plus rentable dans notre ville. Si tu organises le même concert de rap à Bordeaux qu’à Lyon, tu peux te retrouver avec le double de places vendues à Lyon que chez nous. Et le cachet de l’artiste reste le même. C’est assez significatif.

Comment avez-vous élaboré la line up de la première édition sachant qu’il faut trouver un équilibre entre l’aspect artistique et l’aspect financier. Il faut aussi savoir viser un public qui a des goûts qui se sont diversifiés avec l’évolution de la musique rap.

Pour la première édition, on va dire que notre priorité c’était d’avoir un évènement qui se passe au mieux. Malheureusement pour nous, les acteurs du hip-hop, il suffit qu’il y ait une bagarre à la première édition et les services de la mairie ne te suivront plus par la suite. Tu risques d’être catalogué. Vraiment, sur la première édition, on a visé un public old school parce qu’on sait que le public hip-hop s’est assagi en vieillissant. Il y a une émulation incroyable, incomparable par rapport à des concerts isolés. C’est tellement spécial qu’on veut s’impliquer à fond. On a fait environ 1600 entrées payantes sur les deux jours ce qui est bien même si on aurait préféré faire complet. Notre objectif, c’est d’atteindre les 3000 et après, quand on aura fait une fois complet dans la configuration actuelle, on se permettra d’envisager une autre configuration. Déjà, même au niveau des réglementations, dès que tu passes 1500 spectateurs en même temps, ça change tout. Il y a des accords préfectoraux supplémentaires à demander, il y a des installations de sécurité. On se dit qu’il ne faut pas brûler les étapes. Cette année, déjà, on a rajouté des écrans LED en fond de scène. Chaque année, on a pour but d’apporter une meilleure expérience au public.

Et pour cette seconde édition,  comment avez-vous gérer la line up ?

Sur la deuxième édition, on a un peu élargi la grille de programmation. Et je pense qu’on va être obligé de tendre vers ça dans les années à venir pour grossir à chaque édition, tout en gardant notre ADN, comme on l’a fait cette année avec des artistes comme Lino, Nuttea ou Passi. Cette année, il y a une ouverture avec des mecs comme Limsa D’Aulnay ou Alkpote, qui touche aussi un public plus jeune. A2H vient avec les musiciens de The Players. Cela va apporter un plus, une touche musicale. Au total, nous sommes une trentaine de bénévoles dans l’organisation avec un noyau dur de quatre personnes.

La scène locale tient aussi une place importante.

Elle sera toujours représentée comme l’année dernière. Ça nous tient à cœur. Il y aura Guezess, Mhache, Esday, Alma Mango et Nach qui a gagné à la Draft. Cholo aussi qui vient de Pau mais qui s’est installé à Bordeaux il y a peu. Donc, on peut considérer qu’il est local. Et Gokay qui est monté sur scène pour un morceau avec Furax Barbarossa l’an passé. Du coup, on trouvait que ça avait du sens cette année de le faire ouvrir l’événement.

Peux-tu expliquer le système de la draft ?

L’année dernière, on a fait un concours freestyle. Celui qui obtenait le plus de likes sur Instagram rejoignait la line up du festival. Il y a eu de la triche avec de l’achat de likes. On a donc changé la formule avec des prestations scéniques de quinze minutes par artiste. Le jury composé de Fayçal, Touns et Seb, un des membres du Rest in Zik, ont délibéré. L’événement a eu lieu au Secteur, la boîte de nuit hip-hop de Bordeaux. On a eu 74 candidatures et on en a retenu dix qui ont pu monter sur scène. Il y avait vraiment un niveau très élevé. Et on a quand même eu des gars qui sont venus de Montpellier, de Paris, de Nantes ou de Biarritz.

Pour cette deuxième édition, les Nubians, originaires de Bordeaux, seront les marraines du festival.

L’an dernier, Koma et Mokless étaient les parrains. Ils ont vraiment tenu leur rôle en transmettant de bonnes vibes. Les Nubians, c’est vraiment un honneur pour nous aussi. Je pense qu’elles représentent la plus grande réussite en musique urbaine à Bordeaux. Je me rappelle plus jeune, quand j’ai acheté le disque Train of Thought de Talib Kweli et Hi-Tek, et que j’ai vu que les Nubians étaient en featuring dessus sur le morceau « Love Language », pour moi c’était incroyable.

En plus des réseaux sociaux, le street marketing semble avoir une place particulière dans ton mode de communication pour tes événements.

On a commencé par le street marketing avant même d’organiser des concerts. Lorsque l’on sortait un projet, on placardé la ville d’affiches. Aujourd’hui on continue. On bosse en 360. On alterne le physique avec le digital. Je pense que l’affichage est toujours nécessaire.

Tu as mentionné le Secteur. Parle-nous justement de tes fonctions au sein de cet établissement dédié au hip-hop.

Le Secteur, c’est une boîte de nuit hip-hop old school qui ouvre le week-end sur Bordeaux. La moyenne d’âge du public se situe entre 30 et 50 ans. Je suis maintenant en charge de la programmation artistique depuis octobre. Je fais venir des DJ et aussi des rappeurs pour qu’ils fassent des showcases. Là par contre, ce n’est pas associatif, l’aspect financier est encore différent car il y a de nombreuses charges fixes. On a eu récemment Stomy Bugsy, Arsenik, Rocca, Dj Fly, Dj R-Ash, Goldfingers, Dj Idem et plein d’autres.

Le mot de la fin ?

Rendez-vous au Rest In Zik festival, les 12 et 13 mai au parc des sports Saint-Michel à Bordeaux.

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