Confinés, déconfinés, dedans, dehors, en haut, en bas, euphorique, mélancolique, flegmatique… Ce mois-ci le rap francophone est, comme bien souvent, à l’image de la société qui le fait naître. Prolixes, peu avares lorsqu’il s’agit de partager opinions et sentiments, les nombreux artistes de la discipline sur qui la France peut maintenant compter ont été nombreux à se découvrir en ce mois d’avril, à prendre des risques et à se montrer alors que tout le monde ronge désormais son frein en attendant le mois de mai. Le tour d’horizon de ceux qui nous ont le plus marqués, en 10 bons sons, comme toujours.
Lesram – Wesh Enfoiré #2 -Dans Ma Bulle- (Prod. Senar)
Presque une année que nous n’avions pas entendu Lesram en solo sur un inédit, plus précisément depuis son premier EP G-31, sorti en mai 2020. Depuis pas grand-chose, excepté un featuring assez improbable et incroyable avec Nekfeu, sur la Don Dada mixtape d’Alpha Wann sortie pour noël 2020. Dès lors et comme à son habitude, le mot d’ordre était la discrétion pour le rappeur du 93310. Le mois d’avril 2021 débute sur un nouveau titre, « 9 et un 3 » regroupé sous l’égide « Wesh Enfoiré », gimmick de Lesram depuis l’époque Panama Bende. Trois semaines plus tard, c’est un second morceau qui est dévoilé : « Dans Ma Bulle » (n’en déplaise à Diam’s). Tandis que sur le premier morceau Lesram poursuivait son travail de refrain chanté commencé avec G-31, le second tend beaucoup plus vers du Lesram « classique », à savoir une technique assez hallucinante et des placements dont lui seul à le secret. Coté instrumentale, on reste sur du classique aussi, non pas le sempiternel boom-bap mais plutôt la prod trapuleuse et sombre qui sied à ravir à notre Marcel national. On espère voir un second EP plus rapidement qu’on ne le croit. – Clément
Le 2 avril : R.E.D.K. – Simple constat 7
R.E.D.K., le secret le mieux gardé de l’invincible armada de la planète mars, est dans la sono et poursuit sa saga. En livrant le « Simple constat 7 », il balance un bon son brut pour les puristes, un truc de fou, de dingue, de psychopathe. Les patterns s’enchaînent et mettent en lumière le talent d’écriture de Kader. Le chargeur est surchargé et le morceau fait l’éloge des nineties avec des dizaines de références à cet âge d’or (qui n’a pas tendu l’oreille pour toutes les capter ?!). Pour rendre hommage au rap français, R.E.D.K. a posé sur la face B du morceau « Le silence n’est pas un oubli » de Lunatic. Le clip n’est pas en reste et multiplie les clins d’œil à des pochettes emblématiques des années 90 (comme Youssoupha un mois plus tôt d’ailleurs). R.E.D.K. ne s’arrête pas là puisque le refrain est à base de scratches réalisés par DJ Khéops afin de boucler la boucle. Bref, classez-le dans le rap orthodoxe, R.E.D.K. fait une musique conçue pour durer et tout ce qu’il restera sera un micro et un chauve. – Chafik
Le 9 Avril : Maj Trafyk – Basquiat (Prod. Kyo Itachi)
C’est un sacré album de rap qu’a sorti le duo Maj Trafyk / Kyo Itachi ce mois-ci. Le premier, rappeur emblématique de Guadeloupe depuis plus de deux décennies déjà, et le second, beatmaker parisien génial, originaire lui de Martinique, ont travaillé, planifié, peaufiné, un opus dont la tracklist et la pochette, belles promesses dévoilées en amont de la sortie, étaient libérées comme des indices de qualité infaillible. Les 13 chansons d’Advienne que pera regroupent des invités de prestige, qui ont tous en commun une écriture incontestable et une carrière reconnue. Maj Trafyk s’est fait plaisir, et nous fait plaisir, aussi sur ses trop peu nombreux titres solo (six) comme « Basquiat », titre clin d’œil au peintre américain décédé d’une overdose à 27 ans. « Si je ne créé pas, je crève », et nous mourrons d’envie de continuer à entendre cette couleur de rap jusqu’à la fin de nos jours. – Antoine
Le 30 avril : Yuri J – Lossa shit (Prod. Neufcube)
La décrépitude. La décomposition. Voilà ce qu’évoque ce titre de Yuri J issu de son premier album solo. L’ambiance malsaine s’appuie d’abord sur une production éthérée à la rythmique frénétique et aux discrètes nappes sonores qui évoquent un vieux film de la Hammer en noir et blanc. Un carcan idéal pour un son brut, sans refrain, agrémenté de quelques drops bien sentis qui dynamisent le tout ; et pour des lyrics fétides faisant appel à l’obscurantisme, à la drogue voir à la folie, le tout distribué frontalement, mais avec une certaine dose de recul voir d’humour. Un morceau à retrouver sur l’album Panorama. – Jérémy
Le 22 avril : Benjamins Epps – Dieu bénisse les enfants (Prod. Le Chroniqueur Sale)
Depuis plusieurs mois Benjamin Epps a fait parler de lui, notamment au travers des comparaisons avec Westside Gunn qui font rage sur les réseaux sociaux, qui soit dit en passant, auront au moins permis à de nombreux auditeurs de rap français de découvrir le rappeur de Buffalo. Rajoutez à cela un nouvel EP produit par Le Chroniqueur Sale, accusé par certains de s’être fortement inspiré du travail de Beat Butcha, et vous obtenez un bruit de fond qui vient parasiter l’écoute sereine de Fantôme avec chauffeur, et faire oublier les talents d’écriture du jeune rappeur, et l’émotion dégagée par sa musique. C’est particulièrement le cas sur le réussi « Dieu bénisse les enfants », loin des clichés et des phases larmoyantes qui peuvent parfois entacher les morceaux premier degré dédiés aux jeunes pousses. – Olivier
JeanJass – Go JJ (Prod. Dee Eye)
Scindé en deux parties, « Go JJ » illustre bien les deux polarités de JeanJass. L’une dans la technique, l’égotrip, avec ses références aux femmes ou à la gastronomie, le tout soutenu par une certaine attitude, un sens de la désinvolture. La seconde, plus chill, sur laquelle il se joue des silences et laisse les dernières syllabes s’étirer, assisté par l’autotune et la réverbération. Là encore, le calme est olympique, même lorsqu’il s’agit d’évoquer la mort ! Chacun aura sa petite préférence. Reste que le rappeur belge prouve une nouvelle fois que sa palette est étendue. – Jérémy
Le 9 avril : Akhenaton – La faim de leur monde
Akhenaton a fait les choses en grand pour la sortie de son livre La faim de leur monde. Il lui a associé un morceau fleuve de dix-neuf minutes en écho au désormais classique « La fin de leur monde » sorti en 2007. Une quinzaine d’années plus tard, il est triste de se dire que ce titre n’a pas pris une ride, voire même que les choses se sont aggravées. Alors, avec ce son « La faim de leur monde », il prend sa plus belle plume et synthétise à nouveau les maux de notre temps. Si sa longueur en fait un titre assez particulier à écouter, il s’agit d’un morceau salutaire pour un rappeur qui a toujours envisagé l’écriture comme une façon de lutter, même si on aurait préféré qu’il n’ait pas à l’écrire. – Costa
Le 2 avril : Djado Mado & Madizm – Qui sera là
Pour clôturer le très bon Noor, Madizm sert un magnifique piano, quelques gouttes de pluie et des coups de tonnerre sur un plateau destiné à Djado Mado. Si ce n’est certainement pas le seul dans cet EP, « Qui sera là » est assurément le point culminant du disque en terme d’émotion ; outro oblige. Le rappeur n’hésite pas à s’ouvrir, parlant de sa fin de vie et de l’impact probable sur sa famille et ses proches. L’occasion, aussi, de pousser un peu plus sur les mélodies que dans le reste du disque, beaucoup plus kické. Le rappeur et le producteur mythique nous servent là une copie irréprochable. – Wilhelm
Lary Kidd – Keys On the Table (Prod. Ajust)
Le contraste radical qu’opérait « BLEACH » par rapport au reste du paysage rap québ a le mérite d’avoir permis aux auditeurs de se remémorer les débuts de Loud Lary Ajust, avec ses lots de moments de grâce habillés d’échantillons épurés. « Keys On the Table » en rajoute une couche puisqu’il officialise un véritable retour au source pour le MC. Ici, Lary est un capitaine chevronné et Ajust est un timonier donnant seul le ton d’un projet à paraître sous peu. Dans ce premier single, la froideur métallique de Surhomme est troquée pour la chaleur ensoleillée d’un sample de soul et l’ahuntsicois y renégocie les termes de son authenticité, passablement remise en question par les retours mitigés de ses premiers pas en solo. Profitant d’un jab à la concurrence, celui-ci rappelle les liens qu’il entretient avec le crime (« Je n’écoute pas LaF, mais tous mes H font de l’escroquerie »), discute de ses mauvaises habitudes de consommation (« Mon lifestyle est exécrable, baby ») et médite sur la légitimité de la violence (« Quand t’as faim tu te questionnes moins sur le port d’armes »). Bref, Lary a les crocs. Reste à voir à quel point, le 14. – Christophe
Le 15 avril – Ormaz – Reflex (Prod. Woosbad)
Court – mais on ne va pas se mentir – comme toujours diablement efficace… En ce premier semestre de 2021, Ormaz n’en fini pas de distiller sa potion magique dans nos oreilles. 2’10, un seul couplet, un flow impressionnant qui dompte une prod balançoire, se moquant des va-et-vient, fonçant simplement bille en tête, distribuant rimes percutantes et punchlines subtilement amenées avec un groove omniprésent. Le tout porté par un clip en noir et blanc simple, esthétique et aussi envoûtant que le flegme si intéressant du parisien. – Sarah
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