Isha croque la vie, augmentée, à pleines dents.

Près de deux ans se sont écoulés depuis LVA2, et la dernière pièce du triptyque d’Isha est enfin dévoilée. Encore une patate relativement courte, une petite demie heure encore bien tassée : le monsieur confirme avoir trouvé le format qui lui convient, un format qui nous convient aussi. Toujours aussi reconnaissables, la personnalité et le flow uniques du Belge décoiffent toujours un peu plus. Toujours plus ferme, toujours plus intense, toujours plus musical, toujours plus juste, Isha fait preuve sur chaque morceau d’une sérénité impressionnante, ni nouvelle ni surprenante, mais clairement plus palpable, tantôt surréelle, tantôt franchement nécessaire, toujours bienvenue. Nos émotions sont de nouveau montées sur un grand huit, un voyage en dix titres dans l’univers d’un artiste qui dévoile chaque fois davantage de couleurs sur sa palette. Quand quinze jours après sa sortie, le petit projet tourne encore en repeat – et en entier, c’est qu’il est temps d’en parler un peu plus.

Un peu à l’image des deux précédents opus, LVA3 s’ouvre sur un missile sans fioriture. Le décoiffant Durag, – dont on avait déjà fait l’éloge ici – nous fait tomber sans détour dans le puits des réflexions d’Isha. Nous voilà donc entrés en moins de trois minute de freestyle sans fausse note, dans le labyrinthe des pensées sans transitions du Belge. Une entrée en matière rassurante, puisqu’on retrouve dès l’ouverture le Isha direct qu’on aime depuis le début, précis dans les placements, agile sur les tonalités et décisif dans les textes. La recette est bien connue du format, puisque « La vie augmente » et « Justifie », qui ouvraient respectivement LVA1 et LVA2, ressemblaient aussi dans la forme à cette intro et s’étaient avérées une manière efficace de nous faire accrocher à l’ensemble.

Comme dans les précédents opus, l’enchainement de sons qui suit, entre ombre et lumière, crée un ensemble varié mais tient la route, reste très cohérent. Sur la plupart des titres, on sent une progression naturelle, absolument évidente, du style, mais aussi du traitement des thématiques et des intrus. Pourtant les mêmes démons semblent hanter les mêmes pièces, ils se sont juste fait plus petits ou bien plus gros, c’est selon. Entre solitude, peur de l’avenir, héritage culturel, et illusions, espoirs et révélations, pas un moment de répit pour l’auditeur attentif qui cherche à décortiquer la densité du propos. De punchlines acérées en douces images poétiques, Isha nous trimbale sur des prods qu’il continue d’aimer à contre-courant, pour nous désorienter et capter notre attention.

À ce petit jeu, « Les magiciens » remporte la palme du titre le plus surprenant et s’impose de fait comme un des plus gros cartons du projet. Non seulement sur le fond, illustration parfaite de cette habilité qu’a Isha à nous amener sur des territoires peu évidents, avec une simplicité et une justesse touchante et impeccable, mais aussi sur la forme, très musicale, où le chant, nouvelle corde bien tendue à l’arc du Bruxellois, se taille une part de choix. Sur ces quatre minutes empreintes d’un mysticisme parfaitement retranscrit par la prod toute en envolées lyriques signée Katrina Squad (d’ailleurs elle aussi plutôt du genre inattendu pour la maison), on reçoit en pleine face un récit posé avec pudeur et détermination, expression d’une humanité sans filtre, qui ne peut qu’émouvoir ceux qui, de l’autre côté des écouteurs, se retrouvent à entendre si naturellement un héritier de cette Histoire, la dire pour eux.

Dans un genre différent, mais tout aussi neuf, efficace et inspirant, « Magma » (qui avait déjà reçu nos louanges lors de sa sortie) est encore une pépite où la musicalité et le fond ont été accordés avec une minutie parfaite, mais qui semble absolument naturelle, pour livrer un morceau subtil et fort, calibré pour une écoute répétée.

Que dire de « Bad Boys » et « Chaud devant » ? Entre banger à moitié pop – à moitié tranquille, et egotrip teinté d’une modestie déroutante, le Bruxellois joue avec ses talents, les pousse dans leurs retranchements, appuie sur les bonnes touches et va approfondir un groove inné, soutenue par des beatmakers bien choisis et qu’on salue au tournant.

Pas deux prods du même beatmaker sur la tracklist, d’ailleurs. Si les potes Eazy Dew, sur Durag, et BBL (« Bad Boys » et « Boulot/Baobab ») sont toujours là et assurent de très jolies performances, offrant de nouveaux classiques solides au Belge, on se réjouit de retrouver d’autres jolis noms aux manettes des gros coups de cet opus. Bien sûr, Katrina Squad sur « Les Magiciens », qui en sortant de sa zone de confort, n’en finit pas de nous en mettre plein les oreilles, et on l’en remercie, mais aussi Dtweezer sur « Chaud Devant » et King Doudou, au sommet sur « Magma », qui permettent à Isha d’aller plus loin dans ce qu’il maîtrise déjà bien tout en le laissant exprimer pleinement, et en confiance, son talent sur de nouvelles ambiances. Enfin, le beat efficace et épuré de Medeline sublimé par le piano de Sofiane Pamart au refrain de « Décorer les murs » donne à Isha la parfaite main pour envoyer la dernière claque en outro.

De moins en moins solitaire, Isha s’entoure de plus en plus. Résultat d’une hype montante ou d’une meilleure capacité à s’ouvrir, on ne compte pas moins de quatre featurings sur LVA3. Plus ou moins attendus, ils sont habilement égrainés tout au long de cette petite demi-heure de kiff, avec pour ouvrir le bal, en tout début de projet, une belle collaboration avec le petit protégé Green Montana, qui explose de groove et de swag au refrain de « Bad Boys », prouvant qu’Isha et son équipe ont eu le nez creux en entourant ce rookie désormais intégré à l’écurie du 92I. Sur la piste suivante, « Tradition », la réplique, fine et intelligente, toute en mimétisme, de PLK est aussi une jolie surprise, et nous rappelle que le prolifique Parisien tient décidément bien la distance, et en tout terrain. Quant à « Idole » sorti l’année dernière avec Dinos, le morceau reste une belle séance de kickage à deux voix, dont la complémentarité évidente fait espérer une série de morceaux communs à venir.

Isha nous promet un album vers la fin de l’année et, considérant ce qu’on vient de manger non-stop pendant les quinze derniers jours, on ne peut cacher ni notre enthousiasme ni notre impatience. Une quinzaine de titres à venir prochainement, il parait, alors on se prend à espérer que, rapidement, des extraits vont tomber du studio. Maintenant que la vie a augmenté pour le Belge, on veut aller s’asseoir avec lui sur les hauteurs où il est monté, regarder encore avec lui notre monde, et sourire, durablement.

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