T.Killa, l’interview « 10 Bons Sons »

Alors que le 30 novembre dernier marquait les 20 ans de la première apparition de T.Killa sur les Liaisons Dangereuses, ce n’est que le 14 février de cette année qu’est enfin sorti Dernier malaxe, son premier projet solo. Si durant ces deux décennies il ne s’est jamais arrêté de faire de la musique, que ce soit avec son groupe K.Ommando Toxik, aux côtés de ses frères d’Ärsenik, ou en featuring avec les rappeurs de son secteur et la quasi intégralité des acteurs majeurs du rap français, ces centaines de morceaux ne représentent que la partie émergée de l’iceberg. En effet, cet entretien aura également été l’occasion de revenir sur des projets qui n’ont pas vu le jour ou n’auraient pas dû sortir, tout en soulignant leur importance dans le processus créatif.

1 – T.Killa & Scalo – « Armagedon » (Liaisons Dangereuses, 1999)

Je savais que tu allais me faire ça… C’est ma première fois. (rires) Ma première apparition officielle sur un projet, Liaisons Dangereuses, la compilation de Doc Gynéco. Un grand projet, et ma première fois dans un vrai studio professionnel. Avant ça c’était le Labo 6 chez nous à la Cerisaie avec le matos qu’on avait bricolé. J’ai été convoqué par le biais de DJ Ghetch qui m’avait conseillé à Gyneco et à l’équipe technique de la compilation, je suis donc allé faire mon boulot comme un mercenaire.

Quel âge avais-tu à cette époque ?

11 ou 12 ans.

Le K.Ommando Toxik existait déjà ?

Non… (Il réfléchit) Si, il existait déjà, mais sans Scalo, qui nous a rejoints après.

Ton blaze, qu’on aurait tendance à associer au célèbre alcool à base d’agave, tu l’avais déjà choisi à 11 ans ?

En fait ça venait d’un personnage d’un film de John Woo (A toute épreuve, 1992, ndlr), dans lequel on retrouve un personnage chaud qui défouraillait interprété par Chow Yun-Fat, et qui s’appelait Tequila. J’ai pris ce nom-là par rapport à lui. On pense souvent que c’était lié à l’alcoolisme mais non, c’est venu après ! (rires) Dans Dernier malaxe on s’amuse avec cette connotation.

Sur les liaisons dangereuses tu es crédité comme « Tequila », sur Fat Taf comme « T.Killah », etc. Quand est venue l’orthographe officielle ?

Comme j’expliquais dans La Sauce, comme j’étais un petit con qui n’était pas dans le coin quand on écrivait les crédits de l’album, les gens orthographiaient T.Killa un peu comme ils le sentaient. « Tequila » comme la vraie tequila dans les Liaisons Dangereuses, « Tekila » dans Première Classe, « T.Killah » dans « Misères et peines »… C’était tout et n’importe quoi alors que c’était T.Killa depuis le début ! Le jour où je me suis déclaré à la SACEM j’ai dû déclarer tous les surnoms pour retrouver tous ces morceaux.

2 – K.Ommando Toxik & L’Skadrille – « Tueurs nés » (Première Classe Vol.2, 2000)

Ça c’est le classic shit. Ce morceau m’évoque un grand moment de studio déjà. Il faut savoir que le concept c’était « Les face-à-faces du rap français ». Nous, étant de jeunes loups avec la dalle, quand on nous dit « face-à-face », on part sur un truc où on allait se rentrer dans les côtes. Puis l’équipe nous a dit de nous calmer, que ça restait un clash amical. Donc on l’a finalement joué plus tranquille. Un bon moment avec L’Skadrille, qui était en forme à cette époque-là aussi !

Le morceau a bénéficié d’un clip.

On l’avait tourné un mercredi après-midi, j’étais encore au collège moi. C’était un moment fabuleux. Il y a une anecdote sur le clip. On a tourné à Ris-Orangis, à la fin de la ligne D. Il fallait réunir tous les gars de Villiers, de chaque quartier. Ce n’est pas une époque où les téléphones étaient vifs, il fallait attendre tout le monde. Quand on est arrivés avec K.Ommando, L’Skadrille était déjà en place avec tous leurs gars, plein de mecs du 78. On commence à les saluer, on était quatre ou cinq. Ils nous demandent : « Toute votre équipe est là ? » On leur dit que non, mais on commence quand même à tourner les premières prises. A un moment tu vois le train s’ouvrir, comme au Far West parce que c’est une gare en extérieur, et tu as tous nos potos qui sortent. Le bordel que tu vois dans le clip à un moment, c’est l’arrivée de tous nos  gars, pile poil quand on a commencé les couplets. C’était magnifique. Bon il y a eu un peu de grabuge aussi, mais ça s’est bien terminé, ça va.

A cette époque tu es aussi sur Première Classe 1, Hostile 2000, etc. Tu étais un peu sur tous les projets…

C’était une période bénie je pense, on va dire que le périph’ était fluide… On a enchaîné pas mal de trucs derrière. PC1, PC2, Hostile 2000, on commence à se faire un nom à cette époque-là.

3 – T.Killa – « Misères et peines » (Fat Taf, 2003)

C’est Fat Taf, et ce morceau aussi est magnifique. Ce qui est fort, c’est que Ludo, qui a fait la compilation, m’appelle alors que j’étais à l’internat, dans une province obscure. Il m’appelle la veille de la réception de cet instru, et je venais de découvrir « Jurassic Harlem » grâce à Couvre Feu, je me cognais avec. Le lendemain il m’appelle et me dit qu’il a trouvé l’instru, et c’était le sample de « Jurassic Harlem » justement ! Tu vois pas la rage que j’ai dessus ? J’ai mangé la prod comme un loup garou ! J’aimais tellement cet instru que j’ai dû transmettre ma pensée à Ludo.

C’est ton premier morceau solo ?

Exactement. Premier solo officiel du Tek. Je revenais des montagnes, j’avais la dalle.

Tu avais envie de faire des morceaux solos à cette époque, ou tu étais plus dans une dynamique de groupe ?

J’ai toujours été un mercenaire. A la base j’avais commencé tout seul dans mon coin. Le groupe s’est monté après, avec Beksoul, puis Dojo, puis Scalo. Mais si on me dit : « il y a un contrat, il y a un truc à faire », j’y vais comme un mercenaire. J’arrive, je plie l’histoire. Que ça te plaise ou pas, le travail est effectué, au revoir.

Tes débuts étaient dans le sillage de tes grands frères ?

Pour mes premiers textes, je n’ai pas cherché à me dire : « Je vais faire du rap… » Mes frères étaient déjà dedans en fait, et au début je rappais avec eux dans la chambre pour déconner. Je faisais des freestyles avec Lino, on improvisait… Mon autre grand frère me faisait écouter pas mal de vinyles. Quand je n’étais pas dehors je m’envoyais du son. A force l’envie d’écrire et de rapper m’est venue. Et en voyant les frères, et en m’amusant avec eux en freestyle, j’ai vu que c’était possible.

4 – K.Ommando Toxik – « Street Réalité » (Microphone massacre, 2004)

Ah ouais t‘es parti chercher les vrais trucs ! « 95400 Villiers-Le-Bel style » ! Comment il s’appelait ce morceau déjà ?

« Street réalité ».

Exact, avec Kaz’ ! C’est dans Microphone massacre ça. C’est notre première mixtape officielle avec K.Ommando, notre premier projet fait par nous : de l’enregistrement au découpage de la pochette en passant par la gravure des CDs… On a tout fait nous-mêmes un été. On l’a enregistrée chez mon frère Calbo.

On te voit sur la pochette avec Beksoul. Vous n’êtes plus que deux, alors que vous avez été quatre à un moment. Comment vous êtes-vous retrouvés dans cette configuration ?

Au début c’était Beksoul, Dojo et moi. Scalo est venu après. C’est la vie qui a fait que ça a évolué, mais on est restés en bons termes, on est des amis.

On retrouve Kazkami sur le morceau, MC qui se retrouvera à croiser le micro de nombreuses fois avec toi…

On va dire que Kazkami c’est le frérot, un gars de l’équipage. Il était dans Ghetto Star, le collectif qui regroupait pas mal de mecs de Villiers-Le-Bel : Ärsenik, Armageddon, K.Ommando Toxik, Kazkami, Rety Bonap, Vichy Las Vegas, Rash… Kaz’ avait dit cette phrase « 95400 Villiers-Le-Bel style » dans son morceau pour PC2 avec Dadoo. Comme on ne voulait pas se casser les couilles à reprendre le scratch, parce que ça sonnait mal, on l’a appelé pour qu’il revienne faire la voix exactement pareil, basta.

5 – Lino feat. K.Ommando Toxik, Kazkami, Rash, Blasphem – « Tant que la foule braille (Rien à foutre) » (Paradis assassiné, 2005)

« Rien à foutre ! » C’est sur le premier album de Lino si je ne me trompe pas. Sur ce morceau tu as une formation bizarre, ce n’est même pas le Ghetto Star en fait…

J’allais y venir justement. Ce qui est curieux c’est que sur cet album, il y a deux morceaux collectifs qui se suivent en fin de projet, avec, entre autres, des membres différents du Ghetto Star dans les deux morceaux.

On n’est pas tous dedans effectivement. Il y a Blasphem, Rash, Kazkami et Beksoul. L’autre morceau (« A part ça… Tout va bien », ndlr), c’était avec des mecs du quartier de La Cerisaie comme Ascension.

Sur cet album on te retrouve également sur le refrain d’ « Agent dormant ».

Oui, ça s’est passé naturellement, comme tous les morceaux que j’ai faits avec mon frère. Je me baladais, j’étais passé au studio écouter ce qu’il faisait. Il était en train d’enregistrer « Agent dormant », je lui ai dit que j’avais l’inspiration, il m’a dit d’envoyer, et c’est comme ça qu’est né le refrain.

Pour revenir à Ghetto Star, un album a été annoncé à plusieurs reprises, y aura-t-on droit un jour ?

Je ne vais pas te mentir, un album était pratiquement fini à un moment ! On était tout le temps en studio, on a enregistré pas mal de titres, mais on a eu des soucis de dernière minute. Les collectifs c’est toujours plus compliqué à gérer. Peut-être que cet album verra le jour en « balles perdues », je ne sais pas… Mais on a au moins une vingtaine de morceaux avec Ghetto Star.

Quelle est la différence entre le Ghetto Star et le « 95 Nectar » que vous clamiez parfois ?

« 95 Nectar » c’était juste pour dire que le produit était l’essence même du 95, comme un coup de tampon qui certifierait que ça vient vraiment de là. Une identification au secteur, alors que Ghetto Star c’était vraiment le collectif en tant que tel.

6 – K.Ommando Toxik feat. Kool Shen, Davina & Kila Kali – « Chacun sa mafia » (Retour vers le futur, 2005)

« Chacun sa mafia » ? Ah oui, c’est Retour vers le futur ! Je me demandais : « Pourquoi il me met ‘Affirmation action’ ? » (rires) C’est avec Kool Shen, Davina et Kila Kali mon petit neveu, le fils de ma sœur. (Il écoute son couplet, ndlr) C’est bon ! Lui aussi a commencé tôt, mais il a finalement décidé de reprendre ses études et de faire autre chose. Mais sinon il était talentueux le petit, il aurait pu faire quelque chose de concret avec son poto Ou2s qui continue à rapper.

Ce qui est intéressant, sur ce morceau comme sur l’ensemble du projet, c’est que vous avez respecté la structure des morceaux d’origine, en respectant aussi la musicalité des couplets. Sur ce morceau, on retrouve une voix féminine, Davina en l’occurrence, sur le couplet de Foxy Brown par exemple.

Ouais, on a respecté tout ce que tu viens de dire, et on reprenait même les flows, des phrases, des textes… C’était le concept de Retour vers le futur : prendre des classiques du rap français, et les plier à la façon d’aujourd’hui, et tout en ramenant une nouvelle génération d’MCs, dont des jeunes émergents de la ville, qu’on mélangeait avec les acteurs du morceau d’origine.

Mine de rien, vous avez réussi, en 2005, à ramener sur un même projet Akhenaton, Stomy, Kool Shen, Le Rat Luciano, Rockin’Squat… Alors qu’entre certains d’entre eux il y avait des tensions.

Ça montre que cette époque-là était magique. Quand on l’a fait on n’a même pas calculé tout ça. Je m’en rends compte parce que tu mets le doigt dessus. On appelait les artistes, et c’était rapide. Les mecs ne chipotaient pas. Sur ce morceau Kool Shen est venu directement poser ses voix. On l’a sollicité sur deux morceaux en plus puisqu’il y a aussi « Laisse pas traîner ton fils ».

7 – K.Ommando Toxik – « Vida loca » (K.Ommando Toxik, 2005) 

Un morceau du premier album du K.Ommando Toxik. On avait envoyé ce single avec au refrain une chorale avec tous nos neveux et nièces. Tu les vois aussi dans le clip.

Vous les dédicacez à la fin d’ailleurs.

Quand tu fais de la musique, tu ne sais jamais où va atterrir tel ou tel titre. Celui-ci nous a ramenés à l’ambassade des États-Unis ici à Paname. L’ambassadeur nous a invités pour venir chanter ce morceau qui l’avait touché. Il faut dire qu’on avait tourné le clip devant une fresque de Martin Luther King. Je ne sais plus si c’est l’ambassade qui avait mis le blé. En tout cas ils nous ont invités, on a chanté, et on a ramené le Congo à l’ambassade des States ! (rires) Il y avait un même un barbecue !

A cette époque on peut vous retrouver sur des projets très « rue » comme l’album de Samat par exemple, mais aussi sur des morceaux plus ouverts aux côtés de rappeurs prestigieux comme Diam’s ou Soprano sur cet album.

On n’a jamais été fermés, réduits à une seule case. Déjà on écoute toutes sortes de musiques. Tu peux nous entendre sur des morceaux barbares comme sur des trucs plus mélodieux. Je n’aurais aucun problème à poser sur une guitare sèche par exemple.

Cet album a-t-il bénéficié de plus de moyens que les projets précédents ?

En vérité on l’a enregistré tout simplement au studio Coppelia, sans moyens de fou, même pour les clips. Quoique sur celui-ci il y avait un peu plus de blé. Mais pour le reste c’était des conditions normales, comme pour les projets précédents. On n’est pas allé l’enregistrer à New York. Diam’s est venue enregistrer au studio avec son petit scooter, normal, à une époque où elle faisait des émeutes quand elle s’arrêtait au McDo.

8 – Lino feat. T.Killa – « Césarienne » (Radio Bitume, 2012)

Ce titre-là a une magie. Si tu veux savoir la vérité, ça part d’abord d’une idée à moi. Je l’avais fait dans mon laboratoire à Villiers-Le-Bel. Des fois avec mon frère on aime bien s’envoyer des petits trucs et se les faire écouter. Lui, à ce moment-là, enregistrait le projet qui allait devenir Radio Bitume. Il a écouté, a trouvé qu’il y avait un truc à faire, on a continué ensemble, et poussé le truc jusqu’au bout, jusqu’à la phase sur la césarienne, qui a donné le nom au morceau.

Ce morceau est à la fois très technique, avec ses assonances en « èse », tout en étant introspectif…

C’est le genre de trucs qu’on aime faire, comme des exercices, des devoirs qu’on se donne à nous-mêmes. Après si tu connais bien le rap de mon frère ou le mien, tu sais qu’on peut partir dans la grosse technique, mais il faut qu’il y ait du sens.

A la fin du morceau, l’instru tourne tout seul le temps d’un seize mesures. Je me suis demandé s’il y avait un troisième couplet de prévu à la base, quand on sait que le projet était inachevé, et non validé par Lino.

Tu es parti dans des théories puissantes ! (rires) Alors non, mais si tu regardes l’instru tourne aussi sur les refrains. Comme le projet était inachevé, on n’a même pas fait le refrain, le truc est sorti comme ça. On voulait le peaufiner, le mixer, et peut-être lui mettre un refrain. Comme quoi les accidents créent des bons trucs ! Beaucoup de gens m’ont parlé de ce titre-là. Pour certains c’était la première fois qu’ils m’entendaient rapper tranquillement. Il faut dire que j’étais un sacré dragon à cette période-là.

Tu as beaucoup de morceaux avec Lino, est-ce que vous avez déjà réfléchi à un projet commun ?

Ça c’est les sauces internes… Mais on en a déjà parlé plusieurs fois, il y a des trucs qui se préparent. Petit projet ou mixtape, on verra bien comment tout ça s’emboîte.

D’autant que tu as rejoint tes frères sur les concerts Lino / Ärsenik en 2013.

Oui, juste avant la sortie de Requiem, puis après. On a fait pratiquement deux ans et demi de tournée.

9 – T.Killa – « On fait comment » (2014) 

« On fait comment ». Le premier morceau solo que j’envoie après une grande absence. Je n’avais rien sorti depuis Agents Libres du K.Ommando, et ça annonçait Liaisons Toxiques, mon projet solo qui n’est pas sorti. C’était une période durant laquelle je me questionnais beaucoup sur le monde. Pas mal de choses commençaient à changer, même au niveau de la musique. J’ai bien réfléchi, et je me suis dit que je ne voulais pas arriver avec un simple égotrip, il fallait envoyer quelque chose avec du contenu. Je voulais faire une sorte de « Misères et peines 2 ». Les oreilles des gens en avaient besoin, la preuve, le morceau a été bien reçu. Quand on le joue sur scène c’est un bordel, c’est aussi un morceau de scène.

« On fait comment » marque donc le début de ta carrière solo.

Oui. C’était mon premier shoot,

Liaisons toxiques n’est jamais sorti donc, et les « balles perdues » qu’on retrouve dans Dernier malaxe sont issues de ce projet ?

Voilà, les balles perdues sont issues du projet Liaisons Toxiques.

Pourquoi n’a-t-il jamais vu le jour ?

On a réfléchi, et on s’est dit qu’il fallait restructurer les choses. J’étais seul en studio, j’enregistrais non-stop, j’avais enquillé au moins une trentaine de titres si ce n’est plus. C’est pas que je n’étais pas satisfait, mais est-ce que c’était la bonne façon d’arriver à ce moment-là ? Et puis c’était aussi une question de timing, c’était un bordel, il y avait des morceaux de 2013, de 2015…J’ai préféré reculer pour mieux sauter.

Le concept de Liaisons Toxiques, c’était que je ne fasse que des featurings avec des mecs que je kiffais bien à l’époque : Sofiane, Dosseh, Abd Al Malik, Green Money, la MZ, Sadek… Il devait y avoir deux ou trois morceaux solo, et encore… Il y avait un morceau avec Sinik, Busta Flex, et Pascal Cefran qui animait le morceau, à la manière d’un freestyle radio. J’avais fait venir au studio le mec qui faisait la voix d’Heisenberg (le personnage de Walter White dans la série Breaking Bad, ndlr) pour l’intro du projet. Franchement c’était magnifique. Il y avait pas mal de choses, des surprises, dont un remix d’ « OFC » mon gars… Je sais que si tu l’écoutes, vu l’amateur de rap français que tu es, tu vas pleurer sur ta chaise ! (rires) Il y a au moins une trentaine d’artistes, d’AKH d’IAM à Médine, en passant par Scylla, Keny Arkana, Kalash l’Afro, Le Rat Luciano… Toi-même tu vas devenir fou !

Il faut le donner au peuple ce morceau…

Il y a des projets sérieux qui se profilent, mais le concept des « balles perdues » va perdurer sur le long terme, donc qui sait ? On va ramener du nouveau, tout en donnant à manger des bonus, que les gens sachent que je ne me suis jamais arrêté. On pense souvent que quand l’artiste disparaît il s’amuse, ou qu’il est en train de pioncer. Mais même dans mes états de doute, ou de recherche, j’ai toujours été au studio pour enregistrer. J’avais acheté mon propre matos à l’époque, et je posais chez moi. Maintenant on a restructuré, on a racheté du matos pour notre studio, qu’on a utilisé pour Dernier Malaxe.

Vous arrêtez de faire de la musique sous l’entité K.Ommando Toxik en 2012, pour quelle raison ?

On décide d’arrêter là parce que musicalement on a fait le tour. On a fait des bonnes choses ensemble, des bons projets. Chacun avait envie d’aller dans ses délires musicaux propres. Dans un groupe tu dois faire beaucoup de concessions, tu ne peux pas mettre seulement ta couleur, c’est pareil pour l’autre. Je crois que c’était le moment de faire nos affaires, ramener notre propre couleur à nous.

10 – T.Killa – « Trou2boulette » (Dernier malaxe, 2019)

« Trou2boulette »

Tu as commencé à annoncer le projet il y a déjà plus d’un an, fin 2017.

Ouais, décembre 2017 pour le premier freestyle. On a bossé sur un an. Il fallait se restructurer, prendre de la confiance, envoyer des morceaux pour retester le terrain avec un délire plus trap, plus actuel. On a envoyé « Catenaccio » et on n’a pas lâché le terrain. La base était dispersée, puis elle a commencé à revenir. Et puis je suis un rappeur de l’époque du CD, et on est à l’ère du digital, il fallait donc se mettre à jour. Je n’étais plus trop présent sur les réseaux sociaux non plus, j’avais complètement lâché l’affaire, il fallait tout réveiller. Pour te dire la vérité, ce qui me casse le plus les couilles c’est les réseaux sociaux. Raconter ma vie, prendre des photos, faire des selfies… Quand je passe un moment avec mes amis on ne filme rien, même quand on va en vacances. Pour revenir à Dernier malaxe, c’est un gros bébé. 21 titres, plus 5 balles perdues. Que demande le peuple ?

Je me suis demandé quand le projet allait sortir à un moment, ou même s’il allait sortir puisqu’il était annoncé depuis plus d’un an. Et tout s’est accéléré en un mois avec la pochette et la date de sortie.

Tu sais, chez nous on a une maladie : « On sort, on sort pas ? » On a le projet mais on n’y va pas. Là on s’est dit : « On se jette à l’eau », et tout s’est accéléré. C’est comme quand tu as le coup de foudre et que tu te maries vite. Ça brûle, l’émotion est là, c’est le moment, il faut y aller. Il ne faut pas calculer ni se prendre la tête. A l’époque les mixtapes sur les marchés à Clignancourt, maintenant on peut se permettre de la mettre sur Spotify, on ne sait même pas là où ça va, qui va l’écouter, etc. Donc voilà, on s’est dit : « No stress, on envoie ! »

Sur le projet on retrouve des freestyles enrobés de refrains, de scratchs ou de gimmicks, mais aussi des morceaux bien construits comme « Des millions ».

Comme je t’expliquais tout à l’heure, j’aime aussi les choses construites. Je ne peux pas arriver avec une mixtape de 21 freestyles d’un couplet. Si tu fais ça, avec seulement de l’égotrip, ça pue sa mère, ça ne m’intéresse pas. Donc tu es obligé de montrer aussi ce que tu es capable de faire en solo, pour un album. Les mixtapes permettent ça. C’est une mixtape 2.0, une mixtape des temps modernes, avec la ferveur de l’époque. Parce que les mixtapes de maintenant ressemblent à des albums. Sur cette mixtape tu as des freestyles sans refrain, mais aussi des morceaux plus calibrés comme « Des millions » ou « Bob l’éponge », avec de la profondeur.

La première fois qu’on t’a entendu c’était il y a 20 ans avec les Liaisons Dangereuses, et tu auras quand même attendu 2019 pour sortir un premier projet solo.

2019 est une bonne année ! Après il faut dire un truc : ça fait 20 ans que tu m’écoutes, mais dans différentes situations : en groupe, en solo, en featuring… Mais oui, ce n’est que maintenant que je construis ma carrière solo. Là je pense que c’est le bon moment, parce qu’on a construit pas mal de choses. On a nos studios chez nous, notre propre structure, on est un peu plus libres dans la tête, il y a plus de maturité… Avec les concerts que j’ai faits avec mes frères j’ai commencé à comprendre des choses dans ce sens-là aussi. Tout ça t’aide et te forge.

Il y a déjà l’idée d’un album solo ?

On ne va plus rien lâcher, je ne vais plus disparaître. Tu vas en entendre du T.Killa ! Là c’était la mise en bouche, derrière il va falloir envoyer les plats de résistance. Plein de petits trucs se préparent sur les côtés, on est encore en studio en train de travailler, on n’a pas fini. On ne lâche rien. Il n’y a pas eu de vacances cette année, je pense qu’il y en aura un peu pour couper dans les mois à venir, et après ça repart de plus belle.

On sent que tu as voulu te faire plaisir sur ce projet, tester de nouveaux types d’instrus.

J’ai retrouvé mon mojo comme disait l’autre. Si tu ne l’as pas, ça se ressent sur ton projet. Il y a cette fameuse interview du Rat Luciano dans laquelle il raconte que c’est sur « Faut niquer le bénef’ » qu’il a senti qu’il avait retrouvé ça. C’était le dernier morceau de l’album qu’il enregistrait, et c’était trop tard. Le Luciano qu’il voulait donner au peuple, il l’a senti à la fin de l’album, tu vois le délire ? C’est ça qui est triste, et je ne voulais pas que ça m’arrive sur Liaisons Toxiques. Je voulais sortir un projet, mais je n’avais pas la vraie conviction d’assassiner, de venir tuer sur le ring. Ce n’était pas de la merde, mais j’étais en mode tranquille, sur mes appuis. Pour Dernier malaxe il fallait que je me mette en danger, que je tente des nouveaux trucs, que je retrouve cette envie de rapper, de faire des freestyles, des longs morceaux. Tout ça m’est revenu.

Est-ce que sur les Liaisons Toxiques tu n’étais pas dans une phase de transition, vu que tu sortais juste de la fin de ton groupe, qu’il te fallait trouver un nouvel équilibre ?

Aussi oui. Il fallait se mettre à rapper deux ou trois couplets. Bon, en 2019 c’est deux couplets, les morceaux à trois couplets c’est fini. Mais aujourd’hui tout est possible, c’est pour ça que tu as des morceaux dans la mixtape comme « Une dernière larme avant la cirrhose » avec un 16 mesures, changement d’instru, un 24 mesures derrière… Il fallait ressusciter, et je pense qu’on est bon là !

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