Fin décembre, c’est le grand bal des rétrospectives de fin d’année. Le Bon Son est rodé à l’exercice des sélections : tous les mois on décortique la scène hip-hop, et vous en choisit le meilleur, le nectar, via nos 10 Bons Sons US.
Outre la grosse centaine de sons distillée mensuellement tout au long de l’année, il a fallu compter sur les pépites passées à travers des mailles de nos filets pour cette sélection 2016. Tout en ne négligeant pas un mois de décembre chargé : Ab-Soul, J.Cole, Run The Jewels, The Lox, Pete Rock & Smoke DZA, Westside Gunn & Mil, Dom Kennedy, et bien d’autres. Entre retours d’anciens au plus haut niveau, confirmations de jeunes loups, et succulentes découvertes, du beau monde est resté sur le bas-côté, souvent à regret.
La bonne nouvelle ? C’est que d’Atlanta à Minneapolis, de New-York à San Francisco, de Los Angeles à Boston, en passant par la frontière canadienne, la scène américaine est en bonne santé. Vous l’avez certainement noté si vous nous lisez chaque mois, ou que vous suivez ça chez des confrères américains. En cette fin d’année, vous aurez aussi la possibilité, via notre série « Across The US », de retracer les origines de cette effervescence, au travers de l’histoire de 5 grandes villes américaines. Et notamment le dernier numéro en date, consacré à Atlanta, dont l’ombre plane aujourd’hui sur la musique hip-hop à travers le monde. D’autres numéros agrémenteront cette série.
En attendant, voici le moment tant attendu : les 10 Bons Sons US 2016. Et vous, vous auriez mis quoi ?
Westside Gunn – Summerslam 88 (Prod. Your Old Droog)
Voilà quelques années déjà que Westside Gunn nous brûle les oreilles. Cela avait commencé avec ses tapes Hitler Wears Hermes… , s’était poursuivi avec ses différentes collaborations (Action Bronson, Termanalogy, Apollo Brown…), sa tape Roses Are Red, So Is Blood, ou les confections maison avec son frangin Conway (Griselda Ghost par exemple). Le tout bien souvent agrémenté du génie du beatmaker aux sons sales, Daringer. Et puis vint le mois de mars 2016. Chez les Romains, Mars était le dieu de la guerre. Avec l’arrivée des beaux jours, les troupes retournaient sur le champ de bataille, prêtes à en découdre, la colère certainement dopée à la grisaille des mois d’hiver. La rage dans le chargeur, l’Uzi à la main, Westside Gunn s’invite dans le charnier selon les codes du calendrier antique : FLYGOD, premier album du MC de Buffalo, venait percer nos tympans, tel un 9mm assassin. Assurément un des meilleurs albums de l’année, si ce n’est plus, comme nous le défendions dès sa sortie.
De mois en mois, avec Conway, leur pote Benny, Daringer et quelques autres, Griselsa Records, leur écurie à la tête de madone, s’est affirmée de plus en plus comme la nouvelle marque indé à avoir. Westside Gunn en tête de gondole avec son frère, est réclamé, adulé. Ses gimmicks en copyright, ses « hey yo » marquant chaque beat du sceau de la défouraille. En France, le plus américain des labels parisiens, Effiscienz, et le producteur Mil, viennent de sortir un EP dont le premier extrait, « Brain Flew By » nous a fait vriller la tête, après un maxi remarqué avec Conway en octobre. Début décembre, Gunn, au micro de B-Real, annonce avoir bouclé en deux jours un album avec Alchemist. Rien que ça. Chaque sortie est un évènement malgré un rythme de production frénétique. On aurait pu aisément sortir un son de FLYGOD, pour couronner le succès du probable album de l’année (en compétition avec celui de ScHoolboy Q). C’est finalement l’entêtant « Summerslam 88 », produit par Your Old Droog qui a eu raison de nos neurones. Green
Lire notre chronique : Westside Gunn – FLYGOD.
Isaiah Rashad – 4r Da Squaw (Prod. Francis GotHeat)
The Sun’s Tirade, ou la patience récompensée après de longs mois d’attente. Trois ans après son arrivée chez Top Dawg Entertainment, Isaiah Rashad a enfin sorti son premier album studio. Un des évènements de la rentrée de septembre, marquant un peu plus l’année 2016 du tampon des angelenos TDE. Untitled Unmastered (Kendrick Lamar), Blankface LP (ScHoolboy Q), et Do What Thou Wilt (Ab-Soul) et à un degré moindre Introverted Intuition (Lance Skiiwalker) ont tous marqué l’année. Le désormais ex-rookie Rashad a lui roulé sa bosse avant l’accomplissement sur LP : de sa mixtape Welcome To The Game et l’EP Cilvia Demo à ses premières parties auprès du Q. Certains se rappelleront d’ailleurs peut-être ses performances au Bataclan pour le Oxymoron Tour en 2014.
Pour The Sun’s Tirade, il choisit Dave Free, qui l’avait introduit chez TDE, pour composer le premier track, et invite Kendrick Lamar au micro, le tout sur des choeurs des plus smooth. Cette piste, comme « Free Lunch », premier single sorti avant l’album, montre la coloration du projet. Du rap posé, intelligent et intelligible, sur des productions majoritairement calmes. Ça sonne très unplugged, on ressent des influences soul, jazz. Le côté free en moins, tant chaque production est organisée, millimétrée, tant les lignes de basses sont travaillées, tant chaque instrument prend le relais du précédent dans un ensemble quasiment sans faute. Ce n’est pas un album qui fait jumper, c’est un album qu’on prend pour souffler, réfléchir, se laisser aller, se laisser envahir des doux charleys et de la voix envoûtante de Rashad. Sans fard, sans richesse autre que celle de sa musique et de ses textes, et celle de ses invités, il dévoile sa philosophie en un peu plus d’une heure. En certains points il rappelle plus un J. Cole que les membres de Black Hippy. Comme point d’orgue, « 4r Da Squaw », produit par le Torontois FrancisGotHeat qui montre s’il en était besoin, la qualité du son de l’autre côté des chutes Niagara. Avec ce titre, Isaiah Rashad se raconte, sur ce ponton de Venice Beach : la relation parent-enfant, les plaisirs simples, loin de la brillance, du show-off, de la fast life à crédit, consommant juste les bonheurs à sa portée. Green
21 Savage & Metro Boomin – No Heart (Prod. Metro Boomin)
Comment passer sous l’ouragan 21 Savage ? Digne représentant de la scène d’Atlanta, 21 Savage s’était fait notamment connaître avec la mixtape Free Guwop, militant pour la libération du fantasque pope du Sud, Gucci Mane. On parle aussi de lui chez Ovo, après les nombreux appels du pied de Drake. Pour épauler le MC, sur le projet Savage Mode, c’est Metro Boomin qui sort ses productions. Il s’est fait connaître pour son travail auprès de Kanye, Young Thug, Future, ou de l’homme au cornet de glace (Mane, pour ceux qui ne suivent pas). On lui doit notamment la moitié des morceaux de Purple Reign, la tape de Future, aux côtés des plébiscités Zaytoven, Spinz, ou Southside.
Savage Mode, ne pouvait qu’être une boucherie. En fait, il s’agit plus d’un massacre au ralenti. Les beats trap de Metro Boomin sont majoritairement downtempos. 21 Savage de sa voix légèrement nasillarde, rappe sans jamais passer la cinquième, c’est comme un drive-by sous codéine, un déferlement d’hémoglobine en mode purple drank. « No Heart » est probablement la meilleure piste de cette mixtape, sortie au coeur de l’été. Green
ScHoolboy Q & Kanye West – THat Part (Prod. Cardo)
L’album de ScHoolboy Q a été l’un des grands moments du début d’été cette année. Voué à connaître une carrière dans l’ombre de Kendrick Lamar, la seconde lame de Black Hippy semble avoir accepté son sort et nous a livré un très bon album, assez sombre et sans recherche absolue du tube. Le morceau qui a le plus tourné est sans contestation cette collaboration inédite et diablement surprenante avec Kanye West. Un article entier ne suffirait pas pour revenir sur l’année très agitée du Chicagoan, mais résumer en quelques mots sa prestation sur « THat Part » est relativement simple : pure folie. Que ce soit sur le morceau ou dans le clip, il paraît véritablement habité et complète parfaitement un ScHoolboy qui gère parfaitement les changements de rythme et d’intonation tout en confirmant ses talents de story-teller. La production signée Cardo est minimaliste, avec un sample discret et très court au refrain et un autre pour les couplets, et a été reprise pour un « remix Black Hippy » qui s’est trouvé être l’occasion de retrouver les quatre membres réunis, chose plutôt rare, mais qui dégage nettement moins de classe sans la prestation de Kanye. Xavier
Rae Sremmurd – Look Alive (Prod. Mike Will Made It & Sho)
Ils avaient été le raz-de-marée de l’année 2015. Ensevelissant les ondes de tubes plus fantasques les uns que les autres, les Rae Sremmurd n’ont pas été épargnés par les critiques une fois que la hype s’était estompée. On leur reprochait notamment (pas forcément à tort) de n’être qu’un équivalent rapologique des boys band, mis ensemble par Mike Will Made It et son label pour performer et faire des centaines de millions de vues un certain temps avant de finir à la poubelle. Des critiques qui se sont rapidement ravisées lors de la sortie à la mi-juin de « Look alive », second extrait de SremmLife 2. Les frangins d’Atlanta se réinventent avec brio tout en gardant ce genre qui les a fait connaître en 2015. Sur « Look alive », Swae Lee et Slim Jxmmi prouvent leur montée en puissance qui aboutira sur le méga hit « Black Beatles » avec Gucci Mane.
À nouveau entièrement produit par Mike Will Made It, l’album va toujours plus loin dans l’immaturité et pose les Rae Sremmurd comme les nouveaux porte-étendards d’une jeunesse toujours plus dévergondée. La musique, quant à elle, a franchi un cap. Les natifs du Mississippi ne sont plus les jeunes feux follets découverts sur « No Flex Zone », mais sont devenus des artistes à part entière, qui affirment plus que jamais une véritable patte. Et l’histoire retiendra que ça a commencé avec « Look Alive ». Xavier
Ab-Soul feat. Da$H- Huey Knew (Prod. Willie B)
Que ce fut long… On pourra dire qu’on l’attendait de pied ferme, ce quatrième album de notre rappeur chevelu préféré : Ab-Soul. Annoncé depuis pratiquement un an, l’album Do What Thou Wilt est finalement sorti le 9 décembre dernier, chez Top Dawg Entertainment (label d’Isaiah Rashad et du groupe dont fait partie Ab-Soul, Black Hippy).
Produit par un peu plus d’une dizaine de producteurs dont Willie B, PakkMusicGroup ou encore Mike Will Made It, et malgré la présence de plusieurs featurings dont Da$h, Teedra Moses, ScHoolboy Q, Bas, Rapsody ou encore Mac Miller, Do What Thou Wilt est beaucoup plus personnel que les précédents opus de l’Angeleno. Composé de seize morceaux, DWTW donne un rendu assez hétérogène mais dévoile quelques joyaux inattendus : « Threatening Nature », « D.R.U.G.S. » ou encore « God’s a Girl ? ».
Le morceau « Huey Knew« reste sans doute l’ultime pépite de l’album, tant la présence et le flow hyper nonchalant de Da$h apportent une noirceur supplémentaire à l’ambiance posée par Ab-Soul. L’instrumentale, assez épurée mais dont les basses tranchent parfaitement avec quelques pauvres accords de synthé, contribue à faire de ces quatre minutes trente l’ultime banger de l’album. Clément
Joey Bada$$ – Front & Center (Prod. Cookin’ Soul)
En octobre, on espérait que « Front & Center » serait le premier extrait du second album de Joey Badass, qu’on aurait mis au pied du sapin… Négatif, aucune sortie surprise du côté de PRO ERA. Prenons notre mal en patience, laissons tourner ce banger « muy caliente » qui nous réchauffe autant qu’une bonne vieille cheminée et lançons les paris sur ce que sera A.B.B.A. Quels titres sortis cet année figureront sur le projet? « Front & Center » donc ? Le morceau « Brooklyn’s Own » (sorti en mars) qui rappelle tellement le projet 1999 qu’on se demande si ce n’est pas une chute de studio ? Le très chill « Devastated » (paru cet été) ? Niveau beatmakers, mettons une pièce sur la présence de Statik Selektah, Cookin’ Soul, Adam Pallin, Kirk Knight et Powers Pleasant… Bref vous l’aurez compris, on n’en sait pas plus que quand « Front & Center » est sorti… On ne fait qu’espérer que ce prochain opus soit à la hauteur des précédents. Patience et longueur de temps ne font plus que force ni que rage disait le roi du name-dropping, MC La Fontaine. Clément
Dillon Cooper – Come Correct (Prod. Noise System)
Après Joey Badass et Cookin’ Soul, c’est au tour de son camarade new-yorkais Dillon Cooper de débarquer chez les Ibères à la recherche du boom-bap qui tue. C’est du coté de Castellón de la Plana (près de Valence) que le jeune emcee a trouvé son bonheur. Sur une prod’ tout droit sortie des 90’s, Dillon Cooper démontre qu’il n’est plus un rookie et qu’il fait sans doute partie des meilleurs sophomores de la ligue. À défaut de nous avoir concocté un projet pour cette année 2016, le rappeur de Brooklyn a sorti 4 morceaux inédits (dont 3 clips) avec notamment la track « Practice », en référence à la punchline et réponse mythique de « La Réponse » tout aussi mythique : Allen Iverson. Pas de doute, Dillon Cooper va se battre (h)arde(n)ment pour le titre de MIP 2017. Clément
Havoc – Out the Frame (Prod. The Alchemist)
Havoc, la moitié la moins en vue de Mobb Deep, nous a surpris cette année. Joueur en fin de carrière, il n’est pas rare d’être déçu par les éternels concerts européens bâclés du duo de légende de QB, ou leurs apparitions furtives ci et là sur divers projets. Mais bien nous a pris de tendre l’oreille sur cet album entièrement produit par The Alchemist. Sérieux, « actuel mais pas à la mode », sombre (« Throw in the Towel ») ou bien plus mélodieux (« Hear me now » featuring Cormega), le H a sorti ses plus belles cartes pour se livrer sur un quatrième album solo.
The Silent Partner contient 11 titres, et c’est probablement le meilleur des formats pour démontrer, s’amuser, et plonger l’auditeur dans un univers new-yorkais bien connu, vivier qui ne semble jamais tarir d’inspiration et d’imagination en matière de rap. Quelques invités, Prodigy, évidemment, Cormega donc, et Method Man, qui nous laisse un peu amer avec un titre assez banal et qui aurait pu prendre une autre ampleur. Notons aussi l’étonnante absence de clip pour ce projet, un opus réalisé à deux qui permet notamment à Alchemist de boucler la boucle, lui qui avait déjà produit un album en commun avec Prodigy en 2007 (Return of the Mac). Pas forcément l’une des sorties les plus populaires de l’année aux Etats-Unis, mais une valeur sûre à conserver dans sa discothèque. Antoine
La Coka Nostra & Rite Hook – Waging war (Prod. The Arcitype)
La Coka Nostra, c’est la fusion de MC’s de New-York (Ill Bill, Danny Boy) et de Boston (Slaine). Et 2016 signifie le troisième album studio pour le trio accompagné de DJ Lethal, intitulé To Thine Own Self Be True. Virulente comme à son habitude, LCN n’a pas dérogé à ses assonances mi-guerrières mi-angoissantes et a servi un brûlant 12 titres, en invitant les habituels: Rite Hook sur trois morceaux, l’incontournable Vinnie Paz, Sick Jacken sur deux pistes, Q-Unique, Sadie Vada, Nems, Apathy et SKAM2?. « Murdered Tonight », « Now Or Never », « Crispy Innovators » ou « Waging War »… Autant de rafale de bastos pour cribler vos appareils auditifs avant même que vous n’ayez le temps de jeter un œil à la tracklist, où seuls « Stay true » et « Blind » pourront guérir vos plaies vives ou tout du moins les laisser respirer quelques instants, en plein milieu d’une guerre totale. La verve et les bons mots ne sont peut-être pas leurs points forts, mais le débit et l’énergie de leur musique se suffisent à eux-mêmes.
Gardons le projecteur sur « Waging war », chanson mise en images qui reflète le plus la mentalité et l’énergie de La Coka : « Don’t wait for nobody / Save yourself cause I’m waging war ». C’est vrai que le clip a un air de déjà vu chez nous, puisqu’il nous fait directement penser à « Independenza » d’IAM, où les cagoules menaçantes défilent face caméra pour revendiquer et haranguer leurs interlocuteurs, mais le procédé demeure d’une efficacité exemplaire : Ill Bill et Slaine dressent avec conviction leur plus beau majeur contre les vendeurs de mythologie religieuse ou l’industrie pharmaceutique, sur un genre d’instru pic-à-glace des plus frappantes. « Shoot me in my head » en hurlerait d’extase The Rugged Man. Antoine
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