Le concept de cet entretien est simple : faire réagir nos invités à des déclarations d’autres MC’s interviewés sur Le Bon Son. Nous avons fait pas mal d’interviews entre temps, il y avait donc de la matière, et nous avons donc soumis quelques citations à Pand’Or, Le Bon Nob et Fadah (du collectif toulousain Omerta-Muzik), par un après-midi pluvieux de janvier, avant un plateau organisé par l’asso Air De Zoo à La Dynamo les réunissant tous les trois. Le Bon Nob a filmé quelques minutes de l’entretien, ce qui nous a permis de réaliser ce petit teaser sans prétention (ci-dessous), et de vous délivrer quelques images. Pour ceux qui ne l’ont pas reconnu, le 4ème larron sur la photo, entre Pand’Or et Le Bon Nob, est KLM, le compère de Fadah au sein du Saydatyph, présent lors de l’entretien.
Moi je pense que c’est sur scène, toutes musiques confondues, que tu vois la capacité d’un artiste à fédérer un public et à défendre sa musique. Le Bavar (décembre 2013)
Le Bon Nob : Tout à fait d’accord.
Fadah : Comment ne pas être d’accord ?
Pand’Or : Pareillement… Je n’aurais pas dit mieux. C’est là qu’un artiste fait la différence.
Le Bon Nob : On en parlait hier c’est marrant que tu commences par ça. On se disait que c’est sur scène que tu vois le vrai retour du public, que tu peux avoir un réel échange. Tu as vraiment les gars qui te regardent, c’est intéressant.
Pand’Or : Tu peux faire changer d’avis des mecs qui kiffaient pas forcément tes sons en les écoutant sur internet.
Le Bon Son : C’est l’avantage des plateaux aujourd’hui, on n’est pas à l’abri d’une découverte.
Fadah : Du coup tu vois aussi ceux qui conceptualisent leur musique autour du live, qui ont vraiment une vision de la scène au moment où ils ont enregistré leur truc. Tandis que d’autres trucs ne sont faits que pour être écoutés sur skeud point barre. [S’adressant au Bon Nob] Je pense notamment à vous par exemple avec Yépa [le groupe formé par Nob et son frère], c’est totalement dédié à la scène.
Le Bon Nob : L’idée c’est de fédérer un maximum de gens autour de bonnes ondes, en privilégiant le côté humain à internet.
Les gens souvent se prennent la tête et disent « Un an c’est long pour faire un album ! ». Mon frère, un an pour un truc que je vais trimballer toute ma vie, je te jure que c’est pas long ! Un an, c’est rien. Lino (décembre 2013)
Fadah : Un an c’est trop court même !
Pand’Or : Pour le format album, il ne faut pas se poser de limite de temps en fait. C’est ton truc le plus approfondi. Un an c’est pas assez. Ca dépend des exigences que tu te mets aussi.
Le Bon Nob : Tu dois être satisfait à 100% avant de le sortir.
Fadah : Et puis tu as vite fait de te faire piéger par les limites de temps que tu t’imposes. Moi le premier. Et du coup tu as une attente qui se crée. Et tu te rends compte par toi-même au fur et à mesure de l’avancement de ton album que ça ne sert à rien de te mettre une limite de temps. Il vaut mieux se laisser le temps que ce soit propre et carré, même si ça met trois-quatre ans à sortir.
Le Bon Nob : Et puis c’est important de laisser mûrir les morceaux. Avec internet on est dans une consommation « fast food », il faut tout sortir vite, être tout le temps présent pour ne pas se faire oublier, et au final tous les morceaux que tu sors ont tendance à se ressembler parce que tu n’as pas le temps d’évoluer. Je dis ça parce que ça fait genre un an et demi que je prépare mon album, presque deux. Et j’ai des morceaux sur lesquels je suis revenu plusieurs fois, je les vois évoluer. Je me dis que si je les avais sortis vite, ces morceaux n’auraient pas été aussi bons.
Fadah : Après tu as le problème des beatmakers qui ne veulent pas que leurs prods dorment pendant trop longtemps non plus.
Pand’Or : Moi je pense que des morceaux d’albums, ils peuvent avoir trois ans, ils doivent rester béton.
Le Bon Nob : Au final tu gardes seulement les morceaux dont tu es vraiment fier.
Le format album est donc sacré pour vous, à différencier de l’EP…
Le Bon Nob : L’EP c’est plus pour tester le public, ou le faire patienter.
Pand’Or : Mon EP au final je trouve que c’est un mini-album. C’est juste qu’au niveau des arrangements et du mix ça ne sonne pas comme ça devrait. Mais au niveau des thématiques et des prods je pense que c’est un mini-album. Maintenant les classiques à l’ancienne sont des albums. Ce ne sont pas des EP ou des maxis.
Fadah : Après t’as aussi le truc du pressage. Je pense qu’à nous trois ça nous tient à coeur de presser le skeud. Quand tu presses ton skeud et que tu laisses une trace, tu as envie que ce soit carré. Sur un format court de téléchargement ce n’est pas le même engagement.
Il y a eu un problème dans le rap français, c’est que les gens des années 90’s n’ont pas fait de passage de relais comme il y a pu avoir aux States. D.O.C. (décembre 2013)
Pand’Or : Je ne suis pas trop d’accord…
KLM : Aux states ils finissent tous managers ou au sein d’un grand label, alors qu’en France c’est beaucoup moins vrai.
Pand’Or : Un mec comme Disiz par exemple, il a invité 1995 sur son EP Lucide par exemple. Ça pourrait s’apparenter à un passage de flambeau un peu. Ou même sur scène 1995 ils avaient invité Rim’K.
Le Bon Son : Après 1995 c’est un positionnement particulier, c’est un peu une exception dans le paysage du rap français.
Pand’Or : C’est vrai, mais je suis sûr qu’il y en a d’autres que je n’ai pas en tête.
Fadah : Sans vouloir centrer sur nous, mais entre la Bastard Prod et nous [Omerta-Muzik, ndlr], il y a quand même une sorte de passage de relais, sans qu’il soit question d’engagement ou quoi que ce soit, il ne s’agit que d’amitié et d’entente cordiale. Ils nous font profiter un peu de leur mise en lumière, de leur expérience, nous font jouer sur des scènes auxquelles on n’aurait pas forcément accès sans eux. En retour on les invite sur nos sets, on a fait des morceaux ensemble. Il y a quand même un passage de relais vu que c’est la génération au-dessus.
Ca s’observerait davantage au niveau local qu’au niveau « mainstream » donc…
Fadah : Il faut différencier le passage de relais, et l’envie de faire parler je pense. Tu sais très bien qu’en ramenant certaines têtes à ta tracklist, ça va ramener de l’émulation. Pour moi ce n’est plus un passage de relais. Avec KLM on a commencé avec des grands de chez nous qui ont réellement passé le relais. Je pense à Da Pro par exemple.
Pand’Or : Même moi je vois, pour mon premier freestyle j’avais été invitée par Swift Guad. Et pour revenir à la phrase de D.O.C, les States c’est les States, ce ne sera jamais comparable.
‘Quand tu fais référence à des trucs à la mode dans l’actualité, tu niques ce côté intemporel. Ça casse la simple envie de délivrer ce que tu as sur le cœur.’ Fadah
Il y a un manque de culture total. Même ceux qui ont fait beaucoup pour la musique aujourd’hui sont aux oubliettes, et les petits jeunes ne les connaissent même pas. Ol’Kainry (juillet 2013)
Pand’Or : Je suis d’accord mais je ne me compte pas là-dedans. Je pense qu’il parle de gens plus jeunes que nous encore.
Le Bon Nob : Moi j’ai l’impression que le rap est un peu en train de devenir une mode comme le skateboard il y a quelques années. Il y a plein de petits jeunes qui se mettent à faire du rap à fond depuis deux-trois ans, à écouter à mort les classiques pour se donner de la légitimité. Et quand tu creuses un peu tu te rends compte qu’ils ne connaissent que les classiques des artistes.
Le Bon Son : Plus ça avance, et plus c’est dur de tout connaître pour les plus jeunes…
Pand’Or : Après il y a des bases quand même que tu dois connaître, sans jouer les expertes. Aujourd’hui tu as des mecs, quand je les entends rapper ça me fait penser à des rappeurs à l’ancienne, alors que des petits jeunes vont trouver ça révolutionnaire.
Fadah : C’est un truc de passionné, qui se retrouve aussi dans d’autres disciplines : quand tu kiffes, tu vas fouiner, chercher la perle rare.
Pand’Or : Dans ceux qui se mettent à écouter du rap, tu en auras toujours 1 ou 2% qui continueront et pour qui ce ne sera pas qu’une simple passade.
Le Bon Nob : Le problème avec les jeunes rappeurs souvent, c’est qu’à force de s’arrêter au peu qu’ils ont trouvé, qu’ils connaissent, ils oublient d’avoir une diversité d’influences pour se trouver une vraie identité. Ils écoutent quelques trucs, ils se disent « Ok le rap c’est ça, je vais faire pareil. » Ce qui fait qu’au final tout le monde se retrouve à rapper un peu pareil, à reprendre les mêmes flows, et ça manque d’identité un peu je trouve.
Pand’Or : Moi j’ai toujours lié le rap à la soul, ou à d’autres trucs, alors qu’aucun des petits jeunes que je connais n’écoute de soul. Jamais. Ils passent complètement à côté alors que c’est l’essence du truc.
Fadah : Il n’y a qu’en faisant des beats à la limite, en fouinant, que tu peux tomber sur ces trucs.
Pand’Or : Des fois je reçois des prods de beatmakers, des jeunes, chauds, mais avec des samples cramés sans qu’ils le sachent. C’est pour ça qu’il faut avoir une base quand même.
KLM : Ou aller sur whosampled. [rires]
Communiquer autour de l’album ce n’est pas ce qui m’intéresse, pour moi l’artistique est déjà communiquant. Fayçal (novembre 2013)
Pand’Or : Si ton projet est bon, il parle de lui-même, il peut se vendre juste là-dessus. Après ça dépend où tu veux amener ton projet. Maintenant avec internet c’est plus facile de penser comme ça. Ton son tournera d’une manière ou d’une autre.
Le Bon Nob : Si c’est bon ça va tourner.
Fadah : Quand tu fais un pur taf, et que tu le mets à disponibilité des gens, généralement ça tourne. Après tout dépend de ta démarche. Si tu as envie de vivre de ta musique, t’es aussi obligé de faire du biz à un moment : aller voir les gens, décrocher ton téléphone, trouver des scènes, etc. Tu rentres dans ce truc-là de marketing et de promo, même si c’est pas ton kif à la base. Quand tu fais un bon truc, tu as aussi envie qu’il existe, de pouvoir le défendre, ne serait-ce que sur scène.
Le Bon Nob : Encore une fois, le problème c’est qu’il y a tellement de choses sur internet que les projets ont tendance à avoir une existence très courte. Les gens écoutent ton projet deux fois, ils kiffent, et passent au projet de la semaine d’après.
Pand’Or : A un moment ou à un autre, la qualité éclate. Je pense à un mec comme Vîrus. Je le suis depuis le début, et il a suffi d’un morceau, « Des fins », et les gens ont été aller écouter ce qu’il faisait.
Fadah : Avant ses vidéos plafonnaient à 3000 vues !
Pand’Or : Donc la qualité finit par éclater. Lui il communique pas du tout, c’est un truc de ouf.
Le Bon Son : C’est vrai qu’il n’y a aucun clip dans Faire-part.
Fadah : Pour moi il y a aussi un certain concept là-dedans aussi, de se faire rare… Il va arriver avec un projet en téléchargement libre, sans promo, sans annoncer la date. Il intrigue de ouf. Il t’amène à creuser un peu dans sa discographie. Lui il a totalement réussi son coup, même si je pense même pas que c’était calculé.
Pand’Or : Je pense pas que c’était calculé.
Fadah : Moi je me reconnais dans cette démarche-là, parce que d’un certain côté tu préserves ta passion. Moi je vois pour mon album, entre la paperasse pour faire presser, la promo, et les deux mois que tu passes sur autre chose que ta musique, ben ça saoule. Moi ça m’avait un peu gâché le plaisir. Je me suis pris la tête sur des trucs dont je n’avais pas idée avant de me lancer. Et dans cette démarche-là de pas calculer et de balancer le truc quand tu en as envie, tu te préserves. Tu restes sur l’impulsion. Je fais mon son, je le sors. Point barre.
Pand’Or : J’ai le même sentiment. Quand mon projet est sorti j’étais frustrée. J’ai kiffé le jour où il est sorti, le jour où je l’ai vu à la Fnac. Mais après pendant la promo, je me suis rendu compte que je n’avais jamais voulu faire ça. Je me suis dit que j’aurais dû le sortir en téléchargement gratuit. J’en avais oublié le kif d’écrire des morceaux et juste de les balancer.
Le Bon Nob : Après tu as le public qui te pousse un peu à faire ça malgré toi. J’ai sorti mon EP cette semaine, et un des premiers trucs qu’on m’a dit c’est : « Tu devrais faire un clip. » L’idée c’était juste de le sortir sans trop en parler, et ça tournera si c’est bon.
Pand’Or : Moi je ne sors pas beaucoup de clips, mais quand j’en sors un j’ai envie qu’il soit un peu conceptuel, avec les moyens qu’on a. L’idée c’est pas juste de montrer sa gueule. Moi j’aime le cinéma, et j’aime accompagner des bons morceaux avec un bon visuel.
Fadah : Si ton clip apporte un truc au son oui. Moi je travaille beaucoup avec Chaz Shandora, qui collabore avec tous types de rappeurs. Sur « Le poids du mal » de Furax, il y a trois mois de travail derrière, d’écriture de scénario, de costumes, de recherche de spots, etc. Un travail de court-métrage à la limite.
Le monde artistique en général peut être uni autour d’un projet : avec des compositions plastiques, de l’animation… Dooz Kawa (octobre 2013)
Fadah : Tu te fais plaisir ! On en reste à cette notion de plaisir au centre du truc. Après faire un clip pour faire un clip, se mettre devant un mur de briques et montrer sa gueule, j’ai tendance à croire que ça dévalue le son plus qu’autre chose. Les gens sont tellement focalisés sur l’image qu’ils suffit que ta gueule ne passe pas bien, ou que tu n’aies pas les effets vidéos qui tuent, pour que le son ne soit pas écouté à sa juste valeur. J’ai l’impression que les gens font de moins en moins attention au son.
Pand’Or : Moi ça me gave les gens qui envoient juste du clip, je préfère qu’ils ouvrent leurs oreilles.
Fadah : Pour un morceau comme « Des fins » dont on parlait il y a deux minutes, et même pour tout l’EP, Vîrus avait conseillé de l’écouter « seul et dans le noir ». Dans « Des fins », tu te fais tes images dans la tête, et c’est encore plus fort : ça fait travailler ton imaginaire. Aujourd’hui beaucoup de gens s’improvisent vidéastes aussi…
Pand’Or : Ou rappeurs, beatmakers…
La punchline c’est comme un spectacle comique, il faut un gag toutes les quelques secondes sinon c’est un fiasco. Dooz Kawa (octobre 2013)
Fadah : Merci Dooz Kawa !
Le Bon Nob : Je suis d’accord avec ça aussi.
Pand’Or : Si tu demandes aux gens, ils ne savent pas définir la « punchline », ou sinon tout le monde a une définition différente.
‘Moi si je dois faire quatre mesures pour développer mon idée, ben ce sera quatre mesures, point. Pas besoin de faire de la punchline.’ Le Bon Nob
Le Bon Nob : Maintenant une bonne rime c’est devenu une punchline.
Pand’Or : Maintenant les rappeurs font des calembours. Et puis c’est devenu téléphoné.
Fadah : Et puis tu as l’impression que certains reprennent les punchlines des autres pour les tourner d’une autre manière, alors qu’au final tu parles de la même chose. Y’a les « comme » aussi qui ont sont super utilisés. Taipan l’a bien géré par contre avec son morceau « Lâchez votre comme ». Je suis plus d’accord avec ce que lui essaie de dire dans ce morceau-là.
Pand’Or : Les punchlines qui me cassent les couilles c’est celles qui utilisent genre « noir / blanc », ou « nuit / jour ».
Le Bon Nob : Et puis à force de se perdre dans des trucs un peu techniques, à vouloir faire une phrase / une mesure qui tape, les mecs ne développent plus vraiment leurs idées. Ils font des enchaînements de rimes, et c’est la rime qui guide le texte. Moi si je dois faire quatre mesures pour développer mon idée, ben ce sera quatre mesures, point. Pas besoin de faire de la punchline.
Pand’Or : Moi si je devais résumer la punchline, sans vouloir absolument parler de lui, je te citerais Vîrus. Lui il sait en faire. Et c’est même pas des punchlines, c’est des phrases lourdes de sens.
Fadah : Si tu écoutes la plupart de ses morceaux, il y a un truc lourd de sens à chaque phrase. Et c’est à retardement en plus. Je trouve ça hyper fort.
Pand’Or : Après il y a aussi des phases où les mecs aiment surfer sur l’actualité : DSK, Zahia…
Fadah : T’as l’impression que le mec il prend le journal du matin, il se fait une liste, et fait son 16′ là-dessus.
Pand’Or : Moi j’aime quand les morceaux sont intemporels, et parfois les mecs ont des références pourries qui seront vite fanées.
Fadah : Quand tu fais référence à des trucs à la mode dans l’actualité, tu niques ce côté intemporel. Ça casse la simple envie de délivrer ce que tu as sur le cœur.
Je ne veux plus que la technique influence mon texte, mais que mon texte influence ma technique. Nekfeu (août 2013)
Pand’Or : Ça se ressent je trouve. Quand tu écoutes ses premiers textes, clairement c’est de la technique, mais je trouve qu’il a toujours eu des phases quand même. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui c’est plus lourd de sens, et c’est mieux. Et même techniquement il a encore évolué. Et puis ceux qui critiquent sa technique, j’ai envie de leur dire : « Fais-la cette technique-là. » Quoi qu’il arrive il a ramené quelque chose. Après il y a beaucoup de gens de mauvaise foi aussi. S’il était renoi personne viendrait l’emmerder avec sa technique, je trouve ça naze que le peura appartienne à un seul look, ou une seule couleur de peau.
Dans ce qui est commercialisé il y a à mon goût une grosse majorité de merde. Perso (septembre 2013)
Ensemble : C’est clair !
Le Bon Nob : Ce qu’on commercialise le plus ce n’est pas la qualité. Ce n’est pas vendeur. On prend les schémas tout faits, les trucs faciles à avaler, et on les met en avant. Même si c’est triste, ça paraît logique que ce soient les trucs merdiques qu’on met en avant…
Fadah : Je pense que tu as aussi des mecs qui sont commerciaux et qui font des bonnes choses. Le problème c’est qu’on te met toujours plus en avant ce qui est merdique que ce qui est bon. En France j’ai moins d’exemples, mais ne serait-ce que chez nos voisins les anglais, tu as des trucs commerciaux de ouf, et qui butent. Roots Manuva par exemple. En France tu vois plus des formats mainstream un peu bidons. En marge de ça tu as quand même des gens qui arrivent à être commerciaux sans faire trop de concessions.
Pand’Or : Il n’y en a pas énormément. Dès que les mecs rentrent un peu dans le moule, qu’ils soient signés en major ou qu’ils aient fait leur trou en indé et passent à la télé, il finissent par formater leur musique, ne serait-ce que dans les refrains. Je pense à Hayce Lemsi par exemple : tu l’entends partout, il a une fan base de malade. A un moment, si tu veux vraiment faire partie de ce milieu-là, il faut se plier à leurs règles. Imagine que tu vendes 1000 CD’s en indé, tu te fais remarquer par une maison de disque, tu vas signer chez eux, et on va te dire : « Il faut que tu fasses 50 000 maintenant. »
Fadah : Mais je pense à l’album de Youssoupha par exemple, et je vais peut-être pas me faire des amis en disant ça, mais perso je l’ai kiffé. Il y a des bastos dessus, « Menace de mort », « L’enfer c’est les autres »… même si c’est sur un format mainstream. Après sur la tracklist il y a aussi des morceaux inaudibles, que je déteste.
Le Bon Nob : Quand tu as une optique de vente pure et dure, ta musique devient un produit, ce n’est plus un kif. Tu ne sors plus ce qui te plaît, tu es obligé d’adapter ton produit.
Fadah : Un mec comme Féfé, je n’aime pas spécialement, mais en voyant son interview pour ReapHit il m’a mis d’accord : il parle de kif avant tout. Je respecte sa démarche, et il avait l’air sincère dans son discours. C’est compliqué de juger le terme commercial.
‘À un moment ou à un autre, la qualité éclate.’ Pand’Or
Pand’Or : Il y a beaucoup d’artistes hypocrites, du coup les mecs sincères peuvent passer pour des hypocrites ou des opportunistes alors que c’est des vrais passionnés même si c’est grand public.
Le rap c’est une musique spé, et ça doit le rester. Lavokato (juin 2013)
Pand’Or : Je suis d’accord : à chaque fois que le rap passe à la télé, on passe pour des clowns ou des bêtes de foire. Après je pense que c’est politique aussi.
Le Bon Nob : Après faut pas abandonner, il faut juste changer l’image du rap qui est mis en avant.
Fadah : Après, je pense que c’est un peu prétentieux de vouloir changer le rap dans son ensemble.
Le Bon Nob : Je ne dis pas ça, je parle de la façon dont la télé le présente : comme des teubés.
Fadah : On nous présente un style de rap. Et c’est le même problème avec le rock, entre le commercial et l’alternatif. Il doit y avoir des rockeurs undergrounds qui tiennent le même discours que nous sur ce qui est mis en avant. Après je ne suis pas dans une démarche de vouloir redonner sa médaille au rap. Je fais mon style de rap parmi tous les autres styles, et c’est tout. Même si c’est dommage que ce soient toujours les mêmes bouffons qui soient mis en avant.
Je me tiens au courant, mais j’ai toujours écouté très peu de rap français. Perso (septembre 2013)
Le Bon Nob : Ca fait longtemps que je n’écoute plus de rap français. C’est pas que ça m’ait saoulé, mais c’est aussi une volonté. J’écoute du rap depuis l’école primaire, et j’ai arrêté quand ça a commencé à partir en couilles selon moi, vers les années 2000. Ça aide à garder son identité, à ne pas juste faire de la copie de ce que tu écoutes en ce moment… J’entends beaucoup de rappeurs dire que c’est important d’écouter ce qui se fait, que leur style évolue en fonction des tendances. Moi je ne pense pas. C’est comme un peintre : ce n’est pas parce qu’il fait du cubisme qu’il va arrêter le jour où c’est démodé. C’est son style à lui, son identité. C’est pareil pour nous.
Fadah : C’est dangereux pour sa musique de faire attention à ce qui se fait…
KLM : Même inconsciemment tu subis des influences.
Pand’Or : Moi j’écoute ce qui se fait, parce que je connais beaucoup de monde qui rappe. Mais rares sont les gens qui m’inspirent, donc je sais très bien que je ne serai pas vraiment influencée. À la limite ça me donnera envie d’écrire. Mais plus ça va plus ça m’énerve d’écouter ce qui sort, ils ne méritent pas leurs vues. Puis tu te fais une raison, tu te rends compte que ce n’est pas important le nombre de vues : les gens s’en foutent de la qualité. Ils préfèreraient un clip, et ça dégoûte un peu… Donc perso le rap français…
Fadah : Moi perso je trouve que j’en écoute trop, même ma miss elle me le dit ! Beaucoup par curiosité aussi, pour voir ce qui se fait.
Nous par exemple quand on était jeune on écrivait, et on se disait pas qu’on allait sortir une mixtape ou qu’on allait apparaître sur scène, c’était même pas légitime qu’on soit là. Actuellement quand je vois les jeunes, même ceux qui m’entourent tu les vois directement vouloir sortir un projet, une vidéo. Ils cherchent directement la visibilité. Scylla (novembre 2013)
Fadah : C’est triste.
Le Bon Nob : C’est encore l’effet internet : connaître le nombre de vues, avoir des commentaires. Ils n’attendent pas d’avoir leur style à eux, d’être carrés dans ce qu’ils font.
KLM : Le plus drôle c’est quand tu en arrives à acheter des vues.
Pand’Or : J’avais lu un article dans Marianne j’crois, « Twitter, Facebook, le culte de l’ego ». Il y a un peu de ça je trouve. Ils ont besoin d’exister. Peut-être que dans la vraie vie ils ont du mal à exister, et grâce à internet ils peuvent devenir des stars dans leurs appartements.
Fadah : Nous, avant d’avoir eu accès à ça, c’était déjà le peura qui nous donnait notre place dans la vie de tous les jours, sur notre feuille.
Pand’Or : Ça suffisait.
Fadah : Après quand tu es un jeune rappeur qui commence, que tu es plein d’envies, d’énergie, et que les mecs que tu suis sur Facebook sont dans cette démarche-là, tu veux faire pareil, c’est du mimétisme. C’est là où c’est risible et triste des fois, c’est quand tu vois des mecs sont pas prêts. Tu as envie de leur dire : « Prends ton temps, t’es pas prêt. »
Malheureusement aujourd’hui c’est un peu le public qui mène la danse, il y a une surconsommation de musique et l’artiste se met en surproduction. Anton Serra (octobre 2013)
Fadah : Je suis d’accord avec ça mais c’est à toi à t’en détacher. On parlait de Vîrus tout à l’heure, il s’en fout lui. Il est limite à attaquer son public dans ses propres textes, à envoyer des petites piques. Des fois je me dis « ah l’bâtard ! » [rires] Ton public ne t’attend pas non plus avec un couteau sous la gorge en t’obligeant à sortir des sons.
Pand’Or : Il y a des gens super productifs, tant mieux pour eux. Moi je ne peux pas suivre le rythme que le public me demande. Je ne peux pas aller plus vite que ma plume et c’est comme ça. Si les gens m’attendent tant mieux, et s’ils n’ont pas la patience c’est pas grave. Je ne fais pas ça pour les gens.
Le Bon Nob : Ça rejoint ce que tu disais tout à l’heure, le fait de trouver long un an pour sortir un album.
J’écris énormément, j’aime la profusion en musique, les Brel, les Brassens, les mecs qui ont sorti une quantité folle de morceaux, j’aime beaucoup. Lucio Bukowski (octobre 2013)
Pand’Or : L’inspiration c’est quelque chose d’un peu inexplicable, tu as des gens plus productifs que d’autres.
Fadah : Je ne pense pas que les Brel et les Brassens se prenaient la tête sur des questions de productivité, ils ont beaucoup écrit parce qu’ils avaient plein de trucs à dire. Quand tu regardes la Scred, ils avaient 200 morceaux dans les tiroirs à sortir quand ils sont arrivés, trois mixtapes à lâcher aux gens.
Le Bon Nob : Et ce n’est pas parce qu’on a plein de morceaux qu’on va les lâcher aux gens. Tu peux écrire beaucoup sans forcément beaucoup sortir. Il y a des choses qu’on fait aussi pour nous, pour le plaisir avant tout.
Fadah : Et puis ce n’est pas forcément une réponse à l’attente du public. C’est plus que tu en as qui seront plus productifs que d’autres. Certains sont aussi moins regardants sur ce qu’ils vont sortir, sur la qualité. Moi perso il y a des trucs que je ne sors pas, parce que je ne suis plus content du morceau. Il y en a qui ne se posent pas cette question. À chacun de réfléchir sur ses propres sons.
Pour moi le rap français n’a jamais fait mieux que La Cosca d’Akhenaton. Dooz Kawa (octobre 2013)
Le Bon Nob : Moi le mien, je ne sais même pas s’il est spécialement engagé, mais qui me parle de ouf : c’est Sexe, violence, rap et flooze de Busta Flex. Déjà parce que l’instru est violente. Et puis tout : la voix, l’émotion, le texte, le flow…
KLM : Si tu découvrais ce son aujourd’hui, est-ce que tu l’aborderais pareil ?
Le Bon Nob : Je sais pas, ce son c’est celui que j’ai le plus écouté, peut-être 600 fois dans ma vie. Chaque fois que je l’écoute c’est la même chose.
KLM : Peut-être parce qu’il est arrivé à tes oreilles quand tu étais minot…
Le Bon Nob : Pas faux. C’est un truc qui m’a parlé à une époque, et qui m’a boosté à faire ça aussi quelque part.
Fadah : Pour moi si c’est pas « La Cosca », c’est Mon texte, le savon. Je peux le réécouter encore aujourd’hui, je retrouve limite du Renaud des fois dans ses intonations. Akhenaton c’est une grosse part de mon influence personnelle. Textuellement parlant, il a réussi à atteindre un truc que moi je recherche. C’est difficilement égalable aujourd’hui. Il avait une vraie identité. Après avec tout ce qui sort, c’est dur de décider qu’un morceau va être LE meilleur.
Pand’Or : Moi j’en ai plein. En ce moment je me suis remis dans Karlito, le morceau T’es pas assisté. Ca me parle toujours autant. Du mal à s’confier de la Scred, Blessé dans mon ego d’Ekoué. Pour Akhenaton, mon préféré c’est « Mon texte, le savon » aussi. Des morceaux d’Oxmo aussi, de l’époque.
Pand’Or : Le cul entre deux 16 toujours disponible ici depuis le 3 juin 2013.
Fadah : Les loges de la folie toujours disponible ici depuis le 24 juin 2013.
Le Bon Nob : La grosse tête en collaboration avec Clem Beat’z, disponible ici depuis le 20 janvier.
Lire aussi les entretiens avec Les 10′ et Sneazzy West et Alpha Wann
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