Interview « canapé » avec Fayçal

C’est lors de la soirée Nancéienne Underground Rugissement VI que nous avons rencontré Fayçal, artiste bordelais, MC indépendant, qui fait partie de ceux que l’on classe parmi les rappeurs engagés. On accordera peu d’importance à ces étiquettes trop vite collées. Fayçal est un poète révolté, un « schizophrène de l’humanité » à la recherche d’un langage qui n’appartiendrait qu’à lui. Mais c’est avant tout un artiste, avec cette envie commune à tous de partager ses mots, de se faire entendre, de se faire comprendre.

C’est assis sur un vieux sofa défoncé, dans une ambiance de vieille loge de théâtre, face à un dictaphone capricieux déposé sur une vielle table de fer rouillé, que Fayçal nous parle de son album L’or du commun, de sa musique. Accompagné de deux de ses amis, partenaires musicaux, Dj yep et Ilyes membre de l’association « Foksabouge ».

Alors, ce premier concert à Nancy ?

Fayçal : Très bon accueil grâce au collectif Nid ’Guêpe. J’appréhendais un peu cette soirée dans le sens où j’étais tête d’affiche. Tu as envie de bien faire les choses, tu espères que le public sera là ! Ce fût une belle surprise, un très bon public, c’est cool de bouger de chez soi, de voir comment un public autre que bordelais réagit à ma musique. Positif à 2000 mille pour cent.

Quel bilan peux-tu faire aujourd’hui depuis la sortie de ton dernier album ?

Déjà c’est une bonne victoire car on a écoulé tout notre stock de CD, pour nous c’est une grosse victoire, ça veut dire que les gens nous suivent, qu’il y a du monde qui supporte vraiment la démarche.. Je place un petit merci pour l’association « Foksabouge », ils m’ont bien aidé pour le financement et la communication.

Mais communiquer autour de l’album ce n’est pas ce qui m’intéresse, pour moi l’artistique est déjà communiquant. Malheureusement on est à une époque marquée par la fascination de l’objet, sinon c’est difficile de le faire exister. Donc pour répondre à ta question, ouais on est hyper content, ça booste pour continuer. Quand tu es suivi, tu as une espèce de force abstraite, sinon spirituelle qui te pousse à avancer.

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Dans « Portrait de l’Epoque » tu fais une métaphore de la société moderne à travers l’image de la femme d’aujourd’hui, c’est une image négative ! C’est comme cela que tu vois le monde actuel, mais aussi la femme ?

Je ne porte pas ce regard-là sur la femme d’aujourd’hui, ce serait trop généraliste. L’époque telle que je la décris dans ce morceau est très vénale, il faut beaucoup d’argent, de voitures, de chiffre. J’ai voulu personnifier cette époque sous les traits d’une femme.

Si l’exploitation du médium féminin est largement décriée, elle me permet d’accentuer le propos. Heureusement, je ne suis pas dans cet état d’esprit au niveau de la gent féminine, sinon je serais un sacré connard (rires). Mais justement je voulais cette portée-là, ce rapport entre l’époque et la femme est la clé de ce morceau.

On peut apprécier des samples de Cesaria Evora, de musique classique, et bien d’autres genres dans L’or du commun. Ta direction artistique est très axée sur le métissage culturel?

C’est parce que cela fait aussi partie de mon histoire, j’ai un père tunisien et une mère franco-écossaise. Je suis tout le temps dans l’entre-deux . Tu n’es nulle part chez toi et partout chez toi finalement. Alors dans mon rap je dirais qu’il y a plus un métissage musical et culturel Il y a quelque chose d’universel dans mon discours, on a tous besoin de rencontres, qui que tu sois, la musique permet ça.

http://www.youtu.be/NNWgc6wDp_w

« Requiem pour une encre fine » est un morceau qui porte un regard assez triste, avec une critique assez vive du monde du rap, tel qu’il est aujourd’hui ! Le choix de prendre Mysa et L’indis en feat est calculé pour ce titre ?

Ce sont deux artistes rap français que j’écoutais, que j’écoute. Ce sont de vrais auteurs à la plume affûtée , il y a peu de mecs qui écrivent avec autant de spécificité technique et de talent. Et malgré tout ils ne sont pas reconnus à leur juste valeur par tout le public rap, et souvent par un public qui se gargarise. Lyricalement ils sont costaud, y a du flow, de la musicalité alors j’ai lié les deux je me suis dit pourquoi pas eux. Je me sens aussi un peu de la même école que ces MC’s. Quand on prend nos trucs par A + B on est meilleurs que certains qui sont sur le devant de la scène.

Au début je voulais faire un texte avec Mysa et un texte avec L’indis et puis j’avais ce thème de la « non-reconnaissance du rap » en général mais aussi d’une certaine technique, d’un certain style et ils sont l’ exemple parfait pour parler de ça, et ils m’ont fait des couplets qui défoncent. Pour la petite histoire, Mysa avait écrit à la fin du couplet «  Le destin du poète s’écrit à l’encre fine » J’ai trouvé la phrase belle, l’encre fine c’est ce qui représente notre écriture à tous les trois. Et puis l’instru m’a fait penser à un réquiem.

Voilà « Requiem pour une encre fine » est l’un des meilleurs featuring que j’ai fait.

C’est un morceau qui à mis du temps à émerger ??

Non, en fait L’indis à direct posé, Mysa avait quelques galères mais ça c’est fait nikel. Ce qui est cool c’est qu’ils se sont tous les deux reconnus dans le thème et puis cela à permis à L’indis et Mysa de se rencontrer l’un et l’autre et de travailler ensemble. Ce sont de belles connexions.

[tps_header]« Quelques remords, pas de regret, le futur c’est des soustractions. » « J’entends déjà « il se repent », juste un temps que j’ai repeint. »[/tps_header]

Dans « Le Sourire de Kitano » tu fais un hommage au cinéaste, mais ce texte est aussi dédié à un ami ?

En fait Kitano est un réalisateur japonais, l’un des films qu’il a réalisé « Sonnatine » utilise une affiche ou l’on voit Kitano, le sourire aux lèvres avec un flingue braqué sur sa tempe, avec le titre Sonatine. Il s’avère que sonatine, c’est le nom de mon premier label que j’avais monté en 2006, quand j’ai sorti mon premier album. Et dans ce label on était plusieurs, dont VII avec qui j’ai beaucoup travaillé, il a produit mon premier et second album.

Après la vie fait que l’on s’est séparé musicalement et ce morceau est pour lui, pour dire que j’ai vécu cette époque-là et voilà j’ai le recul pour dire que ça m’a apporté des bonnes choses. Il était toujours sur sa MPC et au-dessus de lui il y avait ce poster de Kitano, c’est lié à ça et c’est normal que les gens ne comprennent pas forcement.

Pourquoi avoir choisi trois producteurs différents pour cet album ?

C’est vrai que c’est la première fois que je fais ça. Ce sont des producteurs de différentes écoles, y a Noname de Toulouse qui est dans une veine plus année 90 avec des gros beats, tu as Vista qui est aussi là dedans et Yep’ qui est un peu plus « actuel » en terme de prod. Je voulais que l’album soit homogène, mais avec des ambiances différentes …

Si tu devais définir ton album en trois mots ?

L’or – Du – Commun

La littérature et la poésie sont présentes de manière très forte dans tes textes, quels sont les auteurs qui t’ont marqué ?

Kafka, Dostoïevski, Isfahani, Steinbeck, Baudelaire et Laforgue pour la langue française.

 Est-ce qu’un jour tu te destines à écrire un livre ou un recueil de poésie ?

Un recueil de poésie ! C’est ce qui me conviendrait le mieux, c’est un truc de fainéant.

 La religion est aussi bien présente dans cet album.

J’y fais souvent allusion effectivement mais c’est elliptique. Je pense que c’est comme un truc inconscient qui m’habite. J’ai une double culture ethnique et religieuse, c’est souvent beaucoup de conflits intérieurs, de questionnements. Nous sommes constamment sommés de choisir un camp. Au final on s’habitue à ce tiraillement et on en profite pour essayer de voir avec plus de lucidité le monde qui nous entoure…

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J’ai pu voir sur internet, que tu avais eu un rendez-vous chez Sony, on a le droit d’en savoir un peu plus ?

Fayçal: C’est trop tôt pour en parler encore. Ce n’est pas quelque chose qui me fait rêver, je veux garder l’envie de faire ce que je veux. Le rendez-vous est à la fin du mois prochain, pour le moment c’est des mails. Pour dévier un peu de la question, je n’ai pas de regret sur mes choix , l’important est ce qui reste, je suis content de ça. Sony si c’est pour s’enfermer dans un truc, non merci, ça ne me fait pas vibrer, j’ai d’autres valeurs autour de ça qui m’apportent bien plus.

Demain tu seras présent à la MJC Trois Maisons, avec ton Equipe «Foksabouge»  , pour une conférence sur l’artiste indépendant, son rôle dans le milieu musicale et son activisme, et sur la mécanique de l’écriture de l’artiste ! Quel est ton rôle à toi dans le milieu des musiques actuelles et jusqu’où va ton investissement « politique » dans cet univers ? Et si tu as envie de nous présenter l’association « Foksabouge » ?

Je peux laisser la parole à Ilyes , qui est un des fondateur de l’association « Foksabouge » et ami de longue date.

Bien sûr ! Ilyes , tu veux nous parler de l’association ?

C’est une asso’ qui a démarré comme beaucoup d’autres, c’est-à-dire une bande de pote un peu branleurs qui voulait faire des concerts de rap. Quand on s’est lancés dans le milieu, j’ai pris beaucoup de plaisir au jeu de la transmission. Je me suis inspiré de la culture Hip-Hop, qui permet d’aller chercher ce qu’il y a de mieux chez l’individu. On travaille beaucoup avec les jeunes, mais aussi avec les adultes. L’idée à la base est d’ouvrir des espaces d’expressions, via des ateliers, des concerts, des événements. De fil en aiguille on s’est développé, on a rentré quelques billes. Faycal ça fait un bail que je le suivais, il y a eu une époque où je faisais ses back aussi sur scène ! On a un noyau dur autour de tout ça. Et on voulu l’intégrer dans notre projet, il y a une vraie complémentarité. C’est une aventure humaine, c’est un choix artistique aussi ! On a décidé de développer ce projet de conférence ensemble.

Pour en revenir à notre question, quel est ton rôle à toi dans le milieu musical indépendant et jusqu’où va ton investissement « politique » dans cet univers ?

Pour répondre à ta question, ce n’est pas pas facile en fait (rires). C’est aux gens de l’extérieur de répondre à ça. J’essaye d’apporter un peu de poésie. La poésie du beau, du moins beau, du bien, du mal. J’aime ça, j’écoute Noir Désir parce que sa tristesse est belle, c’est de la poésie, ça donne du sens. Ce qui est important, c’est l’imaginaire, il faut le cultiver. La société d’aujourd’hui tue notre imaginaire. J’essaye d’apporter des images, des expressions, un langage à moi, parler cette langue française que j’habite.

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Alors tu es rappeur, mais aussi footballeur, que t’apportent ces deux disciplines ?

Bonne question, par ce que souvent les gens opposent ces deux pratiques, on me dit souvent que j’écris des trucs assez sensibles et le foot est apparenté à un sport assez beauf. Alors que je trouve qu’il y a un rapport énorme ente les deux. C’est tout aussi technique, beaucoup d’entraînement. Comme quand des bonnes phrases te viennent, il faut trouver le bon moment pour partir sur un côté, faire une feinte. C’est du timing. Je kiffe autant le foot que le son, peut-être même plus le foot, ça peut paraître étrange.

Des projets pour la suite ?

J’ai des apparitions sur deux albums, sur les albums d’Expérimental « Soldat inconnu » et Littledemo « Braise et cendre ». Je trouve que ce sont deux artistes parmi les plus forts du rap français, après est-ce que mon point de vue est totalement objectif, je ne sais pas (rires). Me concernant je ne sais pas encore, c’est trop tôt pour le dire, je vais prendre le temps.

L’envie d’en refaire un arrive petit à petit. De toute façon à chaque fois que je crée un album, je fais comme si c’était le dernier et je me mets à fond dessus. S’il y a un prochain album, je prendrais mon temps.

Le mot de la fin ?

Merci.

Fayçal-lor-du-commun-620x614Fayçal – L’or du commun toujours disponible ici.

Lire aussi : Chronique : Fayçal – L’or du commun

Crédit Photos : Ex-Nihilo

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