R.E.D.K., l’interview « 10 Bons Sons »

La scène marseillaise comporte son lot de rappeurs dans la tendance, de vieilles gloires, de rookies, d’artistes en développement, d’originaux. Mais quand il s’agit de citer un rappeur technique, respecté des anciens, à la plume aiguisée et dont l’audience dépasse largement les limites de la cité phocéenne, un nom revient systématiquement, R.E.D.K.

Rendez-vous pris auprès d’Only Pro, l’agence artistique gérant les intérêts de Soprano, d’Alonzo, et de R.E.D.K., entre autres, afin de revenir avec Kader sur ses débuts en groupe au sein de Carpe Diem, sur les années 2000, son escapade en solo, les prises de risques artistiques, son travail avec Soprano, ses featurings, Lino, Akhenaton, IAM, Ali, L’Adjoint, son ras-le-bol du rap et son retour.

1 – Carpe Diem – « Egarés » (Notre silence a des choses à dire, 2005)

(Au bout de quelques mesures il siffle.) Ah ouais d’accord, tu es allé loin… On part des débuts débuts débuts… C’était « Égarés » ?

Oui. Dans quel état d’esprit vous vous trouviez avec ton groupe en 2005 ?

Le morceau sort sur notre projet Notre silence a des choses à dire, on va appeler ça un projet, c’était un CD promotionnel. On en avait fait plusieurs exemplaires et on les distribuait de la main à la main. C’était la période où on était le plus déterminé. On avait à cœur d’apporter notre pierre à l’édifice marseillais. On faisait tous les open mic, on sautait sur tout pour se faire connaître. C’était vraiment la très très bonne époque.

Quand est-ce que tu te mets au rap ?

J’avais douze piges je crois. Je devais être avec Picrate, un membre du groupe, parce qu’on est du même du quartier. Et on est tombé dans l’âge d’or du rap, la période la plus prolifique. Moi à dix – douze ans, je m’identifie à Kriss Kross, des jeunes comme moi qui rappaient et je me disais « Si eux arrivent à le faire, je peux le faire ». Je me rappelle j’allais en cours avec une salopette à l’envers… C’est de là que tout est parti je pense.

Et comment s’est constitué le groupe ?

On a un membre du groupe qui s’appelle Ost.R qui connaît tout le monde à Marseille, c’est le maire de la ville ! C’était une galère quand tu te baladais en centre-ville avec lui parce que tu t’arrêtais toutes les deux minutes pour qu’il dise bonjour à untel à untel… (sourire) Donc il nous a tous connectés  avec Picrate, L.O., Reso et Teddy. Donc on faisait des « réunions rapologiques » par ci par là. De fil en aiguille, on a tissé des liens, on a créé Maudit Gang, qui était un collectif de plusieurs groupes. De là, on a retiré les barrières entre les groupes et le collectif est devenu groupe et enfin c’est devenu Carpe Diem.

2 – Carpe Diem – « Département 13 » (En temps voulu, 2007)

(Il reprend les paroles) « Département 13 ».

En voyant le clip, j’ai pensé au clip « 93 Hardcore » de Tandem et à Kool Shen quand il dit « Quand on a rien, représenter les siens c’est déjà quelque chose ».

Il y a l’influence de « 93 Hardcore » et de « Pour ceux » dans ce genre de clip. A l’époque on avait un problème, c’est que les gens avaient du mal à nous identifier. Vu qu’on n’a pas un accent très prononcé quand on rappe, les gens se demandaient d’où on venait, est-ce qu’on était parisien et ça nous faisait chier parce qu’on est des purs marseillais, on le revendique, etc. Donc c’était une très bonne manière de marquer le coup, de faire comprendre d’où on vient. C’est notre premier gros titre, un des classiques de Carpe Diem on va dire… Je me rappelle de l’écriture du morceau, on se disait qu’il fallait à tout prix que chaque gars de Marseille se sente représenter dans chaque phase. Ça aussi c’est un très bon souvenir.

Très peu de temps après, il me semble que vous êtes quelques-uns du groupe à poser sur Chroniques de Mars 2 ; vous aviez du avoir une certaine pression j’imagine…

IAM m’a permis d’avoir ma première apparition sur un projet qui sort à l’échelle nationale. Et la boucle est bouclée parce que je suis sur le dernier album d’IAM. Là je me disais : « Tu rentres dans la cour des grands avec Chroniques de Mars 2 ». Le volume 1 c’était un classique… J’ai toujours été sûr de mes forces mais là c’était le moment ou jamais de se faire remarquer. Je me rappelle on avait fait un premier morceau sur lequel il y avait Kalash l’Afro, El Matador et moi, mais pour diverses raisons, il a volé en éclat et on en a fait un autre avec Zino, L.O. et moi.

3 – Carpe Diem – « Jusqu’ici tout va bien » (Têtes brûlées 5, 2009)

(Il bouge la tête) « Jusqu’ici tout va bien » le remix du morceau de Booba. C’était un morceau pour la compil Têtes brûlées 5, sur laquelle tu devais reprendre un classique d’un poids lourd et le remettre à ta sauce. Alors pourquoi ce choix ? Parce que Booba, parce que Temps Mort, parce que Mauvais Œil est un classique indétrônable. C’est mon album préféré en rap français.

Le morceau original est sorti en 2001 et votre remix sort en 2009, au moment où Booba sort 0.9, qui a bien changé depuis Temps Mort. J’aimerais connaître ton regard sur cette décennie qui est souvent présentée comme une période sombre pour le rap français.

Les sons qui m’ont le plus marqué datent de la période 1995 / 2010. C’était une époque où tu n’avais pas le droit à l’erreur. C’est ça qui me frustre un peu, maintenant dans le rap tout le monde se lance, il n’y a pas d’exigence particulière, si ça plaît pas à certains, ça plaira à d’autres. Avant il y avait vraiment un niveau exigé. Quand tu te retrouvais dans une radio et qu’il fallait partir en freestyle, tu ne pouvais pas proposer quelque chose de light ou ce qui sort aujourd’hui. Mais bon voilà c’est une autre époque, c’est d’autres modes de vie qui entraînent d’autres inspirations, c’est totalement différent. Ce qui sortait durant cette tranche-là, c’est classique !

Je ne partage pas ton point de vue sur les années 2000, de 2002 à 2010, je trouve qu’il y avait un délire ghetto trop présent et ce qui était différent était mis de côté, comme ce qu’on a appelé le rap alternatif. Il y avait un problème, on n’a pas accepté…

(Il coupe) La diversité. Ça c’est sûr et certain. (rires) Il fallait que tu restes dans ce qui était accepté et si tu en sortais, tu étais disqualifié. Mais en termes de morceaux, moi je me suis régalé.

Par contre, quand il y a eu la vague dirty j’ai commencé à émettre des réserves. Des artistes ont voulu prendre des virages, pour certains ça a marché, pour d’autres non. Certains ont la capacité de se renouveler, de surfer sur plusieurs styles, mais ce n’est pas donné à tout le monde.

Quand c’est fait avec opportunisme, tant mieux si ça ne marche pas. Mais certains ont voulu donner un nouveau souffle à leur carrière en tentant des trucs, même si ça fonctionne moins, je pense à un gars comme Disiz.

Ça oui. C’est malheureux parce qu’en tant qu’artiste, je comprends cette démarche, mais en tant qu’auditeur, je veux que le gars me resserve ce que j’aime en lui. Moi pareil, dans mes nouveaux sons, je tente des trucs que jamais de la vie j’aurai pensé faire. Tout en sachant que les mecs qui m’écoutent pourraient se dire « Il a pété un plomb R.E.D.K. !! On l’a perdu… » Mais on aura moins ce problème parce que les auditeurs aujourd’hui sont, j’allais dire plus matures, plus ouverts, ils acceptent beaucoup plus de choses.

Et puis tu es obligé d’évoluer, tu ne peux pas refourguer tout le temps la même chose, en tant qu’artiste tu t’emmerdes. Tu as envie d’explorer de nouveaux mondes, d’essayer de nouvelles choses, sinon tu t’endors sur tes lauriers, tu ne prends même plus plaisir à le faire. Alors tu peux garder ta base de sons que tu affectionnes, que tu sais faire, que tu maîtrises, mais il faut tenter de nouveaux trucs.

4 – R.E.D.K. – « Simple Constat 5 » (2009)

C’est « Simple constat 3 » ça, non ? (Puis il reprend les paroles) Ah, c’est le 5.

Pourquoi tu te lances dans cette escapade solo avec cette série de « Simple Constat » ?

Franchement je ne sais pas d’où c’est né… Pour le 1, j’étais allé enregistrer chez un pote et j’avais une idée qui m’est venue sur la prod de 50 Cent « P.I.M.P. », qui était un morceau sur les meufs frivoles, etc. Dans mon morceau je disais « Je ne juge pas c’est juste un simple constat. » C’est parti de là en fait. En parallèle de ce qu’on faisait avec le groupe, les « Simple Constat » c’était ma cour de récré. Du coup dès que j’avais une idée, je prenais une Face B et je développais un thème. Le 5 je pense que c’est mon classique à moi.

Abordons justement les conséquences de ce morceau qui est devenu « viral » pour l’époque.

Pour moi c’était un truc de fou. On venait de signer avec Only Pro. Au départ, on faisait tourner ce son qu’entre nous. Et le jour où j’envoie à Only Pro des morceaux, dont celui-là, eux connaissent le métier, ils le mettent sur You Tube, ils l’envoient à des sites pour qu’il soit relayé et c’était parti !

Je recevais plein d’appels, je me rappelle les premiers à m’avoir contacté c’était Sexion d’Assaut, ils avaient kiffé le morceau. Ça a été vraiment une vitrine de ouf. C’est un morceau qui m’a ouvert des portes, fait connaître, et c’était une très belle carte de visite parce que ça symbolise quasiment tout ce que je suis et je fais. Je suis un passionné de rap et de foot. La manière dont le morceau est écrit c’est vraiment ce que j’aime dans le rap. J’aime écouter un morceau qui est bien écrit ou qui a une particularité dans l’écriture. Donc ça montrait bien qui je suis en tant qu’artiste solo.

Ce n’était pas particulier à vivre par rapport au groupe ce rayonnement solo ? De réussir à placer le blaze R.E.D.K. avant le blaze Carpe Diem ?

C’est frustrant, c’est gênant, c’est particulier comme situation parce qu’avec Carpe Diem on n’a jamais eu une réflexion de solo, on a toujours évolué en groupe. Cet évènement n’était pas prévu au programme. Mais on a une certaine maturité dans le groupe et un certain recul sur les choses, ils ont vu qu’il y avait quelque chose à jouer pour moi si je partais en solo et ce sont même eux qui m’ont poussé à le faire.

Un jour Teddy nous a tous convoqués, on ne savait pas pour quelle raison et il nous dit : « Les gars, il se passe des trucs autour de Kader, ça bouge, etc, il ne faut pas laisser passer cette occasion, peut-être que ça ne se reproduira jamais, donc il doit sortir quelque chose en solo. » Tout le monde était chaud et a validé. Mais moi, je ne peux pas faire un projet s’ils n’en font pas partie, je ne fais pas de concert s’ils ne sont pas là. Quand IAM m’invite pour faire la première partie de la tournée des vingt ans de L’École du Micro d’Argent, ils sont avec moi. Les premiers mots de mon album solo, je les cite. C’est une réflexion de groupe qui a porté ses fruits. Et c’est bien que ça se soit passé comme ça. Même si ça n’a pas foutu la merde dans le groupe, ça a cassé une dynamique dans le processus de création des morceaux. Parce que quand je bossais de mon côté, tout le reste était en stand by. En plus c’était le moment où tout le monde commençait à avoir des enfants, etc., donc il n’y avait plus de rap, plus de studio. Et dès qu’on a voulu s’y remettre, l’air de rien, on avait perdu les automatismes qu’on avait avant. Mais ça revient assez rapidement. Si c’est mal géré, ça peut causer des cassures.

5 – Carpe Diem feat. Lino – « Position assumée » (Carpe Diem, 2011)

C’est « Position assumée ». Ce morceau symbolise l’arrivée chez Street Skillz, l’ancêtre d’Only pro, le deuxième label marseillais après La Cosca. Pour nous, c’est un très grand changement, on se professionnalise dans la musique, on en comprend le fonctionnement, ce n’est pas que faire des freestyles ou des morceaux de temps en temps. On découvre le game, l’envers du décor. C’est beaucoup plus sérieux, beaucoup plus carré.

Dans ce morceau, on a en featuring le maître Lino. Un rêve d’enfant réalisé. Bors bordel ! On avait la pression et quand il nous a envoyé son couplet, on a compris dans quelle merde on était. (sourire) Mais c’est ce qu’on voulait faire, un morceau avec le grand Lino et on a eu la chance de l’avoir. Pour moi en terme de rap et d’écriture, c’est le boss. C’était donc un rêve de gosse et une étape supplémentaire de franchie avec le groupe.

Paradoxalement, c’est le dernier projet du groupe et suite à ça tu te lances doucement en solo.

Ce n’était vraiment pas prévu que je parte en solo. Mais de featuring en featuring, ça a créé une demande de projet solo et c’est là qu’on a fait la fameuse réunion avec le général Teddy. Je pense qu’il n’y a pas meilleures conditions pour commencer en solo. On a eu une réflexion saine et mature. Et ce qui a rendu possible l’aventure en solo, c’est que tout le monde à cette époque, a eu des enfants. La vie de tous a changé. On n’était plus aussi impliqués qu’auparavant dans le rap, pour se réunir c’était beaucoup plus compliqué. Puis est venu le moment de E=2MC’s.

On appelle ça une passe D.

6 – R.E.D.K. & Soprano – « A plume ouverte » (E=2MC’s, 2012)

(Il siffle les notes de la mélodie.) « A plume ouverte ».

Comment en êtes-vous venus à faire ce projet commun avec Sopra ?

C’est marrant parce que ce n’est même pas nous qui en avons eu l’idée. Il me semble que c’est Zino qui l’a proposée parce qu’à l’époque on se butait au projet entre Eminem Royce da 5’9’’. Saïd (Soprano) s’apprêtait à sortir un solo avant de repartir en groupe donc on a eu une vingtaine de jours pour le faire. On a charbonné et on a plié ça.

Plus que les liens artistiques, on sent les liens humains qui vous unissent.

Ah oui. Pour le grand public, c’est la première fois qu’on collabore avec Soprano, mais on se connaît depuis (il réfléchit), depuis le début en fait. Il venait à La Rose, on rappait jusqu’à tard dans la nuit… Jusqu’à maintenant, on est très proches. Dès que j’ai un doute sur un morceau je lui envoie. Quand j’ai fait « Simple Constat 7 », du pur rap, que pour les amateurs avec tout un tas de références, je lui ai envoyé pour avoir son avis. On s’aide. S’il est en manque d’inspi, qu’il n’arrive pas à démarrer sur une prod mais qu’il a le yaourt, il me dit si je ne me sens pas d’écrire un truc dessus…

Vous avez un tronc commun tout en faisant une musique très différente l’une de l’autre. Comment vous le vivez cet écart artistique ?

Moi je sais très bien que Saïd est un kiffeur de rap, c’est un rappeur à jamais ! Quand je bosse sur l’écriture d’un de ses morceaux, j’arrive à comprendre ses attentes, parce que moi j’ai toujours la manie de vouloir faire des tournures, des trucs métaphoriques alors que lui s’adresse à un public où il faut aller droit au but. Ça me pousse à simplifier mon écriture et mine de rien, ce n’est pas quelque chose de facile pour moi.

Tu n’es pas dans ta zone de confort.

Exactement. C’est un exercice, totalement différent de ce que je fais et ça m’a appris. J’apprends à chaque fois que je suis avec lui parce que c’est un vrai visionnaire, il sait voir la portée d’un morceau, d’une phase, il remarque le mot en trop. J’apprends de lui et lui apprend de moi. Mais notre relation dépasse le cadre du rap.

7 – Shtar Academy (Nemir, Keny Arkana, Nekfeu, Nor, R.E.D.K., Tekila, Lino, Soprano, Bakar, Alonzo, Vincenzo, Sat, Medine, Orelsan, Gringe) – « Les portes du pénitencier » (2014)

(Au bous d’une dizaine de secondes) Ah, Shtar Academy ?

Exact. Ça m’a un peu coûté de mettre ce morceau, j’ai longtemps hésité avec « Invincible remix » de Nakk et « Dernier MC remix » de Kery James, mais celui-là est le moins connu des trois. Je voulais donc connaître ton état d’esprit lors de ces cypher avec beaucoup de beau monde et durant cette période où tu accumules les collaborations de prestige.

C’était une période intense et usante même des fois parce que je ne peux pas faire un feat ou une collaboration en dilettante, je suis obligé de tout donner. Si on me sollicite, c’est qu’on a kiffé ce truc que j’ai donc je dois être à fond. C’était une période où je préparais mon solo, plus celui de Sopra, plus les feats, c’était lourd parfois. C’est pour cette raison que lorsque je suis arrivé à la fin de l’album, je voulais tout arrêter… Trop de rap… J’étais arrivé à saturation. Mais en même temps, ce type de collaboration a fait ma réputation parce qu’à chaque fois que j’arrivais dans un morceau, je faisais le taf.  Mais ce n’est pas de tout repos.

Tu évoques ce revers de la médaille et j’aimerais savoir s’il n’était pas frustrant d’être plus apprécié pour ton côté rappeur pour rappeurs qui marque les esprits en featuring que par tes morceaux solos ?

Le problème, c’est que ces feats sont sortis entre le dernier album de Carpe Diem et mon solo. Je me disais que c’était du pain béni, ça faisait monter la sauce. Je ne me suis jamais dit que ça me limitait, j’ai toujours kiffé ces feats mais je crois que c’est un de mes problèmes. J’aime rapper, je ne suis pas trop calculateur, peut-être qu’à un moment j’aurai dû refuser certaines invitations pour garder l’effet de surprise quand tu arrives en solo… On me l’a souvent dit : « T’es le rappeur des rappeurs mais pas suffisamment celui du public. »

Après il y a plus dégradant comme étiquette.

Ah oui ! A chaque fois qu’on me dit ça, ça me rappelle quand Thierry Henry devait avoir le ballon d’or. Alors attention, toutes proportions gardées, je ne me prends pas pour Thierry Henry ou qui que ce soit. Donc il aurait dû l’avoir et ils l’ont donné à Nedved. Mais Henry a été élu par ses pairs comme meilleur joueur. Il avait dit préférer être considéré comme meilleur joueur par les défenseurs parce qu’ils savent ce que signifie charger un attaquant, etc. Pareil, avoir la reconnaissance des rappeurs ça n’a pas de prix. On est issu d’une époque où c’est ce qu’on voulait, prouver aux mecs que tu étais chaud. L’air de rien, ça a dû influer sur mes choix artistiques, sur ma manière de procéder, je n’ai pas suffisamment été calculateur ou stratège, ce n’est pas dans mon ADN. En fait, j’aime trop le rap, je crois que c’est ça mon défaut.

8 – Akhenaton feat. R.E.D.K. – « A part les € » (Je suis en vie, 2014)

« A part les € ».

En tant que Marseillais, une nouvelle étape de franchie.

Laisse tomber… Je me rappelle, Chill était passé par Only Pro pour me contacter. C’était un honneur, je n’ai pas de mots. Avec Picrate, on a appris à rapper sur les couplets d’IAM, sur Métèque et Mat… Je me rappelle on mettait la cassette et on rappait par-dessus ! Jamais de ma vie, mais jamais au grand jamais, je m’étais dit que je ferai une collaboration avec Akhenaton, sur l’album d’IAM, qu’ils me choisissent pour faire la première partie des vingt ans de L’École du Micro d’argent, c’est un truc de fou… Tu vois, je n’ai peut-être pas eu le succès commercial et compagnie, mais en tant que Marseillais, collaborer avec eux, poser sur un morceau de l’album d’IAM, c’est ma Ligue des Champions. Pour moi c’est la consécration, j’ai fini le jeu. En plus, ils étaient contents. C’est inespéré d’autant que maintenant avec Chill on a rajouté à cela l’humain parce que depuis ce morceau on est proches, on fait du sport ensemble, il m’est arrivé d’aller chez lui regarder des matches, c’est la famille pour de bon.

Sur ce morceau, tu reprends une phase de « Demain c’est loin » (« C’est toujours la même merde derrière les mêmes couches de peinture »). Est-ce qu’entre le moment où est sorti le morceau en 1997 et le moment où est sorti votre morceau, en 2014, il n’y a vraiment rien qui a changé ?

C’est clair que des choses se sont améliorées. Si tu veux, j’ai cette image de La Rose, Val Plan, où quand j’étais gosse, on avait les toxicos, les seringues, etc. En grandissant, tu as toujours les mêmes coins qui sont squattés jusqu’à aujourd’hui quand j’y retourne. Certains ont compris que le quartier c’est bien beau mais qu’il fallait en sortir le plus rapidement possible et mettre ses proches à l’abri, donc oui il y a une évolution. Mais au final, dans ces quartiers-là, il n’y a pas d’opérations qui ont été mises en œuvre pour faire changer les mentalités, pour éveiller les consciences, si ce n’est quelques centres aérés qui organisent des sorties en Ardèche. Et heureusement qu’ils sont là, j’en garde de très bons souvenirs de tout ça, mais concrètement qu’est-ce qui est fait dans les quartiers si ce n’est remettre cette énième couche de peinture ?

Pour revenir au rap, il me semble que c’est à cette époque où débute le partenariat avec Wrung.

Cette connexion est purement hasardeuse. On allait faire le clip « Début de la fin » et Anthony Terror à la réalisation me dit qu’il me faut une veste marron. Je suis donc allé dans une boutique streetwear en prendre une. Le clip sort et le gars de Wrung m’envoie un message « Big up, merci pour la veste ! ». Puis on s’est rencontrés, de leur côté ils kiffaient le rap, leur image hip-hop collait avec la nôtre et on est partis sur un partenariat avec cette marque légendaire, la plus vieille dans le streetwear, qui a marché sur des cadavres.

9 – R.E.D.K. feat. Lino – « Un mal pour un bien » (Chant de vision, 2014)

(Il sourit dès les premières notes du morceau.)

Dans le premier couplet, vous avez la même structure de rimes, en reprenant vos phases, après vous faites un passe-passe, comment vous avez organisé le processus d’écriture ?

On s’est croisés chez Tefa, on a enregistré là-bas. Avant de commencer la séance, il me fait écouter des morceaux de l’album de Lino (Requiem) dont un où il interprète le bien et le mal dans le même titre. Le truc de fou, c’est que j’avais fait le même morceau que je leur fais écouter. On savait donc sur quoi on allait partir, il ne restait plus qu’à choisir la prod. J’avais commencé à poser et Lino a eu l’idée de reprendre des phases à sa sauce, avant qu’on parte dans un passe-passe. Il n’y a pas vraiment eu de calculs. Je suis remonté trois fois sur Paris pour finaliser le morceau.

(Il cherche ses mots) Là, c’était vraiment un featuring, ce n’était pas un truc où chacun est dans son coin et on s’envoie les voix. On a poussé la collaboration jusqu’au bout. C’était un grand moment ça aussi. En plus le morceau a atteint ce que je voulais.

Sur Chant de vision, ton premier album solo, tu as donc Lino en featuring mais aussi Soprano, Kayna Samet et surtout Ali, qui en fait très peu…

Je me suis dit « On tente ! ». Vu qu’il ne se mélange vraiment pas, on n’était pas confiant mais au final il a accepté et il était super impliqué, c’est ça qui fait plaisir. Ali c’est Mauvais Œil, une légende que j’ai écoutée, qui a fait ce que je suis. On a gardé de très bons liens, on a failli faire un autre morceau pour un autre projet… Et puis c’est un humain peace, posé, droit. Il est reposant en fait. Avec les autres en studio ça part en débat sur les streams, sur le game, mais avec lui, on avait des discussions qui n’avaient rien à voir avec la musique… (sourire) J’ai eu ce même ressenti quand j’étais avec IAM, ils n’ont jamais ce côté aigri que tu peux retrouver chez n’importe quel autre rappeur où ça jacte pour rien. Ils vivent le rap d’une autre manière. C’est une autre gamberge.

Vous avez fait l’album avec L’Adjoint, tu peux nous parler de cette connexion ?

L’Adjoint c’est mon frère ! Absolument tous les morceaux que j’ai faits sont passés entre ses mains, les feats, les Simple Constat, tout. Depuis le début il est avec nous. On s’est lié d’amitié, on a connu de bons moments, d’autres tristes, ensemble, c’est le frère. Et je suis content parce que maintenant il est en bombe ! Il est en train de récolter tout ce qu’il a semé. C’est un mec hyper talentueux, en tant qu’ingé et en tant que beatmaker.

J’aimerais qu’on aborde les retours et les retombées de ton premier album solo.

Pendant la conception de l’album, je me disais qu’après cet album solo j’allais arrêter, que je ne ressortirais plus rien derrière. Je n’en pouvais plus. J’avais l’impression de subir et je n’aime pas me forcer quand je fais quelque chose. Pareil pour l’inspi, ça ne se déclenche pas comme ça, il faut que tu vives des choses. J’étais essoré, j’avais besoin de souffler, de me retrouver. Le monde de la musique, tout l’aspect business, ça m’a écœuré. Tu bosses un album pendant des mois et ton travail dépend en fait d’autres paramètres… Tu te dis « Tout ça pour ça ? ». En fait ce n’est pas la manière dont l’album a été reçu qui m’a dégouté, c’était un ras-le-bol global.

10 – R.E.D.K. – « Beaucoup trop » (2020)

Ah ! « Beaucoup trop ».

J’avais pensé mettre « Iceberg », voire « Marche ou crève », parce qu’entre ton album et ton retour vers 2018 – 2019, il y a eu une pause. Qu’est-ce qui t’a motivé à rapper de nouveau ?

Pendant deux – trois ans, je ne suivais absolument plus ce qui se faisait et celui qui me remet le pied à l’étrier, une fois n’est pas coutume, c’est Sopra. Il m’avait appelé pour qu’on bosse sur l’album L’Everest, c’est là que j’ai recommencé à écrire pour lui. De fil en aiguille, c’est revenu. En parallèle, une artiste, Zayra, m’a contacté pour qu’on bosse ensemble sur un titre et au final je me suis retrouvé à faire l’album entier. Je rappelle L’Adjoint en lui disant que le juice revient, on a recommencé à bosser en studio et à préparer un album. J’ai suivi l’émergence du « nouveau rap ». Il y a de très bonnes choses, musicalement parlant. Je me dis comment trouver le juste milieu entre ce que j’aime faire et ce qui se fait actuellement. C’est la sauce qu’on essaie de trouver.

Ce morceau a été présenté comme un recalé de l’album. Pour quelle raison l’as-tu mis de côté ?

Parce qu’on a trop de morceaux ! Je dois en avoir une cinquantaine et il faut faire un choix. J’ai toujours kiffé celui-là, je voulais le mettre dans l’album, mais quand on le faisait écouter, les gens n’étaient pas totalement convaincus. On l’a donc mis de côté mais il a quand même eu droit à un clip et les gens l’acceptent.

Sur ce morceau, la prod était structurée avec deux couplets et un refrain, ça a conditionné mon écriture. C’est fini le troisième couplet. Mais sur l’album je me suis affranchi parfois de ce format. Je peux tenir compte de certaines choses mais au bout d’un moment, je fais ce que j’aime et ça peut donner des morceaux de 4, 5 ou 6 minutes. « Simple Constat 7 » dépasse le format classique par exemple.

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